La complexité du rapport avec le village natal exprimée à travers l’humour. Libera nos a malo de Luigi Meneghello

DOI : 10.58335/individuetnation.219

Résumés

Dans Libera nos a malo de Luigi Meneghello, l’humour rend possible la conjonction entre l’évocation attendrie du village natal de l’auteur et la critique du fascisme ainsi que la dénonciation des conditions de vie dans un paysage rural du nord de l’Italie. Cet article montre comment l’humour peut être considéré, dans cette œuvre, non pas comme un symptôme de légèreté vis-à-vis de la matière traitée, mais plutôt comme un ressort narratif. Grâce à l’humour Libera nos a malo parvient d’une part à tracer un portrait fidèle et lucide de la réalité de l’entre-deux-guerres, tout en amortissant le choc de la critique directe, d’autre part à restituer l’image de la complexité du rapport de Meneghello à son pays d’origine, fait à la fois d’attirance et de répulsion, de tendresse et d’esprit critique.

In Libera nos a malo by Luigi Meneghello the conjunction between the sweet memories of the author's birthplace, the criticism of fascism and the denouncement of the hard conditions of life in a rural village in the north of Italy, is possible through humour. This article shows how humour can be considered, in Libera nos a malo, not as a way of being naive about the subject, but as a narrative ability. Thanks to its sense of humour it is able to trace a lucid and faithful portrait of the time period between the two World Wars, while it avoids direct criticism. Moreover it is able to show the complexity of Meneghello’s relation with his birthplace, which is made of attraction and repulsion, of tenderness and critical spirit.

Plan

Texte

1. L’enfant de Malo et la culture officielle, histoire d’un décalage

Libera nos a malo est une œuvre autobiographique où, parmi les épisodes de l’enfance de Luigi Meneghello (1922-2007) se distinguent les traits caractéristiques d’un milieu et d’une époque, l’entre-deux-guerres, dans la petite ville de Malo.1 La nostalgie qui émane de l’évocation du paradis perdu de l’enfance est ici mitigée par le souvenir des conditions endurées par la communauté autochtone, installée dans un milieu rural au train de vie parfois rude et pendant une période historique marquée par les contradictions de la politique fasciste et par une morale religieuse stricte.

Afin d’émousser les accents polémiques de sa critique, l’auteur vide les épisodes de son enfance et les faits divers de Malo de leur caractère dramatique. C’est pour réduire le pathos, en effet, qu’il semble vouloir camoufler son affection et la tendresse qu’il éprouve à l’égard de son village natal, même si la trace de ces sentiments reluit sur le fond de la contestation. Son dessein est d’arrondir les angles de la chronique, en utilisant un détour humoristique qui cèle l’émotion sous un voile de pudeur ; grâce à l’ambiguïté propre à l’humour il parvient à conjuguer son regard critique avec l’intimité de l’évocation.

Le comique est donc le moyen que Meneghello utilise pour exprimer la complexité de son rapport avec le village natal, permettant de le faire revivre, à travers l’écriture. Mais il s’agit également d’un expédient dont il se sert pour affronter son passé, pour lequel il éprouve maints regrets, à cause de son adhésion, dès l’enfance, au système mis au point par la propagande du régime, tel que les collectifs des Balilla et de la Jeunesse fasciste. Brillant étudiant en philosophie à Padoue, c’est dès les premiers contacts avec l’antifasciste Antonio Giuriolo, qu’il perçoit les méfaits de l’éducation reçue. Par la suite il prend part à la Résistance2 et s’engage dans le Partito d’Azione.

Mais après la guerre, à la libération, une série de désillusions l’attend sur les plans politique et social. Au décalage idéologique ressenti vis-à-vis de l’éducation fasciste, s’ajoute un sentiment d’inaptitude à la nation italienne naissante. C’est ainsi qu’en 1947, ses attentes à l’égard de la nouvelle république italienne étant déçues3, Meneghello décide de partir à l’étranger. Il obtient une bourse d’étude du British Council pour l’Université de Reading. Ce séjour, qui ne devait durer qu’un an, se mue en une nouvelle vie. Meneghello s’installe définitivement à Reading et enseigne à l’université ; en 1957, il fonde le prestigieux département d’Études Italiennes, qu’il dirige jusqu’en 1980. Dans une note de 1967, il définit son départ comme un moyen de se « soustraire pour quelque temps à la mafia italienne, la vile camorra catholique et marxiste »4.

Le douloureux arrachement à la communauté d’origine est inhérent à la condition de migrant. À la séparation spatio-temporelle s’ajoute, dans le cas de Meneghello, un décalage de nature idéologique ; en effet, la culture, la mentalité et le style de vie qu’il découvre en Angleterre, aux antipodes de l’enflure du régime fasciste, lui semblent incarner les idéaux de sérieux et d’honnêteté auxquels il aspire.5 Bien qu’initialement prévu pour n’être qu’un court séjour, son départ en Angleterre représente une volonté de rupture avec les valeurs, les modes de pensée et les mœurs de son pays. Cependant, à la différence de bien d’autres migrants, définitivement coupés de leur terre d’origine, du fait de leurs conditions socio-économiques, Luigi Meneghello maintient, grâce à sa profession, des rapports constants avec l’Italie.

2. Retour et appartenance

La période de rédaction de Libera nos a Malo, son premier livre, se situe justement durant une année de congé sabbatique, entre 1961 et 1962, lorsque l’écrivain séjourne, avec son épouse, dans une maison de campagne près de Vérone. À lire les paragraphes d’ouverture, il appert que ce retour « spatial » correspond à un retour mnémonique, que l’on peut considérer comme l’origine de l’acte d’écrire :

On commence par un orage. Nous sommes arrivés hier soir, et ils nous ont fait dormir dans la grande chambre, la même où je suis né. Avec les tonnerres et les premières averses, je me suis senti à nouveau à la maison. C’était des roulements, des vagues qui se terminaient en une bouffée : des bruits familiers, des choses du village. Tout ce que nous avons ici est mouvementé, vif, peut-être parce que les distances sont réduites et fixes, comme dans un théâtre. Les ruissellements de la pluie étaient dans les basses-cours tout autour, les tonnerres étaient là haut, au-dessus des toits ; mon oreille reconnaissait, un peu plus haut, l’emplacement du même Dieu qui faisait les orages quand nous étions enfants. C’était lui aussi un personnage du village. Ici tout est intensifié, c’est une question d’échelle, probablement, de rapports internes. La forme des bruits et de ces pensées (mais ils se confondaient) m’a paru pour un instant plus vraie que le vrai, mais on ne peut pas la refaire avec les mots.6

Dans cet extrait, la dimension autobiographique se mêle à la dimension mythique de la narration. Par l’effet de la juxtaposition entre la forme impersonnelle du sujet de l’incipit (« on ») et le sujet personnel « nous » des propositions suivantes, faisant référence non pas à des personnages de la fiction, mais à des personnes et des faits réels (Meneghello et son épouse séjournant à Malo cette année-là), le moment du retour acquiert la valeur d’un moment fondateur, d’où jaillit l’écriture. La grande chambre, où retentissent les bruits de l’orage tient lieu de caisse de résonance ; des perceptions auditives se traduisent alors en échos de sensations enfouies, qui font affleurer les souvenirs d’expériences enfantines. Il s’agit moins d’un simple retour au village natal que d’une régression aux origines.

Ces deux premiers paragraphes préludent à une longue description de la vie à Malo dans les années 1920 et 1930, qui se déploie tout au long de l’œuvre. Les compléments à travers lesquels l’auteur définit l’espace (« tout ce que nous avons ici ») et le temps (« quand nous étions enfants ») de la narration, témoignent de son intention de restreindre cette évocation à la dimension villageoise d’une époque déterminée, afin de faire émerger une entité unique et isolée. Dès le début, Libera nos a malo révèle le clivage entre deux espaces distincts : l’Italie et Malo7. Seul ce dernier est reconnu comme le lieu originaire, à mesure que se produit l’impression d’être à nouveau « à la maison ».

Le terme « maison » exprime un sentiment d’appartenance, dès lors qu’il est rapporté au concept prémoderne de partage d’un bien collectif, par sa simple présence au sein de la communauté. En effet, cette dernière accueille les « dispatriés »8 dans une étreinte réconfortante, dont l’effet revigorant dilate l’image d’une réalité maternelle. Celle-ci occupe la place de l’institution civile nationale, laquelle reste ainsi vidée de son sens.

Parallèlement, la communauté joue le rôle de berceau de la culture primitive et originelle, dont les traces éparses sont identifiables chez tous ses membres, et constituent leur dénominateur commun. Le fait de partager avec d’autres individus des traits principaux de l’expérience formatrice renforce la conscience identitaire du sujet. Dans l’extrait cité ci-dessus la plurivalence du pronom « nous », qui se réfère en première instance au sujet concret (Luigi et Katia Meneghello) pour s’étendre ensuite à tous les membres de la communauté (« quand nous étions enfants »), témoigne d’une superposition entre l’individu et la collectivité. Dans ce sens, Malo est perçu comme un tout abritant le germe de chaque personnalité particulière susceptible d’être étudiée en tant que modèle universel.9 Le but du retour, spatial et temporel, n’est donc pas la mimesis, ni le lyrisme, mais plutôt sa fonction gnoséologique :

Le passé m’importe de manière tout à fait différente: c’est-à-dire en ce qu’il contient (dans les parties dont je m’occupe) les fibres de certaines choses qui m’intéressent et que je tiens à éclaircir. C’est une curiosité scientifique, à l’opposé de la nostalgie.10

Cette intention apparaît encore plus explicite, si l’on tient compte de la citation de Wallace Stevens mise en exergue au livre : « I am one of you and being one of you is being and knowing what I am and know »11 (Meneghello 2006 : 284). Le sentiment d’appartenance est dépassé par la volonté de retrouver, à travers l’investigation du réel, les éléments porteurs d’un sentiment existentiel. De ces prémisses découle un livre qui n’est ni un roman, ni une autobiographie ; c’est un ouvrage d’un genre hybride tissant, sur la trame du portrait sociologique et linguistique d’une collectivité, des souvenirs sous forme de « fragments d’émotions cachés au fond de la conscience »12.

3. Clivage et recours à l’humour

L’écriture doit être considérée comme une tentative de reproduire le réel, dans le but de dégager les enseignements fondamentaux de l’expérience, qui constituent pour Luigi Meneghello la quintessence de la vérité.13 La période que le narrateur évoque au début de Libera nos a malo (supra) est dominée par un ensemble de perceptions, relevant du domaine corporel, dont le souvenir suscite des sensations enfouies aptes à faire revivre le monde de l’enfance. L’identité sensorielle entre l’expérience actuelle et celle de jadis permet de recréer, intérieurement, un simulacre de la réalité perdue. En revanche, à cause de ses limites inhérentes à sa nature conventionnelle, le langage ne possède pas le même atout : en raison de ses prescriptions et de ses défaillances, la langue n’est pas en mesure de représenter avec exactitude les émotions découlant de l’expérience.

Avec un indéniable goût pour le paradoxe, Meneghello commence son livre en dénonçant l’impuissance du langage à reproduire le monde. En effet, le langage est incapable de réduire la dichotomie qui subsiste entre le réel objectif et une réalité sous-jacente qui habite la partie la plus intime de tout homme et que l’on atteint grâce à une sensibilité qui transcende la raison.

Afin d’affronter ce paradoxe, dans le travail qui anime toute écriture poétique, l’auteur choisit l’alternative de la plurivocité contenue dans l’ambivalence du titre Libera nos a malo. L’homophonie malo-Malo, qui engage le mot latin et le nom de la ville natale de l’auteur, provoque une dilatation, à effet désacralisant et comique ; son ambiguïté est en mesure de transmettre, sans le dévoiler, le contenu de l’expérience. En choisissant les clefs du sous-entendu et de l’équivoque, l’auteur privilégie la déconstruction du sens ; il fait appel à un deuxième degré qui permet, tout en faisant sourire, de conserver et de faire signifier l’écart qui subsiste entre réalité et langage. C’est pour ces raisons que l’humour peut être considéré, dans Libera nos a malo, non pas comme un symptôme de légèreté vis-à-vis de la matière traitée, mais plutôt comme un ressort narratif.

Comme le montre l’extrait cité ci-dessous, il s’agit d’une démarche consciente de la part de Meneghello ; l’auteur commente ici le choix du titre Libera nos a malo :

Le matin où il me vint à l’esprit, au début de 1962, je sentis avec une certitude absolue qu’il centrait la cible que je ne saurais pas atteindre autrement. Il était à la fois plaisant et parfaitement sérieux : le juste moyen d’exprimer, avec une phrase emblématique, ce que je sentais vis-à-vis de ma « matière », mon vrai rapport avec l’expérience villageoise, fait d’implication et de détachement. Si j’avais écrit un essai sur cette ambiguïté, sur la nature ambivalente de ce rapport, certes je n’aurais pas pu la communiquer avec autant d’efficacité. La réalité de la chose n’était pas « philosophique », mais intuitive, ironique, éclairante…14.

En tirant parti de l’ambiguïté intrinsèque et incontournable de la narration, le rire suggère plutôt qu’il ne définit; sans neutraliser la dichotomie réalité-écriture, mais plutôt en l’exploitant, le comique enjambe la finitude du langage et devient le truchement de l’intuition dans la signification. Par son propre rire, le lecteur est avisé de l’intention lucide de l’auteur de le guider à la compréhension empathique, qui représente un outil indispensable pour pénétrer l’œuvre.

Dans Libera nos a malo le registre comique est obtenu par des techniques narratives diverses, parmi lesquelles la transposition directe dans le texte de la logique enfantine comme l’illustre l’extrait suivant, où l’auteur transcrit les couplets d’un chant fasciste de son enfance. Nous transcrivons ce passage en italien, afin de laisser entendre comment ce procédé agit d’emblée sur le plan de la langue :

C’erano canzoni piene di concetti struggenti, con deliziosi pericoli sullo sfondo. /Mama non piangere se c’è l’avansata/ Tuo figlio è forte e vincere sapràn/ Assiuga il pianto dela fidansata/ Perché lassalto si vince o si muor./ Seguivano le istruzioni all’Ardito:/ Scavalca i monti – divora il piano/ pugnal frài denti – le bonbe a mano./ Mi piaceva la terrificante sintassi dell’ultimo verso, sentito con lo slancio della mente bambina per quello che forse era in effetto, una compressione di col pugnale fra i denti e con le bombe a mano in mano.// Questi erano gli Arditi, scavalcatori di monti colla spaccata dell’ostacolista, divoratori del piano. Il pianoforte mi appariva nero e lucido, illuminato da due abat-jour, fornito anch’esso di una dentatura abbagliante di tasti. L’Ardito in grigioverde col berrettino nero, prima lo scavalcava sullo slancio, poi si voltava e lo sgranocchiava rapidamente (Meneghello 2006 : 6).15

La reproduction d’incorrections typiques de l’usage dialectal est très courante sous la plume de Meneghello16, et contribue à défaire le pathos contenu dans la langue officielle. Toutefois, ici l’effet comique provient de malentendus qui sont moins imputables à la déformation linguistique qu’à l’interprétation naïve du propos, typique de la réception enfantine. Il s’agit d’équivoques lexicales (lassalto et frài), ainsi que d’incohérences syntaxiques, telles que l’accord entre sujet et verbe (sapràn), mais surtout de méprises d’ordre sémantique, telles que l’homophonie entre les substantifs italiens piano-pianura et piano-pianoforte ; celle-ci, associée à l’isotopie de la dentition, introduite par le verbe « croquait » (sgranocchiava), participe à la réussite de la métaphore hilarante de la « dentition étincelante formée de ses touches » (dentatura abbagliante di tasti).

Au fur et à mesure que l’on progresse dans l’analyse du texte, il apparaît de plus en plus évident que l’on n’a pas affaire à la voix d’un enfant, mais plutôt à une construction stylistique raffinée, à travers laquelle l’auteur crée de toute pièce le personnage du moi-enfant auquel est déléguée la fonction narrative. Cette opération s’apparente à celle que Philippe Lejeune (1980 : 11) définit comme l’« éclipse du narrateur », c’est-à-dire la mise en scène de la perspective de l’enfant, en fonction de laquelle l’auteur doit « abandonner le code de la vraisemblance (du naturel) autobiographique, et entrer dans l’espace de la fiction. » (Lejeune 1980 : 10). Dans le cas de Meneghello, le narrateur intervient dans le texte en formulant des commentaires explicatifs qui renforcent l’effet comique. Plus précisément, sa démarche relève de l’identification, c’est-à-dire de l’abolition de l’écart entre le moi-adulte et le moi-enfant, à travers la fabrication d’une « voix enfantine » et « cela en fonction des effets qu’une telle voix peut produire sur un lecteur plutôt que dans une perspective de fidélité à une énonciation enfantine qui, de toute façon, n’a jamais existé sous cette forme » (Lejeune 1980 : 10). Les marques de la présence de l’auteur adulte montrent que cette mise en scène inclut, outre le propos ludique, une intention polémique : la parodie se fait engagée, en jetant un regard critique sur le contexte sociopolitique de l’époque.

4. Renversement ironique et carnavalesque

La polémique implicite dans ce passage vis-à-vis de la rhétorique belliqueuse et pompeuse du fascisme, laisse deviner une implication supplémentaire, liée au contexte historique et aux conditions de vie de l’époque. Le recours à l’humour, revêt dans ce sens, les caractères typiques de l’ironie décrits par Jankélévitch (1964 : 57) : « l’ironie […] n’est pas une parenthèse ni une enclave détachable dans ce contexte général du vécu qu’on appelle le Sérieux et qui est aussi notre totalité destinale ». La nécessité de recourir à l’ambiguïté propre au discours ironique atteste de la gravité des propos exprimés et, plus encore, de l’implication émotive de l’auteur. Ces deux aspects requièrent une prise de distance : sous des dehors bon enfant se camoufle la formulation de propos inadmissibles du point de vue des représentants de la culture officielle. C’est ainsi que l’humour détient, dans l’œuvre de Meneghello, le caractère subversif qu’Angelo Stella a identifié dans un article paru dans la revue Strumenti critici (Stella 2001 : 235). Dans cet essai, Stella renvoie à la figure de Bertoldo, dont on ne tolère l’attitude irrévérencieuse qu’à cause de son air rustaud et inoffensif.

Au fil de la lecture de Libera nos a malo, on s’aperçoit que le regard malicieux de Meneghello attaque les cibles les plus sensibles de l’époque. Lisons, à titre d’exemple, trois passages illustrant, respectivement, le regard réprobateur que l’auteur porte sur la morale oppressive de l’Église, sur la mentalité machiste, bornée et conservatrice de la société fasciste, et enfin sur les déplorables conditions hygiéniques dans lesquelles les petites gens sont à l’époque condamnés à vivre.

Ici dans le village, quand j’étais enfant, il y avait un Dieu qui habitait dans l’église, dans les espaces immenses au dessus de l’autel principal où l’on voyait en effet, suspendu là-haut, son fier portrait parmi les rayons en bois doré. Il était vieux, mais alerte (certes il était moins vieux que Saint Joseph) et très sévère ; il était extraordinairement perspicace et pour cette raison nous l’appelions l’omniscient ; en effet il savait tout et, pire encore, il voyait tout. Il était aussi omnipotent, mais pas de façon absolue : autrement il se serait baladé avec une paire de ciseaux pour couper le zizi à tous les enfants qui faisaient des choses malpropres. Les petits usagers du zizi étaient ses ennemis mortels, et s’il avait pu, il les aurait certainement punis ainsi, mais, Dieu merci, il ne pouvait pas.17

L’élevage des vers à soie était une de ces tâches supplémentaires que l’on confiait principalement aux femmes, afin qu’elles ne restent pas oisives : elles n’avaient qu’à accoucher jusqu’à une douzaine d’enfants, en élever une demi-douzaine, cuisiner pour tout le monde, laver, repasser, faire le ménage, refaire les lits, vider les pots de chambre, faire la vaisselle, coudre, ravauder et raccommoder le linge, garder les poules, soigner les malades, prier pour leur mari, aller à l’église et se disputer un peu avec leur voisines. Comment arrivaient-elles à aller aussi à la filature, ça je ne l’ai jamais compris.18

La Phtisie est une maladie sournoise que les instituteurs ont l’ordre de déclarer non héréditaire, mais tout le monde sait qu’elle touche les familles. On peut aussi l’attraper si un Phtisique par caprice ou par malice (parfois la maladie rend méchants), vous fait « f f f » devant la bouche.19

Il est intéressant d’observer à quel point Meneghello est conscient de la nécessité de manipuler les perspectives mises en œuvre par la narration, afin d’arriver à reproduire les traits, parfois conflictuels, de l’existence. Pour traiter de sujets d’intérêt général, il utilise une logique d’opposition entre un point de vue simplifié et le contenu sérieux. 20 Grâce à ce procédé Libera nos a malo parvient à tracer un portrait fidèle et lucide de la réalité de l’époque, tout en amortissant le choc de la critique directe.

Le rire qui s’en dégage est également le moyen de dire l’interdit, c’est-à-dire de faire remonter à la surface ces aspects de l’être humain qui sont soumis à la censure du savoir vivre et de la morale. Cette considération nous renvoie à la théorie bakhtinienne du carnavalesque, mentionnée par Cesare Segre dans son introduction au premier volume de l’œuvre intégrale de Meneghello, parue en 1997 chez Rizzoli (Segre 1997 : X). Segre souligne l’inversion, typiquement bakhtinienne, entre le haut et le bas, entre la culture officielle et la culture populaire, entre le spirituel et le corporel. Lisons à titre d’exemple cet extrait tiré du chapitre 4 de Libera nos a malo :

Les choses se passaient ainsi : il y avait le monde de la langue, des conventions, des Arditi, des Créoles, de Perbenito Mosulini, des Vibralani ; et il y avait le monde du dialecte, celui de la réalité concrète, des besoins physiologiques, des choses grossières. Dans le premier les drapeaux flottaient au vent, et Ramona brillait comme le soleil d’or : c’était une sorte de mascarade que l’on ne croyait qu’à moitié. L’autre monde était certain, et il suffisait de les opposer, ces deux mondes, pour qu’éclate le rire. Nous riions, en récitant avec les femmes de ménage :/ Blanc rouge et vert/ La couleur des trois merdes/ La couleur des crottes/ Le caca des petits// Mais ceci n’était pas perçu comme une critique au Drapeau National : qu’est-ce que ça a à voir ? […] « Blanc rouge et vert » n’était qu’une phrase en langue italienne ; le reste c’était sa contrepartie en dialecte. Il y avait toutefois un contenu polémique dans tout cela : nous ressentions que le dialecte donne un accès immédiat et presque automatique à une sphère de la réalité que, pour une raison ou pour une autre, les adultes voulaient mettre entre parenthèses.21

Le pouvoir cathartique du rire est obtenu à travers l’élévation du corporel, qui, associé à l’effronterie du dialecte, a une fonction désacralisante. Le rire, en tant que forme intérieure de la désacralisation, réprime toute censure intime et annule l’ordre hiérarchique. C’est à travers l’expression d’« un second monde et une seconde vie » (Bakhtine 1970 : 14), à travers la libération du côté bas et physiologique de l’homme, que se déchaîne le rire, en dépit de la censure imposée par la culture officielle. Selon Bakhtine, ce renversement est le seul moyen de percevoir la plénitude contradictoire et double du réel et revêt donc un caractère positif « car en définitive, on obtient toujours un excédent, un surplus » (Bakhtine 1970 : 72). Cette attitude « délibérément non officielle » (Bakhtine 1970 : 14) est la seule en mesure d’aboutir à la perception de « la plénitude contradictoire et à double face de la vie » (Bakhtine 1970 : 72). Le rire irrésistible qui s’exhale de l’opposition entre les deux mondes est la manifestation de la conscience de la dualité, condition nécessaire à l’adoption d’un « point de vue particulier et universel » (Bakhtine 1970 : 76) capable d’en percevoir la véritable nature intime.

Dans un commentaire à propos du choix du titre de son deuxième livre, Pomo pero, Meneghello montre encore plus explicitement sa volonté d’exprimer l’ambiguïté latente de la réalité. Il fait allusion, dans cet extrait, à l’image de couverture de l’édition Rizzoli de 1974 :

Il m’importait de signaler un fond d’ambiguïté, justement comme dans la comptine enfantine Pomo pero dime ‘l vero. Cela ne veut pas dire « pomme et poire », ni un croisement entre une pomme et une poire : ce ne sont pas deux choses, mais une seule, un objet vraiment mystérieux, une sorte de talisman. Donc, ici vous avez un enfant déguisé – remarquez qu’il porte un masque – qui se trouve devant un miroir, il tient dans la main une pomme et l’on voit son image dans le miroir qui a, dans la main, une poire…22

Le manque de correspondance entre l’enfant et son reflet dans le miroir fonctionne comme une double négation, qui abolit toute certitude sur le lieu de la vérité, et fortifie l’incertitude du rapport entre apparence et réalité. C’est ainsi que l’écrivain et le lecteur, privés de toute coordonnée fiable, sont contraints d’emprunter une troisième voie, celle de la déconstruction typique du jeu. Et cette voie est paradoxalement vouée au succès : elle sanctionne la négation d’une vérité univoque et, par conséquent, l’assomption d’une plurivocité apte à produire « un surplus » de sens (Bakhtine 1970 : 72). Vers cette même direction convergent les deux fonctions de l’humour que nous venons d’illustrer, l’intention polémique et le renversement carnavalesque. Bakhtine et Jankélévitch se rejoignent sur la résultante constructive de ce processus : de même que pour Bakhtine le carnaval est une condition nécessaire au renouvellement, pour Jankélévitch (1964 : 58) « l’ironie est un progrès, et non point une île de vaine gratuité : là où l’ironie est passée, il y a plus de vérité et plus de lumière. »

5. Le sourire qui soigne : action apotropaïque de l’œuvre.

Reconnaître l’ampleur du recours au comique dans l’écriture de Libera nos a malo, nous conduit à considérer la place de l’humour dans la poétique de Luigi Meneghello. Le lecteur est amené, d’une part, à constater l’efficacité de ce ressort dans l’évocation d’une réalité à la fois ambiguë et fuyante et à y voir, d’autre part, le reflet de la complexité du rapport de Meneghello à son pays d’origine, fait d’attirance et de répulsion, de tendresse et d’esprit critique. Le recours à l’ambiguïté de l’humour répond moins à une volonté polémique ou apologétique qu’au désir de transmettre cette complexité.

Enfin, en exploitant son ambivalence, le comique entend signifier la totalité du monde : en disant tout et son contraire, il multiplie les points de vue sur le réel, ébranle toute certitude et forme un jeu de miroirs dont on n’aperçoit plus l’origine. L’humour peut donc être considéré, non seulement comme l’expression de la complexité, mais aussi comme sa source.

Une complexité qui est contenue in nuce dans le titre de l’œuvre, Libera nos a malo. L’ambiguïté de l’homophonie entre le nom de la ville natale de l’auteur et les derniers mots du Pater noster soulève un doute sur le sens de l’invocation qu’il contient. Compte-t-il transposer cette part d’universel contenue dans le souvenir à un niveau de conscience permettant d’aiguiser la Compréhension ? Ou demande-t-il à l’écriture, de le guérir du Mal qui frappe l’humanité, c’est-à-dire de la mort, d’épargner le monde d’antan de la disparition, de l’admettre dans le règne de l’éternel ?

La réponse n’est évidemment pas univoque : dans le titre, comme dans l’œuvre, Meneghello choisit de multiplier le sens. Le choix de l’ambiguïté fait sourire le lecteur : sa complicité permet à l’auteur de développer sa fiction, non pas dans un but purement ludique, mais pour transposer Malo dans une œuvre qui en garantisse la survie.

Bibliographie

Bakhtine, Michail (1970). L’œuvre de François Rabelais et la culture populaire au moyen âge et sous la Renaissance, Paris : Gallimard.

Jankélévitch, Vladimir (1964). L’ironie, Paris : Flammarion.

Lejeune, Philippe (1980). Je est un autre. L’autobiographie, de la littérature aux médias, Paris : Editions du Seuil.

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Meneghello, Luigi (2007). I piccoli maestri, Milano : Rizzoli, BUR.

Meneghello, Luigi (2007). Pomo pero, Milano : Rizzoli, BUR.

Meneghello, Luigi (2006). Fiori italiani, Milano : Rizzoli, BUR.

Meneghello, Luigi (2005). La materia di Reading e altri reperti, Milano : Rizzoli, BUR.

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Meneghello, Luigi (1999). Le carte I, Milano : Rizzoli.

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Segre, Cesare (1992). « Prefazione », in : Meneghello, Luigi, Opere, Milano: Rizzoli.

Stella, Angelo (2001). « Il sorriso imbarazzato », in : Strumenti critici; 111/maggio, 235-262.

Notes

1 Malo, le village natal de Luigi Meneghello, est une petite ville située au nord-ouest de Vicence. Retour au texte

2 De cette expérience est né, en 1964, le livre I piccoli maestri (Meneghello 2007). Retour au texte

3 À propos du climat culturel italien dans l’immédiat après-guerre, Meneghello note dans ses carnets, en 1980 : « On cherchait à adopter une nouvelle manière de penser, mais on ne trouvait pas la bonne voie, on n’arrivait pas à démarrer… Autour de nous éclatait de toute part la question de l’ancien et du nouveau monde. On eût dit que tout était nouveau, à commencer par l’air que l’on respirait ; mais dans des moments particulièrement désagréables, tout paraissait au contraire vieux. Certes, en ce qui me concerne personnellement, ça a été la seule période de ma vie adulte où je ne me sois pas comporté en intellectuel introverti. » « Si cercava di pensare in modo nuovo, ma non trovavamo la strada, non riuscivamo a partire… Attorno a noi esplodeva da ogni parte la questione del nuovo e del vecchio. Tutto era nuovo, a cominciare dall’aria si sarebbe detto; ma in certi sgradevoli momenti tutto pareva vecchio. Certo, per quanto riguarda me personalmente, questo è stato il solo periodo della mia vita adulta in cui non mi sono comportato da intellettuale introverso.  » (Meneghello 2000 : 21). Les traductions contenues dans cet article sont réalisées par les soins de l’auteur. Retour au texte

4 « sottrarmi per un giro di stagioni alla vita associata italiana, la vile camorra […] cattolica e marxista. » (Meneghello 1999 : 328) Retour au texte

5 À ce propos, voici la description d’une cérémonie militaire britannique, que Meneghello trouve remarquable pour sa simplicité : « Un square ouvert, presqu’une petite place d’armes, suburbaine, le coucher de soleil, un fond d’air luminescent. Il y a une division minuscule de soldats en jupons, avec des flûtes et des cornemuses, ils jouent en marchant sur trois rangs, ils inversent tour à tour le sens de leur marche, ils se croisent. La plus petite cérémonie militaire que j’aie jamais vue, la plus modeste. Pas de discours, ni de personnalités, ni de public, à part quelques rares passants qui s’arrêtent pour regarder. Je demande ce que c’est, c’est l’anniversaire de la Battle of Britain, la bataille aérienne qui empêcha l’invasion de l’Angleterre. A la mi-septembre, il y a sept ans. Un tournant crucial, un des moments décisifs de la guerre, avec Stalingrad et El Alamein. Il est bien qu’elle soit commémorée dans ce style pastoral, presque privé. C’est avant tout un événement « anglais », ils étaient seuls à cette époque-là. […] Je sentais monter en moi l’émotion profonde qui m’avait conduit en Angleterre, l’admiration pour sa gloire dans la résistance armée au nazisme. J’étais allé là-bas comme sur un autel, et ce sentiment a pénétré ensuite tout autre aspect de mon expérience, et il perdure encore.  » « Uno slargo aperto, quasi una piccola piazza d’armi, suburbia, sole al tramonto, un fondale di aria luminescente. C’è un minuscolo reparto di soldati in gonnella, coi pifferi e le cornamuse, suonano marciando su tre file, invertono a turno la marcia, si intersecano. La più piccola cerimonia militare che ho mai visto, la più modesta. Non ci sono discorsi, né autorità, né pubblico, tranne qualche passante che si ferma a guardare. Domando che cos’è, è l’anniversario della Battle of Britain, la battaglia aerea il cui esito impedì l’invasione dell’Inghilterra. Metà settembre, sette anni fa. Una svolta cruciale, uno dei momenti decisivi della guerra, con Stalingrado e El Alamein. È giusto che si commemori in questo stile pastorale, quasi privatamente. È prima di tutto un evento “inglese”, erano soli allora. […] Sentivo salire in me l’emozione di fondo che mi aveva portato in Inghilterra, l’ammirazione per la sua gloria nella resistenza armata al nazismo. Ero andato lassù come su un altare, e questo sentimento ha pervaso poi ogni altro aspetto della mia esperienza, e dura ancora  » (Meneghello 2007 : 24-25). Retour au texte

6 « S’incomincia con un temporale. Siamo arrivati ieri sera, e ci hanno messi a dormire come sempre nella camera grande, che è poi quella dove sono nato. Coi tuoni e i primi scrosci della pioggia, mi sono sentito di nuovo a casa. Erano rotolii, onde che finivano in uno sbuffo: rumori noti, cose del paese. Tutto quello che abbiamo qui è movimentato, vivido, forse perché le distanze sono piccole e fisse, come in un teatro. Gli scrosci erano sui cortili qua attorno, i tuoni quassù sopra i tetti; riconoscevo a orecchio, un po’ più in su, la posizione del solito Dio che faceva i temporali quando noi eravamo bambini, un personaggio del paese anche lui. Qui tutto è come intensificato, questione di scala probabilmente, di rapporti interni. La forma dei rumori e di questi pensieri (ma erano poi la stessa cosa) mi è parsa per un momento più vera del vero, però non si può rifare con le parole » (Meneghello 2006 : 5). Retour au texte

7 Dans ce passage tiré de Fiori italiani, Meneghello distingue nettement ces deux espaces, en les identifiant à deux cultures : « Ainsi S. passa d’une sphère culturelle à une autre; du monde de la culture paysanne, qui était orale et dialectale, à celui de la culture urbaine, qui était écrite et en langue italienne. La première était perçue comme une manière de vivre, avec ses idées incorporées dans des institutions et des mœurs ; l’autre, en revanche, semblait se réduire à un système d’idées, sans lien avec notre manière de vivre, et peut-être avec aucun autre. On ne pouvait définir la première comme “italienne” que dans le sens, large, où nous étions en Italie ; l’autre se présentait explicitement comme la Culture Italienne, c'est-à-dire le système d’idées proposées aux Italiens (une catégorie incertaine) comme le reflet d’une manière de vivre probablement inexistante. Elle était littéralement unitaire, on sous-entendait qu’il ne pouvait y en avoir qu’une seule. » « Così S. si trasferì da una sfera culturale a un’altra; dal mondo della cultura paesana che era parlata e dialettale, a quello della cultura urbana, che era scritta e in lingua. La prima era sentita come un modo di vivere, con le idee incorporate negli istituti e nei costumi; l’altra invece pareva quasi solo un sistema di idee, non connesse col nostro modo di vivere, e forse con nessun altro. La prima si poteva chiamare italiana soltanto nel senso ampio che anche noi eravamo in Italia; l’altra si presentava esplicitamente come la Cultura Italiana, cioè il sistema di idee proposte agli Italiani (una categoria incerta) come specchio di un modo di vivere probabilmente inesistente. Era letteralmente unitaria, si dava per sottinteso che poteva essercene, o non essercene, una sola » (Meneghello 1992 : 12). Retour au texte

8 Dispatrio est le titre d’un livre de Luigi Meneghello, paru en 1993, dans lequel il traite de son expérience en Angleterre. Retour au texte

9 Les traits distinctifs des membres de la communauté étant exemplaires, tout écart est senti comme étranger (Entäusserung). À ce propos, voir la remarque datant de 1965, publiée dans Le carte I : « Écoute : dans un sens strict je ne trouve normaux que les gens de Malo. Ailleurs il y a des phénomènes banals ou intéressants, des mutations, des trucs étrangers. » « Guarda: in senso stretto a me paiono normali solo quelli di Malo. Altrove ci sono fenomeni banali o interessanti, mutazioni, roba foresta. » (Meneghello 1999: 156). Retour au texte

10 « In modo del tutto diverso m’importa il passato : e cioè in quanto ha dentro (nelle sue parti di cui mi occupo) le fibre di certe cose che m’interessano e che mi preme di chiarire. È un rapporto di studio, l’opposto della nostalgia.  » (Meneghello 2006 : 980). Retour au texte

11 « Je suis l'un de vous et être l'un de vous signifie être et savoir ce que je suis et ce que je sais ». Retour au texte

12 Cette formule appartient à Giorgio Bassani ; elle est contenue dans la recension à la première édition de Libera nos a malo (1963 : 26). Retour au texte

13 L’un des essais les plus importants de Meneghello, contenu dans le recueil Jura, a pour titre « L’esperienza e la scrittura » (Meneghello 2006 : 1027-1039). Retour au texte

14 « La mattina che mi venne in mente al principio del 1962 sentii con assoluta certezza che centrava il bersaglio che non avrei saputo come colpire per altre vie. Era scherzoso e perfettamente serio: il modo giusto di esprimere in un motto emblematico ciò che sentivo nei confronti della mia materia, il mio vero rapporto con l’esperienza paesana, fatto di partecipazione e di distacco. Se avessi scritto un saggio su questa ambiguità, sulla natura ancipite del rapporto, certo non avrei potuto comunicarla con altrettanta efficacia. La realtà della cosa non era “filosofica”, era questa: intuitiva, ironica, illuminante… » (Meneghello 2005 : 117) Retour au texte

15 « Il y avait des chansons pleines de concepts poignants, avec de délicieux dangers en arrière-fond : / Maman, ne pleure pas si l’ennemi avance/ Ton fils est fort, ils sauront gagner / Essuie les pleurs de ma fiancée/ Parce que l’assaut, on le gagne ou l’on meurt./ Suivaient les instructions destinées à l’Ardito : /Chevauche les monts – dévore la plaine/ Poignard entre les dents – grenades à la main./ J’aimais la terrifiante syntaxe du dernier vers que je prenais, dans la précipitation de mon esprit enfantin, pour ce qu’elle était peut-être en effet : la compression de avec le poignard entre les dents et avec les grenades à la main. // Tels étaient les Arditi, enjambeurs de monts avec le grand écart du coureur d’obstacles, dévoreurs de plaines-pianos [en italien les termes “plaine” et “piano” sont homophones]. Le piano m’apparaissait noir et brillant, éclairé par deux abat-jour, lui aussi doté de la dentition étincelante de ses touches. L’Ardito en uniforme vert-de-gris coiffé d’un bonnet noir, l’enjambait d’abord d’un bond, puis il se retournait et il le croquait rapidement.» Retour au texte

16 La transcription de la prononciation du terme italien « mamma » avec une consonne simple ; la perte de l’élément occlusif dans les fricatives des termes italiens avanzata e fidanzata qui deviennent « avansata » et « fidansata » ; la simplification du phonème ſ en ; la transcription de la prononciation nasale du phonème m suivi de b dans le terme italien bombe. Retour au texte

17 « Qui in paese quando ero bambino c’era un Dio che abitava in chiesa, negli spazi immensi sopra l’altar maggiore dove si vedeva infatti sospeso in alto un suo fiero ritratto tra i raggi di legno dorato. Era vecchio, ma molto in gamba (certo meno vecchio di San Giuseppe) e severissimo; era incredibilmente perspicace e per questo lo chiamavano onnisciente, e infatti sapeva tutto e peggio vedeva tutto. Era anche onnipotente, ma non in modo assoluto: se no sarebbe andato in giro con un paio di forbici a tagliare il ciccio a tutti i bambini che facevano le brutte cose. I piccoli adopratori del ciccio erano suoi mortali nemici, e potendo li avrebbe puniti senz’altro così, ma grazie a Dio non poteva. » (Meneghello 2006 : 7). Retour au texte

18 « La cura dei bachi da seta era uno di quei lavori supplementari che s’affidavano principalmente alle donne, perché non restassero in ozio: avevano solo da partorire fino a una dozzina di figli, da allevarne mezza dozzina, da cucinare per tutti, lavare, stirare, spazzare, rifare i letti, vuotare i vasi, lavare i piatti, cucire, rattoppare, rammendare, badare alle galline, curare i malati, pregare per il marito, andare in chiesa e baruffare un po’ con le vicine. Come riuscissero ad andare anche in filanda non ho mai capito. » (Meneghello 2006 : 101) Retour au texte

19 « La Tisi è un male subdolo che i maestri hanno ordine di dichiarare non ereditario, ma tutti sanno che va a famiglie. Si può anche prendere però, se il Tisico per capriccio o per malizia (talvolta la malattia rende cattivi) ti fa “f f f” davanti alla bocca. » (Meneghello 2006 : 40). Retour au texte

20 Lisons encore de l’essai Discorso in controluce, contenu dans La materia di Reading :« Tout ce que j’ai écrit est né avec une composante polémique […] La forme que prend généralement ma polémique c’est d’exposer une opposition entre le vrai et le faux, entre l’authentique et le toc. Cela concerne particulièrement le style de vie et la manière de penser, mais aussi naturellement la manière d’écrire. » « Tutto quello che ho scritto è nato sempre con una componente polemica […] La forma che prende generalmente la mia polemica è quella di prospettare un’opposizione tra genuino e spurio, autentico e contraffatto, che investe specialmente il modo di vivere e di pensare, ma anche naturalmente il modo di scrivere » (Meneghello 2005 : 118). Retour au texte

21 « Le cose andavano così: c’era il mondo della lingua, delle convenzioni, degli Arditi, delle Creole, di Perbenito Mosulini, dei Vibralani; e c’era il mondo del dialetto, quello della realtà pratica, dei bisogni fisiologici, delle cose grossolane. Nel primo sventolavano le bandiere, e la Ramona brillava come il sole d’or: era una specie di pageant, creduta e non creduta. L’altro mondo era certo, e bastava contrapporli questi due mondi, perché scoppiasse il riso. Ridevamo recitando con le donne di servizio: / Bianco rosso e verde/ color delle tre merde/ color dei panezèi/ la caca dei putèi.// Questa però non era sentita come critica alla Bandiera della Patria: che c’entra? […] Bianco rosso e verde era soltanto una frase in lingua; il resto era il suo counterpart in dialetto. C’era però un contenuto polemico in tutto questo: si sentiva che il dialetto dà accesso immediato e quasi automatico a una sfera della realtà che per qualche motivo gli adulti volevano mettere in parentesi » (Meneghello 2006 : 30). Dans ce passage en langue originale le plurilinguisme occupe une place significative (deux récurrences en anglais: « pageant » et « counterpart » et deux récurrences en dialecte : « panezèi » et « putèi »). Retour au texte

22 « Mi interessava segnalare un fondo di ambiguità, come appunto nella cantilena infantile Pomo pero dime ‘l vero. Non vuol dire “mela e pera”, né un incrocio tra una mela e una pera: non sono due cose, ma una cosa sola, un oggetto veramente misterioso, una specie di talismano. Dunque, qui avete un bambino in maschera – notate che è in maschera – che sta davanti a uno specchio, tiene in mano una mela e si vede la sua immagine rispecchiata che ha in mano una pera… » (Meneghello 2006 : 1221-1222) Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Lucrezia Chinellato, « La complexité du rapport avec le village natal exprimée à travers l’humour. Libera nos a malo de Luigi Meneghello », Individu & nation [En ligne], vol. 4 | 2011, publié le 28 juin 2011 et consulté le 28 mars 2024. DOI : 10.58335/individuetnation.219. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/individuetnation/index.php?id=219

Auteur

Lucrezia Chinellato

Doctorante, Centre interdisciplinaire de recherche dans la culture des échanges (CIRCE), équipe "Les Cultures de l'Europe Méditerranéenne Occidentale face aux problèmes de la modernité" (LECEMO – EA 3979), 78, rue des Vignoles – 75020 Paris – lucrezia.chinellato [at] free.fr