Pouvoir et Progrès

DOI : 10.58335/individuetnation.182

Résumés

Certes la civilisation est un équilibre fragile, toujours menacé de basculer dans la barbarie, mais le « procès de la civilisation » tel que le narre Elias se solde globalement par un progrès – peut-être même par « le » Progrès de « la » Civilisation, car Elias est peu loquace sur la pluralité des civilisations.

Le grand récit de la Civilisation est porté par la lutte pour le pouvoir, par la concurrence des individus et des groupes dans la recherche et la conservation d’une position dominante, qu’elle soit réelle ou symbolique. Je m’intéresse moins ici à la possible origine nietzschéenne de cette vision du monde (tout en la tenant pour d’autant plus plausible que, comme pour Nietzsche, le pouvoir, ou la puissance – Macht –, est une valeur relative) qu’à deux autres implications lourdes de conséquences.

D’une part, le paradigme du pouvoir se traduit par la primauté accordée à l’histoire politique et par un déficit certain en ce qui concerne la prise en compte des facteurs économiques. Ce n’est pas un hasard si la redécouverte d’Elias a coïncidé avec le recul du marxisme sur la scène intellectuelle. Or, cette primauté inscrit Elias dans une lignée de la pensée allemande qui prend son origine dans l’historisme du 19e siècle. Une des conséquences est qu’Elias souscrit à « l’explication » du national-socialisme par le Sonderweg.

D’autre part, l’idée que la guerre de tous contre tous produit la civilisation dès lors qu’elle est régulée par l’État renvoie expressément à Hobbes (cf. entre autres Studien üÜber die Deutschen, p. 149) et caractérise une variante spécifique de « libéralisme » commun aux Allemands émigrés en milieu anglo-saxon (voir Leo Strauss) et qu’on retrouve chez les néo-conservateurs américains.

Civilization is, according to Elias, a very precarious equilibrium which is constantly threatened by an upsurge of barbarity. But fortunately the story of the civilizing process, as Elias tells it, results nevertheless in a progress, or even in the Progress of Civilization – as Elias does not spend many words on the plurality of cultures.

This Great Story of Civilization is carried by the struggle for power, by the competition of individuals and groups striving to get or to preserve a dominant position – either real or symbolic. I will not actually focus here on the seemingly Nietzschean origin of this way of thinking (although I consider it all the more plausible since power is for Elias, as for Nietzsche, something relative) but rather on two other weighty implications.

On the one hand, the paradigm of power leads to the primacy of political history and to a lack of interest for the economic factors. No wonder that Elias has been re-discovered after the retreat of Marxism on the intellectual scene. But the primacy of political history also inscribes Elias in a German tradition of thinking which has its origin in the historicism of the 19th century. This may explain why Elias subscribes to the “Sonderweg” thesis as a valid explanation for the genesis of National Socialism.

On the other hand, the idea that the state of war of all against all engenders civilization as far as it is controlled by the state refers explicitly to Hobbes (who is quoted in the Studien über die Deutschen, p. 149) and is typical of the specific kind of “liberalism” which characterizes especially the German emigrants in the Anglo-Saxon world (as for instance Leo Strauss) and which is part of the ideology of the American neocons.

Plan

Texte

À la fin de son opus magnum sur le procès de la civilisation, Elias évoque de façon quasiment kantienne la perspective d’une paix perpétuelle, c’est-à-dire d’une société mondiale qui concrétiserait une civilisation universelle – par quoi il faut entendre le triomphe d’une civilité partagée. Dans un entretien avec le Spiegel en 1988, il a certes relativisé cet optimisme et surtout l’assurance que le processus de la civilisation conduit en droite ligne à cet accomplissement. „Er [der Zivilisationsprozeß] hat zwei Richtungen. Vorwärts und rückwärts. Zivilisationsschübe gehen einher mit Entzivilisationsschüben.“ (Elias 1988) La civilisation est un équilibre fragile, toujours menacé de basculer dans la barbarie, mais le « procès de la civilisation », tel qu’il le relate, se solde globalement par un progrès – peut-être même par « le » Progrès de « la » Civilisation (car Elias est par ailleurs peu loquace sur la pluralité des civilisations).

Ce grand récit de la Civilisation est porté par la lutte pour le pouvoir, par la concurrence des individus et des groupes dans la recherche et la conservation d’une position dominante, qu’elle soit réelle ou symbolique. Je m’intéresserai moins à la possible origine nietzschéenne de cette vision du monde (tout en la tenant pour d’autant plus plausible que, comme pour Nietzsche, le pouvoir, ou la puissance – Macht –, est une valeur relative) qu’à deux autres implications lourdes de conséquences.

D’une part, le paradigme du pouvoir se traduit par la primauté accordée à l’histoire politique et par un déficit certain en ce qui concerne la prise en compte des facteurs économiques. Ce n’est pas un hasard si la redécouverte d’Elias a coïncidé avec le recul du marxisme sur la scène intellectuelle. Or, cette primauté rappelle que la pensée d’Elias s’inscrit dans une lignée de la pensée allemande qui prend son origine dans l’historisme du XIXe siècle. Une des conséquences, comme je l’ai montré ailleurs, est qu’Elias souscrit à « l’explication » du national-socialisme par le Sonderweg (Raulet 2009).

D’autre part, l’idée que la guerre de tous contre tous produit la civilisation dès lors qu’elle est régulée par l’État renvoie expressément à Hobbes (à qui Elias se réfère entre autres dans Studien über die Deutschen1) et caractérise une variante spécifique de « libéralisme » commune aux Allemands émigrés en milieu anglo-saxon (voir Leo Strauss) et qu’on retrouve chez certains néo-conservateurs américains.

1. Téléologie et anthropologie

Elias a expressément revendiqué pour sa théorie de la civilisation le cadre de la très longue durée2. Dans l’introduction des Studien über die Deutschen, il écrit par exemple :

Es ist heute noch nicht üblich, den gegenwärtigen sozialen und so auch den nationalen Habitus eines Volkes mit dessen ‘Geschichte’, wie man es nennt, und besonders mit dessen Staatsentwicklung zu verknüpfen. Viele Menschen scheinen der stillschweigenden Meinung zu sein: ‘Was im 12., im 15., im 18. Jahrhundert war, ist vorbei. Was geht mich das an?’ In Wirklichkeit aber sind die gegenwärtigen Probleme einer Gruppe entscheidend mitbestimmt durch ihr früheres Schicksal, durch ihren anfangslosen Werdegang. (Elias 1989 : 28)

Dans La Société des individus (1939), cette longue durée prend la forme d’une anthropologie philosophique qui semble dans une large mesure fonda­mentale. Elias se révèle à cet égard très proche de Gehlen, chez qui la sociologie actualise et concrétise l’anthropologie sous la forme d’une théorie des institutions et des ensembles fonctionnels dans lesquels vivent les hommes. Et, on y viendra plus loin, il se révèle même proche du fonctionnalisme de Luhmann.

Ce qu’il entend par ‘processus’ est un mouvement sans commencement ni fin : „Es gibt keinen Nullpunkt von Zivilisationsprozessen.“ (Elias 1984 : 128 ; cf. aussi Elias 1989 : 315, note). L’interprétation la plus largement répandue consiste donc à prendre pour argent comptant les déclarations d’Elias et à répéter à satiété qu’il n’y a pas chez lui de téléologie. Les choses ne sont pourtant pas aussi simples, et le « pas encore » par lequel se conclut, dans la toute dernière phrase, Über den Prozeß der Zivilisation est particulièrement ambigu : « La civilisation n’est pas encore achevée. Elle est seulement en devenir. » (Elias 1997 : II, 465) Certes, le fait que le processus de la civilisation européenne fasse apparaître ‘au bout du compte’ une structure et une direction – un ‘plus de civilisation’ quand bien même Elias ne se prononce, en apparence, ni en bien ni en mal sur ce ‘plus’ – ne signifie nullement que ce processus obéisse à un plan d’ensemble, divin ou humain. S’il y a chez Elias une anthropologie fondamentale3, elle ne débouche pas sur une téléologie de type herderien, selon laquelle l’homme aurait été, par sa nature (par la ‘Création’), destiné à développer ses facultés supérieures et à progresser vers plus de civilisation. Elias, comme la génération des fondateurs de l’anthropologie philosophique (Scheler, Plessner, Gehlen) a dépassé cette téléologie ‘dogmatique’ (comme la qualifie Kant). Il a retenu de Herder grosso modo la même chose que Gehlen – l’idée que l’homme n’est pas un sujet isolé doté d’emblée de toutes ses possibilités ; et comme Herder il évite tout autant l’évolutionnisme que le terme de progrès (d’où le terme ostensiblement plus neutre de ‘procès’). Il semble même qu’il ait retenu la leçon critique kantienne : si téléologie il y a, elle se révèle a posteriori. Et de ce point de vue Elias est parfaitement en droit de revendiquer une « vue d’ensemble du processus dans lequel nous sommes impliqués »4. Mais cette position nous paraît achopper sur deux choses : (1) Le statut d’‘histoire philosophique’ (Kant) du grand récit éliasien est infiniment moins clair et moins explicite que chez Kant ; l’histoire culturelle de la civilisation que raconte Elias tend plutôt à établir la positivité du ‘plus de civilisation’, et ce qui reste chez Kant une interrogation du jugement réfléchissant tend chez Elias à se transformer en jugement de connaissance. (2) Bien qu’il ne soit ‘voulu’ ni par un dieu, ni par les hommes, le ‘procès’ de la civilisation semble bel et bien conduit par une main invisible – celle d’un fonctionnalisme bien plus efficace que la ‘main invisible’ d’Adam Smith puisqu’il s’épargne et la métaphysique, et le sujet de la philosophie moderne.

Le propos est ambitieux, et même de nature à s’attirer la bienveillance d’une pensée ‘post-moderne’ soucieuse de s’émanciper elle aussi non seulement de la métaphysique mais aussi du Sujet qui s’est affirmé à sa place. Mais un tel projet, et c’est ce à quoi je veux en venir, a un prix : le prix d’une philosophie politique dans laquelle la logique purement fonctionnelle des configurations supra-individuelles et institutionnelles se substitue au ‘vrai libéralisme’ – au libéralisme politique qui repose encore sur des sujets, et même des individus-sujets. Significativement, ce projet se pare des apparences d’un ordre mondial pacifié et harmonieux, celui-là même dont la ‘mondialisation’ nous rebat les oreilles. Bref, nous trouvons réunis chez Elias tous les ingrédients de l’idéologie néo-libérale – libérale en apparence, purement fonctionnelle en réalité.

Cette vision du monde est le dénominateur commun des lectures conservatrices de Hobbes, du type de celle développée par Leo Strauss. Hobbes, dans la préface à la réédition du De cive en 1647, s’est défendu d’avoir soutenu que « les hommes sont méchants par nature ». Sans doute s’agissait-il au premier chef de faire valoir la distinction entre une méchanceté universelle, due à la Chute, et une méchanceté naturelle qui eût été un blasphème, mais cette inflexion du pessimisme anthropologique rend tout à fait défendable la ligne d’interprétation de Strauss : la philosophie politique de Hobbes est libérale en ce qu’elle repose sur les droits naturels de l’homme – des droits qui se manifestent de façon négative puisqu’ils renvoient à la peur de la mort violente5. C’est pourquoi le Léviathan, l’État, est nécessaire pour assurer le passage à la civilité ; c’est le moment ‘absolutiste’ de la philosophie politique hobbesienne, celui qui s’exprime dans la formule célèbre du chapitre 26 du Léviathan (« Des lois civiles ») : « auctoritas non veritas facit legem »6. La priorité anthropologique des droits subjectifs est contrebalancée par la priorité juridique de l’institution politique – et c’est du reste pourquoi Hobbes est un enjeu en philosophie politique, plus précisément un enjeu entre des interprétations libérales-conservatrices du type de celle de Leo Strauss (et d’Elias) et une interprétation du type de celle de Schmitt.

Elias partage pour l’essentiel ces prémisses anthropologiques, auxquelles il donne, par un relativisme qui accroît la nature strictement fonctionnelle de l’ordre politique, un tour plus cynique que ne l’est l’insistance de Strauss sur le droit naturel – car même issue négativement de la peur de la mort, la liberté politique est chez ce dernier une valeur. Pour Elias, nous sommes tous des « barbares attardés », notre civilisation manifeste autant de signes de barbarie que les civilisations dites primitives montrent de maîtrise des pulsions agressives. Civilisation et barbarie sont des notions foncièrement relatives. Elias se garde bien de toute référence explicite à Nietzsche sur ce point7 mais la façon dont il aborde la question des valeurs est parfaitement congruente avec celle de Nietzsche à l’égard des moralistes anglais dans la Généalogie de la morale. « Ces psychologues anglais – que veulent-ils vraiment ? » Quelle est la « partie honteuse », demande Nietzsche, que cachent les énigmes de leurs ouvrages ?8 Rien d’autre que le fait qu’il n’y a pas de définition substantielle du Bien et de la bonté – pas plus du reste qu’il n’y en a de la Vérité.

Elias a de la vérité une conception nietzschéenne. Ce qu’on qualifie de ‘préjugé’ n’est jamais que la façon dont les individus ou les groupes concernés appréhendent la vérité. Cette dernière est une fonction de la ‘figuration’ que constituent ces groupes et dont « le noyau est une répartition inégale du pouvoir »9. Plus précisément encore : elle est fonction de l’image que ceux qui détiennent le pouvoir ont de soi, et même, parmi ces derniers, une élite restreinte. C’est cette dernière qui détermine, par une « déformation pars pro toto », l’image de soi de ceux qui sont établis (Elias / Scotson 1993 : 13). Ces déséquilibres des relations de pouvoir sont plus fondamentaux que les différences ethniques, religieuses ou raciales (Elias / Scotson 1993 : 25).10

« Toutes les relations entre les hommes », écrit Elias dans Qu’est-ce que la sociologie ?, « ont un caractère perspectiviste » (Elias 1970 : 136). Non sans raison, les interprètes d’Elias ne laissent de faire valoir que ce perspectivisme n’équivaut nullement à un relativisme mais doit être bien plutôt rapproché du relationnisme de Karl Mannheim, dont il provient du reste très vraisemblablement. Pour Mannheim, dont tout l’effort a consisté à dépasser la ‘crise de l’historisme’ (cf. Raulet 2008), le danger du relativisme intervient non pas lorsqu’on accepte la relativité des points de vue mais si l’on s’obstine à leur opposer un point de vue supra- ou anhistorique. La pluralité des perspectives signifie qu’on « s’approche d’un objet qui se déplace à partir de points de vue qui eux-mêmes se déplacent »11.

Si l’on ne peut postuler de point de vue ‘hors perspective’, c’est, selon Elias, que ce que nous appelons raison, ou entendement, n’est en réalité que le résultat d’une évolution qui n’est autre que le ‘processus de la civilisation’ et qui s’est traduite par une distance croissante entre le Moi et les affects. « Il n’y a pas à proprement parler une ‘raison’, mais dans le meilleur des cas une ‘rationalisation’ », au sens wébérien du terme12 ; par rationalisation il ne faut entendre « rien d’autre […] qu’une expression pour la direction dans laquelle l’habitus des hommes se transforme pendant [une] époque au sein de formations sociales déterminées » (Elias 1997 : II, 405). Or, cette transformation des comportements et des codes, par exemple la transformation des nobles guerriers en courtisans, intervient « en relation avec les tensions entre différents groupes fonctionnels d’un champ social donné ainsi qu’entre les hommes qui sont en concurrence en leur sein » (Elias 1997 : II, 405).

Comme Mannheim, Elias se représente le savoir humain comme enraciné dans la concurrence des groupes sociaux (Raulet 2001 : 9-25). Il reprend donc à son compte la catégorie de concurrence, développée par Mannheim lors du congrès de sociologie de Zurich de septembre 1928 auquel du reste il assista, mais il n’en limite pas l’acception à la sociologie du savoir. Elle devient chez lui une donnée anthropologique quasiment fondamentale. Ne dit-il pas que la perte de pouvoir ou simplement de prestige est la plus puissante motivation qui pousse les hommes à entretenir des relations sociales et à auto-discipliner leur comportement13 ? Toute société se caractérise selon Elias par cette concurrence entre les individus et les groupes qu’ils cristallisent – une concurrence pour le pouvoir ou pour le prestige et la reconnaissance. Car Elias définit ainsi le pouvoir : „Die Besetzung von Positionen, die ihren Inhabern das Monopol der Entscheidungs- und Befehlschancen hoher und höchster Stufe in Angelegenheiten der ganzen Gruppe zuspielen.“ (Elias 1989 : 317)

Non seulement les interdépendances entre les hommes sont marquées par ces rapports de pouvoir, mais par définition les interdépendances ne sont que des équilibres de pouvoir :

Wir hängen von anderen ab, andere hängen von uns ab. Insofern als wir mehr von anderen abhängen als sie von uns, mehr auf andere angewiesen sind als sie auf uns, haben sie Macht über uns, ob nun durch nackte Gewalt oder durch unser Bedürfnis geliebt zu werden, durch unser Bedürfnis nach Geld, Gesundung, Status, Karriere und Abwechslung. (Elias 1970 : 97)

Quand Elias parle du « passage à un comportement et à une pensée ‘plus rationnels’ en même temps qu’à une plus grande maîtrise de soi » (Elias 1997 : II, 405), l’usage du comparatif, dont on a souligné la fréquence14, vise évidemment à éviter toute conception substantialiste ou absolue de ‘la’ raison, de ‘la culture’ ou de ‘la’ civilisation. Mais en même temps le pouvoir, la puissance [Macht], est tout à la fois affirmé comme donnée fondamentale, sinon comme valeur suprême, et lui-même « dédramatisé », banalisé. Ne s’agit-il pas seulement de ‘différentiels’ ?

Der Entscheidungsspielraum der Menschen, ihre Freiheit, beruht letzten Endes auf der Möglichkeit, die sie haben, die mehr oder weniger flexiblen Balancen zwischen verschiedenen zwingenden Instanzen, die überdies ständig im Fluß sind, auf mannigfaltige Weise zu steuern. Die Sonde der Menschenforschung stösst dementsprechend ins Leere, wenn sie an den Zwängen vorbeigeht, denen Menschen ausgesetzt sind oder sich selbst unterwerfen. (Elias 1984 : XLIIIsq.)

Déclaration typique du discours libéral que nous tentons de cerner ici, par sa combinaison de ‘flexibilité’ et de ‘contraintes systémiques’ [Systemzwänge]. Rares sont les réflexions critiques sur cette conception des ‘équilibres’ et des ‘différentiels’ de pouvoir. Karl-Siegbert Rehberg (1991 : 77) remarque toutefois que le concept d’équilibre de pouvoir (ou de puissance) lui paraît mal choisi et qu’il vaudrait mieux parler d’un parallélogramme de forces, d’un champ de tensions et d’un rapport en règle générale inégal. L’image physique du parallélogramme des forces saisit très exactement ce dont il retourne : l’application aux rapports sociaux du paradigme de la physique tel qu’on le trouve à l’œuvre expressément chez Kant, dans Idée d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolitique, où Kant réécrit l’‘histoire philosophique’ du passage à la société à partir de la guerre de tous contre tous, c’est-à-dire où il reformule Hobbes du point de vue de la téléologie critique. De ce point de vue, on l’a déjà souligné plus haut, il est exclu de confondre jugement réfléchissant et jugement déterminant, c’est-à-dire d’user en histoire du paradigme physique comme on en use dans la connaissance de la nature. Or, chez Elias, il n’est justement nullement certain que ce ne soit pas le cas, par exemple lorsqu’il décrit le « mécanisme royal » [Königsmechanismus] grâce auquel le roi, en concurrence lui-même avec les nobles, s’assure du monopole de la force en jouant l’un contre l’autre les camps en concurrence de la noblesse, affaiblie mais non vaincue, et de la bourgeoisie, montante mais politiquement impuissante.

L’ordre naît de la concurrence. Le ‘processus de la civilisation’ tel qu’Elias le raconte dans son ouvrage majeur commence par une concurrence entre un grand nombre de petits seigneurs qui, en s’alliant plus ou moins, revendiquent l’hégémonie sur un territoire de plus en plus vaste. Peu à peu se constitue une domination politique plus stable et plus durable qui assoit son hégémonie non plus seulement par le pouvoir des armes, mais par celui de la bureaucratie et la monétarisation de l’économie. La concurrence, semblable au modèle kantien de l’insociable sociabilité (mais pas avec le même statut téléologique critique) crée des dépendances non intentionnelles entre les intentions des individus. Comme l’écrit très justement Artur Bogner (1989 : 36), « le pouvoir est pour Elias une donnée structurelle de toutes les interdépendances, peu importe qu’elles aient été créées intentionnellement ou qu’elles soient nées sans qu’on le veuille »15. La ‘civilisation’, globalement, résulte de ces interdépendances, et, plus précisément, d’une dynamique dans laquelle la concurrence est surmontée (avant d’être relancée) par des processus de monopolisation.

Si la différence avec Mannheim est nette, elle ne l’est pas moins par rapport à Max Weber et, comme l’a judicieusement souligné Bogner, cela distingue Elias de la façon dont Talcott Parsons, qui fut son condisciple à Heidelberg, hérite de la notion wébérienne de pouvoir. Chez Parsons (1967 : 297-354), le terme de pouvoir est synonyme de pouvoir politique et désigne toujours un exercice légitime dans une relation fonctionnelle (cf. Bogner 1989 : 38). Tout à fait à l’opposé du concept neutre de Parsons, la conception éliasienne du pouvoir ne se contente pas non plus de désigner toutes les formes de concurrence, pacifiques ou non ; chez lui il s’agit bel et bien de rapports de force. Chez Weber, dans les analyses d’Économie et société, la lutte est certes omniprésente. Même la comptabilité est une manifestation de la lutte des hommes les uns avec – ou contre – les autres.

Jede rationale Geldrechnung und insbesondere jede Kapitalrechnung ist bei Markterwerb orientiert an Preischancen, die sich durch Interessenkampf (Preis- und Konkurrenzkampf) und Interessenkompromiss auf dem Markt bilden. [...] Die Kapitalrechnung in ihrer formal rationalsten Gestalt setzt daher den Kampf des Menschen mit dem Menschen voraus. (Weber 1921 : 49)

L’État, dont je vais m’occuper dans un deuxième temps, représente une discipline de cette concurrence :

Ebenso bedarf zwar theoretisch nicht jede Wirtschaft, wohl aber unsere moderne Wirtschaft unter unsern modernen Bedingungen der Garantie der Verfügungsgewalt durch Rechtszwang des Staates. Also: durch Androhung eventueller Gewaltsamkeit für die Erhaltung und Durchführung der Garantie formell ‚rechtmäßiger’ Verfügungsgewalten. Aber die derart gewaltsam geschützte Wirtschaft ist nicht: Gewaltsamkeit. (Weber 1921 : 32)

Mit zunehmender Befriedung und Erweiterung des Markts parallel geht daher auch 1. jene Monopolisierung legitimer Gewaltsamkeit durch den politischen Verband, welche in dem modernen Begriff des Staats als der letzten Quelle jeglicher Legitimität physischer Gewalt, und zugleich 2. jene Rationalisierung der Regeln für deren Anwendung, welche in dem Begriff der legitimen Rechtsordnung ihren Abschluss finden. (Weber 1921 : 519)

Weber ne fait pas un mystère du fait que l’État, comme déjà la bureaucratie comptable, est un moyen au service de relations de pouvoir, une façon légale de conquérir le pouvoir et de l’exercer.

En gros, comme on va le voir, Elias ne dit rien d’autre sur l’État, qu’il définit lui aussi comme exercice de la violence légitime. Sauf que, justement, et au mépris du ‘processus de la civilisation’, les rapports de force restent chez lui la ‘vérité’ anthropologique fondamentale du politique alors que tout semble se passer chez Weber comme si la ‘rationalisation’ consistait à pacifier (il emploie le terme) de plus en plus, et surtout définitivement, la sphère de la concurrence. À la lecture d’Elias, on acquiert, avec un certain étonnement, la conviction inverse : nous sommes des barbares attardés, sous la civilisation la brutalité des rapports de force continue de s’exercer avec les seules restrictions des canons propres aux sociétés successives. Elias a, en maints endroits de son œuvre, tenté de corriger cette impression. Elle n’a pas empêché plusieurs de ses critiques de remarquer que la part ‘non intentionnelle’ des interdépendances confine à une violence naturelle quasiment archaïque (Lietzmann 1996 : 396).

On est ici au cœur du débat entre Schmitt et Strauss sur la philosophie de Hobbes. Qu’il y ait pensé ou non, il est important de situer Elias par rapport à ce débat pour faire apparaître son originalité. Dans ce débat, il prend une position plus proche de Strauss que de Schmitt. Ce dernier tend, voire vise à dramatiser au maximum les prémisses anthropologiques pessimistes, jusqu’à faire de l’État le catechon, c’est-à-dire le dernier rempart contre l’Antéchrist ; dans La notion de politique par exemple, il déclare : « Toutes les théories politiques véritables postulent un homme corrompu, c’est-à-dire un être dangereux et dynamique, parfaitement problématique. » (Schmitt 1972 : 107) Comme l’a résumé Leo Strauss, « la thèse du caractère dangereux de l’homme est le présupposé ultime de l’affirmation du politique » (cf. Meier 1990 : 145). Pour Elias, en revanche, l’institution du politique sert comme chez Strauss, ainsi qu’on va le voir maintenant plus précisément, à endiguer et à civiliser la nature humaine (sociogenèse + psychogenèse) ; elle est ainsi une institution de la liberté, même si la violence de l’ordre naturel se perpétue dans le status civilis. Elle en constitue la vérité anthropologique fondamentale – et en ce sens les déclarations anti-téléologiques n’empêchent en rien la présence d’une anthropologie fondamentale – mais le paradigme des relations de pouvoir, toujours conçues en termes relatifs de différentiel, n’a rien à voir avec le critère existentiel schmittien ami-ennemi ; c’est là en quelque sorte le bon côté du relativisme.

2. La formalisation et le rôle de l’État

La civilisation, au sens actif du terme, s’accomplit par la « transformation des structures pulsionnelles individuelles » (Elias 1989 : 368). Elias (2003 : 46) va jusqu’à dire que « le caractère historique de l’individualité, le phénomène de la croissance et du devenir adulte, occupe une position-clef pour l’élucidation de ce qu’est une ‘société’ ». Cette transformation des individus, leur psychogenèse qui accompagne la sociogenèse, réside dans la conversion de contraintes imposées de l’extérieur en contraintes qu’ils s’imposent à eux-mêmes (Elias 1997 : II, 366). Ce qui détermine le ‘processus de la civilisation’ – qui, soit dit en passant, apparaît ici clairement comme un progrès qualitatif – c’est la ‘balance’, le rapport entre les contraintes externes et les contraintes auto-imposées, c’est-à-dire une formalisation croissante, une progression vers une plus grande maîtrise de soi. La brutalité des relations qui caractérise les sociétés agraires féodales dominées par des élites guerrières le cède progressivement à des codes de comportement de plus en plus élaborés, qui supposent de la part des individus un contrôle de soi de plus en plus grand. Au fur et à mesure de l’histoire de la civilisation – qui, soit dit aussi en passant, apparaît bien comme une Idée, sinon une valeur, unique – doivent l’emporter les contraintes librement acceptées qui sont capables de fonctionner sans la béquille de contraintes extérieures subies. On s’épargnera ici de citer les innombrables passage de Über den Prozeß der Zivilisation qui peuvent être invoqués pour illustrer cette conception générale16, qui constitue également le cadre de référence des Studien über die Deutschen ; l’échec des Allemands tiendrait à ce qu’ils ont été incapables de se passer de l’éducation autoritaire et de remplacer le canon de valeurs aristocratiques de l’Empire par un code moral et un comportement autonomes. Ce qui caractérise, ou plutôt : ce qui porte le processus de la civilisation est donc un double mouvement de formalisation et d’‘informalisation’, c’est-à-dire la création de codes extrêmement formels et contraignants, auxquels les individus doivent se plier, puis leur remplacement par un mode d’être plus permissif, plus informel, lequel présuppose cependant une discipline personnelle d’autant plus rigoureuse17. Elias dit ainsi, à propos de notre époque contemporaine, que l’assouplissement des modes de comportement qui s’y laisse observer s’accompagne en fait d’une tendance à un ‘bridage’ plus rigoureux encore des pulsions18. De manière générale, le progrès de la civilisation se traduit par ce qu’on peut formuler de manière paradoxale comme l’accroissement d’une contrainte sociale à l’autonomie – une contrainte sociale intériorisée dont l’effet est que les individus sont de plus en plus ‘livrés à eux-mêmes’ ou, si l’on préfère, ne dépendent progressivement plus que d’eux-mêmes.

Il en résulte que les régimes démocratiques, dans lesquels l’ordre dépend de la capacité des individus à ‘jouer le jeu’ de l’association, représentent le telos de la civilisation. Et en bonne logique, il en résulte aussi qu’ils sont les plus fragiles. C’est là le problème nodal de tout régime libéral, le problème dont la solution détermine le rôle de l’État et la relation entre légalité et légitimité, et c’est à la façon dont Elias le ‘résout’ que sont consacrées les réflexions qui suivent.

Si elles doivent finir par paraître, et même par être, le produit de la maîtrise de soi des individus, la téléologie éliasienne ne postule nullement que ces transformations du comportement soient induites par une décision libre et éclairée des individus – fût-ce au sens plus modeste d’une ‘rationalisation’ croissante de leurs conditions d’action dans le monde, c’est-à-dire au sens wébérien défini plus haut. Le monopole de la violence légitime, en d’autres termes l’État, joue un rôle décisif ; la transformation des contraintes extérieures et contraintes intériorisées réussit d’autant mieux que les conséquences de l’usage de la violence sont contrôlées et donc calculables :

Die Monopolisierung der körperlichen Gewalt […] macht die Gewaltausübung mehr oder weniger berechenbar und zwingt die waffenlosen Menschen in den befriedeten Räumen zu einer Zurückhaltung durch die eigene Voraussicht oder Überlegung; sie zwingt diese Menschen mit einem Wort in geringerem oder höherem Maße zur Selbstbeherrschung. (Elias 1997 : II, 337)

Plus la société est différenciée, plus la prévisibilité est requise, mais plus aussi elle devient difficile ; c’est très précisément là où intervient l’État, dans une fonction qu’on peut qualifier, en anticipant sur Luhmann, de réduction de complexité :

Dämpfung der spontanen Wallungen, Zurückhaltung der Affekte, Weiterung des Gedankenraums über den Augenblick hinaus in die vergangenen Ursach-, die zukünftigen Folgeketten, es sind verschiedene Aspekte der gleichen Verhaltensänderung, eben jener Verhaltensänderung, die sich mit der Monopolisierung der körperlichen Gewalt, mit der Ausweitung der Handlungs­ketten und Interdependenzen im gesellschaftlichen Raume notwendigerweise zugleich voll­zieht. (Elias 1997 : II, 333)

Tout à fait expressément, Elias assigne à son ouvrage sur le processus de la civilisation l’objectif d’élucider « la sociogenèse de l’État » à partir de l’hypothèse « que l’élaboration du comportement ‘civilisé’ est très étroitement liée à l’organisation de la société occidentale sous forme d’États » (Elias 1997 : I, 80sq., préface de 1936). C’est du reste pourquoi la France, où le pouvoir central de l’État n’a cessé de se renforcer depuis le Moyen Âge, fournit un terrain d’étude beaucoup plus pertinent que l’Allemagne. L’articulation de la psychogenèse et de la sociogenèse ne s’accomplit vraiment que dans le cadre de l’État. Cette thèse est poussée jusqu’à la caricature dans l’ouvrage sur les Allemands où tout, de la société de l’Empire au terrorisme des années 1970 en passant par le nazisme, est censé s’expliquer par les difficultés et les déficits de la formation de l’État allemand.19 Elias reproche aux études sur la personnalité autoritaire développées par l’Institut de recherches sociales en exil de s’être limitées aux individus et aux structures familiales, et de n’avoir pas vu que « la structure familiale autoritaire entretient elle-même le rapport le plus étroit avec la structure autoritaire de l’État » (Elias 1989 : 378).

Les études sur les Allemands manifestent de façon éclatante ce que la préface de 1936 au Processus de la civilisation exprimait en fait déjà sans détours, à savoir que l’État, défini comme réducteur de complexité d’autant plus nécessaire que les interdépendances sociales se multiplient et se densifient, est la véritable clef de la philosophie éliasienne de l’histoire. Il intervient là où sans doute une analyse de ces interdépendances, du type de celle que le marxisme développe sur le terrain de l’histoire économique et sociale, ne serait pas inutile à titre de complément ou de correctif d’une ‘histoire culturelle’ qui se transforme en réalité en histoire politique. Gabor Kiss a parfaitement raison d’estimer – du point de vue de la théorie des systèmes et de la sociologie des organisations en ce qui le concerne – que « la structure de la société moderne ne peut être décrite au moyen de concepts aussi flous que ‘tissu’ [Gewebe], ‘imbrication’ [Verzahnung], ‘enchaînement’ [Verkettung], etc. Tout dépend du comment… » (Kiss 1991 : 88) Plus radicale encore est la mise en cause globale de la conception éliasienne de l’histoire culturelle par Roland Axtmann – plus radicale parce qu’elle l’attaque du point de vue de l’esprit originel des Cultural Studies britanniques :

The book on ‘The Court Society’ is an elite study that systematically writes the ‘lower classes’ out of the story. The ‘people’, including the ‘bourgeoisie’, the peasants and the ‘plebs’, are seen as playing the role of tools for the intentions of the elite groups right up to the Revolution. An analysis of class structure and class struggle does not provide a sufficient explanation for the Revolution, but without it, neither the Revolution nor state-building in France can be fully explained. A similar charge could be brought against his study on ‘The Germans’ where we do not encounter a class analysis – or for that matter, an analysis of the political institutional arrangements since the 1870s – either. [...] Elias has not formulated a political sociology, a sociology of law, a sociology of religion or a sociology of economics. He cannot systematically analyse the complex entwinings of ideological, economic, military and political networks that produced the modern state nor compare systematically the developmental divergences and institutional variations which characterize state formation in Europe. (Axtmann 2000 : 116)

Je n’entrerai pas ici dans le détail des arguments luhmaniens que Kiss oppose à Elias, mais je retiendrai la faille sur laquelle il met, avec d’autres du reste, le doigt : l’État et son monopole de la violence légitime servent chez Elias de cheville commode entre la psychogenèse et la sociogenèse, pour expliquer qu’à un certain moment des codes aient été formalisés et acceptés. Formulé en termes ‘luhmanniens’ chez Kiss (1991 : 94), en termes ‘habermasiens’ d’espaces publics chez Smudits (1991 : 113, 117-8), du point de vue des Cultural Studies chez Axtmann, le constat est globalement le même : l’État remplace toute véritable analyse sociologique. Alors même qu’il fait valoir contre le marxisme que les luttes de pouvoir et les situations conflictuelles ne se laissent pas réduire à des oppositions de classe (Elias 1989 : 311), on est en droit de se demander si Elias ne pratique pas une autre forme de réductionnisme, consistant à tout ramener au paradigme (au demeurant non spécifique) du ‘pouvoir’, de la ‘puissance’ [Macht]. Un passage caractéristique dans lequel ce réductionnisme est assumé de façon presque provocatrice :

Zu den Nachwehen der beiden großen Kriege dieses Jahrhunderts gehörten Emanzipationsschübe oder, anders ausgedrückt, ein Zuwachs an Machtchancen ehemals machtschwächerer oder unterdrückter Gruppen; ich erinnere an den Machtzuwachs der Arbeiterschaft im Verhältnis zu den Unternehmern, der Frauen im Verhältnis zu den Männern, der überseeischen Kolonialvölker im Verhältnis zu den westeuropäischen Kolonialländern. In all diesen Fällen handelte es sich um eine Verringerung der Machtunterschiede, nicht etwa um das Erreichen einer Machtgleichheit im Verhältnis der betreffenden Gruppen. (Elias 1989 : 307-8)20

Cette façon d’écrire l’histoire a une tradition : celle de l’historisme ; elle inscrit paradoxalement Elias dans la lignée de la ‘culture’ allemande qu’il récuse. Toute la question consiste à savoir si le modèle qu’il lui oppose, celui d’une société hautement différenciée dans laquelle le monopole de la violence (légalité) est équilibré par l’institutionnalisation et l’intériorisation de la maîtrise des conflits, ‘tient la route’ dès lors qu’il repose sur de tels présupposés. En d’autres termes : comment Elias se convertit-il au libéralisme démocratique ? Précisons en effet les termes : il s’agit du rapport entre, d’une part, la légalité et, d’autre part, la légitimité démocratique, cette dernière étant assurée par l’institutionnalisation de la maîtrise des conflits – en d’autres termes la discussion publique et, spécifiquement, le parlementarisme – et par ce qu’on pourrait appeler la disposition d’esprit des individus, leur aptitude à jouer le jeu du (self) contrôle des conflits ; Elias parlerait de psychogenèse, on peut dire aussi qu’il s’agit simplement de la citoyenneté.

Pour que l’équation soit viable, il faut que le moment nécessaire de la monopolisation de la puissance (qui en tant que telle s’érige en ‘contrainte étrangère’, Fremdzwang) soit accompagné et équilibré par une démocratisation du monopole du pouvoir (institutionnalisation et intériorisation de la maîtrise des conflits). À cette condition, et à cette condition seulement, la façon éliasienne d’écrire l’histoire de la civilisation pourrait justifier son ‘optimisme’, face à Nietzsche, face à Marx et à la tendance historique à l’accumulation du capital, face à Freud, face à la ‘dialectique de la Raison’ d’Adorno et Horkheimer – bref, face à toutes les histoires ‘pessimistes’ dans lesquelles sous des formes diverses ce qu’Elias appelle indistinctement Macht ne fait jamais que se renforcer.

Sur cette question politique décisive, le recueil de textes Studien über die Deutschen contient toute une série de déclarations qu’on ne trouve pas avec une netteté comparable dans les autres ouvrages d’Elias. La différence entre le régime démocratique d’une part, les régimes « absolutistes-monarchiques » et « dictatoriaux »21, les régimes démocratiques de l’autre tient à ce que ces derniers « légitiment le conflit entre les hommes ou les groupes d’hommes » (Elias 1989 : 382). On ne peut être plus clair : c’est Elias qui souligne le mot ‘conflit’ ; le régime démocratique est une variante évoluée, ‘civilisée’, du paradigme du ‘pouvoir’ ou de la ‘puissance’. Mais par ‘légitimer’ il faut entendre quand même que les régimes parlementaires pluripartites représentent un jalon [Meilenstein] décisif, presque un point de basculement : « une diminution des différences de pouvoir entre dirigeants et dirigés [Regierende und Regierte] et un accroissement du self control civilisé [zivilisatorische Selbstkontrolle] des deux groupes » (Elias 1989 : 387). En somme, dans les régimes démocratiques, le moment nécessaire de l’État peut basculer du bon côté, légalité et légitimité se rejoignent.

Le rapprochement entre Elias et Carl Schmitt auquel procède par exemple Hans J. Lietzmann doit donc être considérablement nuancé22. Non seulement le paradigme des relations de pouvoir, conçues en termes de différentiel, n’a rien à voir avec le critère existentiel ami-ennemi, mais, pour les mêmes raisons, il n’a aucune raison de déboucher, comme c’est le cas chez Schmitt dans La notion de politique, sur une critique radicale du pluralisme. Plus proche en cela de Strauss, Elias reste attaché à l’idée (ou à l’idéal) que les régimes parlementaires sont ceux qui correspondent à la maturité croissante des individus qui maîtrisent les contraintes. Nous pouvons reprendre une des conclusions de notre première partie : l’institution du politique est une institution de la liberté, du moins dans cette vision optimiste d’une convergence entre légalité et légitimité. Mais qu’en est-il vraiment du rôle de l’individu, ce prétendu pilier du libéralisme, dans la conception éliasienne de la société ?

3. Le pseudo-libéralisme éliasien

Reprenons le problème comme nous l’avons abordé : par la socialisation de l’individu. L’accroissement des contraintes auto-imposées [Selbstzwänge] est à la fois la cause et la traduction du fait que l’individu est de plus en plus abandonné à lui-même pour ce qui est de toutes les questions concernant son existence et le sens qu’il peut espérer lui donner. La Société des individus parle d’une individualisation croissante des individus23. Il ne s’agit pas là d’une considération générale abstraite, qui en tant que telle serait d’une grande platitude, mais d’un modèle heuristique qu’Elias met en œuvre de façon à la fois qualitative et quantitative dans sa sociologie des générations en s’interrogeant sur la restriction ou l’élargissement des possibilités offertes à une classe d’âge de trouver une réponse à ces questions (cf. Elias 1989 : 320). La sécularisation croissante coïncide cependant avec une efficience accrue du monopole étatique de la violence (Elias 1989 : 313sq). En d’autres termes, l’individualisation croissante est paradoxalement doublée d’une absorption croissante des individus par les ‘systèmes fonctionnels’.

Mit der wachsenden Spezialisierung der Staatsgesellschaften verlängert und kompliziert sich der Weg des Einzelnen zu einer auf sich selbst gestellten, mehr für sich selbst entscheidenden Einzelperson. Die Anforderungen an seine bewußte und unbewußte Selbstregulierung wachsen. (Elias 2003 : 171)

C’est là où la sociologie éliasienne révèle sa véritable nature : elle est au premier chef une sociologie de la complexité et des systèmes sociaux complexes et ne peut être réduite au face à face entre les individus et le « Léviathan ». Le débat entre légalité et légitimité ne saurait être tranché aussi simplement que pouvait le suggérer l’optimisme libéral un peu simplet sur lequel débouchait notre deuxième partie.

Cette sociologie de la complexité s’affirme tout particulièrement dans La Société des individus, où la société, d’une façon qui va bien au-delà de ce qu’on met communément sous ces descriptions, est présentée comme un ‘tissu’ [Gewebe], un ensemble de fonctions interdépendantes24, etc. D’une certaine façon, on comprend pourquoi Elias n’a que faire de produire une analyse concrète, en termes socio-économiques par exemple, de ce ‘tissu’. Pour lui, il ne s’agit nullement d’un terme vague ; ce qui lui importe n’en est pas le contenu, mais la texture :

Was wir seine Struktur nennen, ist die Struktur und der Aufbau nicht der einzelnen Steine, sondern der Beziehungen zwischen den einzelnen Steinen, die es bilden ; es ist der Zusammen­hang der Funktionen, die die Steine im Verbande des Hauses füreinander haben. (Elias 2003 : 37)

Marx aurait bien entendu tout à fait pu écrire la même chose et la reconstruction du ‘mode de production’ et des ‘rapports de production’ n’est nullement moins globale ni moins ‘structuraliste’. Le débat ne se situe pas véritablement là. En insistant sur la nécessité d’une approche structurelle globale („Man muß beim Denken vom Aufbau des Ganzen ausgehen“), Elias (2003 : 32) veut avant tout souligner que les ‘figurations’ sociales dans lesquelles les individus sont impliqués se constituent d’une multiplicité telle de fonctions interdépendantes qu’elles deviennent ce qu’aux beaux jours du structuralisme on appelait un ‘procès sans sujet’ : „Das Gewebe der interdependenten Funktionen, durch die die Menschen sich gegenseitig binden, hat ein Eigengewicht und eine Eigengesetzlichkeit.“ (Elias 2003 : 33)

Dans la deuxième édition du livre qu’il a dédié à Elias, Instinkt, Psyche, Geltung (1970), Dieter Claessens, qui fut dans les années 1960 l’un des penseurs critiques les plus acérés et en même temps un des propagateurs des théories d’Elias au moment où on les ‘découvrit’, qualifie Norbert Elias de « théoricien des ensembles aveugles » [Theoretiker blinder Verflechtungszusammenhänge]. Au fond, en conclut Gabor Kiss (1991 : 82), la ‘sociologie des figurations’ est une version molle de la théorie des systèmes, les concepts de ‘figuration’, de ‘constellation’, de ‘réseaux d’interactions’, etc. servent à décrire ce qui fait l’objet de cette dernière sous le nom de système, et même « le concept de figuration a de toute évidence été conçu comme une sorte d’‘anti-thèse’ à celui de système » Ce qui les distingue, c’est, note toutefois très justement Kiss (1991 : 85, 87), le fait que les interactions soient chez Elias des relations de pouvoir, des rapports de force, là où il n’y a chez Luhmann que des conflits – certes décisifs – entre des systèmes autopoiétiques. Mais pour le reste, les parentés sont frappantes et permettent de poser à la théorie d’Elias la question de ses implications politiques.

Pour Luhmann (1997 : 200), la société est un système qui s’auto-observe et s’auto-régule, qui a sa logique en lui-même et à l’égard duquel on ne peut émettre d’autres prétentions de rationalité que celles qui lui sont inhérentes. Il en va de même de chaque sous-système, qui intègre les individus en fonction de ses lois propres – le sous-système de l’économie, par exemple, au moyen du médium de l’argent. S’ils ne se complétaient pas, ne se relayaient pas et, aussi, ne se concurrençaient pas, la maîtrise de la complexité sociale se traduirait par un déficit énorme d’intégration. Or, pour Luhmann, ce déficit ne cesse certes de se faire sentir, il inspire les philosophies éthiques tout autant que les tentatives de planification, mais globalement le système s’auto-régule en utilisant la contradiction comme une alarme. Il n’y a de toute évidence pas de place dans cette conception pour la question de la légitimité. Les problématiques de la légitimation du pouvoir cèdent la place à une « légitimation par la procédure ». Pourtant, de la même façon que chez son maître Schelsky, l’État technique met la démocratie hors jeu « sans pour autant être antidémocratique » (Schelsky 1965 : 459), selon Luhmann, les « systèmes fonctionnels » sont foncièrement compatibles avec la liberté (« Freiheitskompatibilität »). Les systèmes procèdent selon leur logique à une réduction de complexité qui laisse subsister tout un ensemble de possibles, et ils ont même besoin d’instabilité pour pouvoir se reproduire. La contradiction joue un rôle nécessaire (Luhmann 1984 : 508).

Si l’omniprésence des rapports de force distingue l’univers d’Elias de cette vision technocratique presque aseptisée de la ‘contradiction’, elle le rapproche d’autant plus de la version originelle, non ‘désubjectivisée’, dont la théorie de Luhmann est la traduction purement fonctionnelle – celle d’Helmut Schelsky. On retrouve les Sachzwänge, les contraintes objectives, qui scandent la succession des ‘rationalités’ dans le processus de la civilisation :

Die berufsbürgerlich-industrielle Rationalität bildet sich aus dem Zwang der wirtschaftlichen Verflechtung; mit ihr werden primär auf privates und öffentliches Kapital begründete Machtchancen berechenbar. Die höfische Rationalität bildet sich aus dem Zwang der elitären gesellschaftlich-geselligen Verflechtung; mit ihr werden primär Menschen und Prestigechancen als Machtinstrumente berechenbar. (Elias 2002 : 192)

À ces ‘nuances’ près, la pensée politique d’Elias se laisse ainsi inscrire dans un courant qui, en Allemagne, mène du maître de Schelsky, Gehlen, au maître de Luhmann, Schelsky, et à Luhmann lui-même : un courant conservateur qui prend seulement des inflexions différentes selon les décennies – de la théorie quasiment autoritaire des institutions qui, chez Gehlen, ‘déchargent’ les individus pour leur plus grand bien à la théorie des systèmes en passant par l’affrontement de la technocratie et de la démocratie chez Schelsky. Chez Elias se greffe sur cette véritable tradition l’univers de référence anglo-saxon, à savoir le postulat fondamental du pluralisme (et, bien entendu, perceptible à de multiples endroits de l’œuvre, un anti-marxisme quasiment viscéral). Artur Bogner (1989 : 80sq.) fait remarquer que là où pour Adorno et Horkheimer les ‘contraintes systémiques’ se transforment en un univers de domination totale, Elias et ses disciples, comme Wouters, insistent au contraire sur la multiplicité et l’hétérogénéité des contraintes sociales.

La main invisible n’en est pas moins une main de fer, et la question fondamentale de la démocratie – l’équation légalité / légitimité – n’en est pas moins évacuée. Le perspectivisme et le relationnisme des notions de vérité, de civilisation et même de pouvoir n’ont du même coup pas le même effet que chez Mannheim. Le relativisme prépare bien plutôt une version bien moins démocratique du fonctionnalisme que chez cet autre héritier de Weber qu’est son condisciple de Heidelberg Talcott Parsons. Car ce relativisme véhicule une philosophie de la ‘volonté de puissance’ en quelque sorte dépersonnalisée, se réalisant dans les ‘figurations’ non nécessairement intentionnelles que constituent les hommes en concurrence. Les conséquences politiques, contraires sans doute aux convictions mêmes d’Elias, ne sauraient être sous-estimées : toute notion de responsabilité ou de culpabilité tend à s’abolir dans la fatalité d’un ‘processus’ inéluctable25 – ce qui explique dans une large mesure l’adhésion d’Elias au schéma commode du Sonderweg pour expliquer le nazisme. Elias, ainsi pourrait-on résumer, est assez caractéristique de la génération des exilés allemands convertis à l’univers anglo-saxon qui n’ont pas pour autant oublié leurs racines allemandes et qui du même coup ont engendré une variante de conservatisme infiniment plus insidieuse que ne l’est la charge schmittienne contre l’individualisme et le parlementarisme.

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Notes

1 „Das unausgesprochene Gesellschaftsbild, das sowohl der Erziehung der schlagenden Verbindungen als auch ihrem Ziel, dem Leben als Mitglied der kaiserlichen Oberschichten, zugrunde liegt – dieses Bild vom menschlichen Zusammenleben als Kampf aller gegen alle trägt beinahe Hobbes’sche Züge“ (Elias 1989 : 149). Retour au texte

2 „Der Prozeß der Zivilisation vollzieht sich keineswegs geradlinig. Man kann, wie es hier zunächst geschieht, den allgemeinen Trend der Veränderung herausarbeiten. Im einzelnen gibt es auf dem Wege der Zivilisation die mannigfachsten Kreuz- und Querbewegungen, Schübe in dieser und jener Richtung. [...] Und die Beobachtung solcher Schwankungen, besonders in der Nahsicht, trübt leicht den Blick für den allgemeinen Trend der Bewegung“ (Elias 1997 : 349). Retour au texte

3 Qui ne laisse de rappeler Herder ; ainsi la « contrainte à la longue vue » (Zwang zur Langsicht) ; cf. Elias 1997 : II, 347. Retour au texte

4 „zusammenhängendes Bild des Prozesses, in den [wir] verwickelt sind“ (Elias 1983 : 79). Retour au texte

5 Au chapitre XIII du Léviathan on trouve aussi un exemple de ce fondement négatif du droit naturel dans le fait que la force n’assure jamais une domination durable, le plus fort risquant toujours d’être vaincu, ou même tué, par un plus faible, éventuellement associé à d’autres. Retour au texte

6 Evidemment exploitée par Carl Schmitt, pour qui Hobbes a dépassé l’opposition de la potestas temporelle et de l’auctoritas spirituelle et fondé ainsi une conception moderne du politique qui consiste en une théologie politique. Retour au texte

7 Il le cite en revanche dans Über den Prozeß der Zivilisation dans des contextes qui ont précisément trait à la question des valeurs et de la façon dont la Cour définit ce qui est “bon” ou “mauvais” (Elias 1997 : I, 133 & 241). Retour au texte

8 Zur Genealogie der Moral, 1. Abhandlung, § 1 & 2. Retour au texte

9 „Der Kern dieser Figuration ist eine ungleiche Machtbalance“ (Elias / Scotson 1993 :14). Retour au texte

10 Ce qui, au demeurant, préserve Elias de toute dérive “identitaire” consistant, comme c’est le cas chez Carl Schmitt, à lier les rapports de force à l’affrontement de communautés (même s’il ne parle pas seulement des individus mais aussi des groupes sociaux). Retour au texte

11 „Die Pluralität dieser Perspektiven bedeutet die Annäherung an ein sich verschiebendes Objekt aus sich verschiebenden Standpunkten“ (Mannheim 1924 : 130). Retour au texte

12 „Denn es ist hier vorweg noch einmal daran zu erinnern: daß ‘Rationalismus’ etwas sehr Verschiedenes bedeuten kann. So schon: je nachdem dabei entweder an jene Art von Rationalisierung gedacht wird, wie sie etwa der denkende Systematiker mit dem Weltbild vornimmt: zunehmende theoretische Beherrschung der Realität durch zunehmend präzise abstrakte Begriffe, - oder vielmehr an die Rationalisierung im Sinne der methodischen Erreichung eines bestimmten gegebenen praktischen Zieles durch immer präzisere Berechnung der adäquaten Mittel. Beides sind sehr verschiedene Dinge trotz der letztlich untrennbaren Zusammengehörigkeit“ (Weber 1920 : 265-6). Cf. Raulet 2004 : 79-91. Retour au texte

13 „Die Angst vor dem Verlust oder auch nur vor der Minderung des gesellschaftlichen Prestiges ist einer der stärksten Motoren zur Umwandlung von Fremdzwängen in Selbstzwänge“ (Elias 1997 : II, 377). Retour au texte

14 Cf. Breuer, 1988 : 422. On a également relevé qu’à une multiplicité de termes allemands (« gesellschaftliche Stärke », « gesellschaftliches Schwergewicht », etc.) correspond dans la version anglaise du Procès de la civilisation uniformément le mot power (cf. Bogner 1989 : 38). Retour au texte

15 Cf. Elias 1970 : 87-97. Déclaration tout à fait congruente dans l’introduction de Peter Gleichmann, Johan Goudsblom et Hermann Korte à Macht und Zivilisation. Materialien zu Norbert Elias' Zivilisationstheorie, t. 2, Frankfurt/M., Suhrkamp 1979, p. 7. Retour au texte

16 Voir dans la théorie générale que constitue le résumé “Entwurf zu einer Theorie der Zivilisation” en particulier les pages consacrées à la transformation des guerriers en courtisans (Elias 1997 : II, 362sq). Retour au texte

17 Sur cette question voir en particulier Wouters 1977 : 279-298. Retour au texte

18 „Zugleich aber zeigen sich, ebenfalls in unserer eigenen Zeit, die Vorboten eines Schubes zur Züchtigung neuerer und strafferer Triebbindungen“ (Elias 1997: I, 257sq.). Je laisse ici en suspens la question de savoir s’il faut entendre la  « liaison des pulsions » en un sens freudien strict. Retour au texte

19 Cf. en particulier Elias 1989 : 372. Retour au texte

20 C’est moi qui souligne. Retour au texte

21 On ne sera pas plus royaliste que le roi et on lui fera crédit quant à cette classification. Retour au texte

22 Lietzmann établit un parallèle à notre sens abusif entre le rôle attribué par Elias au duel dans son étude sur les Allemands et le schéma ami-ennemi de Schmitt dans La notion de politique de 1927-32 ; cette interprétation est intenable car tant le duel que les schlagende Verbindungen sont des rapports de force très codifiés et disciplinés, non une lutte à la vie et à la mort comme chez Schmitt ; cf. Lietzmann 1996 : 413-418. Retour au texte

23 „gesellschaftliche Entwicklung zu einer hohen Individualisierung des Individuums“ (Elias 2003 : 177). Retour au texte

24 „Grundgerüst von interpendenten Funktionen“ (Elias 2003 : 32). Retour au texte

25 Voir les réflexions intéressantes de Martin Greiffenhagen (2000 : 251). Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Gérard Raulet, « Pouvoir et Progrès », Individu & nation [En ligne], vol. 3 | 2009, publié le 20 avril 2009 et consulté le 24 novembre 2024. DOI : 10.58335/individuetnation.182. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/individuetnation/index.php?id=182

Auteur

Gérard Raulet

Professeur d’histoire des idées allemandes à l’Université Paris-Sorbonne (Paris IV), Groupe de recherche sur la culture de Weimar (UMR 8138 « IRICE » & Fondation MSH), 54 boulevard Raspail, 75006 PARIS – gerard.raulet [at] paris-sorbonne.fr