Röm 13,8 : Ihr sollt niemandem in etwas verpflichtet sein, als dass ihr euch untereinander liebt.
1, Kor, 9,19 : Ich bin frei in allen Dingen und habe mich eines jedermanns Knecht gemacht.1
„An die Stelle der alten bürgerlichen Gesellschaft mit ihren Klassen und Klassengegensätzen tritt eine Assoziation, worin die freie Entwicklung aller die Bedingung für die freie Entwicklung eines jeden ist“. Ich weiß nicht, wann ich begonnen hatte, den Satz so zu lesen, wie er hier steht. […] Wie groß war mein Erstaunen, ja mein Entsetzen, als ich nach vielen Jahren fand, dass der Satz in Wirklichkeit gerade das Gegenteil besagte; „… worin die freie Entwicklung eines jeden die Bedingung für die freie Entwicklung aller ist.“
(Hermlin 1997 : 18-19)
Introduction
Le marxisme a eu pour enjeu philosophique de penser l’instauration d’un lien entre les individus qui soit à la fois la condition de leur libération et le fondement d’une société nouvelle établie sur un contrat social qui mette en pratique les trois principes de la Révolution française, la liberté, l’égalité et la fraternité.
Les dirigeants de la RDA n’ont eu de cesse de se réclamer de la théorie ‘scientifique’ du marxisme-léninisme pour asseoir leur légitimité et justifier d’une pratique qui s’est cependant progressivement éloignée de cette théorie. La référence au marxisme devint une rhétorique dogmatique aveugle aux contradictions qui éclataient de plus en plus au grand jour, dont les termes et les expressions figés construisaient une fiction pseudo-harmonieuse entre le collectif et l’individu.
Créateur d’histoires et de personnages, l’écrivain qui se définit dans le roman de Volker Braun, Hinze-Kunze-Roman, comme Freischaffender, est particulièrement bien placé pour interroger la réalité des faits, des choses,2 mais également des mots. Qu’est-ce qu’un ‘ami’,3 qu’est ce que le ‘nous’4 et bien sûr qu’est ce « gesellschaftliches Interesse »,5 ce qui littéralement fait le lien entre les membres d’une même société ? A la suite de Marx, Volker Braun tente de reconstruire le je / jeu des possibles, – « Wie kommen wir vom faktischen zum möglichen Menschen? »6 (Braun 1988a : 184) – de représenter grâce à l’écriture l’inconcevable, « den künftigen freien unvorstellbaren Menschen » (Braun 1992 : 164). A la collectivité forcenée du ‘nous’ socialiste, le poète répond par le ‘je’ / jeu de la personne libre.
Ich begreife es nicht … Wie hielten sie das aus? Der eine mit dem anderen,
und wir machen es mit! Ich beschreibe es!
Im gesellschaftlichen Interesse,
sagen meine Leser.
Pah, natürlich,
erwidere ich: aber wer fragt, was es eigentlich ist?7 (Braun 1988a : 171)
Nous tenterons d’apporter à ce refrain quelques réponses – fragmentaires – en étudiant l’histoire de ce trait d’union qui a supplanté le ‘et’ de la pièce de théâtre et le ‘von’ des Berichte, en essayant de cerner ce Verhältnis, qu’il s’agisse de la relation de l’homme à son travail, de l’homme à la femme, ou bien de l’homme à l’homme – dans tous les sens du terme, sans oublier bien sûr de l’homme qui écrit à celui qui lit.
1 Les relations de travail : das Arbeitsverhältnis
Dans la continuité de la dialectique hégélienne du maître et de l’esclave, le travail est chez Marx au cœur même du processus de dépassement de l’aliénation de l’homme. C’est en se réappropriant les moyens de production, c’est-à-dire les outils de son travail et en reconfigurant les rapports de production que l’homme communiste pourra travailler en vue de la satisfaction de ses besoins : « Jeder nach seinen Fähigkeiten, jedem nach seinen Bedürfnissen ». La RDA se définissait quant à elle comme « l’Etat des travailleurs et des paysans » et l’on sait combien le travail, dans ses structures et dans son organisation, cimentait la société est-allemande. Mais les choses ont évolué au cours des décennies. Ce n’est assurément pas un hasard si Volker Braun prend la peine, dans un roman où l’Histoire brille par son absence, de revenir sur la relation que les deux protagonistes ont eu avec leur travail par le passé. Seul le travail confère aux personnages une dimension historique.
1.1 Le travail au passé, l’histoire du travail
Lorsque Volker Braun aborde le passé de Hinze, il renoue lui aussi stylistiquement et thématiquement avec la genèse de son œuvre.8 Retravaillant ici le thème de la lutte entre l’homme et la machine – le terme de Kampf étant un terme particulièrement employé dans la rhétorique des dirigeants est-allemands –, le narrateur souligne dans un premier temps la dimension vitale et jouissive du travail. Si Hinze est toujours comparé à un chien, la référence positive à la jeunesse – « kindlichen Gliedern, Milchgesicht »9 (Braun 1988a : 82) – ancre le travail dans une perspective d’avenir, d’espoir, de réalisation des possibles, dans la réalité du quotidien mais aussi dans l’écriture puisqu’il est « eine unbeschriebene Haut »10 (Braun 1988a : 82). La machine, anthropomorphisée, le fait accéder à son premier plaisir dont l’ambiguïté est volontairement maintenue durant ce rite d’initiation. Le mouvement du travail n’est rien d’autre que le mouvement de la vie : « er wurde lebendig »11 (Braun 1988a : 83). Mais le lieu de travail s’avère être rapidement le lieu de la lutte entre la vie et la mort, une lutte qui n’est pas encore terminée : « Was herrschte hier? Das Tote, die Dinge, die Pyramide,12 oder seine Arbeit? Das Tote oder das Lebendige? »13 (Braun 1988a : 87).
Si cette scène se caractérise par une dynamique inhérente aux années de construction de la RDA, les premiers figements toutefois apparaissent. Certes, la relation entre l’individu et la société semble atteindre un idéal de réciprocité, qualifié de bonheur,14 terme pour le moins utilisé avec parcimonie dans le roman : « Er entwickelte sich mit der Gesellschaft, sie verlangte nach ihm »15 (Braun 1988a : 86). Mais ce trait d’union entre les individus est de nature double, ambivalente puisqu’il fige les choses, les ferme à tout avenir : « Aber zwischen ihnen, hinter ihnen, über ihnen stand etwas, wurde fest, geronnene, rostige Verhältnisse »16 (Braun 1988a : 86). Si la classe ouvrière est encore un collectif qui a du sens, l’urgence d’une décision à prendre dans cette lutte pour la vie – ou la mort – s’impose dans les dernières lignes. Dans l’attente de cette décision, la lutte continue, ne serait-ce que dans le cadre de l’œuvre d’art, comme le suggère la référence à la représentation de Hinze, le poing fermé et le bras tendu dans le tableau qui le dépeint.
Le passé de Kunze en matière de travail est abordé beaucoup plus succinctement dans le cadre de sa rencontre avec sa femme, plus précisément de la réponse à la question : « Warum hielt es Kunze […] nicht bei seiner Gattin aus? »17 (Braun 1988a : 108). Il s’agit ici d’un travail idéologique évoqué par le biais d’une citation du chapitre de L’Idéologie allemande intitulé : « Kommunismus – Produktion der Verkehrsform selbst » (sic !).18 Le thème abordé dans ce passage traite naturellement des relations entre les individus et la société.19 L’enchaînement des mots suggère la force du lien de la société qui en ces années de construction de la RDA subsume l’individu dans le collectif : « Der eine macht etwas macht es mit […] Er setzte sich ein, er wurde eingesetzt »20 (Braun 1988a : 109). L’évolution est néanmoins la même que pour Hinze. Si les débuts sont décidément le règne du possible, d’un nouveau ‘visage’ de l’homme et de la société, l’homme finit par se figer dans un statut, eine Position qui, pour être synonyme d’ordre et de satisfaction matérielle, ne laisse plus de place à la nouveauté : « Alles eingerichtet. »21 (Braun 1988a : 110, c’est l’auteur qui souligne, SL). La mise en pratique du matérialisme dialectique par le biais de ‘l’union économique et sociale’ d’Honecker ne saurait se réduire à la satisfaction des besoins matériels. Ce bungalow conjugal propre, bien rangé et si rempli de meubles confortables qu’on en a du mal à respirer, étouffe toute parole. Il n’y a, dans tous les sens du terme, rien à dire. La seule réaction possible est la violence, en l’occurrence le cri, qui exprime un profond désarroi, que même un changement de domicile – le narrateur fait allusion à l’ambitieuse politique de logement d’Honecker – ne saurait plus satisfaire.
De manière significative, la seule personne où le travail remplit encore, dans une certaine mesure, une fonction libératrice est Lisa. Même si Lisa reste détachée par rapport au pouvoir que lui confère sa nouvelle qualification et si on n’apprend pas grand-chose de son travail proprement dit, il lui permet d’échapper à l’emprise des deux hommes, temporairement, en s’absentant de la narration pour aller se qualifier, et définitivement à la fin du roman. C’est le seul personnage qui progresse grâce au travail et qui parvient à s’émanciper d’une aliénation qu’elle exprime encore lorsque Kunze visite avec elle sa ‘salle de travail’. L’allusion au colonialisme à travers l’emploi du terme de « Kuli »22 (Braun 1988a : 73) qui caractérise une dépendance par rapport au programmateur en tant qu’employeur – lui-même qualifié de « King »23 – et en tant qu’homme, rappelle que la situation des femmes en RDA est encore susceptible de progresser.
1.2 Le travail au présent
Les conditions de travail ont bien évolué depuis ces débuts. Hinze ne travaille plus dans une usine, mais comme chauffeur au service de Kunze qui occupe des fonctions idéologiques pour le moins floues. Le lien professionnel entre les deux personnages devient un moyen pour le narrateur de thématiser le lien qui unit ou n’unit pas les dirigeants de la RDA à leurs citoyens. Dans l’avant-propos, absent de l’édition Suhrkamp, le narrateur commente leur relation en ces termes :
Sind sie Herr und Knecht?
O nein, das wollen sie nicht sein. Das darf nicht sein …
Das ist das Neue, wie. Sie drängen sich in ihre Rollen, liebend gern.
Das ist das Erotische an ihrem Verhältnis. (Braun 1991 : 224)
1.2.1 Hinze conduit Kunze
Il est de fait difficile, à un premier niveau, de déterminer qui ‘domine’ l’autre. Le petit combat que les deux personnages se livrent pour fermer eux-mêmes la porte de la voiture est à cet égard significatif de leur volonté – contreproductive – de rester dans leur rôle. Si Kunze décide du trajet à suivre, condamnant Hinze à n’être que l’instrument de ses pensées (Braun 1988a : 81), Hinze connaît cependant mieux la route que lui. Sans voiture, Kunze est condamné à l’immobilisme. C’est, à sa manière, Hinze qui fait avancer les choses. La comparaison réitérée de la voiture à un corbillard (Braun 1988a : 166, 171) pourrait inciter à donner l’avantage au conducteur plutôt qu’au passager.
L’importance déterminante de Hinze dans ce mouvement essentiel à l’autodéfinition de la RDA – le Vorwärts est la transcription spatiale du Fortschritt – n’a d’égale que la violence avec laquelle Kunze est obligé de faire travailler Hinze lorsque celui-ci s’y refuse. Même les mots ont alors perdu toute efficacité. Ni le und, ni le verbe de modalité müssen, ni a fortiori les mots utilisés jusqu’à leur épuisement par les dirigeants politiques24 comme Einheit, Held, Vorwärts n’opèrent plus : « Das weiss doch jeder. Hinze und Kunze, wie schon der Name sagt: wir sind eine Einheit. Wir müssen einig sein. Fahre, du Held »25 (Braun 1988a : 166). Rien n’empêche plus Hinze de recourir à ce qui apparaît comme le dernier moyen de se libérer, la destruction irrémédiable (Asche) de son outil de travail. Rien, si ce n’est le deus ex machina, apparemment surgi à l’insu du narrateur : la police. Elle est désormais la seule instance à pouvoir rétablir le trait d’union, à imposer à chacun son rôle – tout en les considérant à égalité l’un avec l’autre (« Er streifte Hinze und Kunze mit einem beleidigten Blick »26, Braun 1988a : 168, repris à la page 169). Au lecteur qui attendrait une explication sur le fonctionnement de la relation entre Hinze et Kunze, le policier répond par un langage dont l’inscription dans l’espace en forme de chiasme s’enferme dans une tautologie qui se réduit au ich; « Ich sagte weiter, sag ich »27 (Braun 1988a : 170). La police a pour rôle de contraindre chacun à jouer son rôle, sans pour autant le jouer elle-même totalement car elle ne donne pas l’explication que le lecteur et le narrateur attendent. Sa seule autorité (voir l’expression en allemand er hat das Sagen) réside paradoxalement dans ce solipsisme en contradiction avec l’intérêt général de l’Etat qu’elle est censée représenter.
1.2.2. L’inversion des rôles
La dialectique du chauffeur et du passager est donc plus complexe qu’il n’y paraît au premier abord.28 Hinze et Kunze jouent volontiers leurs rôles. Chacun ne peut s’empêcher de jouer son rôle, comme en témoigne l’intrusion croissante du narrateur dans la narration. La société de la RDA serait alors, tragiquement dans la réalité et comiquement dans le roman, la mise en scène socialiste d’une vieille idée baroque, celle du théâtre du monde, theatrum mundi, où chacun jouerait son rôle. Clin d’œil de l’homme de théâtre au romancier : les hommes seraient-ils irrémédiablement des acteurs dont il revient néanmoins à l’auteur de changer les rôles afin qu’ils ne se figent pas en masque ?29 Le seul moyen d’être soi-même serait-il donc de jouer son rôle ? Mais la société n’est-elle pas prise dans une aporie irréductible ? Elle ne fonctionne que si chacun est bien à sa place, joue son rôle, mais elle court alors le danger de se figer et de ne pas évoluer. D’où le conseil de sociologues très peu révolutionnaires durant la scène avec les représentants de la censure :
[…] Während sich die Gesellschaftswissenschaftler für Hinze und Kunze, an deren Rolle sie natürlich nicht kratzten, einfallen ließen, dass beide eben in ihren Rollen weiterkommen, sich in ihren Rollen steigern [….]30 (Braun 1988a, 151, c’est l’auteur qui souligne, SL)
Un conseil qui aboutirait à l’opposé de ce que tente le narrateur puisque ‘l’évolution’ de Hinze et Kunze dans leurs rôles respectifs entraînerait le figement de leurs relations.
Il est donc intéressant de voir ce qu’il se passe lorsqu’on change volontairement ou involontairement de rôle. Cette situation se présente à deux occasions : lorsque Hinze change de chef durant la maladie de Kunze et lorsque Hinze et Kunze essaient d’intervertir leurs rôles. Le premier cas donne lieu à un développement fort succinct de moins d’une page. Mais là aussi, en dépit d’une première impression due aux expressions employées, la relation n’est pas très claire. Si Hinze est assimilé indirectement à un serf « Leibeigene »31 (Braun 1988a : 142), le chef en est réduit à n’être qu’une machine « automatisierter Leiter »32 (Braun 1988a : 142). Certes, la répartition des rôles entre ‘maître’ et ‘esclave’ semble être claire en théorie, mais elle est contredite dans les faits. Hinze est habillé de la même manière que son maître, fait exactement les mêmes gestes (voir la répétition de « Pipe in dem Mund »33 (Braun 1988a : 142), expression jouant avec l’imaginaire du lecteur et avec sa représentation du dandy) et passe son temps à dormir. Sa seule action consiste à conduire, ce qui lui permet de se définir un travail bien à lui, ni aliéné ni aliénant, mais libre au contraire : « Fahren war meine Sache […] »34 (Braun 1988a : 142, c’est l’auteur qui souligne, SL). C’est une histoire sans paroles, sans dialogue. Est-ce une histoire impossible à écrire, une utopie ? Les multiples résonances de la dernière expression de Hinze, « Herrliche Zeit »35 (Braun 1988a : 142) laissent rêveur. Kunze quant à lui éprouve un immense soulagement en se disant que Karli n’est pas son chauffeur. Que cet adjectif possessif ne soit pas seulement l’expression d’une relation de possession et de dépendance par rapport à Hinze mais renvoie à une adéquation entre les deux personnages, c’est ce que soulignent le rire franc et la joie qui accompagnent cette constatation : « […] nun lachte er, lachte zum erstenmal im Planjahr schallend. […] Kunze freute sich wieder auf Hinze […] »36 (Braun 1988a : 141).
Au cours d’une tentative pour comprendre la nature profonde de la relation qui les unit (« Ist dir eigentlich bewusst, warum wir es so gut miteinander aushalten? »37 Braun 1988a : 158), Kunze prend l’initiative de vouloir inverser les rôles. Il est à cet égard intéressant de remarquer que Kunze s’exprime par le « on » (« Man sagt so schnell […] »38 Braun 1988a : 158), par le ‘je’ (« […] woran denkt einer […] »39 Braun 1988a : 158) et par le ‘nous’ (« Ich denke an unsere Erfolge »40 Braun 1988a : 158), mais qu’il est réservé à Hinze de penser à chaque fois la polysémie (« Beides… »41 Braun 1988a : 158), la relation à l’autre («[…] interessant wirds erst, wenn du fragst, woran zwei denken »42 Braun 1988a : 158), l’alternative (« […] es stellt sich vielleicht heraus, dass es etwas anderes ist. »43 Braun 1988a : 158). Le thème du besoin réciproque de l’un et de l’autre, qui fait écho à celui de l’obsession égalitaire traité sur le mode parodique dans la scène précédente, introduit le dernier pan du triptyque révolutionnaire, la fraternité, auquel il convient bien sûr de donner un sens concret et physique : « Wir sollten Brüderschaft trinken »44 (Braun 1988a : 158). La lutte des classes se termine ici en agape, non sans une certaine réticence de la part de Hinze. Celle-ci s’explique certes par sa tendance ‘naturelle’ à accepter son rôle et à ne pas vouloir être élu, mais également par la certitude implicitement contenue dans sa réplique « Ich wüsste nicht wohin »45 (Braun 1988a : 159) que Kunze ne saura pas où aller. Certitude d’une ignorance également partagée par Kunze en ce qui concerne le sens d’une éventuelle élection de Hinze : « ich wüβte nicht wozu »46 (Braun 1988a : 159). Le comique de répétition et le jeu sur les directions libèrent un rire authentique (« […] herzlich »47 Braun 1988a : 159), signe de l’abolition des hiérarchies. Ils sont soulagés de voir qu’‘objectivement’ ils ne peuvent pas changer de rôles, tout simplement parce qu’aussi bien Hinze que Kunze ne connaissent pas le rôle de l’autre. Ils sont dans ce domaine à égalité parfaite. Le trait d’union se transforme ici en trait d’égalité qui repose sur la reconnaissance mutuelle du non-savoir de l’autre. La société n’est qu’un théâtre.
Après quelques répliques sur la fraternité, Kunze revient à la charge tandis que Hinze décrit concrètement les formes que prendrait un changement de rôles. Si l’on compare avec la version très proche du même thème dans les Berichte, on constate dans le roman une théâtralisation croissante et l’élimination de tout ce qui pourrait banaliser et relativiser le propos, en particulier l’allusion à l’état d’ébriété des protagonistes et l’étalement du dialogue sur plusieurs jours. Les deux personnages avancent parallèlement dans leurs prises de parole et leurs silences. Mais Hinze reste dans le dialogue, la relation à l’autre (la seule intervention de son ich est sous la forme d’un accusatif) tandis que Kunze décline son ich à tous les cas : mir/mich et passe ainsi du « Vielleicht sollte ich selber fahren » des Berichte (Braun 1991 : 31) au « Vielleicht sollte ich mich selber fahren »48 (Braun 1988a : 159) du roman, premier pas du personnage vers une liberté que ne réalisera que l’auteur, le Freischaffender. Mais cette liberté exclut l’autre de son rôle. Aussi le dialogue finit-il par une vraie question qui traduit la question technique de Kunze (« Vielleicht sollte der Wagen keinen Fahrer brauchen »49 Braun 1988a : 160) en une question sur la relation humaine : « Aber braucht deine Arbeit mich? »50 (Braun 1988a : 160) Ce point d’interrogation marque la limite du changement de rôles. C’est donc au lecteur à décider de la nature du trait d’union entre les deux personnages. La parenthèse qui clôt la séquence en rappelle la nature fictionnelle. Ce passage n’était qu’une mise en scène, une petite pièce de théâtre à la fin de laquelle les applaudissements (ce mot que l’on attend mais qui ne vient pas) ont été remplacés par un long silence : « Stürmische, langhaltende Pause »51 (Braun 1988a : 160).
1.2.3 Le « travail » de Kunze
Mais la véritable inversion des rôles se produit peut-être là où on ne l’attendait pas. Tandis que la fonction officielle de Kunze instaure de fait un rapport hiérarchique entre les personnages, Hinze se gardant bien de vouloir endosser quelque responsabilité que ce soit, elle est mise en question par la pratique. Au lieu d’être un moyen de libération, le travail devient pour Kunze le lieu de révélation de son aliénation refoulée, à tel point que Kunze se voit contraint de s’arrêter de ‘travailler’. A contrario, Kunze donne l’exemple de ce qui peut arriver lorsqu’il n’y a plus à proprement parler de ‘travail’, lorsque ce dernier se réduit au discours idéologique. La parole s’impose alors au locuteur malgré lui : elle révèle de manière de plus en plus incontrôlable les sentiments de sa personnalité, ‘contaminant’ le politique avec des émotions d’autant plus violentes qu’elles ont été refoulées. Ces émotions libèrent non seulement les pulsions sexuelles, mais rappellent aussi à la mémoire les grandes heures de la libération du peuple par lui-même. Lorsque Kunze doit assister à la manifestation annuelle du 15 janvier en l’honneur de Rosa Luxemburg et de Karl Liebknecht (la seule à laquelle Hinze participe), il devient malgré lui le témoin de la force du mouvement révolutionnaire qui ressurgit du passé. Il prend ainsi conscience du fossé qui s’est creusé entre les objectifs premiers du mouvement communiste du XIXème siècle et la réalité de la RDA – du temps où le peuple était encore une réalité agissante. Il n’y avait en ce temps ni hiérarchie, ni solitude ; c’est toute la différence entre « die Masse » qui porte Kunze dans son élan et lui fait resserrer le poing, geste sinon réservé à Hinze (Braun 1988a : 58) et « […] die Leute »52 (Braun 1988a : 122) qui le laissent seul. En ce temps révolu coexistaient travail, nature et bonheur, comme le suggère la chanson du SPD : « Einer Woche Hammerschlag »53 (Braun 1988a : 60). La force libératrice de ce travail opère encore puisque Kunze rit à gorge déployée et renoue sémantiquement du moins avec l’enfance « […] wie ein glückliches Kind »54 (Braun 1988a : 60), signe chez Volker Braun d’une liberté enfin atteinte – dès que l’on quitte les contraintes du système du socialisme réellement existant.
1.3 « Der Freund », « die Umarmung »
Un autre mode de relation entre Hinze et Kunze, ces seuls représentants qui restent du peuple disparu dans la mémoire, s’inscrit dans un poncif rhétorique ‘der Freund’ et dans la gestuelle récurrente des chefs politiques de la RDA, ‘die Umarmung’. Les multiples embrassades d’Honecker sont à ce titre légendaires ! Ce mode de relation émotionnel réinvestit l’univers du travail par le biais de la camaraderie, de l’amitié, susceptible de transformer le lien hiérarchique en lien affectif et de recréer ainsi une solidarité de classes. On sait la profusion de ces termes dans les textes officiels, le recours au registre de l’émotion étant destiné sans aucun doute à pallier l’inefficacité politique. Comme le souligne Wolfgang Engler : « Aus der ärgerlichen Feststellung des Aufeinandergewiesenseins wird die freudige Bejahung des Füreinanderseins » (Engler 1999 : 292).
Dans le roman, ces termes apparaissent majoritairement dans un contexte de violence larvée, pour faire pression. Leur emploi ironique et cynique en dénature donc le sens initial. La première occurrence de ‘Freund’ est à cet égard symptomatique et représentative. L’accumulation de formules figées du type « […] du bist groβartig […] »55 (Braun 1988a : 8), « […] wenn du so freundlich bist […] »56 (Braun 1988a : 8), la triple répétition sous trois formes différentes de la notion de Freundschaft pour traduire l’expression d’un ordre – celui de conduire – et la qualification réitérée et commentée par l’auteur d’une telle attitude de natürlich57 conduisent le lecteur ainsi alerté à précisément mettre en doute la véracité du contenu. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si toutes les formes possibles de transcription de la relation professionnelle sur le plan émotionnel encadrent dans ces quelques lignes le terme de Genosse (« […] Kunze umfasste ihn mit seiner weissen Pranke »58, Braun 1988a : 8). Ces phrases seront reprises quasi à l’identique lorsque Kunze tentera, dans un dialogue d’une violence extrême, d’obliger Kunze à le conduire avec Lisa.59 Le ton est donné : le travail n’arrivant plus à se dire en termes professionnels,60 la dictature réinvente la motivation disparue par le biais de l’émotionnel et recharge sentimentalement en quelque sorte le trait d’union. Il n’y a plus de frontière entre sphère privée et sphère politique : les conséquences de cette fausse union, de cette trompeuse idylle seront un des thèmes principaux du roman. L’amitié n’est plus alors qu’intérêt (Braun 1988a : 159), masque de la menace : « (Er fasste ihn am Genick) Na, Freund »61 (Braun 1988a : 80, voir également p. 33).
Symbole privilégié de l’atrophie du lien idéologique et social, à mi-chemin entre la relation de travail et la relation sentimentale (d’amitié ou d’amour) : l’embrassade, die Umarmung. Dernier geste qui tient du corps à corps, qui reste quand on ne sait plus quoi se dire et comment s’accrocher l’un à l’autre : « Der Staat, die Wüste der Liebe. […] Der Sand der Gewalt. Mit den dienstlichen Liebespaaren noch immer, Hinze und Kunze, in fester Umarmung » (Braun 1992 : 33). Tout le roman peut se lire comme un commentaire de cette dernière expression : l’adjectif fest caractérise l’ambivalence d’une embrassade qui peut étouffer. Ce geste, constamment ambigu, intervient de plus en plus fréquemment vers la fin du roman. Après lui avoir dit qu’il prenait en charge la paternité de son enfant, Kunze embrasse Hinze en silence (Braun 1988a : 175) dans un mélange de consolation et de persuasion. L’accolade est encore plus efficace que la défense, car elle désarme l’agressivité. Hinze ne peut rien faire : « Hinze wollte ihn packen, aber weil Kunze sich nicht wehrte, wurde es eine Umarmung »62 (Braun 1988a : 166). Mais l’apothéose intervient à la fin de la scène du bunker qui se termine par une allusion très claire au Roi des Aulnes de Goethe, et donc à la mort que le père ne peut empêcher : « […] deckte ihn mit seinem ganzen Leib, umarmte ihn, hielt ihn sicher und warm –»63 (Braun 1988a : 190). Ce n’est pas un hasard si cette scène se déroule au cours de la troisième nuit. Kunze et Hinze vivent à leur manière une sorte de passion, celle d’une relation que la violence de la société a contraint à être extrême et qui pourtant ne peut se dire autrement, tant est forte la volonté d’établir un lien. Les lignes précédentes témoignent de fait d’une volonté acharnée d’ancrer dans l’éternité un lien d’amitié :
Und doch fühlte er sich sicher wie nie in seiner Haut, […] weil ihr Verhältnis seine richtige, dauerhafte, eine neuartige Form gefunden hatte, in der es ewig bestehen konnte.64 (Braun 1988a : 189)
Mais cette forme ‘juste’ est dans sa nature même stérile et finit par tuer toute forme de vie et de spontanéité, comme le suggère la métaphore du béton, classique chez Volker Braun pour signifier l’arrêt de toute dynamique et donc de tout espoir. Le narrateur ne peut aller plus loin dans l’expression du tragique de la réalité, dans la description d’une relation qui n’est plus que ce qui reste à Hinze et Kunze et qui pourtant dans sa réalisation est la négation même de la vie qu’elle veut susciter. Isolés du peuple, ils restent seuls, figés ensemble et sans pouvoir bouger, condamnés à se supporter : « Aber sie waren hier, sie hielten sich hier fest. Sie hielten es miteinander »65 (Braun 1988a : 190)66.
L’homme est depuis Aristote un ‘être social’, le terme ‘social’ signifiant à la fois « ce qui concerne les alliés, ce qui est fait pour la société » et « nuptial, conjugal » (Rey 1992 : 3530). A partir du moment où le lien établi par le travail entre les membres d’une société se délite et ne satisfait plus à la fonction que lui définit le communisme, la libération de l’aliénation, s’y substitue le lien affectif en charge alors de construire une relation, de transformer ce trait d’union en un instrument de libération et de vie. L’écriture ne sépare en allemand Liebe de Leben que par une seule lettre. Comme le souligne en effet un titre des Berichte : « Die Liebe ist ein Kind der Freiheit » (Braun 1991 : 33).
2. « Das Liebesverhältnis » – La relation amoureuse
L’amour apparaît comme un idéal que les diverses formes de relations affectives tentent en vain d’approcher dans le roman. Une des caractéristiques de leur mode de fonctionnement réside dans le fait qu’elles font toutes intervenir la relation au corps, la matérialité très concrète d’un quotidien qui pour vouloir être socialiste et ‘scientifique’ n’en est pas moins humain. Ces relations rappellent tout simplement chacune à leur manière que ce qui relie les hommes entre eux, ce n’est pas seulement la parole, mais également le corps, sujet ô combien tabou en RDA.
Dans la discussion sans fin sur le réalisme socialiste, qui dépasse le contexte purement artistique et pose indirectement le statut de la pratique au sein de la théorie scientifique du « socialisme réellement existant », Volker Braun apporte depuis longtemps sa réponse. L’homme peut changer les choses. Son principe d’espérance n’est rien d’autre que le réel :
Das Kriterium liegt in unserem Handel selbst, das bewusst, als Experiment, offen und überschaubar geschehen muss, offen vor aller Augen und änderbar ohne Stolz.[…] [Unsere Hoffnung] ist nicht gesetzt in etwas Anderes, in die Zukunft, sondern in das, was immerhin ist. Wir geben der Hoffnung Ausdruck, wenn wir vom Wirklichen reden (Braun 1982 : 55-56).
Lorsque le travail n’est donc plus à même de changer les choses – et force est de constater qu’il n’est plus question de changer la société dans le roman, tout est bétonné –, il reste l’affectif, voire l’amour, dût-il se manifester sous des formes exagérées, perverties, anormales pour donner à l’homme l’impression que quelque chose vit encore en lui, qu’il peut rétablir l’égalité et la liberté.
Face à un régime qui a été incapable d’instaurer une relation d’identification et de confiance avec ses citoyens tout en voulant investir leur vie privée, il ne reste plus qu’une dernière chance, le pari de l’émotion, ou pour reprendre les termes moins châtiés de Kunze : « […] das Vertrauen in die unteren Organe… »67 (Braun 1988a : 107). Aux dirigeants de RDA qui pallient l’absence de communication et de dialogue en la conjurant rhétoriquement : « Zusammen – war die Grosse Losung »68 (Braun 1988a : 115), le narrateur répond par la présentation de toutes les formes possibles de ce trait d’union entre les hommes et les femmes. La violence latente dans toutes ces rencontres n’est que la traduction de la violence avec laquelle l’Etat s’ingère dans les relations privées et personnelles de chaque individu. Elle se traduit par l’envahissement du politique par l’érotique ; elle se décline sur le mode du non-consentement, voire du viol (première scène avec Lisa, Braun 1988a : 50-51), de la prostitution (Braun 1988a : 88ss.), de la relation sadomasochiste (Braun 1988a : 125 ss.), voire de l’homosexualité (voir supra). L’homme se voit même privé de la paternité ; ni Kunze, ni Hinze ne sauront jamais si leur acte sexuel avec Lisa fut fécond.
2.1 L’envahissement du politique par l’érotique
L’irruption progressive des pulsions érotiques dans le politique et dans la parole se déroule chez Kunze une fois Lisa partie. Si cette pulsion qui ne souffre plus aucune censure vient infirmer les attestations réitérées de Kunze sur sa bonne santé – et par là-même sur celle de l’Etat –, s’il est ‘interné’ à la suite du dérapage lors d’une intervention dans une usine, elle lui a permis de prononcer des phrases essentielles, insérées pour cause de censure dans un contexte parodique et burlesque : « Wir haben ein Recht darauf. Auf Geborgenheit, auf Sicherheit, auf Glück. Es geht um unser Glück »69 (Braun 1988a : 120). Et s’il repart dans ce qui s’apparente fortement à un corbillard, si les arbres ont remplacé les hommes et sont eux-mêmes devenus une nature morte, c’est parce que la personne qui a malgré elle pris la liberté d’interroger la vérité du discours officiel est provisoirement mise hors d’état de nuire. Provisoirement, car la force de l’érotisme reparaît dans le cadre d’un congrès doublement fictif puisqu’il se déroule cette fois-ci dans l’imaginaire du narrateur soucieux de changer les idées à Hinze et Kunze qui viennent de se faire chasser par Lisa. Le narrateur prend ici la relève de Kunze. Scène rabelaisienne s’il en est, où le sexe est pris comme métonymie de l’individualité de chacun et où le traitement qu’il subit au cours du congrès – une censure physique, intervenant bien sûr quelques paragraphes après la scène avec Madame Messerle –renvoie aux dangers de l’égalitarisme outrancier et de la norme qui deviennent alors des formes perverties d’une solidarité autodestructrice. Le champ érotique qui fait fi de tout tabou permet ici de libérer la parole et l’imaginaire et de dénoncer le faux trait d’union que l’élite politique de la RDA impose en mettant très concrètement en pratique les conséquences réelles d’une telle rhétorique. C’est en renversant la hiérarchie dans un mouvement typique du réalisme grotesque tel que le définit Bakthine que l’écriture recrée une dynamique qui s’affranchit du point de vue dominant sur le monde.70 L’écriture (deuxième trait d’union du titre) ne manque pas non plus son effet libérateur pour Hinze et Kunze qui se retrouvent ainsi à la fin de ce morceau de bravoure à égalité devant le narrateur : « Gleich darauf sah ich Kunze und Hinze, Hand in Hand, ins Kaltwasserbecken springen [….], aber die Beine nicht mit den Armen umfasst, was […] in solcher Unvollkommenheit etwas Rührendes hatte »71 (Braun 1988a : 157). Le trait d’union est ici concrétisé par une poignée de main authentique (à ne pas confondre avec une autre poignée de main) et par une gestuelle qui gagne en humanité et en liberté ce qu’elle perd en perfection et en volonté d’enserrer ou d’enfermer.
2.1.1 La liberté de se prostituer
L’intermède de la prostituée qui se déroule à Hambourg aborde sous un autre angle la dialectique des relations entre la sexualité et la liberté. Qu’en est-il de cet acte dans cette autre Allemagne – libre, elle ? Une expérience à ne pas mettre entre toutes les mains ; c’est un des rares moments où Kunze est seul, une allusion discrète mais efficace à l’importance de Hinze et à la difficulté de l’homme à se passer d’un alter ego ! Le fait d’être seul aurait été de fait pour le narrateur une raison suffisante de ne rien écrire : « Folgende Reise musste Kunze allein unternehmen. Grund genug, kein Wort und kein Kapitel darüber zu verlieren »72 (Braun 1988a : 88). Mais Kunze n’était pas si seul que cela ! Après avoir fait part de son malaise idéologiquement justifié dans une société capitaliste, il finit par arriver dans le quartier de la Reeperbahn, au hasard, bien sûr (« planlos »73, Braun 1988a : 88), un hasard qui fait bien les choses peut-être, le narrateur laissant à la morale de chaque lecteur le soin de juger ce qu’il préfère, le quotidien ‘planifié’ ou non.
Ce quartier dans lequel l’amour est un commerce semble à première vue idyllique et déborder de liberté et d’égalité :
Hier ging man spazieren, unter freiem Himmel, sorglos, wie es schien, aber nicht teilnahmslos, man zeigte Interesse aneinander. Ein Wandel wie in einer zukünftiger Welt !74 (Braun 1988a : 89).
Si le partenaire est présenté de façon impersonnelle, man, la communication semble néanmoins s’instaurer en toute égalité, terme répété par deux fois : « Hier ergingen sich Gleichgesinnte, sie waren Gleiche […] »75 (Braun 1988a : 89). Mais de quel dialogue s’agit-il lorsqu’il ne fait pas apparaître de sujet locutoire, qu’il se positionne dans l’espace comme s’il était un dialogue de théâtre mais n’est en fait qu’un monologue, puisque Kunze ne répond pas aux questions posées sous le couvert de l’anonymat ? Quel est le statut de ce dialogue entre ‘étrangers’ ? Si Kunze perçoit aussi positivement ce paysage (le terme de « Landschaft »76 (Braun 1988a : 88) qui réintroduit la nature n’apparaît pas par hasard au début de cette scène), c’est parce qu’il ne le connaît pas. Il le décrit, sans le comprendre, dans l’innocence supposée (mais là n’est pas la question) de son ignorance, d’un état originel d’avant la Chute, d’avant la connaissance. D’où la question du rôle du savoir et de la connaissance pour la liberté et l’égalité des hommes, une question qui va se poser très concrètement dans la scène suivante.
Kunze ne connaît du capitalisme que ce que le socialisme lui a appris. La première confrontation de ce savoir avec la réalité semble venir infirmer ce savoir. Le jeu des apparences est donc en faveur du capitalisme : « Der Kapitalismus, was sonst auch gegen ihn gesagt sein musste, gab sich freier »77 (Braun 1988a : 90). L’ancienneté du capitalisme lui donne paradoxalement une certaine sécurité qui fait moins ressentir les contraintes, un avantage que n’a pas la RDA : « Die neue Zeit begann mit dem BEFEHL NR 1 »78 (Braun 1988a : 90). Dans l’histoire des Etats, comme dans celle des hommes, tout commencement suppose donc des ordres, fussent-ils mâtinés et maquillés d’une solidarité idéologique. La comparaison traitée ici sur le mode comique entre le système capitaliste et communiste, qui se joue sous couvert d’un corps à corps progressif puis violent, renvoie les contradictions des deux régimes dos à dos en dévoilant dans et par la pratique leurs apparences respectives – au propre et au figuré. Au capitalisme apparemment libre mais régi par le commerce répond la pseudo-solidarité internationaliste qui fait de la RDA le grand frère d’une grande famille, un grand frère qui n’hésite pas à recourir à la force pour faire valoir ses droits, en l’occurrence ici le viol. Cette communication qui avait commencé sous un jour si prometteur se termine dans la violence ; là où il y a de la liberté, il a des Freier. L’expression de « […] natürliche Mädchen […] »79 (Braun 1988a : 90) ne pouvait que précéder celui de capitalisme et de « nouvelle société ». La scène se termine sur un terme qui conclut chaque apparition de Kunze chez une femme, celui de Schwein.80
2.1.2 Lisa : la femme est l’avenir de l’homme
Etudier sous tous ses angles le personnage de Lisa dépasserait ici assurément le cadre de notre propos qui est de déterminer la nature du trait d’union entre Lisa, Hinze et Kunze, le rôle de la femme dans la création d’une société nouvelle de l’égalité, de la liberté et de la fraternité. Si Hinze n’est apparemment pas capable de retenir sa femme, c’est à lui du moins que le narrateur confère l’aptitude de disserter fort habilement de la nature de la femme et de ses différences par rapport à l’homme. Une différence intéressante dans une société égalitariste car elle est par nature irréductible.
Kunze apparaît dans cette scène bien en mal de donner la réplique, car il n’y voit pas très clair, au sens propre et figuré : « Kunze starrte in den Brodem »81 (Braun 1988a : 78).82 La théorie ici encore ne préjuge pas de la pratique, dans le domaine privé comme en politique. La relation de Hinze avec sa femme est structurellement la même que celle de la RDA avec ses citoyens : lui qui échoue pitoyablement avec sa femme dans la ‘pratique’, le voilà qui théorise avec habileté et expertise sur les femmes. Selon lui, les femmes ont pour avantage sur les hommes de ne voir que la réalité des choses et de les appréhender directement dans leurs aspects esthétiques et comiques, les deux vecteurs essentiels de liberté pour le narrateur :
Es ist weibliche Art, die Analyse zu hassen, und das entstandene Ganze, z.B. den Sozialismus, in seinem unmittelbaren Wert und seiner Schönheit zu genießen oder einfach darüber zu lachen.83 (Braun 1988a : 78)
La femme est l’être par excellence qui se soustrait à l’emprise de l’égalitarisme de la société et qui reste encore en relation avec la nature – comme le souligne la comparaison certes éculée mais que le contexte recharge ici d’un sens particulièrement fort de la fleur. En écho au monologue intérieur de Lisa lors de la première rencontre avec Kunze, le discours sur la femme est envahi par l’expression du ‘je’ : « sich selbst […] ihrer selbst willen »84 (Braun 1988a : 79). Elles sont le lien de l’individualité, de la subjectivité et possèdent ce don majeur, celui de voir la vraie vérité : « Die sehn durch dich hindurch »85 (Braun 1988a : 79). La femme est une ‘voyante’, à l’instar du poète qui a particulièrement marqué Volker Braun, Rimbaud.
Lisa porte la vie, au présent pour elle-même et au futur avec l’enfant qu’elle décidera de garder – contrairement à d’autres figures féminines des œuvres de Volker Braun. Elle est le seul personnage dont la vie ne dépend pas de la fiction littéraire, même si elle en paye le prix fort : « Und bin doch froh, wenn ich die Leute in der Lottum sagen höre – wie immer sie es meinen, es ist das einzige, was wir noch erfahren : die lebt »86 (Braun 1988a : 193). Si elle adopte une position d’humilité par rapport à Hinze et Kunze en se mettant systématiquement à genoux pour les saluer, elle est néanmoins la seule à refuser explicitement de rentrer dans les jeux de pouvoir, ce que Kunze appelle non sans ironie de la part du narrateur : « Diese Gleichgültigkeit gegen ihre Stellung! »87 (Braun 1988a : 163). À Kunze qui espère la voir le rejoindre hiérarchiquement – et on se prend à douter des vraies motivations de Kunze pour la qualifier – elle répond dans son dialecte berlinois, sa langue à elle, au sujet du pouvoir (« Die Macht ») : « Hab ich sie für mich? Was ist sie dann wert? »88 (Braun 1988a : 163). Et dans un corps à corps ambigu qui tient à la fois du hasard, d’une affection certaine pour Hinze, mais également d’une certaine violence, elle s’affranchit sous les yeux médusés de Kunze de tout rapport de domination qu’instaure le pouvoir et construit dans sa relation avec Hinze un « utopique méli-mélo » (Braun 1988b : 145).89 C’est grâce à elle, cet être d’avenir, que se réalise durant un court instant dans l’étreinte amoureuse la nouvelle vie que Kunze désire au plus profond de lui :
Das Leben begann erst, das sogenannte neue, Tag und Nacht, am Boden, da, wütend, schnaufend, schwitzend, verzweifelt, das er süchtig suchte. Er äugte benommen auf dieses Gefecht, diese unerhörte Gesellschaft90 (Braun 1988a : 164).
L’amour est donc la seule force qui permette de créer véritablement du nouveau, de changer les rôles, d’échapper à toutes les dominations orchestrées par le pouvoir.
Cet amour aurait presque eu le dernier mot puisque Kunze en perd presque son rôle de « maître » et qu’il faut l’intervention du narrateur pour l’y réinstaurer. Il en va de fait autrement dans la réalité, dans l’état naturel,91 que le narrateur se doit de décrire dans ses conséquences les plus affreuses (« […] entsetzlich […] »,92 Braun 1988a : 165). A la place de l’utopie réalisée, le lecteur assiste à la rébellion de Hinze et à la destruction de la voiture (voir supra). C’est ce même narrateur qui permet à Lisa de se glisser dans la position du lecteur et d’apprendre de ce fait le refus de Hinze d’assumer sa paternité, en d’autres termes d’assumer jusqu’au bout les conséquences réelles et à venir de son amour pour Lisa. L’amour n’aura donc pas le dernier mot puisque Hinze est incapable de mettre en pratique ses bonnes idées :
Ick höre ihm mit menschlicher Stimme sprechen. Er legt wie die Eselin Balaam Zeugnis ab for die Wahrheit. Det is det Liebeskraut, er träuft mir in die Ogen. Zwischen die Zeilen wächst et. Über den Rand. Wo allet schweigt, aba er sagt mal allet. 93 (Braun 1988a : 177)
Comme l’avait très bien analysé Hinze, les femmes ont de fait un autre sens de la vérité. Si la vérité reste pour Hinze un savoir théorique, sa connaissance est pour Lisa un motif d’agir en pratique, quel que soit le prix à en payer. Elle a le courage de répondre à la question : « Aba wat mach ick, wenn ich weess was ich weiss? »94 (Braun 1988a : 177) Prise entre un cochon et un âne, elle préfère la solitude, la rupture du trait d’union avec les autres personnages, mais également avec le narrateur qui essaie en vain de la retenir. Le prix à payer, pour continuer à vivre ou à survivre, est l’abandon de l’utopie, des possibles qu’avaient symbolisés si fortement les cadres vides de son entrée. Le doute est levé : les larmes qu’elle verse ne sont plus celles de ses rires – si elles l’avaient jamais été – mais bien celles de ses pleurs.
3 L’égalité, une utopie
Le renvoi par Lisa des deux hommes scelle donc non seulement l’impossibilité de tout amour partagé, mais également d’une possible égalité entre Kunze et Hinze qu’elle est la seule dans le roman à susciter – si l’on fait abstraction de l’égalité des deux personnages devant la représentation de la force qu’est le policier. Non seulement Lisa ne reconnaît pas la pyramide hiérarchique pour elle-même, mais refuse de l’appliquer aux relations des autres personnes entre elles, même si ces personnes, elles, ne se privent pas de l’appliquer comme le montrerait une analyse détaillée de sa première rencontre avec Kunze. Or l’égalité qu’elle veut instaurer entre les deux personnages par le sentiment qu’elle leur porte résulte également de l’effet pervers de la volonté partagée des deux hommes de posséder la même femme : « […] beide wünschten sich sehnlich ins Quartier, und beide in dasselbe »95 (Braun 1988a : 48), puis ensuite du probable adultère. Ce n’est assurément pas un hasard si Kunze répète, comme enivré par cette découverte, « Wir sind gleich »96 (Braun 1988a : 52) et si chacun répète à quelques lignes d’intervalles « meine Frau meine Frau »97 (Braun 1988a : 52). Mais Lisa a payé le prix de cet égalité ; elle perd littéralement la face et doit se confectionner un masque, symbole de l’individualité et de l’authenticité perdues, de l’immobilisme et de la mort déjà présents dans un poème de 1964, Meine Damen und Herren :
Sonst müsste ich mich festlegen auf mich
Sonst müsste ich auf meiner Stelle treten
In meiner letzten Rolle
Und mich einrollen
In diese bleibende Maske (Braun 1982 : 14)
La scène aurait pu se reproduire au retour de Kunze de sa cure. Les deux hommes jouent aux cartes en attendant que Lisa rentre de son cours du soir. Les rôles semblent s’intervertir puisque Kunze perd. Insensiblement, on passe du jeu de cartes (un jeu de société) au jeu amoureux : « […] sie warteten auf ihre Frau. Sie sahn sich nicht in die Karten. Sie hatten die gleiche Chance. Sie hielten es aus miteinander, gut und gerne »98 (Braun 1988a : 143). Mais l’irruption physique de Lisa, la confrontation avec la réalité change la donne. Certes, Lisa les traite à égalité, à tel point que le trait d’union disparaît et qu’ils ne forment plus qu’un : « Aber Lisa […] umarmte Hinze, und umarmte Kunze, umarmte Hinzeundkunze, küsste Hinzeundkunze […] »99 (Braun 1988a : 144). Mais cette égalité n’est qu’illusoire car elle se cimente dans la volonté conjointe mais inconciliable et désormais violente de posséder cette femme : « Sie galten Lisa gleich … aber sie waren es nicht! »100 (Braun 1988a : 144). La réponse de Lisa sera ici, comme à la fin du roman : « Ihr Schweine »101 (Braun 1988a : 145), puis la porte.
Il y a pourtant un moment dans le livre où le trait d’union disparaît, un moment si important que le narrateur a éprouvé le besoin d’inscrire sur la pierre cette nouvelle relation qui laisse de l’espace entre les deux prénoms, un espace qui réunit et qui sépare tout à la fois. Mais il faut un regard avisé pour lire ces inscriptions tracées à la craie, comme si la lecture en était réservée aux initiés : « Noch heute sieht man, mit geübtem Auge, ihre Kreidestriche auf den Platten: HINZE KUNZE »102 (Braun 1988a : 173). Il s’agit du moment qui précède la visite des deux hommes à leur fille, durant lequel ils retombent tout deux en enfance. Instant bien fugace certes, mais qui rappelle que lorsque le politique prend au sérieux les hommes, les choses changent : « Für Kinder, ja für Kinder geschah etwas »103 (Braun 1988a : 173). Le principe du plaisir est érigé en ligne de conduite et le château de sable devient un symbole connoté positivement du jeu libre de l’imagination et de l’inutilité de la lutte des classes : « […] Hinzes Faust […] öffnete sich, der Sand rieselte hindurch »104 (Braun 1988a : 173). Mais cette trêve est de brève durée. Le sable qu’il emmène dans la maternité n’est plus qu’un prétexte à un jeu de rôles certes comique mais sans conséquence, contrairement au rôle de père. L’enfant, malgré lui, redevient le facteur d’inégalité entre les deux personnages parce que son ‘vrai’ père a refusé de jouer son rôle, a contredit la nature.
Un autre moyen de résoudre la question du trait d’union consiste à refuser d’entrer dans la dialectique, ce que font deux personnages dans le roman, Hermann et le narrateur. Hermann (alias Arminius) dont le prénom évoque dans une perspective historique la libération de la domination étrangère, conduit lui-même sa voiture. C’est le seul personnage qui ne se laisse pas toiser du regard par Kunze des pieds à la tête, qui ne se laisse pas appréhender. Le malaise que Kunze éprouve à son égard dépeint avec comique le malaise des dirigeants de RDA par rapport aux artistes. Les artistes sont comme les femmes, ils sont d’un autre monde et leur travail ne peut donc faire l’objet d’aucune comparaison. Ils sont hors normes. Une fois fait le constat de cette différence, Kunze peut reprendre son regard de supériorité – d’un œil seulement puisqu’il a fermé l’autre : « […] Mit diesem überlegen verkniffenen Blick sah Kunze den Burschen nun […] »105 (Braun 1988a : 140). Mais ce regard doit se confronter à la vision d’une armée de libération en marche, celle des artistes dont la manière de vivre si libre reste décrite par le narrateur en des termes fort précautionneux.
En guise de conclusion : le trait d’union du roman
Si les deux personnages sont condamnés à rester dans leur rôle, le narrateur, qui lui aussi conduit seul sa voiture, finit par se poser des questions sur la vraie raison des lecteurs à vouloir eux aussi continuer à jouer un rôle qui pourrait devenir suspect aux yeux de la société : « […] Und ihr macht das mit … Wie halten wir das aus? Das wird auffallen, das wird zu Fragen Anlass geben […]»106 (Braun 1988a : 196). Le narrateur éprouve donc le besoin de se confronter à des lecteurs ‘réels’, de vivre physiquement ce lien par le biais d’une lecture sur des poèmes d’amour bien sûr. Si le cadre et le déroulement rappellent tout à fait volontairement les interventions politiques de Kunze, la discussion qui suit la lecture proprement dite permet d’échapper un bref instant à l’inégalité entre le narrateur et ses auditeurs : « Eine ungleiche Lage, aus der wir uns entliessen. Aber nun umstanden sie den Tisch […] »107 (Braun 1988a : 197). Ce n’est assurément pas un hasard si cette égalité permet à l’émotion de naître, même si c’est sous forme de pulsions analogues à celles de Kunze. Sous le regard d’une femme qui elle comprend, le narrateur se métamorphose : « Sie schien alles zu begreifen, was ich nicht begriff… was ich beschreibe »108 (Braun 1988a : 198). La fin de la lecture fait disparaître la femme. Le roman se termine sur un constat de maladie et d’incompréhension de soi. La décision de reprendre la voiture et de partir seul lui permet certes de rester libre, contrairement à Kunze qui a eu dans une situation analogue besoin de Hinze, mais au prix de la solitude et du silence qui clôt le livre.
Ce trait d’union d’égalité, de liberté et de fraternité que la société ne peut pas établir et que l’amour n’arrive plus non plus à construire, le narrateur se donne pour mission de le créer, sinon au sein même de son œuvre – par sa mise en abyme la fin témoigne de cette volonté qui reste cependant partiellement insatisfaite –, du moins avec ses lecteurs réels – et compétents. Recréer la relation : telle est l’objectif que Volker Braun assigne à l’art :
Etwas Greifbares, Lebendiges, eine wirkliche Beziehung – um nichts anderes geht es ja in der Kunst, und sie kommt aus dem Mangel, dem Verlangen nach Leben (Jucker 2004: 17).
Face au figement d’une société où plus rien ne change, seule l’écriture reste encore un moyen de faire bouger les choses puisque paradoxalement en devenant un point fixe, elle permet ensuite la comparaison avec la réalité : tel pourrait être le sens du Nachtrag.
Le roman permet de mettre en œuvre cette Gegensprache qui est l’essence même de la poésie telle que la définit Volker Braun à la relecture de Rimbaud :
Diese Poesie ist ja keine Zuflucht, sie ist ein Arbeitsraum.[…] Wir öffnen die Augen, die Seele ; wir können ein Land erschließen. Wir können schalten in dieser neuen Welt » (Braun, 1992 : 40).
C’est dans l’espace de liberté de pensée et de parole édifié par les complexes relations entre les mots que le lecteur, par son travail réel de lecture, redevient libre, heureux, grâce notamment au rire. Ce que la société de la RDA n’est pas parvenue à faire, établir entre les hommes un trait d’union comme trait d’égalité et de fraternité, l’écrivain y travaille pour y parvenir, ne serait-ce qu’en maîtrisant la contrainte des relations entre les mots pour en révéler tous les possibles, pour montrer que le ‘je’ est un autre, cet étranger que le narrateur suit à la dernière ligne de son roman. Aux dirigeants de RDA qui ont oublié dans leur mise en pratique du marxisme le « bas » matériel, qui n’ont plus réussi à motiver les individus à construire une histoire commune, Volker Braun propose ici une réflexion sur un autre jeu / je de société qui puisse répondre à la question du poème Das Eigentum : « Wann sage ich mein und meine alle » (Braun 1993 : 52).
Braun, Volker (1982). Es genügt nicht die einfache Wahrheit, Notate. Leipzig : Verlag Philipp Reclam jun.
Braun, Volker (1988a). Hinze-Kunze-Roman. Frankfurt: Suhrkamp.
Braun, Volker (1988b). Le roman de Hinze et Kunze. Traduit de l’allemand par Alain Lance et Renate Lance-Otterbein. Paris : Messidor.
Braun, Volker (1990). Texte in zeitlicher Folge. Band 2: Hinze und Kunze. Leipzig : Mitteldeutscher Verlag.
Braun, Volker (1991). Texte in zeitlicher Folge. Band 7: Berichte von Hinze und Kunze. Hinze-Kunze-Roman . Leipzig : Mitteldeutscher Verlag.
Braun, Volker (1992). Texte in zeitlicher Folge. Band 8: Rimbaud, Die Übergangsgesellschaft. Leipzig : Mitteldeutscher Verlag.
Braun, Volker (1993). Texte in zeitlicher Folge. Band 10: Rot ist Malboro. Leipzig : Mitteldeutscher Verlag.