Davide Vago, Le tissage du vivant. Écrire l'empathie avec la nature (Pergaud, Colette, Genevoix, Giono)

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Davide Vago, Le tissage du vivant. Écrire l'empathie avec la nature (Pergaud, Colette, Genevoix, Giono), Dijon, Éditions universitaires de Dijon, coll. "Écritures", 2023. ISBN 978-2-36441-477-8

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Cette monographie sur le vivant entraîne le lecteur dans le monde de la recherche écopoétique et zoopoétique à partir de son image de couverture riche en symbolisme et offrant plusieurs niveaux d'interprétation en relation avec les thèmes du tissage du vivant et de l'écopoétique dans la littérature. Cette image utilise le symbolisme du cerf, des branches d'arbre et des lettres pour illustrer l'interconnexion entre la nature et la culture, mettant en lumière comment la littérature peut refléter et honorer la vitalité et la complexité du vivant. Elle invite à une réflexion profonde sur la manière dont les récits et les poèmes peuvent tisser des liens entre l'homme et l'environnement, soulignant l'importance de cette relation dans le contexte de l'écopoétique.

Professeur associé en littérature française à l'Université Catholique de Milan et de Brescia, en Italie, Davide Vago a exploré la vision, le chromatisme, la sensation brute, ainsi que l'histoire de la couleur chez Proust. Il a été conquis par son amour pour un langage qui constitue l'un des fondements de la relation au monde, faisant naturellement de l'écopoétique son domaine de prédilection. À partir de 2015, son travail prend un tournant important, celui de l'ouverture de l'écriture à l'altérité, valorisant l'empathie et le vitalisme. Il s'engage alors dans l'écocritique et l'écodiscours, devenant l'initiateur de l'un des premiers colloques sur ces sujets en Italie.

Dans son ouvrage Le tissage du vivant. Écrire l'empathie avec la nature, Davide Vago explore les œuvres de quatre écrivains majeurs : Louis Pergaud, Maurice Genevoix, Colette et Jean Giono. Ces auteurs sont analysés en profondeur dans un court essai structuré en cinq chapitres, précédé d'une préface rédigée par Anne Simon. Elle y retrace sa première rencontre avec Davide Vago, et en fait un point de départ pour une présentation de l'écrivain. Elle s'attache également à contextualiser le livre en question en en détaillant les points forts et les aspects novateurs. En combinant une analyse du contenu avec une réflexion sur la démarche intellectuelle novatrice de l'auteur, Anne Simon parvient à offrir une introduction riche et nuancée, qui prépare le lecteur à une lecture attentive et éclairée.

Une partie de l'introduction intitulée « De l'écocriticisme à l'écopoétique » et le premier chapitre (« Percevoir la nature : L'empathie ») établissent le cadre théorique de l'ouvrage. Vago y définit l'empathie dans les domaines de la psychologie, des neurosciences et des sciences humaines, avant de détailler les stratégies énonciatives qui permettent un décentrement de la perspective humaine, souvent anthropocentrique, dans le texte littéraire.

L’auteur explore la distinction entre « sympathie » et « empathie ». La sympathie est souvent décrite comme une réaction émotionnelle de compréhension envers les autres, mais à distance. L'empathie, en revanche, implique une connexion plus profonde, où l’on ressent les émotions et les expériences de l'autre comme si elles étaient les siennes (25-26). L’auteur analyse comment cette évolution du concept permet une meilleure compréhension des relations humaines, mais aussi de notre relation avec la nature (33). En passant de la sympathie à une empathie plus profonde, l’auteur aborde la manière dont les récits et les arts peuvent nous aider à développer une empathie envers les non-humains (21). Il s'agit d'analyser notamment comment les psycho-récits (38) et les expressions non verbales (phrases sans paroles et points de vue) permettent d'entrer dans la peau d’animaux ou d’éléments naturels.

Les chapitres suivants se concentrent chacun sur un auteur spécifique : « Louis Pergaud : observer et raconter le milieu animal » ; « Colette : écrire sous le signe de la bête » ; « Maurice Genevoix : célébrer la vie malgré tout » ; et « Jean Giono : réinventer les genres pour traduire le magma panique ».

Dans le deuxième chapitre, Vago s’appuie sur la théorie de l’Umwelt1 développée par Jakob von Uexküll. Vago analyse la représentation du monde animal chez Pergaud, notamment dans ses récits les plus célèbres, tels que La Tragique Aventure de Goupil et Miracle de Saint-Hubert, pour montrer comment Louis Pergaud, écrivain et naturaliste, décrit le monde animal (46).

En passant en revue Dialogues de bêtes et La Chatte de Collette, l’auteur examine comment Colette transcende la simple observation pour atteindre une forme d’empathie qui brouille les frontières entre l’humain et l’animal, illustrant ainsi la complexité des relations interespèces. Vago s'intéresse particulièrement à la manière dont Colette aborde les thèmes de la monstruosité et de l’hybridité dans La Chatte. Ce roman, qui présente un triangle amoureux entre un homme, sa femme et sa chatte, explore les tensions entre animalité et humanité.

Genevoix, connu pour son approche sensible de la nature et des animaux, s'efforce de capturer la parole animale non pas comme une simple projection humaine, mais comme une tentative sincère de représenter leur monde intérieur. Dans le chapitre consacré à Genevoix, Vago explore dans quelle mesure Genevoix a réussi à créer un lien profond entre les lecteurs et les animaux, en les présentant comme des êtres dotés de leur propre dignité et réalité.

En considérant le corpus de Giono, comprenant Colline, Regain, Que ma joie demeure, Solitude de la pitié, et Le Chant du monde, Vago explore la manière dont Giono décrit la nature à travers les sensations physiques qu’elle suscite, conférant ainsi une dimension très sensorielle à ses récits, où le corps devient le principal médiateur de l’expérience du monde. L'auteur étudie comment Giono élargit la notion d’habitat en incluant une vision plus holistique du monde, dans laquelle chaque élément naturel contribue à la construction d’un foyer partagé entre l’homme et la nature : « le monde de Que ma joie demeure, à sa manière, s'adresse à notre monde contemporain - pour qu'il soit à même d'imaginer celui de demain » (134).

Vago met en évidence comment ces écrivains intègrent des éléments non humains dans leurs œuvres, en citant des exemples tels que Goupil, le renard de Pergaud (56), la chatte du roman éponyme de Colette (73), ou encore l’influence de l’animal dans l'oïkos chez Genevoix (96) et la vitalité de cet oïkos chez Giono (116). Ces éléments sont traités comme des sujets à part entière de leurs récits, tissant ainsi des liens profonds avec le monde vivant, à une époque où la conscience de la fragilité et de l'importance de la nature émergeait de manière significative.

Vago écrit :

Les récits littéraires que nous analysons représentent en définitive l'espace de liberté où le point de vue d'un écrivain peut s'élargir et envisager le réel, le saisir, le concevoir, le réinventer à partir d'une perspective autre. L'empathie avec le vivant chez Pergaud, Colette, Genevoix et Giono représente donc l'expression d'une attention, d'un souci pour la nature qui va de pair avec la création de configurations littéraires originales. (41)

Vago joue un rôle clé dans le renouvellement du canon littéraire et l'exploration des problématiques écopoétiques, en les intégrant aux domaines de la linguistique et de la stylistique. Il s'appuie notamment sur les travaux d'Alain Rabatel concernant le point de vue, un tournant majeur dans l'analyse du discours et des études linguistiques.

En élargissant son approche à l'écopoétique et en se concentrant sur l'empathie, Davide Vago construit un panorama historique des études antérieures tout en présentant l'état actuel de la recherche sur l'empathie, apportant ainsi une contribution significative à ce renouveau stylistique. Il adopte des perspectives uniques, telles qu'un ancrage dans la phénoménologie, une exploration des sciences du vivant, et une approche didactique riche et approfondie. Cette démarche lui permet de proposer des micro-lectures captivantes de divers passages littéraires, ainsi que des analyses plus globales de certains motifs liés aux animaux dans le corpus choisi, tels que le monde animal, l'intériorité et le point de vue des animaux, ainsi que la parole animale.

Ce livre offre une réflexion riche et profonde, éclairant non seulement les œuvres littéraires étudiées, mais aussi les dynamiques écopoétiques contemporaines et les interactions entre littérature, nature et empathie. Par cette analyse détaillée, Vago nous invite à reconsidérer la place de la nature dans la littérature et à apprécier la profondeur de l'empathie que les écrivains peuvent tisser avec le monde vivant. Il offre une base théorique solide et des analyses détaillées qui peuvent servir de référence pour des recherches ultérieures dans les domaines de l'écopoétique, de l'écocritique et des études littéraires. L'intégration de concepts issus de la psychologie, des neurosciences et des sciences du vivant enrichit les perspectives de recherche et peut inspirer des études interdisciplinaires similaires.

Le tissage du vivant. Écrire l'empathie avec la nature est une contribution significative à la compréhension de l'écopoétique et de l'empathie dans la littérature. L'ouvrage se distingue par sa profondeur d'analyse et son intégration de perspectives interdisciplinaires. Il est particulièrement recommandé aux étudiants et chercheurs en littérature, écocritique et sciences humaines, ainsi qu'à toute personne intéressée par les interactions entre littérature et environnement.

Notes

1 L’Umwelt désigne le monde perçu et vécu par une espèce en fonction de ses capacités sensorielles et de ses besoins. Return to text

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Zahra Esmaeili Khoshmardan, « Davide Vago, Le tissage du vivant. Écrire l'empathie avec la nature (Pergaud, Colette, Genevoix, Giono) », Éclats [Online], 4 | 2024, . Copyright : Licence CC BY 4.0. URL : https://preo.u-bourgogne.fr/eclats/index.php?id=588

Author

Zahra Esmaeili Khoshmardan

Université Sorbonne Nouvelle, THALIM, UMR 7172

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