Eric Bacher a appartenu au PCMLF (PCML légal dès août 1978) entre 1976 et 1986. Il est aujourd’hui journaliste municipal en Seine Saint-Denis et a occupé, pendant un an, un poste d’attaché parlementaire d’Hélène Luc, sénatrice PCF du Val-de-Marne. Eric Bacher a pris contact avec le comité de rédaction de Dissidences à l’occasion de la préparation du numéro sur les prochinois et maoïstes en France. Son témoignage a été recueilli par échanges de mails avec Stéphanie Rizet, entre octobre 2009 et mars 2010. Ce document en constitue une version remaniée par l’interviewé.
Pourquoi témoigner dans ce numéro de Dissidences ?
Peut-être l’envie (ou le besoin) de mieux faire connaître le mouvement marxiste-léniniste et, plus spécifiquement, le Parti communiste marxiste-léniniste de France, trop souvent assimilé à un groupuscule gauchiste stalinien et maoïste. Loin des extravagances de la Gauche prolétarienne (GP) où fourmillaient maints intellectuels et étudiants « petit-bourgeois », le PCMLF se voulait le continuateur révolutionnaire du PCF rongé, comme on le clamait très fort, par le révisionnisme krouchtchévien. Et il est à noter que, contrairement à la GP, de nombreux salariés (ouvriers et employés) ainsi que des petits agriculteurs (souvent du Midi de la France) militaient au sein du PCMLF.
De plus, je déteste les reniements, très à la mode en ces temps de désillusion. Par mon humble témoignage, chacun pourra comprendre que le mouvement marxiste-léniniste (PCMLF et aussi PCRml) a été l’expression la plus radicale, la plus conséquente et la plus déterminée de l’affrontement avec le capitalisme (notamment, et on l’oublie souvent, à travers la grève des loyers des travailleurs immigrés des foyers Sonacotra de la région parisienne).
Et puis, en ces temps de reniements faciles, il est bon de rappeler que les communistes marxistes-léninistes avaient (je l’ai toujours) un idéal de libération de l’être humain. Je persiste à penser (sans aucun dogmatisme) que le marxisme-léninisme demeure le meilleur outil philosophique et politique contre l’aliénation capitaliste.
Voilà le pourquoi de mon témoignage dans votre revue Dissidences. Une seule épine (et elle est grosse) dans cet engagement de simple communiste, les relations entre le PCMLF et le Parti communiste du Kampuchéa démocratique de Pol Pot, Ieng Sary et Kieu Samphan.
DU PCF au PCMLF
Mon engagement au PCMLF a débuté, je pense, par une révolte personnelle envers mon père (rien de plus normal pour l’ami Freud). Gaulliste de cœur, il partait parfois dans un anticommunisme primaire qui ne lui ressemblait pas. Et puis, il y avait mon grand-père maternel, communiste, ancien Franc-Tireur Partisan dans le XIXe arrondissement de Paris, un homme que j’aimais et admirais. Avec lui, pas de palabres théoriques, mais des vérités politiques qui sonnaient juste : sur Staline, Stalingrad, l’antisémitisme (ma grand-mère était juive), sur la bourgeoisie française qui avait collaboré, sur la classe ouvrière qui avait su résister dans son ensemble, sur de Gaulle qui avait protégé Papon, Bousquet, Leguay…
Cette bourgeoisie qui avait collaboré était représentée, à l’époque, par Giscard d’Estaing et Poniatowski1. J’étais jeune et les peuples d’Asie du sud-est se libéraient du joug de l’impérialisme étatsunien. J’avais noué des relations avec des militants des Jeunesses communistes, mais leur militantisme ne me satisfaisait pas : trop consensuel, trop pusillanime. De plus, j’habitais à Corbeil-Essonnes, une ville dirigée par le PCF, dont le maire était Roger Combrisson, une figure locale du communisme municipal : cheminot, ancien résistant FTP, conseiller général puis député. Un homme honnête, fidèle au PCF.
Je « baignais » donc, de mon grand-père à mon maire, dans ce qui fut le plus beau et le plus noble du PCF : un Parti révolutionnaire, marxiste et léniniste. Le Parti d’André Marty, de Charles Tillon, de Maurice Thorez, d’André Tollet, de Marie-Claude Vaillant-Couturier, de Marcel Cachin, de Louis Aragon, mais aussi de Jacques Jurquet ou de Gilbert Mury.
L’Asie du sud-est s’embrasait, la Chine menait sa Révolution culturelle, le tiers-monde essayait de s’unir avec le Mouvement des non-alignés créé par Tito, Castro, Nasser et Nehru… et le PCF semblait être à la remorque du socialisme réel de l’Union soviétique. C’était Thermidor dans toute sa splendeur où la révolte était rejetée, la révolution condamnée. D’aucuns affirmaient même qu’il fallait faire avec l’Etat bourgeois et « humaniser » le capitalisme. J’étais perdu politiquement.
Et c’est sur le marché dominical de Corbeil-Essonnes que je devais rencontrer un jeune couple de militants du PCMLF (Isabelle et Lionel M.) qui vendait à la criée L’Humanité rouge. Ils avaient du courage, tous les deux, face aux militants du PCF avec L’Humanité Dimanche et à ceux de la LCR avec Rouge. C’est peut-être la solitude de ce jeune couple qui m’a, au début, ému et attiré. Il semblait avoir la vérité. Il était serein face aux lazzis des « révisionnistes » et des trotskystes locaux. Nulle violence dans ses propos. Aussi bien l’homme que la femme restaient calmes face aux provocations. Aucune haine, aucune acrimonie de leur part. Simplement le besoin de convaincre. Je leur achetais le journal, la revue théorique Prolétariat, ainsi que des écrits de Marx, d’Engels, de Lénine, de Staline, de Mao. Puis je suis allé chez eux, dans leur petit F3 de la cité des Tarterêts, décoré de posters des grands révolutionnaires ou de paysages de Chine et d’Albanie. On conversait des heures et des heures sur la Grande révolution de 1789, de Robespierre, de Babeuf, de la Commune, de la Révolution d’octobre et de la trahison des Partis communistes prosoviétiques. Parrainé par ce couple, j’adhérais au PCMLF quelques mois plus tard. Et je vendais, à mon tour, L’Humanité rouge sur le marché dominical.
De la Révolution française à la Révolution culturelle chinoise
Mon adhésion au PCMLF s’est effectuée en 1976, j’avais 18 ans et je préparais une licence de droit à la faculté de Tolbiac.
Aujourd’hui, 1er octobre [2009], la République populaire de Chine fête ses 60 années d’existence et je dirais, comme Lord Macartney en 1794, que « rien n’est plus trompeur que de juger la Chine selon nos critères européens »2. Permettez-moi donc de constater que la Chine populaire, ce sont deux fois plus d’habitants qu’en Europe, presque un quart de l’humanité, entassés sur un quinzième des terres cultivables dans le monde. Ce sont 56 nationalités, dont seul un régime fort peut contenir les tensions. Ce sont 5000 ans de culture raffinée. Ce sont beaucoup d’extrêmes dans le climat, dans le relief, dans la nature, d’où dans le comportement collectif, une tendance à passer d’un extrême à l’autre. C’est beaucoup de soumission au groupe, à la hiérarchie qui a reçu mandat de gouverner, au père, aux ancêtres, à l’ordre établi, aux traditions, l’obéissance ordinaire ne s’interrompant que pour des rébellions extraordinaires comme la Révolution culturelle… Et nos petits occidentaux (des Robert Ménard3 ou des Jean-Marie Domenach4) n’en reviennent pas de constater que la Chine est chinoise. Je dirais pour clore ces digressions sur la Chine, que le sous-développement est l’alliance de l’isolement et de l’immobilisme, relayés par la démographie. Le développement est le mariage de l’ouverture au monde et des innovations croisées. La Chine contemporaine a (enfin) pris le deuxième chemin.
J’adhère donc au PCMLF en mars 1976, quatre mois avant la mort de Mao Zedong. Cette disparition aura son importance pour le peuple chinois, mais aussi pour les partis marxistes-léninistes qui vont se déchirer, par la suite, entre pro-chinois maoïstes et pro-albanais hoxhaïstes (Enver Hoxha5). Le PCMLF est en deuil. Une délégation officielle, conduite par Jacques Jurquet, est reçue à l’ambassade de Chine populaire à Paris (principal donateur du Parti français). Mais le cataclysme politique a déjà commencé. Début 1977, plusieurs groupuscules pro-albanais voient le jour : l’Organisation pour la reconstruction du parti communiste français (ORPCF) à Strasbourg, Combat prolétarien, l’Organisation communiste marxiste-léniniste Eugène-Varlin… En 1979, la fusion de l’ORPCF avec Combat prolétarien aboutit à la création du Parti communiste des ouvriers de France (PCOF) qui existe toujours aujourd’hui.
Mon adhésion me donne une certaine fierté. Je milite dans un vrai Parti communiste qui reprend pour lui toute la grande tradition révolutionnaire française de Saint-Just au Colonel Fabien, de Blanqui à André Marty. Et ma première réunion de cellule est ressentie comme un choc. Elle se déroule à Saintry-sur-Seine (un village situé à deux kilomètres de Corbeil-Essonnes) chez un camarade éducateur. Un choc psychologique car les militants du PCMLF réagissent comme des militants d’un parti politique interdit et clandestin. Chacun s’appelle par un pseudo (Tonio, Carlos, Ben, Rosa, Louise…). Ces pseudos laissent planer un certain malaise sur la réunion qui ne dure qu’une heure. Je me souviens de Guy qui me dit, le visage ténébreux, « c’est plutôt une réunion pour faire connaissance, camarade ». Ce qui me gêne, c’est l’austérité du moment, une ambiance de comploteurs qui croient, sérieusement, être poursuivis par la police « de la bourgeoisie ». Il est vrai qu’à cette date, le PCMLF est un parti politique dissout. Il deviendra légal en prenant l’appellation de Parti communiste marxiste-léniniste (PCML) en 1978.
Le dimanche d’après, je retrouvais Isabelle et Lionel sur le marché, pour vendre L’Humanité rouge, et je leur fis part de mon malaise quant à ma première réunion de cellule. Je me souviens de leurs rires et de leur réponse : « Tu sais, certains camarades se la jouent à la Lénine exilé en Suisse ou en Prusse. Ne t’inquiète pas pour cela. Ce n’est que du paraître ». Leur réponse joyeuse me satisfaisait et je décidais de rester dans l’organisation.
La grève des foyers Sonacotra
Les réunions de cellule se tenaient à Saintry (2 km de Corbeil-Essonnes), car la majorité des couples appartenant au PCMLF vivaient dans ce village de bord de Seine. Des couples jeunes, avec un ou deux enfants, travaillant principalement dans l’éducation surveillée. Seul Lionel M. était ouvrier imprimeur à l’imprimerie de L’Humanité rouge, dans le 18e arrondissement. Il y avait aussi Louis, un ancien FTP qui avait quitté le PCF, mais qui ne voulait pas adhérer au PCMLF (pour ne pas peiner son ami et camarade Roger Combrisson, maire de Corbeil-Essonnes). Respecté pour son engagement durant l’occupation nazie, chaque membre de la cellule avait accepté sa présence lors des réunions. Il nous contait le maquis aux alentours de Milly-la-Forêt, les collabos qui sévissaient à Corbeil, les 4 familles juives raflées et le petit Simon qu’il avait caché durant cette période. Nous l’écoutions, émus, et ses récits se terminaient à chaque fois au son de l’Internationale. Nous avions un résistant communiste avec nous et nous étions fiers de sa présence. C’est un homme qui m’a beaucoup apporté pour nourrir et enrichir ma culture politique, aussi bien dans l’étude du matérialisme historique et dialectique, que dans l’histoire du mouvement ouvrier international. Par exemple, il n’acceptait pas que nous puissions rejeter Tito et la Yougoslavie. Pour lui, Tito était un vrai résistant et un grand dirigeant communiste.
Mais pour l’heure, ce qui attirait notre attention était la grève des loyers des résidents des foyers Sonacotra. Il est important de dire que ce sont les travailleurs immigrés eux-mêmes qui ont mené cette lutte. Sa durée (1975 à 1980), ses revendications (baisse des loyers, reconnaissance des comités de résidents, fin des contrôles racistes des gérants des foyers) donnent à cette grève une dimension d’avant-garde. N’oublions pas les autres revendications comme le droit de visite 24h/24 sans différence de sexe, le droit de réunion, le droit à des activités culturelles, l’interdiction au gérant de pénétrer dans les chambres des résidents… Plus de 35 000 travailleurs immigrés ont participé à cette grève qui avait totalement pris au dépourvu le PCF, la CGT et l’Amicale des Algériens en France. Notre cellule soutenait le foyer Sonacotra de Sainte-Geneviève-des-Bois. La confrontation était rude avec les permanents du PCF et de la CGT qui affirmaient que les travailleurs immigrés étaient noyautés par les « gauchistes maoïstes ». Le 24 avril 1976, de Barbès à Ménilmontant, 15 000 grévistes immigrés défilaient aux cris de Marx ! Engels ! Lénine ! Staline ! Mao ! Nous étions heureux. Le PCMLF était bien l’avant-garde révolutionnaire…
Je tiens à rajouter que, lors de cette grève des loyers, notamment au foyer de Sainte-Geneviève-des-Bois, j’ai rencontré et côtoyé des hommes formidables qui luttaient pour leur dignité. Je me souviens encore de Larbi, d’Amine, de Miloud… Ils travaillaient durant la journée et organisaient des cours d’alphabétisation le soir venu. Je me souviens de ces hommes qui pleuraient face aux saisies-arrêts sur salaire ordonnées par la justice. Que sont-ils devenus ces hommes fiers, modestes, humbles, musulmans par tradition familiale, et progressistes dans leur façon d’agir, de vivre, de penser ?
Patriotes et internationalistes
Le PCMLF représentait pour moi la continuité du combat patriotique et internationaliste du PCF. Combat qui s’est concrétisé, durant l’occupation nazie, avec le Conseil national de la résistance (CNR). En cela, il était aussi la continuité historique des soldats de l’An II à Valmy et des communards de 1871 qui se sont soulevés contre la bourgeoisie (déjà collabo) et la Prusse. Du père gaulliste au grand-père communiste, j’ai été vite empreint de cette fidélité (à caractère progressiste) à la Nation. Pour l’anecdote, je me souviens que, lors des repas dominicaux, mon père et mon grand-père aimaient répéter cette célèbre phrase de Malraux : « Entre les gaullistes et les communistes, il n’y a rien ! ». Il faut se rappeler que le programme du Conseil national de la résistance (aujourd’hui mis à mal par Sarkozy et consorts) a été rédigé par le communiste Pierre Villon qui reçut le mandat d’associer l’ensemble des forces patriotiques à l’élaboration du document sous la haute supervision de Jean Moulin. Le programme du CNR reste un document de portée humaine universelle, à mettre (je le pense) sur le même plan que la Déclaration des droits du citoyen de 1789. Je rappelle qu’en 1946, sous la présidence du général de Gaulle, la nationalisation d’EDF fut l’œuvre du communiste Marcel Paul. C’est Maurice Thorez qui mit en place le statut de la fonction publique. C’est Ambroise Croizat qui institua les retraites par répartition, les conventions collectives, les comités d’entreprise et la sécurité sociale. C’est toujours un communiste, le physicien Joliot-Curie, qui fonda le Commissariat à l’énergie atomique (CEA). C’est Wallon qui, aidé de Langevin, relança l’éducation nationale et jeta les bases d’une école laïque de qualité pour tous. De mon point de vue (et je persiste à y croire encore), le drapeau rouge de la classe ouvrière doit s’unir avec le drapeau tricolore des soldats de l’An II à Valmy. Cela signifie aujourd’hui la renaissance d’un parti communiste de plein exercice et d’un syndicalisme de classe et de lutte permettant au monde du travail de reprendre l’offensive.
Voilà les filiations historiques qui m’ont amené, en toute logique, au PCMLF. N’oublions pas, et ceci est important, que les dirigeants-fondateurs du PCMLF, tels que François Marty, Gilbert Mury, Raymond Casas ou Jacques Jurquet, furent des résistants communistes Francs-Tireurs Partisans (FTP) de la première heure (contrairement aux jeunes dirigeants trotskystes). Et cette « épopée » était étudiée dans les cours historiques du mouvement ouvrier donnés par un camarade de ma cellule. Etre marxiste-léniniste ne voulait pas dire renier sa patrie. Bien au contraire. C’est ce qui nous différenciait des trotskystes. Nous étions patriotes (au sens révolutionnaire du mot) et internationalistes, c’est-à-dire solidaires des peuples et des mouvements révolutionnaires du monde entier qui luttaient contre l’impérialisme (USA) et contre le social-impérialisme (URSS).
Dans notre cellule, les jeunes couples étaient majoritaires par rapport aux célibataires comme moi. Ce qui m’avait frappé lors de mes premières réunions, c’était l’effacement des femmes. Leurs maris parlaient, dialoguaient entre eux, et elles restaient un peu en dehors de la discussion, s’occupant des bébés ou des jeunes enfants. Seule Maria, la femme de Guy F., une languedocienne qui avait appartenu au Mouvement de libération de l’avortement et de la contraception (MLAC) apportait parfois son grain de sel. Elle donnait même la contradiction à son mari. Mais les autres se taisaient, écoutaient, approuvaient. Les marxistes-léninistes (contrairement aux trotskystes de la Ligue communiste, de Lutte ouvrière, de l’Alliance marxiste révolutionnaire ou du Parti socialiste unifié) considéraient le féminisme comme une réaction petite-bourgeoise qui niait le clivage de classe et qui focalisait le débat uniquement sur le sexisme. Annick Coupé, cofondatrice du syndicat SUD et ancienne militante du PCMLF indique que « cette organisation politique fut l’une des plus caricaturales, à cause de l’idée que la contradiction principale était la question du capital et du travail. Pour aller vite, le reste était assimilé à des luttes de la petite-bourgeoisie ». Sur cette question, je pense que nous étions sur la même longueur d’onde que le PCF. N’est-ce pas Jeannette Thorez-Vermeesch qui avait, dans les années 50/60, vilipendé le contrôle des naissances et condamné les thèses néo-malthusiennes défendues par de nombreux médecins communistes ? Idem sur l’homosexualité, je me souviens d’un jeune camarade instituteur de Brétigny-sur-Orge qui en parlait comme d’une « déviance issue de la bourgeoisie ».
En ce qui concerne notre formation, nous avions des cours de philosophie (Marx, Engels, Lénine, Mao bien sûr, mais aussi Hegel, Althusser, Gramsci…) et des cours sur l’histoire du mouvement ouvrier en France et à l’étranger. Je me rappelle que nous avions pris beaucoup de temps pour étudier la théorie du président Mao sur la division en trois mondes : les Etats-Unis et l’Union soviétique constituent le premier monde. Les forces intermédiaires, telles que le Japon, l’Europe ou le Canada, forment le second monde. « Quant à nous, avait déclaré Mao, nous sommes du tiers-monde. Toute l’Asie, toute l’Afrique et toute l’Amérique latine. Notre but est d’abord de combattre le premier monde en nous unissant, s’il le faut, avec le deuxième monde ». Ces cours se déroulaient souvent le dimanche après-midi, chez Lionel et Isabelle, dans leur appartement de la cité des Tarterêts.
Mon engagement au PCMLF m’a donné le goût de la lecture, de l’analyse, de la découverte. Je peux dire que ce parti m’a ouvert les portes du savoir et de la connaissance, dans les domaines littéraire et pictural. Par exemple, en étudiant un tableau d’un peintre soviétique, empreint de réalisme socialiste, on finit, comme moi aujourd’hui, par admirer la lumière des peintres italiens du Quattrocento. C’est le PCMLF, et ses militants dévoués, qui m’ont donné l’envie de savoir et de me cultiver.
Le soutien aux Khmers rouges ou l’autisme politique
A la mort de Mao Zedong, en septembre 1976, le chaos est imminent en Chine. La « Bande des quatre » emmenée par Jiang Qing, la veuve de Mao, commence à agir en prônant un gauchisme primaire. Houa Kouo-Feng, le nouveau président du Comité central du Parti communiste chinois essaie, vaille que vaille, de garder une ligne centriste en aidant à la ré-émergence de Deng Xiaoping, premier vice-président de la commission des affaires militaires du PCC. N’oublions pas que ce dernier avait été traîné dans la boue par les communistes marxistes-léninistes. Ceux-ci sont donc forcément déroutés. En France, seuls le PCMLF et le PCR(ml) s’expriment chacun de leur côté. Le PCR(ml) est né de Front Rouge (une scission du PCMLF en 1970 qui se distinguait par son spontanéisme). Le PCMLF accorde sa totale confiance au gouvernement chinois. Le PCR lui, ne dit mot et reste dans l’expectative, d’autant qu’en Albanie, Enver Hoxha et le Parti du travail avaient été tentés de soutenir la « Bande des quatre ». C’est ce qui produira la scission strasbourgeoise du PCMLF en donnant naissance à l’Organisation pour la reconstruction du parti communiste français (ORPCF) qui, en 1979, deviendra le Parti communiste des ouvriers de France (PCOF). A Corbeil-Essonnes, un seul camarade devait quitter la cellule pour rejoindre l’ORPCF. La discussion fut vive ce soir-là et il fut exclu à l’unanimité.
Mais c’est aussi en 1976, que la République khmère devient la République du Kampuchéa démocratique (!), avec Pol Pot comme premier ministre. La direction du PCMLF s’engouffre dans une collaboration très étroite avec la direction du Parti communiste du Kampuchéa. Pourtant, jamais un régime n’avait imposé une telle dépossession de soi à la totalité d’un peuple.
Cette question me taraude depuis des années… Dès 1975 un soutien tacite au gouvernement du Kampuchéa démocratique a été opéré par le PCMLF, mais aussi par tout un courant progressiste (Olivier Todd, etc…). L’impérialisme étatsunien avait subi une défaite imposée par un tout petit peuple du tiers-monde. En septembre 1978, une délégation officielle du PCMLF séjourne au Kampuchéa. A ce moment, les militants du PCMLF avaient une manière impavide avec laquelle on affirme des choses que les réalités « têtues » ne cessent de démentir. Il faut dire que le soutien au Parti communiste du Kampuchéa (PCK) se faisait principalement sur la base de la « théorie des trois mondes » chère au gouvernement chinois, et au nom du combat contre le social-impérialisme soviétique représenté en Asie du sud-est par le Vietnam considéré comme « expansionniste ». C’est à cette époque que des tensions frontalières ont lieu entre les deux pays. Ce qui se traduira, ensuite, par une intervention militaire directe du Vietnam au Cambodge. Quand l’URSS interviendra en Afghanistan, toute cette logique sera confirmée et il sera très difficile dans ce contexte d’analyser la politique du PCK sereinement. Une politique qui relève pour l’essentiel du gauchisme : égalitarisme, tentative de « communisation » rapide de la société par une anticipation brûlant les étapes nécessaires.
Ce gauchisme du PCK se concrétise, par exemple, avec la suppression pure et simple de la monnaie, des salaires, avec l’évacuation de la population citadine vers les campagnes… Cette tendance à nier l’existence de contradictions au sein du peuple, à les traiter comme des oppositions avec un ennemi, s’est forcément manifestée dans la manière de traiter les contradictions politiques au sein du PCK. La disparition de certains dirigeants, tel Hou Youn (un des fondateurs historiques du PCK), ministre de l’Intérieur de surcroît, dans le gouvernement clandestin de la Résistance jusqu’en 1975 en est un exemple. Mais citons, aussi, Keo Meas (un des fondateurs du PCK), Mey Pho (le plus illustre des vétérans communistes), Noang Suon (ministre de l’Agriculture), Touch Poeum (ministre des Travaux publics), Sien An (un des fondateurs du cercle marxiste de Paris, embryon en exil du futur PCK) et Hu Nim (ministre de l’Information).
Ce gauchisme exacerbé a fait 1,7 millions de morts. Ce qui est troublant c’est que les révolutions soviétique, chinoise, cubaine ou vietnamienne ont visé l’avenir. La révolution khmère, au contraire, a valorisé le passé, « le peuple ancien », pur, meilleur que « le peuple nouveau ». Tout ce qui est nouveau est à rejeter : les biens modernes n’avaient plus aucune valeur. Dans cette ligne de pensée, les habitants des villes avaient donc l’esprit vicié. Ils devaient changer d’attitude et redevenir de vrais khmers en vivant dans les forêts, les montagnes et les rizières. En défrichant, en labourant, en cultivant, les citadins redeviendront des Khmers. De là les dirigeants ultra-nationalistes (ce qui n’a rien à voir avec le marxisme-léninisme) du PCK choisissent de faire disparaître tous ceux qui ont « le corps cambodgien et la tête vietnamienne ». En résumé, l’on peut dire que le PCK n’était pas internationaliste, mais nationaliste. Le PCK contenait une dimension raciste : « il faut protéger la pureté de la race khmère » faisait partie des slogans les plus répétés par les dirigeants. Il avait refusé aux personnes la libre disposition de leur identité, de leur temps, le libre choix de leurs relations.
Jamais, dans l’histoire des hommes, ne fut poussée aussi loin la négation de la dignité qui est en chaque être humain. Jamais un régime politique n’a imposé une telle dépossession de soi, non pas uniquement à une catégorie donnée d’individus, mais à la totalité de la population. Le PCK avait exprimé la volonté de passer à une société nouvelle « en un seul bond », sans ménager la moindre transition. Il s’agissait de faire mieux que Lénine et Staline, d’aller plus loin que les Chinois et les Vietnamiens dans l’édification de la société de leurs vœux. Enfin, le PCK a manifesté, comme rarement dans l’histoire de l’humanité, le mépris le plus total pour l’être humain. Des slogans comme « notre cœur ne nourrit ni sentiments, ni esprit de tolérance » ou encore « qui proteste est l’ennemi, qui s’oppose est un cadavre » en témoignaient largement…
Voilà ce que je peux dire sur le Kampuchéa. Et ce qui me touche toujours, c’est que des militants honnêtes du PCMLF se targuaient d’une indifférence à l’égard des faits et avaient la capacité de résister au réel. C’était une forme d’autisme politique qui n’était pas perceptible au moment des faits. Et qui peut troubler aujourd’hui.
L’autisme comme risque de l’engagement
Pour comprendre cet autisme politique, je reprendrai ce qu’écrit Jean-Claude Guillebaud dans La Force de conviction :
« Un espace existe entre une théorie et celui qui y souscrit, un interstice séparant toujours la froide rigueur d’une idéologie et la palpitante et problématique adhésion de ses adeptes ».
La question éthique qui se pose alors est bien plus difficile que ne le laisseraient croire les polémiques ordinaires sur la responsabilité historique des militants politiques ou de ces « clercs » dont Julien Benda dénonçait en 1927 la « trahison ». Il faut revoir, avec lucidité, le contexte historique car rien n’est subjectif. N’oublions pas que huit mois avant la délégation officielle du PCMLF, Pol Pot avait reçu, le 18 janvier 1978, Deng Yingchao, vice-présidente de l’Assemblée nationale populaire chinoise et, surtout, veuve de Zhou Enlai. L’aura historique de cette petite femme a donné à cette visite officielle une grande visibilité diplomatique par laquelle Pékin voulait montrer son appui au « Kampuchéa démocratique ».
Le PCMLF ne pouvait pas faire autrement que de soutenir le PCK. Et comme la géopolitique a toujours ses mystères, il faut savoir que c’est le « droitier » Deng Xiaoping qui appelle à soutenir les « gauchistes » du PCK. C’est lui qui donne l’ordre de leur livrer l’armement nécessaire contre les forces vietnamiennes et c’est toujours lui qui leur ouvre les portes de Washington, de l’ONU et de Paris, au nom de la « souveraineté nationale » du Cambodge qu’ils étaient censés représenter après avoir perdu le pouvoir… Démêler le vrai du faux était d’autant plus nécessaire que nous devions faire face à une campagne idéologique anticommuniste qui ne faisait pas dans le détail, mettant les mouvements indochinois dans le même sac « totalitaire », et qu’à l’opposé, les Khmers rouges, au pouvoir et en exil, bénéficiaient d’une grande sympathie chez les intellectuels progressistes réputés (comme Olivier Todd ou Samir Amin).
C’est un peu difficile à imaginer aujourd’hui, mais à l’époque, ils étaient nombreux ceux qui cherchaient un « modèle cambodgien » de développement, porteur d’une rupture véritable avec le capitalisme et d’un radicalisme de bon aloi. Les « Khmers verts » n’étaient pas loin… Pour certains, pas de mystère. Les Khmers rouges ne seraient qu’une expression « ultra » du communisme ; ou du « stalinisme », selon une version trotskysante. L’histoire, ses contraintes et ses déterminations, ses ruptures et ses carrefours, ne trouve plus place dans l’analyse. La politique mise en oeuvre par le PCK n’est pourtant pas une version radicale du Parti communiste chinois trente ans plus tôt. Le PCC a toujours voulu consolider ses bases sociales. A l’inverse, le PCK a désintégré (dans les villes) ou fragmenté (dans les campagnes) le tissu social, en prétendant reconstituer « un peuple nouveau ».
Aujourd’hui, il ne s’agit pas seulement de comprendre, mais aussi d’être mieux à même de combattre une menace qui surgit de l’intérieur d’une lutte d’émancipation sociale, tout en gardant pour « ligne de marche » une conception marxiste (et léniniste) très classique de la révolution.
Je rajouterais, pour terminer mon propos sur l’honnêteté des militants marxistes-léninistes, que l’engagement politique témoigne ordinairement d’un souci du bien commun (si cher à Saint-Just) et d’un esprit de sacrifice qui inspirent spontanément plus de sympathie que la « sagesse » des non-engagés ou des spectateurs de l’Histoire. C’est une lapalissade. On préférera d’instinct celui qui sort de lui-même pour assumer les défis de son temps plutôt que celui, frileux, qui campe sur son quant-à-soi. L’engagement, en tant que tel, opère un tri entre les humains et fait, souvent, émerger les meilleurs. Cela vaut pour les militants du PCF et ceux des mouvements d’extrême-gauche des années 70/80. Les plus politisés étaient rarement les plus médiocres. Ils furent souvent les meilleurs de leur génération. D’une certaine façon, ils le restent.
Le doute est immuable à l’être humain, d’autant plus s’il est engagé politiquement. Je dirais qu’il est aussi l’échec de la raison. Ce que je sais profondément, et l’épisode « Khmers rouges » me l’a démontré, c’est que le doute nous empêche de tomber dans une crédulité aveugle et fanatique. Il s’oppose donc au dogmatisme. Il permet de ne pas être un béni-oui-oui. Bien sûr que la visite officielle de la délégation du PCMLF au Kampuchéa démocratique m’a fait douter. Mais, d’un autre côté, nous étions dans le feu de l’action avec le soutien à la grève des loyers dans les foyers Sonacotra, avec la lutte pour la libération du marxiste-léniniste breton Romain Le Gal emprisonné par la Cour de sûreté de l’Etat et aussi pour la libération des marxistes-léninistes marocains de Ila Al Amam (en Avant) dont le leader charismatique était Abraham Serfaty. Ils étaient emprisonnés par Hassan II pour avoir lutter pour l’autodétermination du peuple sahraoui. Donc, mes convictions se sont renforcées et je me disais (sur le Cambodge) que le Parti et le gouvernement chinois ne pouvaient pas se tromper et ne pouvaient pas tromper les communistes marxistes-léninistes du reste du monde. Logiquement donc, le PCMLF ne pouvait donc pas nous tromper. De plus, les militants avaient une totale confiance dans le secrétaire général Jacques Jurquet : cet ancien résistant FTP affable, communiste depuis des décennies, ne pouvait pas tromper le Parti. C’était une évidence pour chacun et notamment pour l’ensemble des membres de ma cellule. Voilà toutes les contradictions qu’il fallait gérer. Mais la confiance était toujours là et ma révolte contre la France de Giscard et de Barre de plus en plus vive.
Le paysage mouvementé des organisations maoïstes françaises
Je suis devenu adhérent et militant du PCMLF huit ans après son interdiction par la bourgeoisie revancharde (12 juin 1968) dont le ministre de l’Intérieur n’était autre que le funeste Marcellin. Le PCMLF était donc un Parti communiste clandestin (il redeviendra légal en 1978 sous l’appellation PCML). C’était un parti de type léniniste, donc un parti centralisé. Hyper-centralisé du fait de sa clandestinité, à l’image du Parti communiste français de 1940 à 1945, il était structuré en « triangles ». Le triangle de base était constitué par trois militants, ignorant eux-mêmes la composition des autres triangles qui n’étaient reliés entre eux que par un camarade « responsable politique », chargé de la liaison avec l’échelon supérieur : le « triangle » de direction de section. Pour les aider dans leurs actions, les « triangles » utilisaient des sympathisants (issus des syndicats ou du milieu associatif) qui devaient tout ignorer de l’organisation. La direction centrale était composée de trois membres : un secrétaire national, un secrétaire à la propagande et un secrétaire à l’organisation.
Mais ne nous faisons pas d’illusions, les fameux « triangles » repris au PCF clandestin n’étaient pas aussi stricts. La France giscardienne n’était pas la France pétainiste et nazie. Les Renseignements généraux avaient autre chose à faire que de surveiller les militants du PCMLF, aussi activistes soient-ils. Ma « cellule » le démontre bien, puisque nous sommes plus de trois lors des réunions à Saintry, et que les couples de jeunes militants n’ont que faire de la discipline demandée par les instances dirigeantes. Il y a vraiment une confiance entre camarades. Une confiance, mais aussi une rigueur. Contrairement aux organisations trotskystes et gauchistes.
Le PCMLF a toujours eu des relations un peu ambigües avec les autres mouvements marxistes-léninistes. Rejetant aussi bien les « sectaires » de l’Union des jeunesses communistes marxistes-léninistes (UJCML) que les « gauchistes » de la Gauche prolétarienne, le PCMLF se voulait le « gardien du temple » marxiste-léniniste. Face à lui le Parti communiste révolutionnaire marxiste léniniste (PCRML). Créé en 1974, le PCRML était issu du groupe Front rouge, lui-même provenant en partie d’une scission bretonne du PCMLF en 1970, la majorité des dirigeants, comme Max Cluzot, venant de l’UJCML. Sur l’Essonne, le PCRML était inexistant. En dehors de nous, seuls quelques militants pro-albanais militaient à l’usine Sanders de Juvisy.
Ce n’est qu’en octobre 1979 (alors que le PCMLF est de nouveau légal sous l’appellation PCML) qu’un protocole d’unification est signé avec le PCRML. Pratiquement, cette unification s’exerce avec la fusion des deux quotidiens, L’Humanité rouge et Le Quotidien du peuple6. Eh oui, les deux partis publiaient des quotidiens (financés exclusivement par l’Ambassade de Chine populaire à Paris). Cette tentative de fusion avait eu un semblant de concrétisation lors des élections législatives de 1978 avec des listes d’Union ouvrière et paysanne pour la démocratie prolétarienne. En 1981, le PCRML devient PCR et disparaît en 1983… Le PCML disparaît lors de son 6ème congrès en 1986 pour devenir un parti d’extrême-gauche comme les autres : le Parti d’alternative communiste (PAC) dirigé par Pierre Bauby.
Ce qu’il est intéressant de savoir, c’est que la fusion des deux partis ML a été réellement freinée, je le pense, par la dérive chauvine du PCMLF. Années 78/79, nous sommes en pleine période où la théorie des trois mondes (encore elle !) bat son plein en Chine, donc au sein du parti français. Cette théorie constitue (je ne le dis que maintenant) une totale révision de la théorie léniniste de l’impérialisme, ce qui a pour effet de « pousser » des dirigeants du PCMLF à considérer qu’au nom de la lutte contre le « social-impérialisme soviétique », il fallait s’unir avec l’impérialisme européen (!). Ce qui a abouti à une politique de fait de collaboration de classe avec certains éléments de la bourgeoisie française. Des dirigeants du PCMLF ont même participé à un meeting contre « l’expansionnisme soviétique », à la Mutualité, avec des gaullistes et des membres de la Nouvelle action française (!).
Nos relations avec les militants pro-albanais ont été plus franches et plus violentes. La rupture entre le Parti communiste chinois et le Parti du travail albanais ayant été très rapide. L’un amorçant une réelle modernisation de sa gouvernance, l’autre soutenant la fameuse bande des quatre (menée par la veuve de Mao). L’un se faisant traiter de « révisionniste », l’autre de « gauchiste ». Tous deux se voulant les meilleurs marxistes-léninistes du monde. L’Ambassade d’Albanie à Paris a donc fait naître de toutes pièces le Parti communiste des ouvriers de France (PCOF) dont le journal est La Forge. Celui-ci est issu, en 1979, de la fusion de l’Organisation pour la reconstruction du parti communiste français (ORPCF), scission strasbourgeoise du PCMLF, avec l’Organisation prolétarienne, dernier avatar de la Gauche prolétarienne. Comme je l’ai dit précédemment, j’ai connu deux militants du PCOF. Ils travaillaient à l’usine agroalimentaire Sanders de Juvisy. Tels des moines inquisiteurs, ils avaient la vérité pour eux et préféraient le coup de poing au dialogue. Mais ils me semblaient honnêtes et avaient, comme nous, la passion du réel…
Ironie de l’Histoire, le PCOF existe toujours. Membre de la Conférence des partis et organisations marxistes-léninistes, se réclamant toujours de la pensée d’Enver Hoxha, il a signé, en octobre dernier [2009], un appel pour les élections régionales aux côtés du PCF, du NPA, du PG (sic).
Les luttes intestines entre les différents mouvements marxistes-léninistes ne sont pas inédites. Plus généralement, l’extrême gauche nous a toujours habitué à « vivre » grâce aux querelles théoriques, aux mélodrames tactiques et aux scissions répétitives. Les trotskystes en sont un bon exemple avec leurs chapelles lambertiste et pabliste. Plus particulièrement, les mouvements marxistes-léninistes étaient les derniers de la chaîne à ressentir les convulsions des grands partis communistes étrangers. La querelle sino-soviétique a été, je pense, la plus grande secousse idéologique dans le mouvement communiste international. Il faut s’imaginer que dans tous les PC du monde, de vieux militants aguerris (comme Jurquet, Mury, Marty ou Casas en France) sont partis, souvent malgré eux, fonder de nouveaux PC, quasiment inexistant sur le plan organisationnel. Lorsque Mao répond à Maurice Thorez ou au dirigeant communiste Togliatti (en 1962 et 1963) notamment sur la question de Staline, les militants du monde entier s’agitent, réfléchissent et en discutent dans leurs réunions de cellules respectives. Par contre lorsque Hua Kouo-Feng répond à Enver Hoxha sur la politique du PCC après la mort de Mao, les discussions n’intéressent que les ML. La querelle sino-albanaise n’a, en fin de compte, touché que le « microcosme » marxiste-léniniste. Ces divisions, souvent futiles, marqueront, dans les années 80, la mise à mort des organisations marxistes-léninistes.
La passion du réel
C’est le philosophe Alain Badiou (marxiste-léniniste - « canal historique » -, ancien membre de l’UCFML) qui propose de caractériser le XXeme siècle par « la passion du réel ». Je trouve que l’expression est assez juste. « La terrible passion du XXeme siècle, écrit Badiou dans son livre Le Siècle, a été, contre le prophétisme du XIXe siècle, la passion du réel. Il s’agissait d’activer le Vrai, ici et maintenant ». Il nous rappelle ainsi que le propre de ce siècle aura été de passer à l’acte, avec tous les risques que cela suppose.
Passion du réel ? Ce viatique hérité des Lumières, cet entrelac d’idées généreuses et libératrices, ont été effectivement pris au mot par des hommes et des idéologies, qu’animait une terrible impatience. Le XXe siècle apparaît donc comme l’exercice pratique, la mise en oeuvre immédiate, de ce que les générations précédentes avaient simplement imaginé accomplir un jour. Cette passion du réel était issue de cette religion du progrès humain, lointainement héritée du judéo-christianisme, puis des encyclopédistes, que le mathématicien Antoine Cournot avait coutume de définir par une maxime latine : Post hoc, ergo melius hoc. Ce qui vient après est toujours meilleur que ce qui précède. Aujourd’hui, à l’heure où prime la valeur ajoutée des banquiers, la décroissance égoïste des « bobos » et la spiritualité primaire d’illuminés en soutanes de toutes sortes, qui oserait dire cela ?
Il est à la mode de mettre en avant ses convictions défuntes. Le péril principal étant toujours de se dissoudre dans la loi dominante, j’essaierai de ne jamais suivre ce chemin. Heureusement, « la politique prime désormais l’Histoire », insistait Walter Benjamin, contre les quiétudes du prétendu « sens de l’Histoire ». « On ne peut prévoir que la lutte », ajoutait Gramsci. Et je reste persuadé qu’en politique, le communisme est la passion égalitaire, l’idée de justice, la volonté de rompre avec les accommodements du service des biens, l’intolérance aux oppressions, le désir de la cessation de l’Etat. La passion du réel, ce fut le combat d’une utopie. J’essaie de continuer ce combat…
Poursuivre le combat
Après l’auto-dissolution du PCMLF en 1986, je me suis refusé à intégrer le tout nouveau Parti d’alternative communiste (PAC) qui n’était, en fin de compte, qu’un énième parti gauchiste et qui humait bon la contestation puérile à l’encontre de tout ordre politique. Les idées fusaient, mais aucune stratégie n’était pensée. Vaille que vaille, j’ai donc poursuivi mon cheminement politique en « m’essayant » au rôle d’adhérent, puis (à l’arrivée de Robert Hue) de sympathisant du PCF, mais toujours en étant fidèle aux idéaux du marxisme-léninisme. Et ce ne fut guère facile tant le révisionnisme faisait des ravages. J’ai en cela combattu, dans ma cellule de quartier, les thèses d’Elleinstein, de Fizsbin, de Juquin et consorts. Aujourd’hui, je me situe, comme disent nos politologues, dans la mouvance dite orthodoxe qui va des amis (Henri Alleg…) du député du Rhône, André Gérin, aux militants du Pôle de renaissance communiste en France (PRCF) comme l’historienne Annie Lacroix-Riz et les anciens résistants FTP-MOI Léon Landini et Pierre Pranchère. La plupart de mes anciens camarades du PCMLF (avec qui je suis toujours en contact) ont préféré l’écologie politique (pourquoi ? je ne saurais répondre) et agissent à la Fédération pour une alternative sociale et écologique (FASE) ou à Europe-Ecologie. Moi, je reste fidèle, sans aveuglement, aux principes du marxisme et du léninisme. D’autant que le contexte politique d’aujourd’hui est un combat de classe aiguisé. Nous vivons confrontés à la dureté et à l’injustice sociale des politiques conservatrices à l’œuvre depuis trente ans, avec actuellement un président « pétainiste » (merci l’ami Badiou) au service de l’argent-roi. Comme pour Pétain et ses sbires à l’époque, la France est pour Sarkozy une somme d’anomalies qu’il faut faire disparaître. Anomalie, cette Nation qui a inscrit le principe de laïcité dans sa Constitution, fondant la neutralité de l’Etat en même temps que la liberté de conscience. Anomalie, ce modèle français d’intégration basé sur le droit du sol et l’égalité des citoyens. Anomalie, un pays dont le quart de la population est régi par des statuts et non par des contrats comme dans les pays anglo-saxons. Anomalie encore, l’existence de 36 000 communes et cent départements. Comme l’a écrit le philosophe Marcel Gauchet, la stratégie de Sarkozy, c’est la « banalisation » de la France. Son objectif est la mise aux normes européennes d’un pays qui s’est forgé une identité nationale en plusieurs siècles. Et Sarkozy dépèce la République issue de 1789, de 1793, de 1870, de 1936 et de 1945. En face ? Rien. Un PS social-libéral, un parti écologiste libéral-libertaire, et un PCF révisionniste qui s’intéresse plutôt aux phénomènes sociétaux qu’aux luttes des classes.
Le révisionnisme, tel un cancer idéologique, poursuit son entreprise de nuisance et les dirigeants actuels du Parti communiste français portent une lourde responsabilité dans l’effacement de ce parti du paysage national. De fait, les révisionnistes de la place du Colonel-Fabien ont une part de responsabilité dans le vote Front « National » (plus d’un tiers des électeurs communistes des années 70 et 80 votent FN !) et l’abstention dans les quartiers populaires. En abandonnant un parti communiste de combat, c’est la France, la Nation (en vieillissant j’avoue que j’aime de plus en plus le rouge, dans le respect du blanc et du bleu de notre Histoire), le projet d’émancipation engagé en 1789 et 1793, que les révisionnistes ont mis de côté. Comme le définit si bien André Gérin « il faut un PCF d’opposition qui élabore un projet neuf de rupture radicale, qui revient à nos fondamentaux marxistes, à nos valeurs et aux idéaux du communisme, à nos principes philosophiques générateurs d’idées neuves. Il nous faut reconstruire un Parti communiste français de notre temps, fidèle aux choix de classe décidés au congrès de Tours, en décembre 1920, avec une stratégie nouvelle à l’échelle nationale ».
Mais au-delà de cette rhétorique politique, je crois qu’il est temps, sans tomber dans un gauchisme dit alternatif, de répondre à la question empirique désormais perdue de vue : quel type d’existence individuelle et collective voulons-nous, qui ne s’enferme pas dans la vaine poursuite d’un « bonheur » ramené à la maximalisation du plaisir, de l’argent ou du confort ? Un discours de « belle âme », dira-t-on, indifférent au drame de ceux qui se débattent avec les difficultés de l’existence ! Pas du tout. « Ne méprisent généralement l’économique que ceux qu’a cessé de harceler la névrose du pain quotidien », affirmait le catholique progressiste Emmanuel Mounier.