Fanny Gallot, L'intervention de Lutte Ouvrière et de la Ligue Communiste Révolutionnaire à Renault Cléon de 1968 à 1991, Université de Rouen, Mémoire de Master 1 et 2, octobre 2006, sous la direction d'Olivier Feiertag, 215 p. + bibliographie, sources, et environ 200 p. d'entretiens (21).

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Trotskysme

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Après Flins en 1952 et avant Sandouville en 1964, Renault ouvre l'usine de Cléon, près de Rouen, en 1958. C'est une usine de montage qui emploie des milliers d'ouvriers, des OS, jeunes, souvent d'origine rurale, ce qui leur vaut le sobriquet de « betteraviers » ! En 1968, ils se mettent en grève dès le 15 mai, occupent l'entreprise, séquestrent un moment les dirigeants. Les organisations syndicales, qui n'en souhaitaient pas tant, parviennent à maîtriser le mouvement et le comité de grève sera plutôt une intersyndicale. Ces jeunes ouvriers radicalisés ne tardent pas à entrer en contact avec les étudiants de l'université de Rouen, soit devant l'usine, soit à la faculté des Lettres ou au Cirque, grande salle de spectacle circulaire de 3.000 places occupée par le comité de grève des étudiants. Cette jonction est facilitée par quelques personnages comme Jean Simon, ouvrier à Cléon depuis 1966 et déjà militant à la JCR avant 1968. Un jeune ouvrier de la CFDT , René Cottrez, rejoindra cette organisation au cours des événements. Ce sont eux qui sont à l'origine du Comité d'Action, un regroupement qui comprendra jusqu'à 60 ouvriers, dont le rôle sera de contrer les manœuvres patronales et les dérobades syndicales. Mais jamais il ne se percevra comme une structure destinée à remplacer les organisations syndicales. Ce sont ces militants qui rédigent la brochure Notre arme c'est la grève , publiée par Maspero à l'automne 1968.

Après 68, malgré la répression patronale et l'hostilité de la CGT , puis de la CFDT , ceux qu'on appelle les gauchistes réussissent à constituer un réseau de sympathie, un « milieu », à partir d'un noyau militant extrêmement ténu : jamais plus de 2 « vrais » militants de LO en même temps, et tout au plus 4 militants de la LCR simultanément. Les modalités utilisées par chaque organisation sont différentes, LO s'adressant aux travailleurs dans leur ensemble, la LCR privilégiant l'Avant-Garde Ouvrière Large (AGOL). Les militants de l'une et l'autre organisation font preuve d'une incroyable ténacité, résistant avec abnégation à la double répression - pour ne pas dire persécution - patronale et syndicale. Ainsi, il faudra que ses compagnons de chaîne fassent grève pour que le militant de LO Abdelkrim Ben Lahoussine se voit proposer un mandat de délégué par la direction de la CGT , après plusieurs années. Epuisé, au bout de 10 ans il finira par quitter l'usine. Dernier coup subi : son dirigeant Robert Barcia lui reprochera de n'avoir pas constitué de comité de grève au cours d'une lutte. Les militants de la LCR sont plus « tacticiens » vis-à-vis des syndicats ; ils finiront par y obtenir des responsabilités, tous les dirigeants du PC n'étant pas des bureaucrates staliniens invétérés ! Grâce à ces énormes sacrifices, les militants - certains à la veille de la retraite - sont parvenus à maintenir la présence de leur organisation jusqu'à aujourd'hui.

Pour la première fois, à ma connaissance - et c'est l'un des grands mérites de ce travail -, nous est présentée de manière précise la célèbre « feuille de boite » de LO. « Leur grandeur à LO, c'était leur bulletin », explique Alain Genty, sympathisant maoïste après 68, sympathisant LO aujourd'hui, militant CGT. L'auteure nous explique les conditions de sa réalisation, les « réunions échos », destinées à faire remonter tous les scandales qui se produisent dans l'usine, tout en essayant d'éviter les règlements de compte personnels. Ceci permit de mettre en place un véritable réseau de plusieurs dizaines d'informateurs et de diffuseurs. Les collectes au drapeau, organisées 2 ou 3 fois par an, permettaient aux militants de LO de tester l'impact de leur feuille : de 250 à 300 personnes versaient leur obole, ce qui suffisait largement au financement. Pour que les ouvriers identifient tout de suite leur feuille, les militants de LO de Cléon imprimaient toujours sur un papier rose, couleur saumon. Un jour qu'ils avaient imprimé leur bulletin sur des feuilles de cette couleur, quelle ne fut pas la surprise des militants de la Ligue en voyant les ouvriers se jeter littéralement sur leur tract ! Malgré tout, les militants LCR interrogés par Fanny Gallot restent sceptiques à propos du bulletin de LO. Se contenter de « commérages », de « petits potins », voire de « bruits de chiottes » entretient peut-être la haine du chef, mais « la politique, ça ne peut pas être que ça », dit l'un d'eux. Par contre, le deuxième militant de LO, Juan Hérédia, dit de la feuille de la LCR qu'elle est « élitiste » : « On trouvait qu'elle était trop globale, trop généraliste, trop tournée vers le milieu syndical et politisé et pas assez vers les gens…Elle s'adressait à une frange restreinte de salariés ». Rien ne fut épargné aux militants ! Ceux de la LCR ont eu à faire face au départ de deux de leurs rares militants vers la LTF (Ligue trotskyste de France), « la secte », pour reprendre les mots de Gilles Gazin, un des anciens de la LTF , toujours ouvrier à Cléon, secrétaire d'une section CGT, revenu dans l'orbite de la LCR. Ancienne scission du SWP américain, la LTF , section française d'une Quatrième Internationale dite Spartaciste, s'est distinguée dans le trotskysme par son refus d'attaquer sévèrement l'URSS et les Etats dits ouvriers. L'effondrement de l'URSS dans l'indifférence générale à la fin des années 80 semble avoir déstabilisé ces militants, ruinant leur échafaudage théorique.

L'auteure nous présente aussi les militants « extérieurs », qui ne travaillent pas dans l'usine, mais qui militent quotidiennement aux côtés des militants ouvriers de leur organisation, les déchargeant des tâches techniques et se chargeant de la distribution du bulletin aux portes de l'usine, véritables piliers sans qui ce militantisme n'aurait pas été possible. Deux personnages étonnants apparaissent, Didier Etave pour la LCR , professeur de sciences économiques qui avait commencé ses études au…Séminaire, abandonné en mai 68 !, et qui, 40 ans après milite toujours aux portes de Renault Cléon. Il est tellement connu que certains ouvriers sont persuadés qu'il travaille dans l'usine. José Chatroussat pour LO, lui aussi professeur, est un cas plus dramatique car il a été exclu de LO en 1997, avec ceux de VDT, ce qui l'a rendu physiquement malade. Militant dès avant 68, à Voix Ouvrière donc, il est aujourd'hui à la retraite.

Saluons sans retenue cet extraordinaire travail de recherche dont nous attendons avec impatience les « bonnes pages » dans notre numéro de Dissidences sur le trotskysme (n°6 à paraître au printemps 2009). Nous relirons avec joie cette magnifique page d'histoire ouvrière dont nous n'avons donné, dans ce bref compte rendu, qu'un mince aperçu. Un des protagonistes de cette histoire, Gérard Prévost, ouvrier à Cléon depuis 1982, militant LCR, tête de liste aux élections municipales à Louviers (Eure), vient d'obtenir 10,41% des voix le 9 mars 2008.

References

Electronic reference

Jean-Paul Salles, « Fanny Gallot, L'intervention de Lutte Ouvrière et de la Ligue Communiste Révolutionnaire à Renault Cléon de 1968 à 1991, Université de Rouen, Mémoire de Master 1 et 2, octobre 2006, sous la direction d'Olivier Feiertag, 215 p. + bibliographie, sources, et environ 200 p. d'entretiens (21). », Dissidences [Online], 2 | 2011, . URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=171

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Jean-Paul Salles

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