Anne Coudreuse, Françoise Simonet-Tenant (dirs), Pour une Histoire de l’intime et de ses variations, 2009

Référence(s) :

Anne Coudreuse, Françoise Simonet-Tenant (dirs), Pour une Histoire de l’intime et de ses variations, L’Harmattan : Paris, 2009

Texte

Ce recueil d’études propose de faire émerger une évolution diachronique de l’intime, en tant que mot et que concept. Il s’articule en quatre parties précédées d’un court préambule et suivies de quelques recensions de lectures.

Le préambule propose un survol des ouvrages contemporains consacrés à l’intime, qu’il s’agisse de travaux d’historiens, de sociologues, de littéraires, ou de psychologues. Après un détour par quelques considérations sur ce que le terme ‘extime’ recouvre, les deux auteurs du préambule expliquent les raisons de leur démarche diachronique.

La première partie, intitulée « L’intime : histoire lexicale, histoire des sensibilités », comprend deux articles passionnants qui s’attachent à suivre l’évolution du mot, puis de ses manifestations culturelles.

En utilisant la base de données Frantext, Véronique Montémont commence par retracer l’évolution lexicographique du terme entre 1606 et 2009, et son analyse fait ressortir la grande variété d’emplois du terme, ainsi que la multiplication des occurrences au xixe siècle, qui verra le « sacre de l’intime ». L’article se termine par une analyse de la manière dont le journal est devenu lui aussi intime.

Françoise Simonet-Tenant se tourne ensuite vers ce que l’intime recouvre et vers ses manifestations culturelles, évoquant tour à tour la confidence, le développement de la vie privée (espaces réservés, propriété, horloges, droit au secret), avant d’en venir à l’évolution de ce que l’on nomme aujourd’hui écrits intimes – lettres et journaux – vers un registre intime.

Cette première partie offre aux lecteurs des repères précieux sur les origines et l’évolution du concept d’intime avant le mouvement qui conduira à son avènement au xixe siècle.

La seconde partie est, quant à elle, consacrée au xviiie siècle, et son titre annonce bien les articles qui la composent : « Tentations et refus de l’intime au xviiie siècle ».

C’est tout d’abord Voltaire qui est présenté sous la plume de Jean Goldzink, qui souligne la réserve manifestée par le philosophe dans sa correspondance et dans ses écrits autobiographiques. Goldzink parle de la « parfaite indifférence » de Voltaire à l’égard de l’intimité, attitude qu’il contraste avec celle de Rousseau.

Dans un second temps, Philippe Lejeune confirme cette résistance à l’intimité en prenant pour objet d’étude le premier tome du journal de Louis-François Guiguer, baron de Prangins. Journal écrit à plusieurs mains, et dans lequel toute effusion, notamment sur la mort, est considérée comme « étrangère » au journal, un peu comme un égarement regrettable, aussitôt réprimé. Le journal, nous montre Lejeune, est ici exclu de la relation d’intimité. Loin de tout lui révéler, le diariste cherche à lui cacher ce qui pourrait compter à ses yeux.

Enfin, Anne Coudreuse étudie les rapports entre l’intime et le politique dans les Mémoires du Marquis de La Maisonfort, pendant la Révolution. Elle met en évidence la dualité qui est créée dans ce texte entre « les événements » et le moi, le politique semblant déterminer l’intime. Mais elle conclut son article en formulant l’hypothèse que la Révolution entraîne une redéfinition des limites en la matière, par le traumatisme qu’elle entraîne pour l’identité.

La troisième partie de l’ouvrage, intitulée « Vers la Consécration de l’intime au xixe siècle », débute par une étude en lien avec la précédente, puisqu’elle s’intéresse aux écrits d’émigrés après la Terreur. Stéphanie Genand y montre que l’intimité est alors proscrit car jugé indécent au regard de la gravité des événements politiques. Elle souligne la confusion générique que cela entraîne entre autobiographie et fiction, et pose la question de savoir comment l’émigré, « aboli comme citoyen », parvient à devenir auteur.

Dans le second article, Brigitte et José-Luis Diaz retracent la manière dont le xixe siècle va inventer, puis littérariser et sacraliser l’intime. Intimisation de la communication littéraire, mise en scène de l’intime ainsi inventé qui se cherche un public, insistance sur la vérité de l’intime. Cet essai très riche se tourne ensuite vers l’histoire culturelle de l’intime au xixe siècle, en notant lui aussi le mélange des genres, avant d’en venir au discours sur l’intime au fil du siècle.

Enfin, la dernière partie du recueil, « Intime et modernité », se consacre à l’époque contemporaine, et peut-être à cause du moindre recul, apparaît moins convaincante que le reste de l’ouvrage. Elle comporte deux études et un entretien.

Anne-Claire Rebreyend commence par retracer l’évolution de l’expression de la sexualité dans les écrits autobiographiques, au xxe siècle, de l’entre-deux-guerres à 1975, passage de l’intime feutré en début de période à un questionnement jusqu’en 1965, pour arriver à l’exhibition entre 1965 et 1975. L’étude ne manque pas d’intérêt, mais restreint l’intime à un aspect de la vie humaine, certes sans doute peut-être le plus attendu au xxe siècle, mais qui déçoit un peu après la largeur de vue du chapitre précédent.

Ensuite Anne Coudreuse propose une lecture de Rapport sur moi, de Grégoire Bouillier. Lecture psychanalytique qui offre un exemple de la mise en scène de sujets associés à l’intimité dans le roman contemporain. L’étude s’attarde sur la manière dont le roman aborde le thème de la folie, sans toutefois dégager la signification de ces choix à l’époque contemporaine, ce qui laisse le lecteur sur sa faim.

Enfin, le volume se conclut par un entretien de Jean-Louis Jeannelle avec le cinéaste Alain Cavalier, qui aborde des thèmes tels que le lien entre écriture de soi et cinéma, la place de la sexualité, ou encore le rôle de ce que Cavalier appelle « le filmeur ». L’entretien retrace également le parcours du cinéaste.

Le mouvement de cet ouvrage conduit donc le lecteur du xviie au xxie siècle, mais aussi du plus détaché de soi au plus personnel, en proposant un chemin qui conduit d’une base de données à la pratique d’un artiste, telle qu’il la décrit lui-même. Il sera utile pour tout lecteur s’intéressant à l’intime.

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Référence électronique

Sylvie Crinquand, « Anne Coudreuse, Françoise Simonet-Tenant (dirs), Pour une Histoire de l’intime et de ses variations, 2009 », Textes et contextes [En ligne], 6 | 2011, . Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=339

Auteur

Sylvie Crinquand

Centre Interlangues Texte, Image, Langage (EA 4182), Université de Bourgogne, UFR Langues et Communication, 2 bd Gabriel, F-21000 Dijon

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