“Le privé est politique” comme paradoxe littéraire : révolution et intimité chez les Québécoises Louky Bersianik et France Théoret

Résumés

Cet article propose d’étudier la manière dont le slogan féministe des années 1970, « le privé est politique », a été analysé et versé en littérature par deux des autrices du mouvement féministe québécois, Louky Bersianik et France Théoret. S’attachant à rendre compte de la portée politique de leurs œuvres, l’article interroge la manière dont l’intime se construit ou est évacué du récit en raison-même de sa place problématique dans le questionnement féministe. Louky Bersianik a commencé à mener ce travail indépendamment du reste des féministes, avant que le slogan le privé est politique devienne explicitement un des lieux de travail des écrivaines ; elle fait pourtant partie des écrivaines qui ont le plus illustré l’idée que les détails de la vie quotidienne des femmes ont un sens collectif et qu’il faut le porter politiquement sur la scène publique. L’article étudie cet aspect de son écriture à travers l’analyse de L’Euguélionne (1976) et du Pique-nique sur l’Acropole (1979) : elle met l’accent sur ce qu’il y a de politique dans le privé en développant une littérature franchement satirique et didactique mettant en scène les affres de la vie quotidienne des femmes. France Théoret a situé son travail d’écriture à l’opposé d’un même questionnement. Au contraire de Louky Bersianik, elle est arrivée à l’écriture en côtoyant directement les collectifs d’écrivaines féministes ; elle a assisté aux débats des Têtes de pioche sur « le privé est politique » et le rôle que la littérature peut avoir en politique, et a décidé de s’en couper pour produire une écriture qui lui soit intime et propre avant tout. L’article analyse ses livres de la fin des années 1970 pour montrer comment France Théoret, elle, souligne ce qu’il y a de privé dans le politique en faisant voir que le politique lui-même n’a aucun sens s’il n’est pas situé et ne part pas de l’analyse du privé et du particulier, permise ici par le travail littéraire de la voix de l’écrivaine.

This article aims to study the ways in which the 1970s feminist slogan « the personal is political » was analysed and translated into literature by two of the main authors of the Quebec women’s liberation movement, Louky Bersianik and France Théoret. Accounting for the political significance of their works, the article examines to what extent intimacy is built in or evacuated from the narrative on account of its problematic place in feminist questioning. Louky Bersianik began this work independently of other feminists, before « the personal is political » explicitly became one of the staples of Quebec feminist writing ; she illustrated more than others that the details of women’s personal and daily lives have a collective meaning, and that it is necessary to politically address this in the public sphere. This article analyses The Euguélionne (1976) and Le Pique-nique sur l’Acropole (1979) from that point of view: these novels emphasize what is political in the personal, expanding on a frankly satirical and didactic literature that stages the torments of women’s daily lives. France Théoret tackles the same issue using an opposite approach to Louky Bersianik’s. She began writing as part of feminist writers’ collectives; she attended the debates in Les Têtes de pioche about « the personal is political » and about the political meaning of literature, and she decided to cut herself off from all of that in order to create a truly intimate writing of her own. This article analyses her late 1970s work to show how France Théoret stresses what is personal in the political, pointing out the political has no meaning if it is not situated alongside and does not provide analysis of the private and personal, granted in Théoret’s literary work through her voice as a writer.

Plan

Texte

La vie privée est politique. J’écris et je ne veux plus faire cela toute seule. Je nous veux. Faire craquer, grincher l’histoire. La vie privée est politique (Blackburn et al. 1976 : 76).

Au Québec, la survenue du féminisme dit de la deuxième vague, dans les années 1970, a coïncidé avec l’éclosion de tout un mouvement d’écriture féministe : les femmes ont massivement recouru à la littérature – romans, poèmes, essais, théâtre, jeux en revues… – pour formuler de nouvelles idées sur le sort des femmes, les problèmes qu’elles rencontrent, le système patriarcal qui les leur impose, leur avenir. Ce phénomène est loin d’être isolé : partout où essaiment les idées des Women’s Lib, démarrés aux États-Unis dans les années 19601 puis immédiatement répliqués2 dans les pays occidentaux (dès 1969 au Québec avec le Front de Libération des Femmes du Québec3, en 1970 avec le Mouvement de Libération des Femmes en France4…), mouvements caractérisés par la cristallisation soudaine d’initiatives jusque-là éparses et par le succès d’un « féminisme radical [compris] comme praxis et comme potentiel critique – individuel et collectif » (Rochefort 2018 : 86), se multiplient aussi des littératures et pratiques d’écriture féministes. Au Québec, on situe le début d’une période d’écriture dite féministe à 1974 environ car, avec l’ouverture de maisons d’édition (La Pleine Lune en 1974, Remue-ménage en 1975) et de librairies (l’Androgyne, la Librairie des femmes d’ici), un champ littéraire féministe se met en place pour la première fois (Boisclair 2004) : les écrits de « l’espace de la cause des femmes » (Bereni 2012 : 27) ne sont plus isolés, ils intègrent et créent un mouvement. Ces années sont marquées par une très forte imbrication des questions politiques et littéraires. La prise de conscience et l’affirmation collectives que « le privé est politique » informent particulièrement les textes de cette période (Gould 1990 ; Hanisch 1970) : se trouvant à la jonction de l’intime (on l’écrit en se racontant, on la lit au calme chez soi) et du public (on la publie et la diffuse), voire du politique (on la recommande, la condamne ou sollicite pour les débats de société), la littérature est un lieu particulièrement propice à la mise en scène et à l’élaboration de l’idée d’un privé politique. La revue féministe littéraire Les Têtes de pioche articule très clairement cette idée, guidée notamment par la lecture des féministes états-uniennes (Gould 1990 : 32) et les articles de Nicole Brossard (Brossard 1976). Louky Bersianik et France Théoret sont deux autres des grandes écrivaines de ce mouvement-là, et leurs œuvres – celles des années 1970, auxquelles nous restreindrons notre étude pour cet article – sont aussi particulièrement marquées par ce partage entre intime et politique. Elles n’appartiennent pas exactement à la même génération : Louky Bersianik est demeurée à l’époque plutôt en dehors des cercles militants, tandis que France Théoret, plus jeune, connaissait bien les femmes du mouvement féministe et continue d’écrire aujourd’hui. Néanmoins leurs œuvres respectives le manifestent ensemble pendant les années 1970, « le privé est politique » : il faut que la littérature féministe parle de l’intime pour avoir une portée politique, et il faut intégrer la réflexion politique à l’écriture pour lui donner une chance de faire lire correctement l’intime. En même temps leurs œuvres témoignent aussi d’une difficulté intrinsèque à la littérature féministe ainsi comprise : à trop lier littérature et intimité, on risque d’entériner le vieux poncif selon lequel les femmes ne savent écrire que l’intime (ou : le particulier, le contingent, le quotidien – par opposition au politique, au moral, à l’universel traditionnellement confiés aux hommes). Comme le rappelle ironiquement France Théoret, « Une femme, ça n'écrit pas. Pas assez formel. Évidemment, trop de corps. » (Théoret 1982 : 37) – ou alors c’est que l’écriture est « trop proche du journal. Trop proche des réminiscences. » – trop intime pour être prise au sérieux (Théoret 1977 : 18). Le défi auquel Louky Bersianik et France Théoret s’attaquent alors, en même temps que les autres écrivaines féministes, est énorme : il s’agit pour elles de s’imposer en tant que femmes sur la scène littéraire tout en refusant de jouer selon les règles du jeu masculines qui y ont cours, d’affirmer leur ancrage dans une tradition proprement féminine de l’intime et du privé en interdisant que celle-ci soit lue autrement que comme politique – paradoxe difficile à tenir, aussi bien auprès des promoteurs de la culture patriarcale, prompts à mépriser l’entreprise, qu’auprès des femmes elles-mêmes, parfois inquiètes de la disparition d’un idéal universel, parfois gênées par une exhibition qui risque à leurs yeux de renforcer les préjugés des lecteurs et lectrices (Boisclair 2004 : 226). Louky Bersianik et France Théoret proposent des solutions très différentes à ce paradoxe. La première est l’autrice d’un des livres les plus ouvertement révolutionnaires de la période : L’Euguélionne, rédigé entre 1972 et 1976, parodie biblique dévastatrice pour l’idéologie patriarcale et toute la culture qui la soutient. L’intime y tient une place ambiguë : d’un côté, l’idée que « le privé est politique » structure tout l’ouvrage, qui parle avec force de sujets tels que l’avortement, la contraception, la violence conjugale, l’éducation des enfants ; et puis les personnages féminins du livre, un à un, confient leurs soucis et se voient conseillés par le personnage de l’Euguélionne, qui les pousse à les utiliser et à les amplifier pour déclencher la révolution des femmes. D’un autre côté la voix de l’autrice, elle, est quasiment absente. Chez France Théoret en revanche cette « voix » forme le cœur des récits, l’intime de l’écrivaine féministe elle-même est plus prégnant : c’est vrai dès Une voix pour Odile (1978), Vertiges (1979) et l’est encore dans Nous parlerons comme on écrit (1982). Le féminisme questionne l’identité – personnelle, collective – et le rapport à la prise de parole publique, et en ce sens c’est d’abord par le questionnement de l’intime que le politique prend place chez France Théoret. S’attachant ainsi à rendre compte de la portée politique des œuvres de ces deux écrivaines québécoises, cet article interrogera surtout la manière dont l’intime se construit ou est évacué du récit en raison-même de sa place problématique dans le questionnement féministe.

1. Une littérature didactique ? Explorer les liens privé / politique

La première caractéristique de ces récits féministes est leur force didactique : romans engagés, les œuvres de Louky Bersianik et France Théoret prennent pour rôle, entre autres, d’explorer et d’exposer le lien entre la vie privée et quotidienne des femmes et son sens collectif – elles l’affirment régulièrement, « le privé est politique ». Dans les récits de France Théoret c’est généralement évoqué allusivement, en fait synthétisé dans le discours de la voix qui livre le flot de ses pensées, souvenirs et émotions de femme – nous y reviendrons. C’est chez Louky Bersianik que le travail didactique est le plus important. L’autrice à vrai dire réfute en partie l’idée : « ce discours, il n’est pas didactique parce que c’est un personnage qui le dit » (Bersianik 2014 : 64) – pour elle, le mélange des genres et l’élaboration fictionnelle de la narration empêchent qu’il y ait didactique. Il faut entendre cet argument, qui signifie surtout que voir la part directement politique du roman ne doit jamais empêcher de voir qu’elle est rendue possible d’abord par un travail littéraire ; pour cet article cependant nous parlerons bien de travail didactique, considérant à la fois la force des illustrations d’expériences féminines et féministes qui font avancer la narration et l’omniprésence des intertextes théoriques qui la structurent en sous-main. En effet, la narration et les mises en scène articulent tout le long du roman une minutieuse illustration des analyses féministes. Nous l’évoquions rapidement en introduction, tous les grands sujets exposés selon ce principe par les féministes des années 1970 – la contraception, l’avortement, la violence conjugale, la domesticité et la garde des enfants – sont évoqués, plus ou moins développés. Dans L’Euguélionne, des chapitres entiers y sont consacrés un à un et en détails – quoique toujours teintés de fiction par le jeu des caricatures bouffonnes –, soit que ces préoccupations soient formulées par des femmes, soit que les théories féministes qui dénoncent leur omniprésence dans la vie des femmes soient mises en scène dans des petites pièces de théâtre enchâssées dans le récit principal. Nombre de tabous privés sont levés, certains très matériels comme tout ce qui concerne par exemple la réalité sanglante des avortements clandestins (« les aiguilles à tricoter, les produits à déboucher les toilettes, à nettoyer les parquets, du folklore, le ricin, le détergent, les cintres, les couteaux ! » Bersianik 1976 : 478), d’autres relevant plus de l’oppression psychologique, dénoncée à la fin du roman par l’Euguélionne au moment où elle achève son analyse de la société humaine :

Toutes ces humiliations ! Toutes ces choses simples et naturelles qu’on vous fait ressentir comme des choses humiliantes : votre miction, vos menstruations, votre grossesse, votre maternité, surtout si vous n’êtes pas mariées, votre célibat, votre virginité, vos examens gynécologiques, vos avortements, vos accouchements, votre contraception, votre ménopause, votre vieillissement. Même votre capacité de jouissance est moquée, déformée, votre façon de vous habiller, de vous déshabiller, de dormir, de manger, de marcher, de respirer, de penser. (Bersianik 1976 : 619).

L’Euguélionne dresse en fait l’inventaire de tous les lieux où les femmes sont opprimées, et l’on constate que c’est d’abord dans la vie privée de leur propre corps qu’elles perdent leur liberté : leur corps ne leur appartient pas mais est livré au jugement des autres – c’est à dire essentiellement à celui des hommes. Ce contrôle du corps est à la fois matériel et moral. Louky Bersianik liste encore, en déclinant toutes les manières par lesquelles cela se fait : « Le médecin se moque de vous [...] Le psychologue se moque de vous [...] L’auteur-compositeur-interprète se moque de vous » (Bersianik 1976 : 619). Jusqu’au sociologue qui à son tour aussi, contrairement à ce qu’on pourrait en attendre, humilie les femmes :

Le sociologue se moque de vous quand il raconte que la libération sexuelle est arrivée. Rien n’est moins vrai puisque cette soi-disant révolution n’a libéré qu’une fraction de la population, fraction dont la majorité est masculine, comme il se doit. Très peu de vos pareilles y trouvent leur compte. La plupart d’entre vous, ou bien sont enchaînées au « foyer » avec des jeunes à garder, ou bien, travaillant à l’extérieur toute la journée, entreprennent en rentrant leur « seconde journée de travail ». Elles ont bien le temps celles-là de « s’envoyer en l’air » ! (Bersianik 1976 : 620).

Louky Bersianik, par la bouche de l’Euguélionne, pointe ici l’hypocrisie d’une profession intellectuelle qui devrait en principe être une des plus à même de comprendre les rouages de la domination masculine et se garder de certains biais masculinistes, et échoue pourtant sur ce point comme les autres : s’il y a des biais épistémologiques qui sont difficiles à remettre en question, ce sont bien les « comme il se doit » de la domination masculine qui assimilent par sens commun, point de vue masculin et point de vue universel – un des grands sujets féministes soulevés par Louky Bersianik dans ce roman5. L’écrivaine mène un double travail didactique : elle ne se contente pas d’analyser avec un certain humour les contradictions de la société des années 1970, elle vulgarise aussi les livres ou articles qu’elle a lus sur les liens entre vie privée et vie politique des femmes, à l’évidence ici certaines des analyses de Kate Millett dans La Poétique du mâle (que Bersianik a lue en 1971 – Bersianik 2014 : 21) qui démontent l’idée d’une libération sexuelle des femmes au moment des mouvements contre-culturels américains, et certaines des analyses de la « double journée de travail » des femmes qui sont données à lire dans différents articles du numéro 54-55 de la revue Partisans (1970), entre autres dans le texte de « Christine Dupont » (pseudonyme de Christine Delphy), « L’Ennemi principal » (Dupont 1970). Le jeu des citations, confirmé par l’usage des guillemets, manifeste la valeur didactique de la harangue de l’Euguélionne.

Pour qu’il soit enfin possible d’envisager la fin du patriarcat, les femmes doivent se réunir et politiser leur vie privée : c’est un autre des grands principes du féminisme qui est illustré par Louky Bersianik dans ses romans, coïncidant avec l’exposé de toutes les violences qu’elles subissent. Dans L’Euguélionne, Omicronne – jeune ménagère type, doucement méprisée puis abandonnée par son mari, vouée aux tâches ménagères infinies avant que l’Euguélionne vienne la libérer de son foyer – est celle qui formule la chose le plus régulièrement. Au sujet de la sexualité par exemple, elle reprend le constat formulé par les groupes de conscience féministe du début de la décennie : « Si toutes les femmes racontaient honnêtement ce qui se passe réellement dans leur lit conjugal ou dans celui de leurs amants, on pourrait commencer à y voir clair un peu » (Bersianik 1976 : 291). Ainsi formulé, cet énoncé reste dans le registre de l’hypothèse, du souhait féministe d’un réveil des consciences féminines : « si » les femmes se mettaient, ensemble, à raconter les détails leur vie privée, alors seulement « on pourrait commencer » à dégager les récurrences et à comprendre le système patriarcal et ses rouages profonds. Il y a donc ce premier ‘si’, la réunion des femmes et leur prise de parole, et puis une seconde exigence, celle de parler « honnêtement » et « réellement » : l’insistance adverbiale, qui connote l’idée d’un devoir moral, vise à confronter les femmes au cœur du problème – si d’ordinaire elles n’en parlent pas « honnêtement », c’est qu’elles sont trop timorées, voire tricheuses, et qu’elles-mêmes dévalorisent le registre de l’intime. Raconter leur vie privée, y compris la vie sexuelle, est ainsi présenté théoriquement comme une nécessité collective, politique dans le sens où leur écrit est pensé comme le premier pas à faire pour se diriger vers une réelle libération des femmes. Ensuite, la valeur didactique du récit passe par l’illustration directe : dans Le Pique-nique sur l’Acropole, Louky Bersianik donne quasiment un mode d’emploi du groupe de parole féministe tel qu’il se pratique dans les années 1970 (Gould 1990 : 177). Récit parodique du Banquet de Platon, ce livre met en effet en scène Xanthippe (l’épouse de Socrate) et ses amies alors qu’elles discutent, parce qu’elles ont pris rendez-vous ensemble exprès pour cela (à l’image donc des groupes de parole féministes), de ce que signifie pour elles la sexualité et de la place qu’elle prend dans leurs vies. Au début de ce dialogue beaucoup des femmes présentes expriment – avec une certaine prudence – leur amour pour d’autres femmes, et elles s’interrogent sur la disparition progressive de cet amour-là au cours de leur vie. L’un des personnages, Édith, formule une hypothèse :

Il est évident que le système patriarcal a intérêt à détourner cette orientation et à lui faire prendre une direction tout à fait opposée. À mon avis, c'est une déviation masochiste pour les femmes que de faire l'amour avec les hommes, car la plupart d'entre elles n'en tirent pas ou peu de satisfactions. (Bersianik 1979 : 127)

À la mise en commun des expériences singulières et très intimes succèdent des formulations politiques – la distinction d’un système patriarcal et de ses ambitions en l’occurrence. Dans ces dialogues qui structurent tout l’ouvrage, effectivement, la mise en commun des expériences – le constat de l’absence de satisfaction sexuelle des femmes en couple hétérosexuel, de l’ignorance massive de l’anatomie féminine, des asymétries de genre dans la prise en compte des désirs sexuels – permet de formuler ce que sont les problèmes de la société patriarcale et d’y trouver des solutions. Il faut insister sur un double travail d’exploration des liens entre privé et politique qui est opéré alors. Ici, on passe non seulement d’un partage d’expérience entre femmes à l’idée d’un « système patriarcal » (sens collectif), mais aussi à l’idée d’une « déviation masochiste » (sens individuel), soulignée par l’italique. C’est à dire que l’échange permet autre chose que l’élaboration d’une théorie politique propre à analyser la condition des femmes : au lieu de s’y figer il revient ensuite au privé et au particulier. C’est une chose de dire qu’il y a un système collectif patriarcal qui opprime les femmes ; c’en est une autre de suggérer que ce système se traduit individuellement pour chacune – de dire que chacune, dans sa construction psychologique propre, s’y soumet par « déviation masochiste » de ses propres intérêts6. Les féministes des années 1970 n’ont de cesse de rappeler que la théorie à elle seule ne suffit pas : il faut un aller-retour permanent entre théorie et pratique pour que les analyses prennent sens et que l’on puisse espérer finalement l’abolition du patriarcat (Wittig 1980). Tel que le roman de Bersianik l’expose par alternance de saynètes, de récits loufoques ou de harangues féministes impersonnelles, le privé est politique de toutes ces manières : parce que raconter les histoires individuelles crée du collectif, parce que certain·es en tirent des théories politiques qui parviennent à les expliquer, et parce que cette prise de conscience politique impose en retour de sonder plus à fond encore le privé pour y déceler les rouages profonds du système.

Les écrits de France Théoret portent parfois trace d’un même type de travail didactique, mais chez elle l’exposition du privé et de l’intime en lien avec le politique prend un autre sens : la « voix » narrative (Une voix pour Odile, Théoret 1978) domine toujours, son flux est plus important en lui-même que ce qu’elle évoque. Son propos intime, heurté, fait la plupart du temps allusion à des événements privés inaccessibles au lecteur ou à la lectrice. Elle est aussi portée par une lecture féministe des événements, qui en forme en fait l’arrière-plan quasi permanent – mais de cette manière le féminisme ne se lit pas comme un discours fortement structuré et prioritaire, plutôt comme des traces qui contribuent à élaborer la voix de la narratrice. C’est, d’une part, une manière de narrer les expériences des femmes, une forme d’attention particulière qui leur est portée, qui oblige à considérer qu’elles ont un sens collectif permanent. Nous parlerons comme on écrit (1982) offre dès les premières pages ce genre d’aperçu, évoquant la vie des parents de la narratrice :

Le vieil atavisme, battu d'avance. Le bon fond naît sur cela. Les amours nées là-dessus. Les enfants aussi. [...] Battu d'avance, il impose sa loi domestique.

On joue à s'hystériser quotidiennement. [...] Il crie chaque jour les mêmes reproches. Elle plus que lui et chaque jour aussi. Elle hurle certaines nuits jusqu'à en perdre le souffle. J'ai peur de la trouver morte au matin. Je voudrais lui porter secours. Elle est dans la chambre avec lui, interdit son corps lorsque la porte est refermée. (Théoret 1982 : 19)

Le ton laconique, l’ellipse des verbes ou l’usage de présents à valeur générale, l’emploi d’adverbes itératifs (« quotidiennement », « chaque jour », « chaque jour aussi ») contribuent à faire de cette mère un exemple typique de femme victime de violences conjugales – quoique les mots de l’analyse féministe ne soient pas directement posés. Lorsque la narratrice, elle, souffre de troubles alimentaires, pluriels et indéfinis, ils sont mobilisés pour créer le même effet :

Des filles régressent. Un corps grossit démesurément au moment de la puberté. Un corps est envahi, une fille ne se reconnaît plus. Elle n'est plus elle, elle est investie d'une mission. Maintenant, elle vomit. Elle se fait trancher la culotte de cheval, la Vénus callipyge. Elle voit ses os. (Théoret 1982 : 109)

Le récit met en avant un rappel brutal à l’espèce et au fonctionnement biologique du corps mais surtout, à considérer l’allusion manifeste aux textes de Beauvoir et l’idée d’une guerre menée contre la jeune femme (« envahie », « investie d’une mission »), l’idée d’un siège collectif de son corps7. Le plus intime de la jeune femme, son corps sexuel (la « culotte de cheval » qui apparaît à la « puberté ») et même l’intérieur de ce corps (« ses os »), est détourné de sa première propriétaire (ou de sa première identité), chosifié et offert au public : son « destin » public – ici nommé « mission » – prend le pas sur « l’expérience vécue » d’un corps à soi (Beauvoir 1949). On le sait si on a lu Beauvoir – France Théoret et ses lectrices des années 1970 l’ont lue (Bersianik 2014 : 20 ; O’Leary, Toupin 1982 : 40) – le biologique accaparé par la société n’a plus, de fait, de sens que politique. On l’aperçoit donc ici, France Théoret laisse la trace d’un intertexte théorique féministe dans son récit, quoique celui-ci refuse de se faire trop didactique et donne la priorité à la construction du personnage. D’autres fois, comme chez Louky Bersianik d’ailleurs8, c’est la pensée féministe d’inspiration marxiste qui est convoquée – moins discrètement alors. Lorsque par exemple la narratrice réfléchit à la dépression vécue par les femmes de son entourage :

Beaucoup de femmes vivent des périodes dépressives très grandes. Plusieurs d'entre elles ont dans ces temps-là, la faculté de se prendre pour des machines qui fonctionnent bien huilées, dans le réel. La capacité de faire la vaisselle ou le lavage, elles ne la perdent pas car les paroles de l'autorité paternelle-maritale superstructurent encore leurs actes. Cette femme ne voit pas sa dépression, elle la masque. (Théoret 1978 : 61)

Il est possible de reconnaître ici l’influence de la pensée marxiste, à travers l’analyse des corps humains tels qu’ils deviennent une fois intégrés au système capitaliste, machinisés9, mais surtout le terme caractéristique de « superstructure » qui désigne dans la pensée marxiste l’ensemble des productions non matérielles d’une société (idées et institutions), qui sont nécessaires au maintien de l’ordre et de la production capitalistes (Marx 1972). Les analyses féministes inspirées du marxisme reprennent les schémas d’infrastructure et de superstructure pour réfléchir non au capitalisme mais au patriarcat (qu’elles les subsument l’un dans l’autre ou non) et aux rapports de reproduction qui caractérisent la vie des femmes (Delphy 1970, Firestone 1970, MacKinnon 1989) – ici connotés par l’idée de la « vaisselle » et du « lavage ». Il faut remarquer, comme tout à l’heure lorsque nous analysions le passage du « système patriarcal » à la « déviation masochiste » formulé dans Le Pique-nique sur l’Acropole, que la voix narratrice ne s’arrête pas à l’élucidation théorique de son expérience : elle retourne à l’idée de la « dépression » des femmes pour mieux comprendre ce qui se joue – ces femmes ne sont pas seulement dépressives, elles dissimulent en plus leur dépression, ce qui complexifie sa compréhension. Comme chez Louky Bersianik le récit met en scène la double nécessité de comprendre le système collectif et de comprendre comment il se traduit en pratique dans les comportements individuels, comment il s’y maintient : ces deux pôles d’analyse sont politiques tout autant, si l’un est plus théorique et collectif, l’autre plus pratique et plus privé.

2. Une littérature située : engager l’intime

Dès lors qu’elles comprennent et mettent en scène que même leur corps est politique, les écrivaines féministes des années 1970 proposent dans leurs œuvres l’idée d’une disparition de l’idée même d’espace privé : tout est politique. Le simple emploi de la parole, par exemple, est politique. Les féministes québécoises s’interrogent : quelle est la langue des femmes ? Celles qui ont été assignées au silence toute leur vie durant, dont on a gardé si peu de textes et de témoignages de la parole, ont-elles même une langue ? Si elles l’affirment et l’utilisent, est-elle semblable à celle des hommes en dépit des différences de leurs histoires ? (Saint-Martin 1997 : 37) Ces questionnements-là ne sont pas proprement québécois, ils sont féministes en général ; au Québec seulement ils se surajoutent aux problèmes déjà-là de la langue, aux problématiques liées au contexte de lutte nationale québécoise contre l’invasion linguistique anglo-saxonne et contre l’hégémonie de la langue et de la culture venues de France (Biron, Dumont, Nardout-Lafarge 2007 ; Boisclair 2004 ; Gould 1990). Les femmes québécoises, expliquent Louky Bersianik et France Théoret, sont perdues dans leur propre langue – « Ça parle de partout » autour d’elles, elles sont « déplacée[s] tout le temps » (Théoret 1978 : 21) –, elles ont même parfois perdu leur langue à force d’avoir été dénigrées – « Elles sont muettes, muettes, muettes, muettes, muettes ! À l’infini. Mortellement. Comme si on leur avait coupé la langue. » (Bersianik 1976 :  435). Écrire en tant que féministes signifie alors mener un travail de réappropriation : comprendre d’où on peut prendre la langue, comment elle habite et informe la pensée, comment la manier et la transformer le plus librement possible ; tout cela signifie aussi et en premier lieu, France Théoret insiste particulièrement sur ce point, lutter contre l’insécurité linguistique (Labov 1976 ; Bédard et Maurais 1983) générée par l’« aliénation » des femmes :

à chaque fois, l'inexactitude, un sentiment d'approximer au hasard le comment ça va sortir, avec au-dedans et du même coup, la frousse que ça sorte de travers. Le mot convenu pour désigner cette peur, c'est l'aliénation. (Théoret 1978 : 56)

Le terme d’« aliénation », lui-même hérité de la tradition d’analyse marxiste, connote en même temps le phénomène de dépossession de la langue que la narratrice vit en tant que Québécoise par rapport à la langue nationale – dominée par les Français·es – et celui qu’elle vit en tant que femme par rapport à la langue patriarcale – dominée par les hommes (Gould 1990 : 215). Plusieurs recours sont mobilisés pour lutter contre l’insécurité linguistique qui découle de cette double aliénation : l’affirmation positive d’une différence, qu’on remarque notamment quand l’écriture des femmes est associée à un style particulier – circulaire ou spiralaire, délirant, lié au corps, nous y revenons plus bas – ou quand elle ré-exploite l’écriture du « joual » (Biron, Dumont, Nardout-Lafarge 2007 : 456)  ; l’insertion du texte dans un réseau d’autres textes féministes grâce aux citations (Frémont 1986 : 180) ; la prise de distance par rapport au phénomène de la prise de parole combinée avec l’explicitation du travail politique mené sur l’écriture. On trouve tous ces éléments remarquablement condensés dans les premières pages d’Une voix pour Odile (nous soulignons) :

Odile, ou's que tu t'en vas emmanché d'même c'est à ça que veulent répondre mes livres disait Françoise Loranger. [...] C'est une histoire de langue. [...] Entre deux voilà ma voix. [...] Tout surgit en même temps. La voix se fait circulaire périphérique vectorielle parfois. Le centre est vide. Il n'y a pas de centre. D'un délire féminin, c'est l'impensé. La marge me sert de cadre. [...] Mon corps écrit d'un souffle chaud une langue. Un silence, j'y suis. Je rattrape mon corps. Substantif marqué à sa place la langue pas encore voix qui s'échappe zigzague file le raidissement. La femme est encore enfermée au point d'un non-retour possible pour certaines manifestations dans le réel. Cet état de clôture dans le petit dedans n'est pas si personnel que ça. C'est connecté aux autres. (Théoret 1978 : 11-12)

Ces moyens d’exposer et de lutter contre l’insécurité et l’aliénation spécifique des femmes québécoises par rapport à la langue sont tous exploités par la littérature féministe de l’époque10. Ici leur accumulation est pourtant particulièrement frappante et elle coïncide avec une claire formulation féministe : le « petit dedans » – le privé – « n’est pas si personnel que ça » – est politique ; il l’est même suprêmement car, dit-elle, si les femmes sont parfois absentes de la scène publique (de « certaines manifestations dans le réel ») c’est qu’elles en sont empêchées par d’autres, « enfermée[s] » en « état de clôture » dans la sphère privée. La « voix » de l’écrivaine, surgie de la marge et « entre deux » langues apporte une réponse littéraire à ce problème politique du silence des femmes : elle s’élève et tente – notamment par la citation – de se « connecter » à celle des autres. Comme l’analyse Karen Gould, « les efforts poétiques de Théoret pour explorer les langages contradictoires du moi engendrent une fiévreuse et tortueuse recherche de mots et un désir impatient de reconnecter les mots avec le corps féminin et plus largement avec le corps politique. »11

En revanche France Théoret ne croit pas, elle l’affirme régulièrement, à un rôle directement politique de la littérature qui consisterait à transcrire la théorie féministe en récit. Les mots n’ont pas vraiment, selon elle, de pouvoir matériel : elle se situe sur ce point en opposition avec les « gentil[s] monsieur[s] universitaire[s] » de son temps : hélas, dit-elle, « bien peu de pensées sont devenues matérielles » (Théoret 1978 : 10-11).

La fiction peut-elle apparaître autrement qu'opportuniste pour le discours militant ?
Parler métaphoriquement de politique est du bluff. Le discours politique-théorique-fictif est abus de langage.
Le militant parle pour dire une chose à la fois et toute fiction politique est un leurre. (Ce qui ne nie pas qu'on puisse voir la dimension politique de la fiction.)
Il y a le discours militant et il y a la fiction. Ce sont là deux discours. La fiction si on l'oppose ou la compare au discours militant, c'est dans un paradigme dualiste, désir de simplifier et volonté de laisser à la métaphysique le poids de la représentation. La fiction politique est molle, molle, molle... (Théoret 1978 :  71)

Il faut probablement lire ici en sous-main une critique de certaines théories de l’engagement littéraire, et une critique plus directe de certaines des écrivaines féministes de la période : France Théoret s’est séparée des Têtes de pioche ces années-là, justement en désaccord avec certaines des interprétations trop directement politiques du travail littéraire qui y avaient cours autour de l’idée que « le privé est politique » (Gould 1990 : 30) – quand elle parle de « discours politique-théorique-fictif » il faut sans doute lire une pique notamment à la « théorie-fiction » féministe de Nicole Brossard (1977). Et en même temps pour France Théoret, reste que les mots doivent viser quelque chose, se garder absolument de « l’à peu près poétique » des « lettres mortes » et viser plutôt « la vérité pratique » (Théoret 1978 : 15). Le problème pour elle tient au dualisme des représentations qui placent d’un côté la politique, de l’autre la fiction – si l’on parle de « fiction politique », c’est bien qu’on les imagine de nature hétérogène au départ. France Théoret situe sa propre littérature hors de ce binarisme, sur la ligne où elle peut dire plusieurs « chose[s] à la fois » : son écriture devient une expérimentation pour donner un sens collectif à l’écriture, sans qu’elle soit tout de même autre chose que de la littérature mais l’élaboration d’une ‘voix’, intime et néanmoins porteuse de sens collectif. Le registre de la folie et de l’hystérie est mobilisé par France Théoret pour désigner ce travail de tissage de la voix en entre deux de la politique et de la littérature, par sorte de retournement du stigmate :

Tout confirme ma folie, pourrais-je dire. Mais quel cliché de le dire, surtout pour une femme. [...] Je pense être toujours à côté, décentrée de mon propre discours y lisant mon incapacité fondamentale à reproduire les discours d'université ou de parti. (Théoret 1978 : 62)

Quelle force de la pensée à la fois du privé et du social de l'individuel et du collectif voudra accoucher de l'inédit infernal cette marche somptueuse et annulante de la parole et de l'acte hystériques. (Théoret 1978 :  67)

Le registre de la folie et de l’hystérie synthétise exactement la forme du paradoxe que prend le principe « le privé est politique » dans l’écriture de France Théoret : écrire du plus intime, à partir de « [s]a folie » et de « [s]on incapacité » à produire directement des discours politiques, paraît être la seule manière qu’elle trouve de communiquer malgré tout son « propre discours ». Et en même temps, « quel cliché de le dire, surtout pour une femme », car c’est risquer le discrédit, l’assimilation de son texte à un « bavardage » (Théoret 1982 : 37), parce que c’est trop conforme à l’idée préconçue et misogyne que la société se fait déjà de l’écriture des femmes. Ce paradoxe est formulé régulièrement mais jamais vraiment résolu sinon par le fait que l’écriture a bien lieu. Le second extrait proposé ici le reformule d’une manière elle-même ambiguë : faut-il comprendre que « cette marche somptueuse » de l’écriture qui, « inédit[e] » jusque-là12, tient le fil entre privé et social, individuel et collectif, annihile la parole hystérique – c’est-à-dire sort de la parole trop située au féminin ? Ou faut-il lire que la « marche [...] de la parole et de l’acte hystériques » est « somptueuse et annulante » – annihilatrice de tout sens au-delà de son propre mouvement ? France Théoret, même dans ses textes les plus clairement féministes, ne laisse jamais de sens stable se poser, encore moins de message politique bien défini : la parole « hystérique » ne s’arrête pas. Beaucoup d’autres écrivaines des mouvements d’écriture féministe ont glosé sur une philosophie propre à la libération des femmes (Daly 1972, 1978), sur une « écriture féminine » (Clément et Cixous 1975 : 170 ; Cixous 1975) qui se réapproprieraient l’idée misogyne de l’hystérie ou d’une psychée plus ou moins déterminée par la forme du sexe13 pour en faire le sens même d’un nouveau type de littérature – ce mouvement dépasse le cadre québécois puisque les mêmes textes sources ont circulé entre la France, les États-Unis et le Canada à partir du milieu de la décennie (Gould 1990). Dans les textes de France Théoret il est clair que cette « folie » dépend du jugement des hommes : ce sont eux qui la jugent telle, quand elle est simplement la voix hors normes d’une femme. Elle « déparle », dit-elle souvent (Théoret 1977 : 23, 1978 : 15, 44 ; voir aussi Gould 1990 : 211) : c’est-à-dire qu’elle parle, mais pas dans le cadre qu’on attend – elle parle en tant qu’elle-même, en tant que femme aussi. La « folie » de ces écrivaines-là, c’est alors aussi bien simplement ce qu’on a appelé quelques années plus tard l’affirmation de leur point de vue situé : le refus d’un faux universel (masculin), la volonté d’expliciter la position de chacune et ce qu’elle implique comme vision du monde. L’idée parcourt beaucoup de textes de l’époque, si elle n’est pas encore théorisée et systématisée. On la trouve ponctuellement chez Louky Bersianik (« Ancyl me parla longuement de son point de vue à elle, envers et contre “le point de vue de l’Homme” », Bersianik 1976 : 584). Dans les textes de France Théoret, elle est en revanche structurante – c’est elle qui lance l’écrit et qui en pose ses conditions de possibilité mêmes, dès les tout premiers mots des textes :

J'écris d'où je viens. Je parle d'où je suis. Le passé ne m'intéresse que pour agiter le devenir. (Théoret 1978 : 9)

et je me parle et ça me parle les voix de partout il n'y a pas d'unité du je d'identité du je d'un je central sorte de monstre sinon à se le braquer de toutes pièces sinon d'en faire des slogans (Théoret 1979 : 21)

L’insistance sur un point de départ localisé de la parole rend la voix narratrice à la fois vulnérable et forte : vulnérable parce qu’elle s’expose au plus privé, forte parce que c’est précisément ce qui lui permet de formuler des expériences qui résonnent auprès d’autres femmes et ainsi d’avoir finalement une portée politique (une « visée pratique » et « collective », pour le dire dans les mots de France Théoret). On retrouve ici son refus marqué d’un politique directement transvasé dans l’écriture, en « slogans ». En fait la possibilité d’un « je central » chimérique et l’idée des « slogans » fonctionnent ensemble et sont tous les deux mêmement improbables en littérature : France Théoret les repousse d’un même geste. La seule manière de faire sens en écrivant, aussi bien pour soi – pour le ‘je’ et le privé – que pour les autres – les lecteurs et lectrices, ‘le devenir’ dans son ensemble –, semble alors d’accepter l’absence d’unité et d’identité stables. Quelques années plus tard Donna Haraway rejette de la même manière « le fétiche de l’objectivité scientifique » (Haraway 2009 : 50) pour la double raison qu’elle ne permet pas de fonder efficacement des connaissances et qu’elle ne permet pas de déterminer qui doit être tenu responsable des discours et dans quelle mesure : elle pose que dans la définition d’une objectivité féministe « seules les perspectives partielles valent promesse de vision objective. [...] L’objectivité féministe concerne des localisations délimitées et des savoirs situés, pas la transcendance et la coupure entre le sujet et l’objet. » (Haraway 2009 : 335)

France Théoret, écrivaine et poète quant à elle, est guidée dans son écriture par un questionnement très similaire. On peut interpréter la quasi-absence de narration dans ses textes comme le refus d’une « coupure entre le sujet et l’objet » – la « voix » exprime les deux en même temps ; le sujet de l’écriture lui, construit à partir de « nos coordonnées femmes » et constituant tout en même temps identité, savoir, fiction et politique, a pour fin de faire « éclater les vieilles structures » en « débordements furieux »14. En d’autres endroits, France Théoret assimile aussi « reconnaissance de l’existence » et « lieu de parole et de savoir » : elle explique que « grâce à d’autres femmes » elle a pu en devenir une elle-même, que cela a consisté à reconnaître d’où elle parlait et d’où elle connaissait le monde (Théoret 1978 : 59). C’est ainsi que chez elle développer et donner sa pleine puissance à sa propre voix d’autrice, intime et située, prend un sens politique : non pas qu’elle soit collective dès le départ, car cela n’est possible en fin de compte que parce que cette voix a été, d’abord, travaillée dans son irréductible singularité. L’écrivaine le regrette dans l’un de ses derniers livres : « La mienne [sa voix] a été comprise et entendue comme une voix collective, ne l'a pas été pour ce qu'elle libère de singularité. » (Théoret 2017 : 19) – comme l’expliquent d’autres autrices féministes avec elle15, la base de l’écriture est un travail irréductiblement personnel et parti de l’intime, même si, achevée, elle est susceptible aussi d’une lecture collective.

Louky Bersianik et France Théoret n’articulent pas « privé » et « politique » de la même manière dans leurs œuvres : leurs écritures polarisent la question de manières très différentes. Chez Louky Bersianik, le privé exposé est celui des personnages féminins des romans, et à travers celui-là, c’est la vie quotidienne et intime des Québécoises des années 1970, voire celui des « femmes de la Terre » tout court (Bersianik 1976 : 678), qui est visée16. Le travail littéraire mené par l’autrice est un travail d’exposition : par le jeu des réécritures parodiques – de mythes, d’œuvres littéraires, de moments historiques – qui structure tant L’Euguélionne que Le Pique-nique sur l’Acropole, elle multiplie au maximum les perspectives sur un objet, toujours le même – le tort que la société fait aux femmes, matériellement et culturellement. La vulgarisation et l’illustration des théories féministes qui circulent en Amérique du Nord à ce moment-là participent du même phénomène : Louky Bersianik expose, propose des interprétations, fait foisonner les interrogations et les lectures. L’œuvre aspire à poser dans l’analyse massive du privé les bases d’une révolution à venir :

je dis à Omicronne qu’elle avait tort de ravaler ses larmes, car il lui faudrait un jour les verser toutes, par ordre, et sans en excepter une seule, et qu’il se pourrait alors que le flot endigué devienne une trombe arrachant tout sur son passage. (Bersianik 1976 : 135)

Mais dans cette démarche-là, c’est le ‘privé’ de l’autrice elle-même qui est évacué. Dans cet échafaudage romanesque satirique et didactique, sa voix d’autrice n’a guère plus d’importance que celle des autres voix rapportées ; le récit qu’elle fait elle-même de l’écriture de la « fresque politique » qu’est L’Euguélionne en témoigne puisque Louky Bersianik raconte qu’elle s’est laissée guider par une voix extérieure et imprévue qui lui a tout dicté – « ce personnage a commencé à me parler. [...] J’ai vraiment entendu son discours, je notais tout... » (Bersianik 2014 : 57), « Il faut qu’il y ait quelqu’un qui parle. J’ai donc inventé l’Euguélionne pour qu’elle parle à ma place, parce que moi, je ne suis pas une grande parleuse » (Bersianik 2014 : 65). L’intime de l’écrivaine elle-même est évité, supprimé de l’espace de la construction littéraire. France Théoret mène un travail exactement inverse : contrairement à son amie Louky Bersianik, elle vient d’un milieu où il est déjà posé au départ de l’écriture que « le privé est politique » et que la littérature doit en rendre compte, et elle commence à publier ses textes à un moment où elle rejette en partie cette idée (Gould 1990). On trouve aussi dans son œuvre des traces de satire et de didactisme, des traces d’œuvres lues et d’échanges menés avec d’autres féministes : mais elle ne conçoit pas son propre rôle d’écrivaine féministe autrement que comme un travail d’élaboration de la singularité de sa propre voix. L’intime non seulement réintègre l’écriture dans ce sens, mais il en devient la base indispensable – pour faire littérature en général, pour pouvoir avoir une portée politique en particulier. France Théoret elle-même formule cet écart de sa propre entreprise d’écriture féministe d’avec celle de Louky Bersianik :

Nous étions des féministes. Nous écrivions l'une et l'autre. J'ai exigé que l'écriture soit unique, singulière, fasse appel à une langue personnelle, inimitable. L'acte d'écrire nous rassemblait, ce que nous écrivions n'avait pas à se ressembler d'aucune façon. (Théoret 2015 : 134)

« Le privé est politique » se traduit ainsi chez France Théoret d’une manière toute différente de ce qui se passait dans les textes de Louky Bersianik : au lieu de mettre l’accent sur ce qu’il y a de politique dans le privé en développant une littérature franchement satirique et didactique mettant en scène les affres de la vie quotidienne des femmes, France Théoret inverse le propos et souligne ce qu’il y a de privé dans le politique : elle expose l’absurdité des discours politiques non situés et fait du travail littéraire de la « voix » intime un moyen plus efficace de prendre du pouvoir, en tant que femme et qu’écrivaine féministe.

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Notes

1 En 1966 naît la National Organization for Women, une des plus importantes organisations féministes de la période. Retour au texte

2 On peut probablement parler de réplication, plutôt que de survenue coïncidente : la référence aux mouvements de lutte américains pour les droits civiques des Noirs puis pour les droits des femmes est une constante dans les mouvements qui ont éclos ailleurs à peu près au même moment (Toupin, O’Really 1982 : 25 ; Riot-Sarcey 2002 : 104). Retour au texte

3 Au Québec des prémices ont eu lieu : Louise Toupin et Véronique O’Leary citent par exemple la manifestation du Front Commun des Québécoises du 29 novembre 1969 et les actions de La Ligue des femmes avant 1974 (Toupin, O’Really 1982 : 7-21). Retour au texte

4 Prémices : création de Féminin Masculin Avenir (Anne Zelensky, Jacqueline Feldman, Christine Delphy…) vers la fin de l’année 1967, création des Petites Marguerites après mai 1968, premiers groupes de réflexion sur les femmes réunissant Hélène Cixous, Monique Wittig, Josiane Chanel et d’autres à Vincennes, en octobre 1968. On date néanmoins le début du Mouvement de 1970, et en général précisément du 26 août 1970, date de la manifestation en l’honneur de la femme du soldat inconnu à l’Arc de Triomphe : c’est à partir de 1970 que ces groupes épars se rallient pour de bon en un mouvement commun (Lasserre 2014 : 19-23). Retour au texte

5 Voir le chapitre de Karen Gould (1990 : 150-199) consacré à Louky Bersianik et son analyse de la « herstory » ; directement dans le roman, voir notamment le chapitre « Les cahiers d’Ancyl » consacré au « point de vue » particulier d’Ancyl par opposition au faux point de vue universel des hommes (Bersianik 1976 : 583), et surtout les chapitres consacrés à la critique des biais masculins de l’ethnographie (« Ce glissement imperceptible » Bersianik 1976 : 412) ou du langage (« Les masclins » Bersianik 1976 : 55, « Le mot et son contraire », Bersianik 1976 : 628). Retour au texte

6 Et à vrai dire aujourd’hui c’est toujours aussi nécessaire et problématique à la fois : c’était récemment l’objet de l’ouvrage de Manon Garcia On ne naît pas soumise, on le devient (Garcia 2018). Retour au texte

7 Mêmes références dans L’Euguélionne : « Votre destin corporel, femmes de la Terre, est individuel. Il n’est pas le destin de la collectivité. [...] Refusez de vous faire massacrer au profit de l’espèce. » (Bersianik 1976 : 508). Retour au texte

8 Un exemple parmi d’autres dans Le Pique-nique sur l’Acropole : « Il est évident que l'hétérosexualité exclusive est le moyen entre autres qu'ont trouvé les hommes d'imposer aux femmes un frein à leur sensualité pour la capitaliser à leur profit. Et par ce biais instaurer la société patriarcale, monogamique et familiale, qui restreint considérablement l'expression sexuelle. Voilà un capital que nos marxistes ne songent guère à renverser. Ils auraient plutôt tendance à thésauriser eux aussi sur ce territoire. » (Bersianik 1979 : 183) Retour au texte

9 On en trouve une version apologue chez Louky Bersianik aussi, dans la fable du « Circuit intégré » (Bersianik 1976 : 315). Retour au texte

10 Les écrivaines féministes québécoises exploitent ainsi les ressources du joual (Gagnon 1975 ; 1977 : 67 ; Boucher, Gagnon 1977 : 82, 139), réfléchissent à l’écriture et ses liens avec le corps (Brossard 1977  ; Gagnon 1977 ; voir aussi Gould 1990 : 42), avec le délire (Gagnon 1977 : 64, 106 ; 1978 ; 1979 ; Théoret 1977), à l’écriture en spirales (Bersianik 1976 : 676 ; 1990). Retour au texte

11 Ma traduction : « Théoret’s poetic efforts to explore the contradictory languages of the self engender a feverish, twisting search for words and an impatient desire to reconnect words to the female body and the larger body politic. » (Gould 1990 : 214). Retour au texte

12 Pour comprendre l’extrait il faut savoir que France Théoret vient de redéfinir le terme « inédit » au moment même où elle dresse le programme de son écriture de femme : « ni un scénario appris par cœur, ni spontanéité pure, ce sont des fragments entre la fiction et la théorie, tant je suis occupée par le flux, le passage, l'existence, le refoulé, l'impensé, la négativité, l'en-deçà du monde [...] Vous lire à voix basse l'en-train de se produire : l'inédit. [...] Je suis le manque, me vois et me vis ainsi travaillée par des voix qui m'assaillent, polluée par toutes les idées, images, mythes que la société se fait de toutes les femmes, et par conséquent, de moi. » (Théoret 1978 : 58-59). Retour au texte

13 Au départ, c’est surtout Luce Irigaray qui propose cette idée, pour l’expérimenter mais non la fonder en dogme, dans « Ce sexe qui n’en est pas un » (Irigaray 1974) ; beaucoup d’écrivaines ensuite reprennent l’idée, généralement citée par allusion. Dans Une voix pour Odile par exemple : « Refus du linéaire, fendue en deux comme mon sexe, deux et plus, ni logique de la dualité, ni discours de l'ordre (intériorisé) que j'ai pourtant appris par cœur. » (Théoret 1978 : 58). Retour au texte

14 « Il y a des débordements furieux qui sont en cours. L'identité, le savoir, la fiction et la lutte politique tracée à même nos coordonnées femmes devenues sujets fera éclater les vieilles structures. [...] Le langage le dit à grande coulée. Mais ça se vit à petits pas dans les minutes quotidiennes. » (Théoret 1978 :  52-53) Retour au texte

15 Monique Wittig développe à peu près la même idée dans « Le point de vue, universel ou particulier » (Wittig 1982). Retour au texte

16 On a souvent critiqué la fausse universalité des féministes des années 1970 : « les femmes » représentées dans les textes sont de fait manifestement presque toujours blanches et issues de classes moyennes ou bourgeoises… Les textes de Louky Bersianik ne font pas exception sur ce point ; les passages d’indignation contre l’excision dans Le Pique nique sur l’Acropole marquent eux-mêmes toujours le point de vue occidental de l’autrice. Retour au texte

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Référence électronique

Aurore Turbiau, « “Le privé est politique” comme paradoxe littéraire : révolution et intimité chez les Québécoises Louky Bersianik et France Théoret », Textes et contextes [En ligne], 15-2 | 2020, publié le 15 décembre 2020 et consulté le 29 mars 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=3022

Auteur

Aurore Turbiau

Doctorante contractuelle, Centre de Recherche en Littérature Comparée (EA4510), Faculté des Lettres, Sorbonne Université

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