Combat contre l’oubli. L’évolution des revendications politiques dans la presse des expulsés allemands

Le cas du Grafschafter Bote

Texte

Phénomène consécutif à la Seconde Guerre mondiale, l’expulsion des Allemands originaires des territoires de l’Est placés sous administration polonaise ou soviétique par les Accords de Potsdam, est mal connue hors des frontières allemandes. Ce sont pourtant quelque quatrorze millions d’Allemands qui ont dû quitter leur terre natale située à l’est de la ligne Oder-Neisse à partir du printemps 1945. Deux millions d’entre eux n’ont jamais atteint leur territoire d’accueil, l’une des quatre zones d’occupation alliée. Durant des années, voire des décennies, l’intégration de ces personnes va poser des problèmes sociaux à la toute jeune RFA, d’abord dépassée par le flux d’arrivants, puis obligée de composer avec cette partie de la population partagée entre le désir de s’intégrer à la RFA et celui de rentrer dans sa terre natale. Le cœur de la problématique des expulsés se trouve dans le malentendu initial les concernant. Alors que l’URSS et ses Etats satellites considèrent que les frontières issues des Accords de Potsdam sont définitives, le texte ne dit pas exactement la même chose et laisse la porte ouverte à une modification de la frontière germano-polonaise à l’issue d’un traité de paix, laissant ainsi l’espoir aux expulsés et à une partie de la population allemande que les territoires perdus redeviendront allemands et que les expulsés pourront rentrer chez eux.

La vie des expulsés s’organise en RFA à tous les niveaux : politique (fondation d’un parti politique consacré à la représentation de leurs revendications), social (mise en place de dispositifs législatifs particuliers), culturel (création de multiples associations). Afin de favoriser l’expression publique des expulsés et de maintenir vivants les liens existant entre les différentes communautés, une presse extrêmement vivante et diversifiée voit le jour dans les années suivant l’expulsion. Signe de la vigueur du phénomène et de l’importance que les expulsés accordent à ces journaux, certains existent encore au début du xxie siècle, soit près de soixante-dix ans après l’expulsion et alors que le nombre des personnes l’ayant vécue se réduit fortement. En effet, malgré le temps qui passe, les expulsés continuent d’occuper le devant de la scène politique allemande et se retrouvent régulièrement au cœur de polémiques liées entre autres à l’interprétation historique du passé. Erika Steinbach, la députée conservatrice présidente de la Fédération nationale des expulsés est la figure emblématique de ce mouvement.

Notre projet de recherche se propose d’analyser le contenu de l’un de ces journaux, le Grafschafter Bote, journal paraissant sans interruption depuis 1950. Destiné aux Allemands expulsés du petit territoire du Comté de Glatz en Silésie, il est aujourd’hui l’un des plus importants journaux de la presse des expulsés. En s’appuyant sur tout ce qui relève de la sphère politique dans ce journal, notre travail vise à établir les contours idéologiques d’un journal par nature tourné vers le passé mais aussi confronté à la dure réalité du présent. De tournants historiques en défaites politiques, les expulsés se sont pour la plupart intégrés dans la société de RFA en renonçant à retrouver leur terre natale et en abandonnant l’espoir d’un retour. Quant au Grafschafter Bote, malgré l’échec de ses revendications, il continue inlassablement son combat pour que les perdants de l’histoire que furent les expulsés trouvent une juste place dans l’histoire de la Seconde Guerre mondiale et celle du xxe siècle et que leur destin longtemps oublié ou passé sous silence soit pleinement reconnu.

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Référence électronique

Lionel Picard, « Combat contre l’oubli. L’évolution des revendications politiques dans la presse des expulsés allemands », Textes et contextes [En ligne], 5 | 2010, . Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=293

Auteur

Lionel Picard

thèse de civilisation allemande sous la direction de M. Jean-Luc Gerrer

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