Maître et domestique : la relation intime dénaturée de Lord Kingscourt et Mary Duane dans L'Etoile des Mers de Joseph O'Connor

Résumés

Dans L'Etoile des mers, roman de Joseph O'Connor sur l’exil des Irlandais de toutes classes pris dans la tragédie de la Grande Famine, la relation ambiguë entre maîtres et serviteurs est narrée sous un angle subjectif, à travers le prisme de deux des personnages principaux : Lord Kingscourt et Mary Duane, qui est d’abord simplement présentée comme la nourrice qui s’occupe de ses enfants. Le lecteur découvre rapidement, cependant, que le maître exerce son pouvoir pour obtenir des faveurs de sa domestique, dont on comprend plus loin dans le roman qu'elle est la fille de sa propre nourrice et qu'ils ont été amoureux dans leur jeunesse, faisant alors fi de la différence de classe sociale. Leur relation, d'abord établie comme naturelle, spontanée et dénuée de rapports de pouvoirs, devient sordide lorsque la pression sociale les éloigne et fait que leurs rapports intimes ne sont plus qu'un droit de cuissage pris par le seigneur.

In Star of the Sea by Joseph O'Connor, a novel depicting the exile of the Irish during the Great Famine, the ambiguous relationship between master and servant is explored through the subjective angle of vision of two characters: David Merridith, Lord Kingscourt of Carna, and Mary Duane, the latter at first simply introduced as his sons’ nurse. The reader soon discovers, however, that the master asks her to grant him a number of privileges. Lord Kingscourt is unable to acknowledge this as an unhealthy intimacy given that he still sees Mary, not as a servant, but as the woman he loved as a young man even though she was his own nurse’s daughter. Their relationship, which was natural, spontaneous and free when they were teenagers, becomes sordid as social requirements tear them apart and the only possible intimacy left between them is an abject droit de seigneur.

Plan

Texte

Dans L'Etoile des Mers, roman de Joseph O'Connor sur l’exil des Irlandais de toutes classes pris dans la tragédie de la Grande Famine, la relation ambiguë entre maîtres et serviteurs est narrée sous un angle subjectif, à travers le prisme de deux des personnages principaux : Lord Kingscourt et Mary Duane, qui est d’abord simplement présentée comme la nourrice qui s’occupe de ses enfants.

Le regard que les maîtres portent sur le corps de Mary Duane, objet de dégoût et de fascination, montre leur prise de pouvoir sur la domestique, pouvoir abject quand il touche au plus intime. Le lecteur découvre rapidement, en effet, que le maître exige des faveurs de la jeune femme, qui ne peut que s'y soumettre dans une société hypocrite se satisfaisant d'une respectabilité de façade. Pourtant la relation entre Lord Kingscourt et Mary est plus complexe qu'il n'y paraît. Mary est la fille de la propre nourrice de David et ils ont été amoureux dans leur jeunesse, faisant alors tous deux fi de la différence de classe sociale. Ainsi, le retour du code social vient réprimer leur transgression adolescente, dénature la relation et la rend sordide.

1. La relation des maîtres au corps de la domestique : l'affirmation du pouvoir

La relation maître / serviteur entre Laura, la femme de David Merridith et Mary, la nourrice de ses enfants, n'est marquée au début du roman par nulle ambiguïté, comme le montre un de leurs échanges :

—Pourriez-vous relaver vos mains, Mary ? Avant de toucher aux enfants.

—Oui, lady Merridith.

—Ils ont une peau si délicate, surtout Jonathan.

—Bien, madame.

—Vous n'oublierez pas de changer les draps après le petit déjeuner. Ainsi que les dessus-de-lit et les taies d'oreillers, cela va sans dire. Nous savons tous ce qui risque de se passer si Robert n'est pas à son aise pour dormir.

—Je ne comprends pas ce que vous voulez dire, madame.

—Ses cauchemars, bien sûr. Qu'imaginiez-vous donc ?

—Oui, madame.

—Et je déteste devoir vous le préciser, Mary, mais pensez à vous laver sous les bras. J'ai remarqué cette habitude que vous aviez de vous fourrer les mains sous les aisselles lorsque vous aviez chaud. C'est d'un manque d'hygiène épouvantable !1 (O'Connor 2003 : 87)

Le dialogue est révélateur des préjugés de la haute société anglaise à l’égard des classes inférieures, non seulement pauvres, mais nécessairement sales, préjugés d’autant plus affirmés que Mary est irlandaise. Le corps de la domestique est ainsi objet de dégoût et le contact avec sa peau vu comme une agression. L'intimité représente une contrainte dont les deux femmes ne peuvent se libérer.

Elles semblent en outre jouer une partition écrite d’avance par la société, s'inscrire dans une relation qui ne peut être constituée que de mépris pour l’une et de ressentiment pour l’autre. La langue même des deux femmes leur impose de marquer un rapport de dominant et dominé. Les répliques de Lady Merridith sont un discours de pouvoir tel que le définit Roland Barthes (1978 : 11), c’est-à-dire « tout discours qui engendre la faute, et partant la culpabilité, de celui qui le reçoit ».La seule réponse ou presque de Mary est « madame », ce qui souligne son assujettissement. La parole lui est refusée, et quand elle la prend, elle essuie une réponse cinglante renvoyant à un sujet interdit : l’énurésie du jeune garçon, euphémisée en nuits agitées de cauchemars. La conversation est extrêmement codifiée et basée sur ce qui ne saurait être dit tant dans la relation que dans l’évocation de l’intimité du fils du maître. Mary ne peut que revenir au mot « madame ». Elle n'est qu'un corps sans voix au service de ses maîtres. La relation est verrouillée.

Le lecteur a toutefois accès aux pensées de Mary : « Mary se demanda si elle devait révéler à sa maîtresse que depuis sept mois son mari venait chaque soir dans sa chambre sur le coup de minuit, s'asseoir sur le lit pour la regarder se déshabiller. Cela lui aurait rabattu son caquet »2 (O'Connor 2003 : 87).

Ces pensées révèlent son refus de se voir imposer un tel discours de pouvoir. Mary ne peut pas changer la langue, mais elle peut en jouer grâce à la distance ironique et au non-dit. Sa parole est niée par la maîtresse. Elle lui est rendue par le narrateur, de manière subversive. Le discours de pouvoir est renvoyé à la grande dame sinon par une réplique impertinente (Robbins, 1986), du moins par une pensée qui l’est, et la faute et la culpabilité sont rejetées sur le maître.

Une autre dimension d’aliénation touchant au plus intime est, ce faisant, livrée : la domestique doit se soumettre aux visites du maître tard le soir. Celui-ci est froidement désigné par « son mari » dans le passage en focalisation interne précédemment cité. Ce n’est donc pas son nom qui apparaît mais son statut social. Il n’est vu qu’à travers la relation conjugale dévoyée, le devoir de Laura étant assumé par une autre, avec cette fois une agression physique bien réelle. David Merridith, qui use de son pouvoir pour soumettre Mary à ses désirs, ne parvient cependant pas à entrer ouvertement dans la relation du maître abusant de sa domestique. Il ne veut pas dire ce que la langue l’oblige à dire :

Une nuit d'avril, il avait frappé à sa porte et s'était glissé honteusement dans la chambre, un carnet d'esquisses à la main. Il prétendit qu'il voulait la dessiner. (...) Il se demandait s'il y avait des chances qu'elle veuille bien lui accorder cette faveur. Les mots qu'il employa étaient inattendus, ils étaient pour le moins inhabituels dans la bouche d'un maître qui s'adresse à sa servante. Elle s'assit près de la fenêtre et lui accorda cette faveur. Cette fois il se contenta d'une mèche de cheveux dénouée. Le lendemain, il gravit de nouveau l'escalier. (...) Il la croqua une dizaine de minutes, puis une nouvelle faveur fut requise.

Je me demandais, Mary, s'il serait possible... Si tu étais gênée en quoi que ce soit, je me garderais bien d'insister. Mais amis depuis notre plus tendre enfance... A la manière d'un frère et d'une sœur. N'y vois rien de malsain. (...)

Sans une parole, elle avait retiré son peignoir et sa chemise. Elle n'aurait pas supporté d'entendre d'autres mensonges.3 (O'Connor 2003 : 88)

David Merridith bute sur une réalité qu’il ne veut ni voir ni nommer. Il s’adresse à celle qu’il a connue toute sa vie en n’utilisant pas les codes imposés par leur statut. Il enchaîne les phrases fragmentées et incomplètes, n’assumant pas d’imposer son pouvoir de maître, de dire sa requête explicitement, tentant de s'échapper par la fragmentation de son discours, par le non-dit.

Mary, elle, a la force d'user du silence ou de la langue du pouvoir comme d’une arme pour la détourner et marquer sa domination dans la situation même de soumission. En effet, dans ses réponses, la jeune femme rappelle brutalement l’assujettissement qui est nécessairement le sien, en s’obstinant, au grand désarroi de David Merridith, qui veut croire à son consentement, à l’appeler « monseigneur » (O'Connor 2003 : 91) ou bien comme dans la citation qui précède, elle refuse tout dialogue et s’exécute sans un mot, lui montrant par là même qu'elle n'est plus qu'un corps pour lui. Le dialogue porte la souillure que représente une telle relation, par l’absence de fluidité qui caractérise les échanges de David et Mary.

2. Une société hypocrite

La relation est sordide, et surtout indicible. La société impose à Mary de la subir en silence :

Il y eut un temps où elle pensa aller se confier à sa maîtresse. (Maîtresse était un mot si intéressant!) Mais elle savait pertinemment ce qui se passerait si elle agissait ainsi. Ce ne serait pas Lord Merridith qui serait chassé de la maison et réduit à errer dans les rues ou à supplier qu'on lui prêtât une paillasse pour dormir. Dans ces situations quotidiennes de faveurs accordées, ce n'était jamais le maître qui était renvoyé. Elle n'était qu'une bénéficiaire de la charité de Sa Seigneurie, une fille de son pays qu'il avait sauvée de la mendicité à Dublin.4 (traduction amendée, italiques de l'auteur) (O'Connor 2003 : 89-90)

Situation commune, donc, cautionnée par une société dans laquelle l’injustice prévaut. Par son statut social, Mary entre de fait dans le rôle de maîtresse, double ironique de la maîtresse de maison, elle qu’on cherche à priver de toute affirmation de sa volonté et qu’on livre au maître.

La réflexion amère sur le terme « maîtresse » apparaît entre parenthèses, comme une effraction dans le texte, et joue sur l’elliptique « intéressante », pour suggérer encore une fois par ce qui est tu l’hypocrisie de la société victorienne bien pensante. Cette société désigne Mary comme le stéréotype émouvant de la femme sauvée de la pauvreté par David, stéréotype, lui, de l’aristocrate bienfaiteur, alors qu’elle doit de nouveau dévoiler ses charmes pour survivre, finalement employée dans une autre forme de maison close que celle où elle en était venue à officier avant qu'il ne lui offre une place de domestique. Ce faisant, il la maintient en outre à sa place, sans mobilité possible. Confinée dans sa chambre de bonne, à l’écart de la vie familiale et de la façade sociale de respectabilité, Mary est prisonnière de cet espace social marquant la domination du maître.

Leur relation devient une fiction sociale. Le code des relations produit un artifice, « des combles d'artifice, que [la société] consomme ensuite comme des sens innés, c'est-à-dire des combles de nature » pour reprendre les mots de Roland Barthes (1978 : 32).

Il s’agit en effet de consommer des modèles, de créer des relations immuables, qui paraissent suffisamment naturelles et innocentes pour faire perdurer la mise sous tutelle des classes inférieures : « Elle connaissait son rôle et lui le sien. Comme s'ils étaient les personnages d'une hymne »5 (ma traduction). La comparaison pour le moins inattendue renvoie à nouveau au fait que la relation est une mise en récit, une codification par les stéréotypes, et la connotation religieuse dit bien la perte de toutes valeurs morales dans le monde dépeint dans le roman.

La relation sociale est donc dénaturée. Il s'agit d'une perversion de la simple soumission à un ordre établi puisque la femme assujettie doit se plier aux désirs du maître, qui la dessine et parfois la caresse. Le titre du chapitre « The Subject », par son ambivalence, désigne tant le modèle du peintre que la soumission de la femme du peuple au pouvoir de l’aristocrate, et de la femme à l’homme. Dans le chapitre « The Married Man », la dimension pornographique du regard de l’homme sur la femme qu’il paye pour se dévêtir dans les peepshows de Londres est explicitement comparée (par la maquerelle) à celui que l’artiste porte sur son modèle, et les filles de joie aux nus exposés à la National Gallery. L’art est un prétexte facile pour masquer l’abjecte transgression de la décence morale, l’obscène servitude qui ne dit pas son nom. C’est une relation faussement intime, dénaturée.

3. Le passage de la nature à l'artifice : subversion et retour des codes sociaux

Le passage de la nature à l'artifice dans la relation de David et Mary est spectaculaire. Dans le texte, la contiguïté entre les relations de Mary avec Laura et David sur le bateau ou juste avant le départ, et l’analepse sur la jeunesse de Mary montre un basculement radical dans la relation, d’un amour innocent à une relation abjecte, soulignant la perte des illusions des personnages souillés. Le bégaiement du jeune David qui demandait tout en timidité et délicatesse à Mary « Could I k-kiss you Mary ? » (O'Connor 2002 : 67) devient des années plus tard alors qu'il se rend dans la chambre de la domestique l’enchaînement de segments de phrases jamais finies, submergées par la honte, car il ne s’agit plus d’une demande mais d’un ordre, que Lord Kingscourt le veuille ou non.

Le renversement est particulièrement frappant en ce que la relation amoureuse entre David et Mary dans leur jeunesse est justement une relation spontanée et naturelle, égalitaire, prenant place dans un lieu semble-t-il neutre, à l’écart des contraintes sociales, dans les bois entre la ferme de Mary et le manoir des Kingscourt. A l'adolescence, ils sont une image d’innocence. Ce sont deux jeunes gens qui prennent soudain conscience de l’attirance qu’ils ressentent l’un envers l’autre. Leurs corps se joignent loin des codes et des questionnements.

Cliona O Gallchoir explique ainsi :

Au début du roman, les premiers rapports adolescents de Mary et David sont présentés sur un mode lyrique, dans un décor où « l'herbe fraîchement coupée » et « le parfum des fougères écrasées » offrent un contrepoint à la relation physique décrite. L'expression de ce désir ne peut cependant rester associée à la nature, tant les échos intertextuels avec des récits d'idylles entre personnes de classes sociales différentes et le fait que l'Eglise Catholique impose un régime disciplinaire strict en suggèrent une autre interprétation.6

De nombreux non-dits entourent leur relation. David ignore tout des menstrues, Mary parle à mots couverts avec sa sœur des relations sexuelles : il faut s’arrêter à Chapelizod sur la route de Dublin si elle ne veut pas tomber enceinte. Sous les non-dits ressurgissent les interdits, qui provoquent la bascule de la complicité harmonieuse vers l’inconfort social et la honte. L’expression « The Thing not Said » désigne dans le roman la preuve d’amour : l’homme, dans la relation entre le père de Mary et sa mère ou dans la relation entre David et Mary, cache certaines réalités dérangeantes à la femme aimée pour la protéger. C’est cependant affirmer en creux l’interdit, ce qui ne peut être dit, ne veut être vu au sein même de la relation intime.

Or ce que David n’a pas su comprendre dans sa jeunesse c’est précisément cette ambiguïté dans l’intimité. La relation intime est ambiguë au sens où elle est entretenue avec une famille avec qui il est intime sans être uni, alors que les relations avec sa lignée biologique sont faites de froideur et de distance. La mère de Mary Duane est comme une mère pour David Merridith, dont elle est la nourrice en l'absence de Lady Verity jusqu'aux 6 ans de l'enfant, car cette dernière s'est installée à Londres avec ses filles, mais a laissé son fils derrière elle.

Enfant, David Merridith voudrait pouvoir dormir chez les Duane, mais se voit interdire l'accès à la maison la nuit, alors qu'il y est comme chez lui en journée. Le père le ramène au manoir où il sait pourtant l'enfant malheureux. La compassion des Duane s'exprime uniquement par des larmes silencieuses (O'Connor 2002 : 54).

Là encore le non-dit vient jouer une part importante. « The Thing Not Said », c’est aussi ce qu’il n’est point besoin de dire, car intégré dans l’inconscient collectif sur les relations entre maîtres et serviteurs, sans remise en cause possible. Personne ne dit à David pourquoi les choses sont ainsi car cela relève de l’évidence. Les réponses à ses questions lui sont refusées. Le silence préserve l’ordre.

A ses yeux, sa place est chez les Duane, mais la hiérarchie sociale lui dicte une autre conduite et lui impose une place qui n'est pas davantage la sienne. Au retour de Lady Verity, Margaret Duane, la nourrice, est aussitôt écartée pour laisser place à la mère biologique. Le lien étroit, si intime, peut être rompu d'un claquement de doigts. Le point de vue de la nourrice sur cette séparation qui devait nécessairement se produire n'apparaît pas. La perception d'un lien fort est avant tout celle de l'enfant innocent et naïf: il n'a pas conscience que les élans naturels ne peuvent transcender les classes.

Lorsque David tombe amoureux de Mary, il en vient à souhaiter de n'être pas bien né, sa généalogie devenant pour lui une prison. Il est ainsi éloigné de Mary par la volonté tant du père de David que du père Duane, volonté à laquelle il se plie, provoquant le mépris et la haine de Mary. La structure sociale reprend ses droits et sépare les amants.

Plus tard, en offrant à Mary une place de nourrice auprès de ses enfants, David renouvelle la relation intime engagée par la génération précédente. Or Mary, il le découvrira bien plus tard, n'est autre que la fille illégitime de Margaret Duane et de son propre père, sa demi-sœur, et donc le fruit d’un autre droit de cuissage pris par le père de David. De manière paradoxale, la révélation du lien de parenté les sépare irrémédiablement. Les initiales de David Merridith et Mary Duane (DM et MD) les désignent comme des doubles, se reflétant l’un l’autre de part et d’autre d’un miroir social qu’ils ne peuvent traverser. Dans cette société hypocrite, chacun doit tenir son rôle, fût-il aliénant.

4. Conclusion

La relation égalitaire, telle qu'elle était envisagée au début entre le maître et la fille d'une famille de domestiques, est chimérique. Lord Kingscourt est malgré lui le serviteur d'un ordre social qui écrase l'individu, le soumet à sa loi. Son entrée dans l’âge adulte se fait par l'acceptation de la soumission à la hiérarchie sociale et impérialiste et dénoue impitoyablement la relation intime avec la famille Duane.

Mary Duane, domestique et sujet de la Couronne d’Angleterre dont les aristocrates semblent pouvoir faire ce que bon leur semble, y compris l’embarquer à bord de l'Etoile des Mers, n’est toutefois pas une servante aussi malléable qu'il pourrait paraître de prime abord : elle échappe toujours à celui qui voudrait la posséder.

Mary a ainsi pour projet de quitter la famille à son arrivée aux Etats-Unis où elle compte bien se créer une vie libre des conventions et des oppressions de l’Irlande et de la Grande-Bretagne. Par sa relation avec David, elle découvre les limites de son monde, mais le code social est subverti en ce que l'émigration lui ouvre une page blanche sur laquelle écrire le destin de son choix, hors de la soumission à un maître.

Bibliographie

Barthes, Roland (1978), Leçon. Paris : Seuil.

O’Connor, Joseph (2002), Star of the Sea: Farewell to Old Ireland. London : Secker & Warburg.

O’Connor, Joseph (2003), L’Etoile des mers. Paris : Phébus, traduit par Masquart, Pierrick / Meudal, Gérard / Carton-Piéron, Marie-Thérèse.

O Gallchoir, Cliona (2013), « Modernity, Gender, and the Nation in Joseph O’Connor’s Star of the Sea. », in : Irish University Review ; 43 / 2, 344–62.

Robbins, Bruce (1986), The Servant’s Hand: English Fiction from Below. Durham : Duke University Press.

Notes

1 “‘Would you wash your hands again, Mary. Before touching the children.’ Retour au texte

‘Yes, Lady Merridith.’

‘Their skin is so sensitive, Jonathan’s especially.’

‘Lady.’

‘Make sure to change the sheets after breakfast, won’t you? The counterpanes and pillowcases also, of course. If Robert doesn’t get a comfortable sleep, we all know what happens.’

‘I don’t get your meaning, ma’am.’

‘His nightmares, of course. What else would I mean?’

‘Lady.’

‘And I hate to say it, Mary, but would you wash your armpits too. I notice you have a habit of putting your hands in there when you’re hot. It’s really most unhygienic.’” (O'Connor 2002 : 46)

2 “Mary Duane wondered if she should tell her mistress that almost every night for the last seven months the lady's husband had come to her quarters at midnight to sit on her bed and watch her undress. That might soften her cough for her.” (O'Connor 2002 : 46) Retour au texte

3 “Late one April night he had knocked on her door and slunk in with his sketchpad, saying he would like to draw her. (…) He wondered if she might possibly ‘permit him that privilege’. His choice of language had been unexpected, for they were unusual words to be spoken by a master to his servant. She had sat by the window and permitted him that privilege. A loosening of the hair was all he required that night. And the next night he had come up the stairs again. (…) After ten minutes of drawing, another privilege was requested. Retour au texte

I wonder, Mary, if it might be possible. If you’re uncomfortable at all I would absolutely. Friends since the days of childhood and so on. Brotherly sisterly. No suggestion of any sort of sordid. (…)

Without replying, she had removed her robe and nightgown. She could not bear to listen to any more lies.” (O'Connor 2002 : 46-47)

4 “There was a time when she had thought to go to her mistress about it. (‘Mistress’ was such an interesting word.) But she knew what would happen if she dared to do that. It would not be Lord Merridith who would be flung from the house to walk the streets or beg for a bed. In these everyday situations of privilege granted it was never the master who was ordered to go. She was one of His Lordship’s charity cases: the local girl he rescued from beggary in Dublin.” (O'Connor 2002 : 47-48) Retour au texte

5 “She knew her role and he knew his. As though they were characters in a hymn” (O'Connor 2002 : 47). Retour au texte

6 “In an early part of the novel, Mary and David's teenage sexual experimentation is presented lyrically, in a setting where 'new-mown grass' and the 'aroma of crushed ferns' (p.67) is a counterpoint to the physical encounter described. The evocation of the natural in relation to this expression of desire is however not only overwhelmed by the intertextual echoes of cross-class romance, but also by the fact that the rigid disciplinary regime of the Catholic church very soon imposes yet another frame of meaning on this 'natural' expression.” (O'Gallchoir 2002 : 355) Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Anne-Lise Perotto, « Maître et domestique : la relation intime dénaturée de Lord Kingscourt et Mary Duane dans L'Etoile des Mers de Joseph O'Connor », Textes et contextes [En ligne], 12-2 | 2017, publié le 14 juin 2018 et consulté le 24 avril 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=1629

Auteur

Anne-Lise Perotto

MCF, laboratoire LLSETI (EA3706), Université Savoie Mont Blanc, 11 rue des Champs-Elysées, 38100 Grenoble – anne-lise.perotto [at] univ-savoie.fr

Droits d'auteur

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