Adolphe-François Loève-Veimars, traducteur d'E.T.A. Hoffmann et de H. Heine
Un personnage-clé des interactions littéraires franco-allemandes des années 1830

Résumé

Adolphe François de Loève-Veimars, traducteur et diplomate joua un rôle de premier plan dans les relations littéraires franco-allemandes dans les années 1830.

Plan

Texte

« Le vrai traducteur [...] est un messager entre les nations, médiateur de respect et d'admiration mutuelles, là où il n'y avait eu qu'indifférence ou même aversion. »1 – c'est ainsi qu’ August Wilhelm Schlegel, ce grand traducteur du romantisme allemand, décrivait le rôle primordial des traducteurs dans les interactions littéraires transfrontalières. A l’instar de cette réflexion, nous nous pencherons sur un médiateur culturel entre la France et l’Allemagne à l’époque du romantisme français : le traducteur et diplomate Adolphe-François Loève-Veimars.2 Entre 1830 et 1833, il a été le premier à traduire les œuvres d’E.T.A. Hoffmann en français, sa traduction rendant ce romantique allemand célèbre en France. Peu de temps après, il a joué un rôle de médiateur important en introduisant Heinrich Heine dans la vie littéraire parisienne. Ainsi, l'exemple de ce traducteur nous permettra de retracer un chapitre important des interactions littéraires et des circulations des textes entre la France et l'Allemagne à l'époque du romantisme français.

1. Un homme de lettres judéo-allemand à Paris

Afin de mieux cerner le contexte social qui a façonné un médiateur culturel, nous allons tout d’abord retracer quelques données biographiques qui ont permis à Loève-Veimars de devenir traducteur et médiateur culturel entre la France et l’Allemagne. Adolphe-François Loève-Veimars naît à Paris, vraisemblablement le 26 avril 1799 ou 1800, l'absence d'acte de naissance rendant la datation difficile.3 Son nom de famille renvoie à ses origines judéo-allemandes : ‘Loève’ serait une forme francisée du mot allemand Löwe (lion) – il y a de nombreux familles juives Löw ou Löwy, et les exemples d’altération orthographique lors de l'immigration en France ne manquent pas (voir Espagne 1996 : 12s.). Il est probable que ‘Veimars’ renvoie à la ville de Goethe. Les parents de Loève-Veimars avaient vraisemblablement immigré en France quelques années avant sa naissance. Le jeune Adolphe-François est d'abord scolarisé au lycée Bonaparte, l'actuel lycée Condorcet. Puis, en 1814, sa famille quitte Paris pour s'installer à Hambourg. Adolphe-François y entre comme commis dans une banque – un parallèle avec la vie de Henri Heine, en formation de 1816 à 1819 chez Hecksche & Co à Hambourg, banque dont son oncle Salomon Heine fût associé. Le poète et son futur traducteur côtoient donc presque au même moment le milieu des banques et maisons de commerce juifs à Hambourg, sans pour autant y faire connaissance. Pendant son séjour à Hamburg, Loève-Veimars apprend l'allemand. A cette époque, où il n'y avait pas d'enseignement de langues vivantes en France (cf. Lévy 1952 : 160–262), la maîtrise – même partielle – de l’allemand constitue une qualification très rare.

Loève-Veimars essaya pendant toute sa vie de cacher ses origines judéo-allemandes à ses amis parisiens, mettant en avant sa nationalité française. Les souvenirs d'un contemporain, le journaliste Henri Blaze de Bury, témoignent de ce doute sur ses origines :

d’ou sortait-il ? On ne l’a jamais su ; un siècle plus tôt, il eût fait un charmant officier de fortune [...] : Quoi qu’il en soit, un certain mystère – voulu peut-être – planait sur son origine. Je le soupçonnais un peu d’être Allemand ; Allemand de la même manière que Henri Heine serait Français. (Blaze de Bury 1888 : 318)

En 1818, Loève-Veimars rentre à Paris où, tournant le dos au monde de la finance, il se consacre entièrement à la vie littéraire. Il débute en tant qu'écrivain en publiant en 1823 un recueil de quatre contes intitulé Les Manteaux. Mais le succès se fait attendre et le jeune homme profite donc de ses compétences linguistiques pour gagner sa vie en tant que traducteur. Ainsi, dans les années 1820, il traduit plusieurs séries de romans historiques, notamment de Heinrich Zschokke et de Franz van der Velde, devenant un des traducteurs les plus productifs de littérature en prose allemande sous la Restauration.4 Après la Révolution de Juillet, le traducteur devient également critique de théâtre et collabore aux revues littéraires les plus prestigieuses de son époque, à savoir la Revue de Paris et la Revue des Deux Mondes. Dans les salons littéraires représentatifs du romantisme français, entre autres chez Charles Nodier à l'Arsenal, il se fait remarquer et acquiert une réputation de dandy. La célébrité de Loève-Veimars dans les années 1830 – accrue par sa traduction d’Hoffmann – est attestée entre autres par le témoignage du critique littéraire Maxime Du Camp, qui note dans ses mémoires :

Parmi les fantômes qu’évoquent mes souvenirs, Lœve-Veimars fut un des plus célèbres (...) Au spectacle, sur les promenades, on se le montrait du doigt et l’on disait : C’est lui ! Pendant les entr'actes, à sa stalle d'orchestre, il se tenait immobile sous le jeu des lorgnettes et n'en était pas gêné. On s’écartait lorsque, dans les couloirs du théâtre, il passait en souriant, comme un souverain auquel les hommages sont dus. (Du Camp 1882 : 401–402).

2 Loève-Veimars, traducteur d’Hoffmann

L'apport le plus important de Loève-Veimars au transfert culturel franco-allemand consiste certainement à avoir traduit les œuvres complètes d'E.T.A. Hoffmann en français. Entre 1829 et 1833, Loève-Veimars publie la première traduction des œuvres de cet écrivain, jusqu'alors inconnu en France. L'édition, dont les premiers volumes sont intitulés Contes fantastiques, paraît en 20 volumes chez Eugène Renduel, l'éditeur principal des romantiques français. Cette traduction devient un grand succès de librairie et suscite un véritable engouement pour Hoffmann en France. Suite à la parution de la première livraison, l’éditeur Lefebvre, attiré par le succès, lance une édition concurrente des œuvres d’Hoffmann traduite par Théodore Toussenel. Son édition, commençant par le volume 5, prétend être la suite de l’édition Renduel/ Loève-Veimars. La parution des deux éditions concurrentes a eu une influence considérable sur le choix des textes traduits. Chacun des éditeurs soucieux de présenter des nouveautés, les deux éditions, conçues comme des œuvres complètes, resteront complémentaires.

Loève-Veimars prépare la parution de son édition d'Hoffmann par une habile campagne de presse dans les revues littéraires et les journaux auxquels il collabore. D'avril à décembre 1829, la Revue de Paris publie des morceaux traduits d'Hoffmann dans chaque numéro, les préimpressions étant une démarche typique dans les revues littéraires de la Monarchie de Juillet pour susciter la curiosité du public. Loève-Veimars ouvre cette série par un article biographique sur Hoffmann, inspiré de la biographie allemande rédigée par J.E. Hitzig. Hoffmann y est présenté comme un bohême et un artiste maudit. Cet article est à l’origine de l’aura qui entourera Hoffmann, lequel fascinera la jeune génération romantique française. Une fois les premiers volumes de l'édition parus, Loève-Veimars incite ses amis à écrire des comptes rendus dans les revues parisiennes ‒ une lettre écrite à son éditeur Renduel en témoigne :

Mon cher Renduel, j’ai vu Justin et j’ai chargé Charles de me faire un article pour le Courrier. Vous le verrez dans quelques jours : vingt-cinq lignes. C’est arrangé avec Chatelain. Cavé que j’ai vu, et à qui j’ai remis un exemplaire, fait un article dans le Temps. Celui de Duvergier pour le Globe est commencé ; il est enthousiaste des Contes et m’a envoyé demander si je donne une suite. Il l’annoncera dans son article. Vous aurez, de toutes les façons, un article aux Débats, mais pas tout de suite. Tous ces articles viendront quand la vente se ralentira, c’est à dire dans le bon moment.5

Loève-Veimars contribue donc considérablement à la réception favorable d'Hoffmann en France par ses réseaux personnels dans le monde littéraire parisien.

En analysant ses traductions d’Hoffmann, nous constatons que Loève-Veimars apporte de nombreuses modifications aux textes. Au lieu de traduire « littéralement » ou « religieusement », comme il l’affirme dans ses notes6, il adapte les contes d’Hoffmann aux normes de la langue cible et du système littéraire français. Signalons d’abord une tendance à structurer les récits en les divisant en chapitres numérotés et en y ajoutant des alinéas, une pratique assez courante chez les traducteurs français de l’époque renvoyant aux normes littéraires de la structure et de la rationalité (voir Lambert in : Hoffmann 1979b : 359). En outre, Loève-Veimars a tendance à élaguer les contes d’Hoffmann, à abréger des phrases et des parties du texte, omettant parfois des paragraphes entiers. En ce qui concerne le style, les syntagmes complexes hoffmanniens sont systématiquement exprimés en constructions paratactiques. Les phrases sont souvent abrégées, l’abondance d’adjectifs se trouve réduite. Citons à titre d’exemple un passage clé du conte Das Majorat, traduit par Loève-Veimars en 1829 pour le premier volume de l'édition des Contes fantastiques. L'action se déroule dans la salle d'armes d'un château-fort gothique. À minuit, le juriste V. y rencontre une apparition effrayante. Hoffmann décrit ainsi la réaction du personnage :

Aber wie fuhr er von der eisigen Faust des Schreckens berührt in die Höhe, als die Tür des Saales aufsprang und eine bleiche, gespenstische Gestalt sichtbar wurde, die den Tod im Antlitz einherschritt. Daniel, den V. so wie jedermann in tiefer Krankheit ohnmächtig daliegend, nicht für fähig hielt, ein Glied zu rühren, war es, der abermals von der Mondsucht befallen seine nächtliche Wanderung begonnen. (Hoffmann 1964 : 554)

Dans la traduction de Loève-Veimars nous lisons les phrases suivantes :

Mais il poussa tout à coup un grand cri. La porte s’était ouverte, et Daniel, que chacun croyait retenu sur son lit par la maladie, parut, les cheveux en désordre, presque nu, dans un état de maigreur effrayant. (Hoffmann 1979 : 116-117)

Dans cet exemple, nous retrouvons plusieurs caractéristiques des traductions de Loève-Veimars. Au niveau du contenu, le traducteur a tendance à expliquer et à atténuer l’inexplicable et le choquant des contes d’Hoffmann. Dans notre extrait, l'effroi du personnage devant le surnaturel, l'effroi de la mort et du fantôme, sont réduits à une perspective plus rationnelle. Chez Hoffmann, le personnage apparaît comme « une figure pâle ressemblant à un revenant » (« eine bleiche gespenstische Gestalt »), dans le texte français, il est aussitôt nommé et identifié comme étant Daniel. L'effroi du spectateur est sensiblement réduit : ce n'est que la maigreur du personnage qui paraît « effrayant[e] ». A plusieurs reprises dans le texte, Loève-Veimars omet des parallèles entre le somnambulisme et le surnaturel (voir: Brückner 2013 : 250-252). Ainsi, dans la version française, le somnambulisme n’est pas dépeint comme un événement surnaturel, mais comme un phénomène médical, dont les symptômes sont bien tangibles et rationnels. Paradoxalement, le traducteur réduit les éléments surnaturels dans une histoire de revenants.

Au niveau du style, Loève-Veimars élague des mots et des parties de phrase jugés trop détaillés ou trop ‘obscurs’. Cette tendance à la réduction stylistique relève de la notion classiciste de la «clarté» de la langue française exprimé par d’autres traducteurs contemporains. 7 Ainsi, le comte Saint-Aulaire, premier traducteur français du Faust de Goethe en 1823, s’était exprimé sur l’obscurité présumée de la langue allemande à laquelle il oppose la clarté de la langue française. Le traducteut, affirmant que « tout ce qui n’est pas clair n’est pas français »8, se réserve le privilège de ne par traduire ce qui lui paraît obscur. Nous constatons la même tendance chez Loève-Veimars dans les années 1830. Ainsi, il hésite à traduire les innovations propres à la forme et au style de la prose du romantisme allemand. Tout au contraire, il semble s’inscrire dans la continuité du modèle des « Belles infidèles», idéal dominant la traduction française des XVIIe et XVIIIe siècles .9 Ainsi, dans ses traductions, de nombreuses particularités de l'original sont altérées et des éléments ‘étrangers’ adaptés aux normes du système littéraire français. Il est intéressant de noter que la traduction qui établira le succès du romantique allemand Hoffmann en France, en particulier des romantiques français, ne correspond pas à l’idéal de la traduction « fidèle » élaboré en 1800 par les romantiques d’Iéna.10 Ainsi, l'analyse des traductions de Loève-Veimars prouve que les traducteurs français continuent à adapter les textes, surtout en ce qui concerne les traductions de textes en prose, tout au long du XIXe siècle. (voir Lambert et al. 1985 : 155)

Si les premiers lecteurs français rendent hommage au style agréable des traductions de Loève-Veimars, en 1836, à l’occasion d’une nouvelle traduction d’Hoffmann proposée par Henri Egmont, un débat sur la qualité de sa traduction est soulevé dans les revues parisiennes. Dans son compte rendu de la traduction d'Egmont, Théophile Gautier fournit un descriptif assez caractéristique de la traduction de Loève-Veimars :

Hoffmann ne s’est pas, il faut le dire, présenté en France avec sa redingote allemande toute chamarrée de brandebourgs et galonnée sur toutes les coutures, comme un sauvage d’Outre-Rhin ; avant de mettre le pied dans un salon, il s’est adressé à un tailleur plein de goût, à M. Loeve-Weimar, qui lui a confectionné un frac à la dernière mode avec lequel il s’est présenté dans le monde et s’est fait bien venir des belles dames. Peut-être qu’avec ses habits allemands il eût été consigné à la porte, mais maintenant que la connaissance est faite et que tout le monde sait que c’est un homme aimable et seulement un peu original, il peut reprendre sans danger son costume national. (Gautier 1883 : 41)

Tout en préférant la traduction d'Egmont, Gautier reconnaît donc le mérite du premier traducteur Loève-Veimars d'avoir introduit un auteur étranger et inconnu dans le « salon » de la littérature française. On a reproché à la traduction de Loève-Veimars à juste titre d’avoir ‘francisé’ le texte hoffmannien en l’adaptant aux normes stylistiques du champ littéraire français. Toutefois, malgré – ou justement grâce à – son manque de 'fidélité', c'est la traduction de Loève-Veimars qui a rendu Hoffmann populaire en France et qui y demeure la traduction la plus lue tout au long du XIXe siècle. Son succès de librairie prouve que la traduction adaptée aux normes du système littéraire cible était une approche efficace pour promouvoir le transfert culturel franco-allemand à l’époque romantique. Elle a eu même des répercussions sur d'autres littératures européennes : ainsi, les romantiques russes, comme Pouchkine et Gogol, s'inspireront de la traduction française d'Hoffmann par Loève-Veimars pour leurs contes fantastiques.

3 Loève-Veimars, traducteur de Heine

Peu de temps après sa traduction d'Hoffmann, Loève-Veimars devient le premier traducteur d’œuvres en prose et médiateur de Henri Heine à Paris. Heine s'était installé à Paris en mai 1831, d'une part par enthousiasme pour la Révolution de Juillet, d'autre part pour des raisons financières. À ce moment-là, ses œuvres étaient pratiquement inconnues en France. Loève-Veimars est, encore une fois, le premier à traduire l’œuvre en prose de l'auteur allemand. En 1832, il publie trois extraits des Tableaux de Voyage (Reisebilder) de Henri Heine dans la Revue des Deux Mondes. Il y fait paraître successivement des extraits traduits tirés de Harzreise (Excursion au Blocksberg et dans les Montagnes du Hartz), de Ideen. Das Buch Le Grand (Histoire du Tambour Legrand) et de Bäder von Lukka (Les Bains de Lucques).

La première traduction est précédée d’une préface. Loève-Veimars y décrit Heine comme le représentant d’une nouvelle école littéraire allemande, l’école « du désespoir de cause » (Loève-Veimars 1832, 605). Il met en valeur l’ironie et la satire dans l’œuvre heinéenne, et plus particulièrement dans le cadre des distances prises par Heine envers les exacerbations d’un nationalisme chauviniste, et il estime que ces formes d’humour seraient innovantes dans le contexte de la littérature allemande:

C’est la première fois qu’un Allemand se permet une raillerie aussi franche et aussi incisive de ces choses dont on se raille depuis long-temps parmi nous, de ces sentimens vieillis dont le dix-huitième siècle a fait justice, qu’on nomme encore en Allemagne enthousiasme, amour, patriotisme, lien de famille, etc.; mais que nous désignons, nous autres, sous le nom générique de préjugés. (Loève-Veimars 1832 : 605)

Le traducteur affirme avoir sélectionné la Harzreise pour donner un exemple significatif de cette veine satirique heinénne. Par l’ajout du titre Excursion au Blocksberg, il renvoie explicitement à un lieu symbolique de la littérature allemande depuis le Faust de Goethe et son sabbat des sorcières. Le titre Excursion place ce récit dans la série de récits de voyage aux sujets exotiques paraissant dans la Revue Des Deux Mondes au début de la Monarchie de Juillet et où les Tableaux de voyage semblent avoir trouvé leur place. L’interêt porté aux sujets exotiques était une tendance générale des revues littéraires de l’époque.11 Ainsi, les récits de voyage, avec les comptes rendus et les récits littéraires, dominaient le contenu de la Revue des Deux Mondes.12

Une analyse plus approfondie des trois traductions d’Heine confirme les tendances observées dans les traductions d'Hoffmann. Une nouvelle fois, Loève-Veimars prend de grandes libertés avec le texte original. Il s'agit d'abord d'adapter les textes heinéens au contexte de publication de la Revue des Deux Mondes. Les textes sont donc nettement abrégés pour faire exactement trente pages, espace consacré aux articles dans cette revue. Les morceaux traduits ne représentent qu’environ la moitié du texte intégral de la Harzreise ou de Ideen. Das Buch Le Grand. Cette réduction entraine des changements majeurs dans la forme du texte : dans le cas de la Harzreise, le traducteur a supprimé tous les poèmes intégrés dans la prose et a ignoré la forme fragmentaire du texte. Dans l’Histoire du Tambour Legrand, il a simplifié la structure du récit en réduisant le nombre de digressions. Les Tableaux de voyage perdent ainsi une partie de leur innovation formelle si particulière. Le style devient également plus concis. Pour n’en citer qu’un exemple : l’exclamation d’un jeune enthousiaste sur la montagne du Harz « Meine Seele ist traurig! Komm mit mir hinaus in die dunkle Nacht! » est réduite à « Je suis triste, sortons ».13

Par ses interventions et le choix des passages qu’il traduit, Loève-Veimars accentue certaines grandes lignes des Tableaux de voyage et en néglige d’autres. Dans les trois récits, il privilégie les éléments du récit de voyage et les éléments satiriques. Le traducteur réduit donc nettement les passages où l’écriture de Heine se rapproche d'autres genres littéraires du romantisme allemand. Dans la Harzreise, il supprime toutes les scènes nocturnes, les rêves, et les aventures amoureuses du narrateur. De plus, le caractère autobiographique est modifié : dans la plupart des cas, Loève-Veimars a remplacé le je du narrateur autodiégétique par des formules comme « on » et « nous ». Ainsi, l’expérience personnelle du poète-voyageur Heine fait place à une description générale d’une Allemagne pittoresque.14

Conformément à son introduction, le traducteur présente Heine au public français comme un auteur de prose satirique. Le poète et « dernier romantique » Heine ne sera connu en France que beaucoup plus tard ‒ ses poèmes seront traduits pour la première fois par Gérard de Nerval en 1848. Notons enfin quelques édulcorations, notamment des épisodes grivois et des attaques contre la religion catholique, qui constituent vraisemblablement une adaptation au public bourgeois assez conservateur de la revue.

Pas ses traductions, Loève-Veimars a atteint son objectif et réussi à faire apprécier la prose de Heine. En particulier le Tambour Legrand, avec ses descriptions favorables de la Révolution Française et de Napoléon, est reçu avec beaucoup d’enthousiasme par le public français, malgré quelque étonnement par rapport au « bonapartisme » de l’auteur allemand (voir Hörling 1996: 298 sq). La publication de ses trois Tableaux de voyage dans la prestigieuse revue littéraire qu’était la Revue des Deux mondes a préparé la voie et il y a ensuite d’autres revues littéraires qui commencent à s’intéresser à lui. Ainsi, le fondateur de la revue Europe littéraire, Victor Bohain, lui demande une série d’articles sur l’Allemagne et la littérature allemande « dans le genre de Madame de Staël ». (Heine 1982 : 27)15 Cette série d’articles intitulée « État actuel de la littérature en Allemagne. De l’Allemagne depuis Mme de Staël », paraîtra au printemps 1833 dans la revue - c'est le socle du grand essai heinéen Die Romantische Schule. Heine, n'ayant pas, à ce moment-là, le niveau linguistique pour écrire en français – chose qu'il refusera d'ailleurs catégoriquement pendant toute sa vie – rédigeait les articles en allemand. Loève-Veimars les traduisait ensuite en français, et ce en discutant régulièrement avec l'auteur. Rétrospectivement, Heine décrit les longues heures de « collaboration » étroite entre l’auteur et son traducteur nécessaires à la genèse de cette série d'articles (Heine 1983: 207). Ainsi, Loève-Veimars participe activement au transfert culturel européen qui faisait le programme de l’Europe littéraire. Heine reprend les textes traduits par Loève-Veimars dans l’édition française de De l’Allemagne en 1834/35.

Concernant cette époque, plusieurs lettres écrites sur un ton de camaraderie à « Mon cher Heine » prouvent la bonne relation entre Heine et Loève-Veimars. Si ce dernier avait aidé Heine à s'établir dans les revues parisiennes, Heine le recommandera à son tour au baron Cotta, l'éditeur de la Gazette d'Augsbourg comme correspondant français. Dans sa lettre du 1er janvier 1833, il désigne Loève-Veimars comme « une des meilleurs plumes de France » (Heine 1979 s.: 46)16 – témoignage de l’entraide mutuelle entre les deux écrivains-journalistes. Pourtant, en 1833, leur contact se terminera brusquement par une dispute survenue à la suite de la publication du recueil Le Népenthès, dans lequel Loève-Veimars présentait au public français une collection de ses traductions et de ses critiques littéraires. Heine vécut la publication, dans ce recueil, des traductions des Tableaux de voyage en tant que « morceaux imités de Heine », comme une trahison de la part du traducteur, et lui reprocha le plagiat. L’auteur mit fin à leur collaboration et cherchera un autre traducteur pour l’édition de ses œuvres chez Renduel en 1834. D’ailleurs ses conflits avec ses traducteurs français seront récurrents tout au long de sa vie (voir Füllner 2004).

Toutefois, vingt ans plus tard, en 1855, Heine, déjà malade, écrira une nécrologie de Loève-Veimars. Il y chante les louanges de son premier traducteur, qui ne critiquait jamais son manque de connaissances linguistiques et admirait au contraire sa compréhension de l'esprit de la langue française. Avec beaucoup d’habileté, Loève-Veimars aurait feint de donner à l'auteur allemand qu'il avait tout traduit lui-même. (Heine 1983 : 207-208). Dans cette nécrologie, Heine formule ainsi son idéal du traducteur discret. Heine aborde ensuite la carrière diplomatique de Loève-Veimars, et s’imagine un voyage imaginaire dans l’Orient fantastique des 1001 Nuits.

4 Loève-Veimars diplomate – un médiateur interculturel ?

En effet, quelques années après ses traductions à succès de Hoffmann et de Heine, Loève-Veimars s’était consacré à une nouvelle activité. A partir de 1835, il se dédie de plus en plus au journalisme politique en publiant, dans la Revue des Deux Mondes, une série de portraits politiques, les Lettres sur les Hommes d’État de la France. Il y mène de vives attaques contre le premier ministre actuel, Adolphe Thiers, et son conseiller Talleyrand. Afin d'écarter ce journaliste trop critique, les deux hommes d'État réagissent à leur manière : ils le nomment diplomate, et l’envoient loin de Paris, en Russie, en le chargeant d’une mission diplomatique assez vague. Arrivé à Saint-Pétersbourg en juin 1836, Loève-Veimars est introduit dans les cercles littéraires de la ville par le prince et poète Pjotr Andreevitch Viazemski, ami intime de Pouchkine. Pour faire la connaissance de Pouchkine, le traducteur a également amené une lettre de recommandation qu’il avait obtenue de la part de Prosper Mérimée, adressée à Sobolewski, un autre ami du poète. Loève-Veimars est alors invité à la datcha des amis de Pouchkine et il y passe, comme il le dira lui-même, « de bien bons moments » avec le poète (Loève-Veimars 1839: 451). Ils discutent de la chanson folklorique européenne, et, spontanément, Pouchkine traduit onze chants populaires russes en français pour Loève-Veimars. La mort de Pouchkine à la suite d’un duel en janvier 1837 interrompt brusquement ce début prometteur d’un échange culturel. Mais Loève-Veimars publiera une nécrologie sur Pouchkine dans le Journal des Débats en mars 1837, un des premiers hommages au poète russe dans les journaux européens. En outre, il restera en contact avec les écrivains de Saint-Pétersbourg : Viazemski lui rendra visite lors de ses voyages à Paris et Loève-Veimars le présentera à Prosper Mérimée, qui sera le traducteur français le plus important de Pouchkine dans les années 1840. Par son voyage en Russie, Loève-Veimars est donc devenu un médiateur entre les romantiques français et russes.

En 1840, lorsqu’Adolphe Thiers redevient premier ministre, Loève-Veimars poursuit ses ambitions diplomatiques. En pleine crise d'Orient, il est nommé Consul de France à Bagdad et part aussitôt pour l’Orient. Il y résidera de 1840 à 1848. La correspondance diplomatique de Loève-Veimars est particulièrement intéressante dans le contexte des Voyages en Orient des romantiques français Chateaubriand, Lamartine et Nerval. Révoqué après la révolution en 1848,  Loéve-Veimars accepte un nouveau poste diplomatique : de 1849 à 1854, il sera Consul général à Caracas, au Venezuela. Dans sa correspondance diplomatique, nous avons relevé des prises de position politiques face aux jeunes républiques sud-américaines, assez instables. Une partie de cette correspondance diplomatique est publiée à partir de 1851 dans l’Almanach des Deux Mondes à Paris. Ses réflexions viennent ainsi enrichir les connaissances des lecteurs parisiens sur le continent sud-américain.

Le traducteur et diplomate Adolphe François de Loève-Veimars (1799-1854) est un médiateur culturel exemplaire à plus d’un titre. Par ses origines judéo-allemandes, il acquiert des compétences linguistiques qui lui permettent de jouer un rôle primordial dans les interactions littéraires entre la France et l'Allemagne dans les années 1830. Par ses traductions de Hoffmann et de Heine, il a fait connaître et ‘adopter’ deux références du romantisme allemand dans le système littéraire français. Il peut être considéré comme un personnage clé dans le transfert culturel franco-allemand des années 1830. Par ses voyages en Russie, en Orient et en Amérique du Sud, Loève-Veimars devient un médiateur des interactions littéraires vers les aires culturelles non-européennes. La carrière diplomatique du traducteur est aussi représentative des rapports étroits entre le monde de la littérature et celui de la politique pendant la Monarchie de Juillet. L’étude de ce personnage polyvalent apporte donc des éléments intéressants venant enrichir l’histoire des interactions culturelles européennes dans la première moitié du XIXe siècle.

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Hoffmann, E.T.A. (1830). Contes fantastiques de E.T.A Hoffmann, traduits de l’allemand par M. Loève-Veimars, traducteur de Van der Velde et de Zschokke, et précédés d’une notice historique sur Hoffmann par Walter Scott, vol. 1–12, Paris: Renduel.

Hoffmann, E.T.A. (1964). « Das Majorat », in : Hoffmann, E.T.A.: Fantasie- und Nachtstücke. [...], nach dem Text der Erstdrucke [...], Walter Müller-Seidel Ed., Stuttgart, Hamburg: Deutscher Bücherbund, 489–559.

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Hörling, Hans Ed. (1996). Die französische Heine-Kritik. Rezensionen und Notizen zu Heines Werken aus den Jahren 1830–1834, vol. 1, Stuttgart/ Weimar: Metzler.

Knopper, Françoise (1999). « Heine et la tradition des chroniques de voyage », in: Heine voyageur, éd. F. K. [et al.], Toulouse : PU, 99–111.

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Loève-Veimars, François-Adolphe (1839), Lettre à Feuillet de Conches, mai 1839, cité dans : Russkij Archiv ; 1 (1885), 451.

Marsan, Jules (1928). « Introduction », in: Gérard de Nerval. Nouvelles et fantaisies, Paris : Honoré Champion, I–XXIV.

Mounin, Georges (2016). Les belles infidèles. Nouvelle édition identique à celle de 1994, Villeneuve d'Ascq : Presses universitaires du Septentrion.

Störig, Hans Joachim Éd. (1963). Das Problem des Übersetzens, Darmstadt : Wissenschaftliche Buchgesellschaft.

Teichmann, Elizabeth (1961). La Fortune d’Hoffmann en France, Genève/Paris : Droz/Minard.

Notes

1 « Der ächte Übersetzer [...] ist ein Bote von Nation zu Nation, ein Vermittler gegenseitiger Achtung und Bewunderung, wo sonst Gleichgültigkeit oder gar Abneigung stattfand. » August Wilhelm Schlegel: „Über die Bhagavad-Gita“ [1825], cité d'après Störig (1963 : 98). Retour au texte

2 Dans cet article nous essayons de résumer les grandes lignes de notre thèse de doctorat, parue en langue allemande en 2013 (Brückner 2013). La brièveté de l’article nous oblige à renvoyer fréquemment aux analyses plus approfondies établies dans cet ouvrage. Retour au texte

3 Voir à ce sujet Brückner (2013 : 22). Retour au texte

4 Voir à ce sujet : Lévy, Paul (1952 : 284). Dans la bibliographie établie par Bihl/Epting, Loève-Veimars figure comme traducteur de 13 romans entre 1815 et 1830. La bibliographie recense les ouvrages parus en librairie, sans prendre en compte les traductions parues dans les revues littéraires. Bihl/ Epting (1987 : 189–226) ; Brückner (2013 : 138 ff). Retour au texte

5 Lettre de Loève-Veimars à Eugène Renduel, [décembre 1829], citée dans : Marsan (1928, XI) pour les comptes rendus voir Teichmann (1961 : 29–32). Retour au texte

6 Dans le Ve volume de l’édition, Loève-Veimars affirme dans les notes de Mademoiselle de Scudéry : « Nous traduisons littéralement le texte » und « Nous traduisons religieusement le texte » cité dans: Hoffmann (1979 : 77 et 95). Retour au texte

7 Biondi constate également que les deux tendances principales dans les traductions de Loève-Veimars renvoient à la 'clarté' et au rationalisme (Biondi 2007 : 995s.) Retour au texte

8 Louis-Clair de Beaupoil, comte de Saint-Aulaire : „Remarque du traducteur“, in: J.W. v. Goethe: Faust, trad. par Saint-Aulaire, Chefs d’oeuvres des théâtres étrangers, 25e livraison, Théâtre allemand, Paris : Ladvocat 1823, Vol. 1, pp. 27-30, p. 28. Retour au texte

9 Pour l’histoire des « Belles infidèles » nous renvoyons aux études de Mounin, Georges (2016 [1994]): Les belles infidèles, Villeneuve d'Ascq : Presses universitaires du Septentrion; Albrecht, Jörn: Literarische Übersetzung. Geschichte – Theorie – Kulturelle Wirkung, Darmstadt: WBG 1998, pp. 76–83, Stackelberg, Jürgen von (1988): „Blüte und Niedergang der ‚Belles Infidèles‘“, in : Die literarische Übersetzung. Stand und Perspektiven der Erforschung. éd. Harald Kittel, Berlin: Erich Schmidt, 16–29. Retour au texte

10 De toute évidence, il ne s’agit pas de réaffirmer ici l’idéal de la traduction « fidèle », jugé comme dépassé par la traductologie moderne. En revanche, les quelques exemples cité montrent que la pratique de la traduction de Loève-Veimars est, en 1830, encore empreinte de la tradition française des traductions sur le mode de la « Belle infidèle. L’innovation qu’apportent les réflexions des romantiques d’Iéna tels que Schleiermacher ou Humboldt, inventant l’idée de la traduction « fidèle », rendant compte dans la traduction du caractère étranger et incompatible de l’œuvre originale, ne commencent à être discuté en France vers 1836. Ils sont appliqués pour la première fois par Chateaubriand dans sa traduction de Milton en 1834, sans pour autant avoir du succès auprès du lectorat français. Il en est de même pour la traduction plus « fidèle » d’Hoffmann par Henri Egmont en 1836 qui fut un échec commercial. Retour au texte

11 Voir Berthier, Patrick (2001): La presse littéraire et dramatique au début de la Monarchie de Juillet (1830–1836), 4 Vol., Villeneuve-d’Ascq: Presses universitaires du septentrion, 898 et 905 ff. Retour au texte

12 La Revue publiait des séries sur les pays européens comme A. Fontaney : „Souvenirs d’Espagne“ (RDM, Jan.–Avr. 1832, vol. 5, 86–127 et 597–607) et Libri : „Revue scientifique et littéraire de l’Italie“ (vol. 5, 699–712 et vol. 6, 635–658) et sur les pays du monde tels Lander : „Voyage aux bouches du Niger“ (RDM, Avr.–Juin 1832, vol. 6, 228–240) et E.N. „Excursions dans l’État de Venezuela pendant la guerre de l’indépendance“ (RDM, Jan.–Avr. 1832, Bd. 5, S. 314–339). Pour une vue d’ensemble voir Furman, Nelly (1975): La Revue des Deux Mondes et le Romantisme (1831–1848), Genève : Droz, 144 ff. Retour au texte

13 « Mon âme est triste ! Viens sortir avec moi dans la nuit sombre! », Heine 1973 : 125 – Heine 15. juin 1832 (trad. Loève-Veimars) : 629. Retour au texte

14 Pour la parodie heinéenne des guides de voyage contemporains voir Knopper, Françoise (1999): „Heine et la tradition des chroniques de voyage“, in : Heine voyageur, éd F.K. [et. al.], Toulouse: PU, 99–111. Retour au texte

15 « einige Artikel über Deutschland in dem Genre der Frau von Staël für seine Zeitschrift zu schreiben », Heine 1982: 27. Retour au texte

16 « eine der besten Federn Frankreichs », Lettre de Heine à J.F. v. Cotta, 1.1. 1833, in: Heine 1979 s. : 46. Retour au texte

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Référence électronique

Leslie Brückner, « Adolphe-François Loève-Veimars, traducteur d'E.T.A. Hoffmann et de H. Heine
Un personnage-clé des interactions littéraires franco-allemandes des années 1830 », Textes et contextes [En ligne], 11 | 2016, publié le 19 janvier 2018 et consulté le 19 avril 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=1504

Auteur

Leslie Brückner

CEGIL, Université de Lorraine, Metz, UFR Lettres et Langues, Île du Saulcy, 57045 Metz Cedex 01

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