La ville des destins croisés : pour une relecture des Voix de Marrakech d’Elias Canetti

Résumés

Cet article se propose d’entreprendre une relecture d’un texte longtemps considéré comme marginal à l’intérieur de l’œuvre canettienne. Mon approche part du constat que ce livre, malgré son apparente facilité, est une œuvre complexe, ouverte, et non dépourvue d’ambiguïtés. Comme récit de voyage et rencontre interculturelle, il met en évidence toute une série de problèmes qui possèdent une grande profondeur historique, en même temps qu’une actualité parfois brûlante. En examinant l’appartenance du texte au genre viatique, en interrogeant son inscription dans la problématique de l’orientalisme, en décrivant ses liens avec les autres œuvres de l’auteur, il s’agira d’entreprendre une redéfinition des Voix de Marrakech comme réseau mémoriel transculturel.

This paper aims at proposing a new reading of a text that was long considered marginal within the works of Canetti. My approach is based on the observation that this book, despite its apparent simplicity, is a complex, open, and even ambiguous work. As a travelogue and an intercultural encounter, the novel is touching upon a wide range of issues that have great historical depth while at the same time being of great topical concern. By examining the text’s belonging to the genre of travel literature, by questioning it’s inclusion in the issues of orientalism, by describing its relationship with the other works of the author, I will try to redefine The Voices of Marrakesh as a transcultural memory network.

Plan

Texte

1. (Re)lire les Voix de Marrakech

Parler aujourd’hui d’Elias Canetti (1905-1994) ne semble plus s’imposer de la même manière qu’auparavant, notamment en contexte français (ou francophone). Force est en effet de constater que la grande époque des études canettiennes en France, ayant connu leur apogée dans les années 1990, est derrière nous. Quelques indicateurs suffisent à s’en convaincre : les dernières grandes manifestations françaises consacrées à Canetti remontent maintenant à une bonne dizaine d’années, au moment des célébrations du centenaire de l’auteur ; depuis la même époque, la publication de travaux de recherche en langue française s’est également tarie ; en outre, cela fait un bon quart de siècle que ce Prix Nobel de littérature n’a pas été inscrit au programme de l’Agrégation d’allemand.1

Si le statut jadis incontournable de l’œuvre canettienne ne semble plus être une évidence, ce constat peut s’appliquer en particulier aux Voix de Marrakech, ce journal de voyage écrit en 1954, une œuvre qui s’est souvent vu qualifier de mineure. L’actualité de ce texte – que je me propose d’aborder ici sous l’angle de la question des circulations et des interactions dans le monde germanique – peut en effet poser question. On pourrait, à cet égard, commencer par reprendre l’une des interrogations formulées dès la sortie du livre2 (Günther 1968, 174) : à quoi bon lire le récit d’un voyage dans une ville marocaine remontant à 1954, alors que cette ville, et le pays dans lequel elle se situe ont connu de profondes transformations depuis l’époque de sa rédaction ?3 Quel peut en effet être l’intérêt de ce livre pour le lecteur occidental du XXIe hormis un certain pouvoir anachronique de réenchantement de notre monde hypermoderne par le biais de l’exotisme ?4

Or, malgré ces réserves de départ, on peut également démontrer qu’il existe, aujourd’hui encore, de multiples raisons pour s’intéresser de plus près aux Voix de Marrakech d’Elias Canetti. Dès lors qu’on propose, par exemple, ce livre à un public d’étudiants, on se rend vite compte que, grâce à son attrait exotique et à son apparente simplicité, il permet de créer des conditions favorables pour entrer dans des problématiques littéraires, culturelles et historiques d’une grande complexité, et qui entretiennent de nombreux liens avec les enjeux de notre monde contemporain.5

En dépit de leur petit volume, de leur facilité d’approche et de leur plasticité narrative, Les Voix de Marrakech sont en effet une œuvre complexe, ouverte, et non dépourvue d’ambiguïtés (Durzak 2000, 95 ; Kalethbali 2005, 72 ; Hornik 2008, 114 ; Görbert 2009, 14-19). Comme récit d’un voyage dans le monde arabe, le livre soulève, entre autres, la difficile question des rapports entre Occident et Orient, entre christianisme, judaïsme et islam, entre dominants et dominés. Il peut ainsi susciter de nombreux débats, comme le montre sa réception controversée ; mais il contribue également à former l’esprit critique, en mobilisant un grand nombre de facultés d’analyse, de réflexion et d’interprétation. Le livre met en effet en évidence toute une série de problèmes qui possèdent une profondeur et complexité historiques considérables, en même temps qu’une actualité parfois brûlante, voire douloureuse : le colonialisme et son régime de répression et d’exploitation (Canetti 1968, 84-90)6 ; l’islam et la question des droits de l’homme (Canetti 1968, 93-103) ; le statut de la femme, dans l’islam et au-delà (Canetti 1968, 30-33) ; la prostitution, y compris la prostitution de mineurs (Canetti 1968, 84-90) ; l’écart entre, d’une part, la société occidentale de surconsommation et, d’autre part, la misère de la population indigène (Canetti 1968, 103-106) ; sans oublier la question juive, de la Shoah jusqu’au conflit israélo-palestinien (Canetti 1968, 39-79).

Dans ce qui suit, mon but sera d’analyser Les Voix de Marrakech dans la perspective du mouvement et du réseau, en recourant à quelques approches récentes dans le domaine des études littéraires et culturelles. Ce faisant, on verra que, s’il faut défendre le livre contre certaines accusations, il faut également, de temps en temps, savoir en pratiquer une lecture à rebours ou en contrepoint.7 Pour y parvenir, je voudrais d’abord passer en revue quelques grilles de lecture classiques utilisées pour étudier ce texte, avant d’y ajouter quelques prolongements. Pour commencer, je reviendrai sur l’appartenance des Voix de Marrakech au genre viatique ; puis, j’examinerai son inscription dans la problématique de l’orientalisme, et ses liens avec les autres œuvres de l’auteur ; enfin, je tenterai une redéfinition de l’œuvre comme écriture d’un réseau mémoriel transculturel.

2. Un récit de voyage ?

Malgré leur retentissant succès public (Hanuscheck 2005, 500), Les Voix de Marrakech ont longtemps été considérées comme une œuvre marginale à l’intérieur du corpus canettien (Steussloff 1994, 173), une appréciation qui n’est pas sans lien avec sa classification comme récit de voyage. Suite au tournant interculturel des études littéraires, dans les années 1980,8 ce jugement a été révisé jusqu’à considérer aujourd’hui ce livre non seulement comme une sorte de « chef-d’œuvre mineur » (Preece 2004, 95), mais comme un véritable « texte-clé » (Durzak 2001, 459). Or, même après avoir fait l’objet d’une réévaluation critique sur le plan international, Les Voix de Marrakech restent quelque peu à la marge des études canettiennes, notamment en France. Ainsi, dans l’excellente introduction publiée par Olivier Agard (Agard 2003), aucun chapitre ni aucune section ne leur est consacrée, leur évocation se limitant à quelques remarques éparses. Il faut dire que, comparé à l’univers romanesque d’Auto-da-fé (Canetti 1992-2005, vol. 1), et sa force dramatique, ou à la somme universelle proposée par Masse et Puissance (Canetti 1992-2005, vol. 3), essayant de « prendre le [XXe] siècle à la gorge » (Canetti 1992-2005, vol. 4, 245), le livre sur Marrakech, ces quelques « notes écrites après un voyage »,9 peut paraître secondaire. Mais il serait sans doute souhaitable que, dans le domaine français également, le livre fasse l’objet d’un regain d’attention, notamment pour le libérer de son statut, devenu largement dépréciatif, de récit de voyage.

Car, même si l’appartenance des Voix de Marrakech à la littérature viatique, au sens large du terme, ne saurait faire de doute, dans la mesure où il s’agit effectivement de la relation d’un voyage authentique, le livre s’écarte considérablement des lois traditionnelles du genre (Durzak 1968 ; Moura 1998, 77 ; Lawson 2000, 494), ce qui l’ouvre vers bien d’autres perspectives. Dès le titre, l’œuvre commence en effet à s’éloigner du cadre d’un simple récit de voyage : la particularité de la préposition utilisée dans le sous-titre (« Aufzeichnungen nach einer Reise »)10 instaure une subtile distance entre le lieu de l’action – la ville de Marrakech – et le lieu de l’écriture – le domicile de Canetti à Londres.11 Dans le paratexte de la première édition, l’auteur nous apprend en effet que l’expérience vécue du voyage n’a pas donné lieu à une prise de notes sur place ; ce n’est qu’après son retour, et en s’appuyant sur sa seule mémoire, que Canetti devient capable de rédiger les notes qui donneront lieu à la composition du livre (Henke 2001, 242 ; Hanuschek 2005, 418). Par ailleurs, certaines parties du récit se rapportent explicitement à ce temps « après » le voyage (Canetti 1968, 24-25 notamment), que Canetti a désigné comme « la deuxième partie, probablement la partie la plus intéressante du voyage » (Canetti 1968, jaquette).12 Une reconstitution fictionnelle du voyage, en somme, qui – comme on le verra – prend la forme d’un parcours à travers un espace-temps autrement plus étendu que la seule ville marocaine.

Plus généralement, la dimension documentaire – fonction classique de la relation de voyage (voir Brenner 1989) – est plutôt faible dans le livre sur Marrakech (Fuchs 1995, 77). La description de la ville par Canetti ne permet par exemple aucune vue d’ensemble ; elle est subjective et parcellaire, laissant de côté nombre de lieux et de thèmes que le voyageur pourrait juger incontournables (Moura 1998, 76 ; Görbert 2009, 33 ; Preece 2004, 95-96). Ce faisant, le narrateur ressemble davantage à un flâneur qu’à un touriste empressé de collectionner les monuments et lieux d’intérêt de la ville (Hartung 1968 ; Zeyringer 1995 57-58). Beaucoup de données de bases – notamment temporelles ou topographiques – sont ainsi absentes du texte (Görbert 2009, 36) ;13 le lecteur manque d’informations pour s’orienter dans la ville, et pour retracer le séjour de Canetti dont il ignore jusqu’à l’année.14 La structure complexe et non chronologique du livre, se composant de quatorze (micro)récits sans aucune trame narrative commune, alors que la plupart des récits de voyage ont recours à une narration plus ou moins linéaire (Zeyringer 1995, 84), ne l’y aide guère. Comme l’écrit Julia Preece, dans Les Voix des Marrakech, Canetti se refuse régulièrement à répondre aux attentes liées au genre viatique ; en particulier, il « place l’image au-dessus de l’explication, la métaphore au-dessus de la narration » (Preece 2004, 96).15 D’autre part, les observations faites dans la ville sont souvent le point de départ de digressions qui s’inscrivent dans un horizon géographique et historique beaucoup plus vaste, des réflexions qui peuvent avoir une portée universelle, philosophique. On pourrait ajouter à ce tableau la préférence accordée par Canetti (dès le titre là encore) à l’ouïe (les « voix » de Marrakech) au détriment de la vision, une préférence qui rompt avec le rôle primordial (et dominateur) joué par le regard dans l’histoire des récits de voyage et des récits ethnographiques (Fuchs 2004, 58).

À partir de ces éléments, on voit donc que, si le livre s’inscrit au départ dans la tradition viatique, il ne s’épuise nullement dans cette dimension qui a pu contribuer à en minimiser l’importance au sein de l’œuvre canetienne. Cependant, la différence la plus significative par rapport à l’histoire du genre se situe sans doute sur le plan de l’identité du narrateur, de son rapport au lieu qu’il visite. Car, pour ce descendant de juifs sépharades chassés d’Espagne à la fin du XVe siècle, la ville de Marrakech n’est pas n’importe quel lieu étranger (Durzak 2001, 460-461). En effet, la présence séculaire d’une importante communauté juive sépharade dans la cité marocaine donne à son voyage l’aspect d’un retour vers les origines (Steussloff 1994, 175). Ce n’est pas par hasard si les parties consacrées à cette communauté juive, issue en grande partie du judaïsme ibérique, occupent environ un tiers du volume du livre, et se situent dans l’exact milieu de celui-ci (Canetti 1968, 39-79). Par conséquent, si les origines sépharades de Canetti sont l’un des thèmes centraux du livre, Marrakech n’est pas une simple ville étrangère, mais tout autant un lieu intimement lié à son histoire personnelle. L’identité complexe de l’auteur met ainsi en cause la distinction dichotomique entre le même et l’autre, le propre et l’étranger, dichotomie constitutive du récit de voyage au sens traditionnel (Zorach 1983, 49 ; Fuchs 1995, 84 ; Kalethbali 2005, 61). Cette identité, qu’on pourrait qualifier d’hybride, oblige en outre à reconsidérer la question du rapport du livre au paradigme de l’orientalisme.

3. La problématique de l’orientalisme

Depuis le tournant des années 1990, Les Voix de Marrakech ont suscité une importante controverse autour de la question de l’orientalisme. Dans le contexte d’une généralisation des approches postcoloniales, notamment outre-Atlantique, le livre a maintes fois été passé au crible pour y déceler les signes d’une complicité avec le discours colonialiste sur l’Orient, tel qu’il a été décrit dès 1978 par Edward Said (Said 2003). Cependant, les conclusions tirées par ces lectures divergent jusqu’à s’opposer diamétralement (Görbert 2009, 94). Il est vrai qu’il paraît difficile, de prime abord, d’ignorer la présence d’un certain nombre de stéréotypes, clichés, voire préjugés dans le texte de Canetti, une présence qui n’est sans doute pas étrangère au grand succès qu’a rencontré ce livre consacré à une ville exotique, orientale. En appliquant aux Voix de Marrakech la grille de lecture des études postcoloniales, le lecteur peut effectivement y trouver des éléments susceptibles de nourrir la thèse d’un « orientalisme substantiel » (Ferguson 1997, 532) de Canetti.

Force est d’abord de constater que le tableau de Marrakech dressé par l’écrivain emprunte largement à l’Orient mystérieux du cliché, celui des Mille et une Nuits, qui fascinaient tant le jeune Canetti (Hanuschek 2005, 47), avec ses chameaux, bazars, conteurs, femmes, et aussi avec sa cruauté et ses mœurs barbares (Fuchs 1995, 83 ; Kabbani 2008, 192 ; Görbert 2009, 99). Certains clichés utilisés par Canetti, comme celui de la paresse caractérisée des Arabes (Canetti 1968, 40), ou sa réduction des femmes orientales à leur (supposé) pouvoir érotique (Canetti 1968, 33-35 ; voir aussi Görbert 2009, 99 ; Pankau 2004, 18), posent un problème évident au lecteur d’aujourd’hui. Le désintérêt apparent de l’auteur pour les problèmes sociopolitiques de la société dans laquelle il se trouve, à un moment où le Maroc connaît de fortes tensions entre la population autochtone et le colonisateur,16 soulève un problème similaire de réduction et de simplification. En outre, l’absence de tout propos ouvertement critique, sur le plan socio-économique par exemple, crée une proximité troublante entre la position de l’écrivain et celle des dominants et des colons sur place (Steussloff 1994, 192). Sa manière de décrire les conditions de vie des autochtones semble relever non seulement de l’ignorance, mais également d’une certaine attitude mystificatrice (Reich-Ranicki 1968, 27 ; Kalethbali 2005, 20 et 70). Face à ce constat, l’un des textes les plus virulents à l’encontre du livre va jusqu’à affirmer : « Canetti adopte un regard (post-)colonial, raciste, misogyne ; il rend l’étranger pathologique et le soumet à sa perspective eurocentrique » (Fetz 2005, 80-81).17

Toutefois, il existe également d’autres points de vue sur la question. Si, à l’instar de la dernière citation, certains lecteurs jugent le récit de Canetti ethnocentrique, représentatif ou du moins complice d’un discours occidental basé sur une volonté de domination du monde oriental, d’autres lui reconnaissent au contraire une attitude exemplaire par rapport à la société marocaine, y voyant se manifester une grande sensibilité pour les enjeux coloniaux (Sontag 1985, 107 ; Zeyringer 1995, 5 ; Fuchs 1995, 83 ; Kalethbali 2005, 74). Qui plus est, d’aucuns jugent même l’auteur trop empathique et trop compréhensif envers les habitants (autochtones) de la ville, condamnant son attitude non pas à cause de ses implications colonialistes, mais pour son prétendu manque de défense des valeurs occidentales et chrétiennes. Une critique anglaise va ainsi jusqu’à inscrire le livre dans le contexte d’un supposé « clash of civilizations » – naguère prôné par Samuel Huntington (2007) –, en appelant le lecteur à refuser l’attitude (conciliatrice) de Canetti et à se battre contre ce qu’elle perçoit comme la menace d’une islamisation du monde (Murphy 2004, 171).

Ce tableau critique extrêmement contrasté rappelle que les relations entre Occident et Orient sont une question hautement complexe, ce qui vaut d’autant plus dans le contexte d’une ville comme celle de Marrakech, dont l’histoire millénaire est placée sous le signe de la pluralité ethnique, culturelle, et religieuse (Görbert 2009, 83 ; Abitbol 2009, 147). Comme l’a notamment montré la réception controversée des thèses d’Edward Said,18 l’analyse des rapports interculturels demande une approche subtile et différenciée, si elle ne veut pas s’enfermer dans une vision idéologique. Sans parler du fait que Canetti, cet auteur diasporique et extraterritorial (Pankau 2002, 342 ; Görbert 2009, 99), ce nomade polyglotte quelque peu babélien (Hanuschek 2005, 38 ; Moura 1998, 85 ; Stieg 2002), ce marginal cosmopolite venu de la périphérie de l’espace européen (Agard 2003, 25) ne correspond guère au ‚white male subject’ (Pratt 1992 ; Young 2004) que certains critiques dénoncent dans leurs analyses du discours impérialiste produit par l’orientalisme européen19, mais a lui-même pu être perçu comme un écrivain exotique voire oriental (Sontag 1985, 93 ; Winkler 2004, 13). La complexité identitaire de l’auteur, la dimension transnationale, transculturelle et translinguistique de son parcours, mettent en effet à mal le schématisme et l’essentialisme inhérents à certains textes fondateurs des études postcoloniales (Pollascheg 2005, 57).

4. Histoire, anthropologie et mythe

La grille de lecture postcoloniale permet sans doute avant tout de mettre en évidence une certaine ambivalence du texte de Canetti, lequel semble à la fois renoncer à une analyse précise des conditions socio-économiques et politiques des phénomènes qu’il observe, en même temps qu’il se refuse à la simple reproduction du discours colonial (Fuchs 2000, 58 ; Kalethbali 2005, 72 ; Görbert 2009, 15). Comme l’écrit Anne Fuchs :

Le voyage de Canetti est une exploration de la dignité de la différence qui ne s’approprie ni ne colonise l’autre en termes orientalistes. Écriture de la différence culturelle, le récit est une métaphorisation de l’envers du décor refoulé par toutes les constructions culturelles, à savoir la mort et l’abjection. (Fuchs 2000, 201)20

Les Voix de Marrakech, loin de mettre en scène un conflit de cultures entre Occident et Orient, se situent en fait sur un plan universel et anthropologique plutôt qu’historique et politique. Ainsi, à y regarder de plus près, on s’aperçoit que le constat est loin d’être aussi accablant que certains le suggèrent. Outre le fait que l’usage de stéréotypes n’est pas en soi le signe d’une attitude ethno- ou euro-centrique, mais également un procédé heuristique fondamental lors de la découverte de l’autre (Fuchs 1995, 75 ; Kalethbali 2005, 72), le récit ne s’épuise aucunement à reproduire les lieux communs de l’orientalisme. S’il y a dans le livre de Canetti une grande fascination de type exotique pour l’univers de la ville marocaine, à l’opposé de celui du monde occidental ultramoderne qu’il habite, cet exotisme ne verse pas pour autant dans les clichés les plus convenus.

Comme le fait par exemple remarquer Jean-Marc Moura, « [l] es fameuses palmeraies ou les jardins superbes de Marrakech ne sont même pas mentionnés. Mieux, les références à l’Orient de l’enchantement sont manifestement trompeuses » (Moura 1998, 76). En effet, à côté des omissions dont on peut s’apercevoir21, certains clichés ne semblent être convoqués par Canetti que pour être démontés, à commencer par les chameaux du premier chapitre qui, sous les yeux du lecteur, se transforment en caravane de la mort et souvenir des deux guerres mondiales (Canetti 1968, 7-16). On peut également évoquer le nom de Shéhérazade utilisé dans l’un des derniers chapitres (Canetti 1968, 93-103), nom féerique mais renvoyant en l’occurrence aux problèmes du racisme, de la prostitution et de la répression des femmes (Gellner 2005, 625 ; Eigler 1988, 143). En confrontant certains clichés orientalisants à la réalité la plus élémentaire et la plus basse, qui est celle de la misère et de la mort, le texte parvient ainsi à démasquer les forces de domination et de destruction en présence (Ishaghpour 1990, 123).

Certes, le lecteur peut avoir du mal à comprendre pourquoi l’écrivain ne cherche guère à tenir compte du contexte socio-historique, en manquant délibérément de se documenter pour mieux comprendre ce qu’il voit et entend (Fuchs 2000, 202 ; Kalethbali 2005, 20 ; Fetz 2005, 89 ; Görbert 2009, 97). Le narrateur des Voix de Marrakech n’est en effet pas exempt d’une attitude parfois égocentrique, d’une volonté de comprendre ayant tendance à ramener l’univers de la ville orientale à sa propre grille d’interprétation (Hanuschek 2005, 431 ; Engelmann 1997, 38). Cependant, si Canetti néglige manifestement le niveau sociopolitique et favorise la rencontre directe et non médiatisée avec les habitants de la ‘ville rouge’, (Zeyringer 1995, 56 ; Pankau 2002, 353), c’est qu’il entend avant tout préserver son regard personnel, en plaçant la ville dans la perspective anthropologique qui est la sienne (Kalethbali 2005, 27), dans Masse et puissance et dans son œuvre en général. En somme, le Marrakech de Canetti n’est pas tant une ville historique qu’une ville mythique, c’est-à-dire approchée sous l’angle des concepts propres à l’œuvre de Canetti, dans le cadre de sa mythologie « privée » (Zepp 1990).

5. Une œuvre de la métamorphose

Les Voix de Marrakech entretiennent d’innombrables liens avec les autres textes de Canetti (Horst 1968, 724), si bien qu’on pourrait parler à leur égard d’un véritable microcosme de l’œuvre canettienne. On pourrait dire qu’elles en sont en quelque sorte une porte d’entrée privilégiée, créant un ‘appel d’air’ amenant le lecteur à pénétrer plus en avant dans l’univers canettien. À ce sujet, le biographe de Canetti a même pu parler du livre en termes de « drogue initiatique » pour lecteurs débutants (Hanuscheck 2005, 12). Cependant, parler du microcosme de l’œuvre canetienne ne revient pas à dire que ce récit ne serait que la variation de thèmes déjà présents dans les autres œuvres, dans le sens d’un « système Canetti » (Knoll 1993) se reproduisant dans chaque livre. Au contraire, grâce notamment à leur logique poétique particulière, Les Voix de Marrakech sont sans doute l’un de textes les plus originaux de Canetti, s’écartant parfois des thèmes, positions et postures communes à son œuvre (Hornik 2008, 131).

Il reste qu’il existe, dans Les Voix de Marrakech, de nombreux passages qui nécessitent de se référer aux autres œuvres de l’auteur, afin de préciser et d’approfondir la signification de certains éléments. À cet égard, il faut en premier lieu évoquer la dimension ethnologique et anthropologique du livre (Bub 2004, 334 ; Kalethbali 2005, 27) inscrivant celui-ci dans le contexte des recherches que Canetti a menées depuis le milieu des années 1920 autour de la question des masses et qui l’ont conduit à s’intéresser de très près à l’histoire des peuples dits primitifs, aux mythologies des civilisations du monde, en Orient notamment (Hanuschek 2005, 85). En effet, nées à la même époque que Masse et puissance, la somme issue de ces recherches publiée en 1960, Les Voix de Marrakech portent la trace de cet intérêt pour les récits, croyances et rites ancestraux, véhiculant aux yeux de Canetti une vérité essentielle sur le genre humain (Zeyringer 1995, 45). Bien plus qu’un reportage sur Marrakech, ces ‘réflexions’ sur un voyage soulèvent des questions de la même portée et de la même profondeur que celles abordés par l’ouvrage sur la masse et la puissance (mieux : la masse et les relations de pouvoir22), la ‘ville rouge’ devenant pour ainsi dire le symbole de l’humanité tout entière (Wieprecht-Roth 2004, 216).

On a ainsi pu essayer, notamment en France, d’utiliser la problématique canettienne de la masse comme grille de lecture pour analyser l’intégralité du livre sur Marrakech (Mourra 1998). De la même manière, il serait possible de trouver dans le récit des correspondances qui le relient à tous ces grands concepts de la pensée canettienne que sont, outre la masse, la puissance, la métamorphose, la mort, la mémoire, etc. Toutefois, on perçoit immédiatement le problème inhérent à une telle approche : une telle perspective sur les Voix de Marrakech risque en effet de produire une vision qui, au lieu de définir la particularité du livre sur Marrakech, inscrirait celui-ci dans le cadre d’une présentation générale de la pensée de Canetti. Au lieu de percer la logique littéraire du récit, on le ramènerait à quelque chose qui s’apparenterait à nouveau à une sorte de système général de l’œuvre de Canetti (voir Knoll 1993). Une telle lecture risquerait en effet de tomber dans le piège de la circularité enfermant la lecture de Canetti dans ses propres catégories (Agard 2003, 199). Sans parler du fait que, si Les Voix de Marrakech reflètent les préoccupations de la grande somme sur les masses, elles en sont également en quelque sorte l’antidote ou le dérivatif permettant d’opposer au travail érudit et encyclopédique une autre logique : littéraire, poétique, narrative (Agard 2003, 147 ; Hanuschek 2005, 174-175). À la distance produite par la réflexion et la théorie, l’écriture littéraire oppose en l’occurrence la présence proche et concrète des êtres et des choses aperçus et rencontrés dans la ville de Marrakech.

En inscrivant la naissance du récit sur Marrakech dans la généalogie de l’œuvre canettienne, un concept semble néanmoins se détacher, celui de métamorphose (Verwandlung).23 En effet, on pourrait considérer Les Voix de Marrakech comme la première expression de ce que certains critiques qualifient comme un tournant dans l’œuvre de Canetti, tournant qui se traduit précisément par l’apparition au premier plan de l’idée de la métamorphose (Wieprecht-Roth 2004, 218). S’il n’est pas possible de revenir ici en détail sur les implications de ce qui peut être désigné comme le concept central de toute son œuvre, on peut néanmoins rappeler que, au-delà des enjeux éthiques et anthropologiques de cette notion, c’est l’écriture littéraire qui apparaît chez Canetti comme l’espace privilégié de la métamorphose, le lieu d’une appropriation vivante et d’une connaissance de la réalité sous tous ses aspects (Knoll 1993, 241 ; Agard 2003, 177). Au lieu de figer cette réalité comme donnée, l’écriture de la métamorphose met en mouvement et procède par mises en relation dynamiques, par un jeu infini de renvois et de transformations (Zepp 1990, 214 ; Steussloff 1994, 203 ; Zeyringer 1995, 119). Si au niveau individuel, la métamorphose permet au sujet d’explorer toutes les potentialités de la vie humaine, rapportée au niveau collectif, elle permet de préserver la mémoire de l’humanité dans toute sa diversité (Hanuschek 2005, 99). Ville pluriethnique et pluriculturelle, croisement d’une multitude de destins et d’histoires, lieu d’un enchevêtrement entre le même et l’autre, entre différentes identités, Marrakech offre de toute évidence un champ privilégié pour la mise en œuvre d’une telle écriture de la métamorphose (Eigler 1988, 144).

6. Un réseau mémoriel transculturel

Les arguments développés jusqu’ici montrent que l’une des impasses de l’étude des Voix de Marrakech consiste à y appliquer une logique dichotomique sous forme d’une opposition entre le même et l’autre, le propre et l’étranger. Par conséquent, l’objectif consiste à dépasser cette perspective essentialiste : l’essentialisme de l’approche colonialiste et nationaliste, mais également celui de certaines approches postcoloniales. En effet, si le paradigme postcolonial peut être utile pour aborder le livre de Canetti, c’est à condition de ne pas l’utiliser pour renforcer une nouvelle fois la ligne de démarcation entre Occident et Orient. Il s’agirait plutôt de penser le postcolonialisme comme un processus, comme la prise de conscience du fait que les relations, déplacements et interactions créés durant la période coloniale continuent – et continueront – à informer notre monde actuel (Kalethbali 2005, 15). Dans le cadre de mon approche, le concept le plus important des études culturelles d’inspiration postcoloniale est sans doute celui d’hybridité (voir Ashcroft et al. 2007, 108-111).

Les moyens narratifs, rhétoriques et poétiques mis en œuvre dans Les Voix de Marrakech contribuent précisément à illustrer, voire à produire, cette hybridité (post)coloniale, que Canetti avait anticipée sur le plan conceptuel à travers sa notion de métamorphose. Cette hybridité est d’abord celle de l’identité de l’écrivain-narrateur (Pankau 2002, 335 ; Wieprecht-Roth 2004, 222/223 ; Görbert 2009, 83 ; Djoufak 2010, 17 ; Robin 2003, 125), cet homme entre les mondes, les cultures et les langues (une identité dont le monde habsbourgeois est la matrice). Mais elle est également celle du lieu de l’action, la ville de Marrakech, qui apparaît dans le texte comme un espace d’une grande diversité (Steussloff 1994, 199), comme un véritable carrefour des langues, discours, et cultures (Görbert 2009, 83). On pourrait également parler d’une homologie entre l’auteur et l’objet de son récit, une homologie entre, d’une part, la biographie de Canetti, d’autre part, le réseau littéraire tissé à partir de la ville marocaine (Zeyringer 1995, 61 ; Henke 2001, 242.). Autrement dit : au lieu de la mise en face statique entre un même et son autre, entre un écrivain allemand et une société musulmane, il s’agit d’un lieu ouvert où se projette une identité multiple et en mouvement24 ; entre le voyageur et la ville se déroule une mise en rapport dynamique, une mise en circulation des références, qui décentrent et déplacent les identités et les significations, et qui rejoignent l’idée canettienne de métamorphose comme pensée ouverte à l’altérité (Zeyringer 1995, 103).

La rencontre avec les gens de Marrakech offre ainsi à Canetti la possibilité de revivre, à travers une série de renaissances symboliques (Ishaghpour 1990, 124) – à l’instar de l’« épiphanie » (Durzak 1968) vécue sur la place centrale du quartier juif – quelques expériences fondamentales de sa vie et de son œuvre antérieures (Steussloff 1994, 175), jusqu’à remonter aux origines lointaines de sa famille. Ce faisant, l’auteur utilise ses expériences personnelles pour poser au fond la question de la destinée de l’humanité dans sa diversité (Ishaghpour 1990, 48-49 ; Hanuschek 2005, 184). En somme, il s’agit d’un récit viatique qui, au-delà de son caractère documentaire, utilise l’espace de l’imagination et de la fiction pour mettre en évidence une relationnalité complexe (Fuchs 1995, 77 ; Gellner 2005, 625), la nécessité d’inscrire les phénomènes et problèmes locaux dans une vaste géographie multipolaire. Ainsi l’écriture de Canetti prend implicitement parti pour une représentation de l’étranger qui ne soit pas idéologique mais utopique,25 dans le sens où elle déplace l’identité de l’auteur-narrateur – mais aussi celle du lecteur – vers une altérité riche en potentialités nouvelles (Barnouw 1979, 105 ; Moura 1998, 50) faisant finalement apparaître l’élément étranger comme le cœur secret du vivant (Zeyringer 1995, 72).

Concrètement, la relationnalité des Voix de Marrakech s’appuie sur trois réseaux géo-historiques : d’abord le réseau de la diaspora juive à la croisée des chemins entre Orient et Occident (Benbassa/Rodrigue 2002, 16), remontant jusqu’aux origines espagnoles de la famille Canetti ; ensuite, celui de l’impérialisme colonial, notamment français, du Maghreb jusqu’en Indochine (Canetti 1968, 94) ; enfin, celui de la biographie de l’auteur, de Roustchouk à Londres, en passant notamment par l’Autriche. Ce faisant, trois plans sont mis en jeu : premièrement, le niveau temporel, le passé s’actualisant dans le présent, et le présent se reconnectant au passé (Klein, 1994, 389 ; Zeyringer 1995, 62 ; Görbert 2009, 41) ; ensuite, le niveau spatial, reliant la ville de Marrakech à l’Europe, mais aussi à l’Asie (Canetti 1968, 94) et aux États-Unis (Canetti 1968, 62 et passim) ; et enfin le niveau linguistique, avec la présence, dans l’espace social de la ville, d’un plurilinguisme à la fois latent et manifeste, plurilinguisme que Canetti documente dans son écriture, qui est elle-même un acte de traduction en allemand à partir de l’anglais et du français, langues utilisées pendant le séjour dans la ville (Radaelli 2011, 18).26

L’axe entre Marrakech et Londres est constitutif du récit, étant donné que le lieu de son écriture se situe symboliquement dans un espace transitionnel entre ces deux villes (Radaelli 2011, 77). D’autre part, elles forment un triangle avec l’aire germanique comme espace de publication et de réception du livre. S’y ajoutent Roustchouk, matrice identitaire de Canetti (Hanuschek 2005, 41sq.), et les lieux de son histoire personnelle et familiale, dont Vienne, mais aussi bien d’autres lieux, époques et événements.

Dès le premier chapitre en effet, le récit nous fait passer, en l’espace de quelques lignes, de Marrakech aux horreurs des deux guerres mondiales, en suivant les souvenirs de deux Marocains enrôlés dans les armées occidentales (Canetti 1968, 7-16). De cette évocation des batailles de la Marne et de la Somme (Canetti 1968, 12), ou de Safi et de Monte Casino (Canetti 1968, 15), il n’y a qu’un pas vers la symbolisation des champs de ruines et de la mort, voire de la Shoah, à travers la description du cimetière juif dans l’un des chapitres centraux du livre (Canetti 1968, 49sq.). Bien que Canetti ne commente pas directement les événements historiques, son récit ne cesse d’évoquer en filigrane la dimension tragique et catastrophique de l’histoire, notamment de celle du XXe siècle.

D’autre part, Canetti dépeint les habitants du quartier juif de la ville comme emblème de l’humanité tout entière réunissant des représentants venus de tous les peuples et de tous les âges (Canetti 1968, 39-40). Passé et présent, faits réels et fiction, la diversité des religions, cultures et caractères, se fondent en une nouvelle unité (Görbert 2009, 70), incarnée par Marrakech, ville des destins croisés.

De cette manière, le récit de Canetti s’élève à l’échelle mondiale, la ville marocaine renvoyant à des espaces et des temps fort divers, son apparente marginalité et ses particularismes se transformant en nœud géographique, historique et culturel. Le narrateur-auteur s’inscrit ainsi dans un réseau mémoriel transculturel réunissant des éléments endogènes et exogènes, personnels et universels, actuels et passés (Wieprecht-Roth 2004, 216 ; Görbert 2009, 73). à partir de la ville de Marrakech comme espace « glocal » (Robertson 1992), Canetti met en œuvre un jeu (inter-)textuel27 où s’enchevêtrent différents champs référentiels biographiques, historiques ou livresques (Steussloff 1994, 200sq).

7. Les Voix de Marrakech (post)coloniales

Avant de conclure, revenons un instant sur la question posée au départ de cette contribution : quel peut être l’intérêt d’étudier ce récit de voyage alors que, par exemple, il n’y a plus de quartier juif à Marrakech aujourd’hui, et que la ville est l’objet d’un tourisme de masse qui n’a plus rien à voir avec la situation qui prévalait au moment de la visite de l’auteur ? On pourrait dire que l’intérêt du livre pour le lecteur actuel – sensible aux problèmes soulevés par l’histoire de la colonisation et du conflit israélo-palestinien – réside précisément en ce qu’il semble se situer dans un entre-deux, entre la perspective orientalisante et le « regard postcolonial » (Lützeler 1997). En accord avec la conception canettienne de la littérature comme mémoire vivante et comme réservoir d’expérience (Agard 2003, 224), Les Voix de Marrakech pourraient alors se lire comme un « texte-seuil » (Kalethbali 2005, 71 ; Görbert 2009, 81), une œuvre témoignant de la décomposition du pouvoir colonial, en posant la question des relations actuelles et à venir entre les différents groupes qui peuplaient la ville en 1954.

Considéré sous cette perspective, le livre garde une certaine actualité, dans la mesure où cette ville, sur le seuil entre l’ère coloniale et postcoloniale (l’indépendance sera acquise dès 1956), est également une ville prise dans le processus de la mondialisation, impliquant une extension, densification et accélération des relations avec le monde entier. Même si le Marrakech de 1954 n’est pas une ville-monde à l’instar des métropoles actuelles, le récit de Canetti nous parle de cette mondialisation (post)coloniale, ou du moins interroge les identités nationales, culturelles et religieuses à l’aune des profondes mutations intervenues durant le XXe siècle, ce siècle fait de migrations, expulsions, déportations, délocalisations et mouvements de toute sorte et que Canetti voulait « prendre à la gorge » (Canetti 1992-2005, vol. 4, 245).

S’y superpose aujourd’hui la nouvelle donne des relations entre l’Occident et le monde arabe depuis le 11 septembre 2001, qui a provoqué une profonde rupture dans la tradition géopolitique à l’échelle mondiale depuis le XVIIIe siècle, et où prévalent désormais les concepts d’intégrisme, de fanatisme et de terrorisme. Le dialogue interculturel en devient d’autant plus urgent, et des textes littéraires tels que Les Voix de Marrakech apparaissent à cet égard comme un support privilégié pour poursuivre ce dialogue en dépassant les essentialismes culturels et religieux. Dans ce contexte, la littérature peut contribuer à trouver des réponses innovantes et imaginatives aux défis lancés par l’époque actuelle. Sa tâche n’est certes pas de dissiper les ambiguïtés de notre monde contemporain, de proposer des recettes et solutions simples pour des questions aussi complexes et difficiles ; elle peut néanmoins contribuer à garder la discussion ouverte et faire signe vers des solutions utopiques qui ne semblent pas encore pouvoir se traduire dans la réalité (Dunker 2005, 14).

Au-delà de sa dimension de dialogue interculturel, en particulier entre Occident et Orient et entre les trois monothéismes, le texte de Canetti me semble lancer un défi aux études germaniques au niveau de leur définition en tant que discipline. Comme l’écrivait Régine Robin en 2003 dans un livre consacré notamment à Canetti :

Ce sont les écritures migrantes qui façonnent le nouvel imaginaire, qui confèrent une nouvelle dimension aux littératures « nationales » qui s’essoufflent. C’est du moins le pari que je fais dans la pluralisation du monde qui est désormais le nôtre. (Robin 2003, 234)

Œuvre-carrefour d’un homme-carrefour, Les Voix de Marrakech me semblent effectivement illustrer la nécessité de penser désormais la littérature de langue allemande en dehors des limites traditionnelles du monde germanique. Sans renier les concepts d’appartenance, d’identité et de langue maternelle, les spécificités de la littérature interculturelle ou migrante (Hoffmann 2006 ; Weissmann 2011) nécessitent d’intégrer ce genre de textes dans un paradigme transnational et transculturel qui analyse la littérature en termes de trajectoires plus que d’aires culturelles, qui déplace les frontières au lieu de les durcir, qui envisage des relations et communications davantage que des territoires fixes. À partir de Marrakech, ville des destins croisés, Canetti réussit à conjuguer l’inscription dans un territoire urbain avec son dépassement vers la dimension globale d’un réseau mémoriel transculturel.

L’approche esquissée ici entretient un rapport étroit avec ce que Ottmar Ette a théorisé, à partir de l’espace francophone et hispanophone, sous le nom de littérature en mouvement, en prolongeant notamment les études sur la littérature de voyage (Ette 2001 et 2005). J’aimerais par conséquent terminer cette contribution par la citation d’un extrait de sa récente histoire littéraire de la mondialisation, une citation qui me semble bien refléter les enjeux de la lecture que je viens de proposer :

La littérature est […] un savoir en mouvement dont la structure polylogique est d’une importance vitale pour le monde du XXIe siècle, dont le plus grand défi est sans doute celui d’un vivre-ensemble dans la paix et dans la différence. Car […] la littérature permet d’éprouver et de développer de manière expérimentale une pensée se situant dans plusieurs contextes et logiques culturels, politiques et psychologiques à la fois.28 (Ette 2012, 5)

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Notes

1 En guise de post-scriptum, on peut néanmoins noter qu’un certain renouveau des études canettiennes semble s’entamer actuellement, avec notamment la publication du livre de Marion Dufresnes (2014), la réception (et sans doute traduction) française d’un nouveau recueil d’aphorismes de Canetti publié en Allemagne (Canetti 2014), à quoi s’ajoutera la publication de ma propre étude sur les Voix de Marrakech (à paraître). Retour au texte

2 Le copyright de l’édition originale indique 1967 ; or le livre n’a en réalité paru qu’à l’été 1968. Retour au texte

3 Voir aussi, trente années plus tard, la reprise de cette question par Graenitz (1999). Retour au texte

4 Voir aussi Bekes (2006). Retour au texte

5 Pour une approche générale du problème de l’actualisation des œuvres littéraires du passé, voir Citton (2007). Retour au texte

6 Ces renvois aux texte de Canetti ne visent pas l’exhaustivité, mais sont donnés à titre d’exemple uniquement ; par manque de place, je ne pourrai procéder ici à des analyses détaillées des différents chapitres du livre. Retour au texte

7 Par rapport au concept d’une lecture en contrepoint, remontant à Edward Said, voir Dunker (2008). Retour au texte

8 Par rapport à ce tournant, voir notamment Bachmann-Medick (2004). Retour au texte

9 « Aufzeichnungen nach einer Reise » est le sous-titre du livre (Canetti 1968). Retour au texte

10 Particularité parfois négligée par la critique (même allemande : voir Hanuschek 2005, 12) et les traducteurs (français, anglais et d’autres), en remplaçant le « nach » (après un voyage) par un simple « von » (d’un voyage). Retour au texte

11 Ville d’une partie de son enfance dans laquelle Canetti était revenu en 1939 (Hanuschek 2005). Retour au texte

12 « […] es beginnt der zweite, vielleicht interessantere Teil der Reise. » (ma traduction), ce paratexte de l’édition originale ne fait pas partie des rééditions récentes du livre. Retour au texte

13 On peut ajouter que ces caractéristiques s’expliquent en partie par un transfert de la dimension informative classique de la littérature de voyage vers d’autres médias, voir Brenner (1989, 38). Retour au texte

14 La date du voyage est indiquée dans l’édition originale mais disparaît dans les éditions suivantes, y compris dans les œuvres complètes (Canetti 1992-2004, vol. 6). Retour au texte

15 « he places image over explanation, metaphor over narrative » (ma traduction). Retour au texte

16 Abitbol (2009, 507) parle à cet égard de l’instauration d’un « régime colonial d’origine totalitaire » durant les dernières années du Protectorat (qui a existé entre 1912 et 1956). Retour au texte

17 « Canettis Blick ist (post-)kolonialistisch, rassistisch, frauenfeindlich ; er pathologisiert das Fremde und richtet es sich mit eurozentrischer Perspektive zu » (ma traduction). Retour au texte

18 Voir à ce sujet Pollascheg (2005). Retour au texte

19 Voir aussi Fuchs (1995, 84). Retour au texte

20 « Canetti’s journey is an exploration of the dignity of difference that neither appropriates nor colonizes the other in Orientalist terms. Scripting cultural difference, the narrative metaphorizes the repressed underside of all cultural constructs: namely, death and abjection. » (ma traduction) Retour au texte

21 Au titre de ces omissions, on pourrait également citer les hammams (Preece 2004, 95-96), ainsi que plusieurs sites touristiques incontournables comme le Palais de la Bahia ou les tombeaux Saâdiens. Retour au texte

22 On sait que le mot allemand de Macht peut donner lieu à ces deux traductions : puissance et pouvoir. Retour au texte

23 Ce que Marcel Reich-Ranicki avait pointé dès la sortie du livre (Reich-Ranicki 1968, 27). Retour au texte

24 À ce sujet, on peut aussi renvoyer au grand nombre d’images de mouvement que comporte l’autobiographie canettienne pour décrire la Bildung de l’écrivain. Voir notamment Canetti (1992–2005, vol. 7, p. 236). Retour au texte

25 Par rapport à ces deux types de représentation, voir Moura (1998, 49-50). Retour au texte

26 Par rapport à ce réseau spatio-temporel, il serait également intéressant de lire l’œuvre de Canetti à la lumière de la géocritique conçue par Bertrand Westphal. Voir Westphal (2000). Retour au texte

27 On peut ajouter que les personnages (supposés réels) décrits dans Les Voix de Marrakech entretiennent des liens étroits avec certains personnages (fictifs) issus des autres œuvres de Canetti notamment Auto-da-fé (Canetti, 1992–2005, vol. 1). Retour au texte

28 « Literatur ist […] Wissen in Bewegung, dessen viellogischer Aufbau für die Welt des 21. Jahrhunderts, deren größte Herausforderung zweifellos ein globales Zusammenleben in Frieden und Differenz sein dürfte, von überlebenswichtiger Bedeutung ist. Denn Literatur erlaubt es […] politischen oder psychologischen Kontexten und Logiken experimentell zu erproben und weiterzuentwickeln. » (ma traduction). Retour au texte

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Référence électronique

Dirk Weissmann, « La ville des destins croisés : pour une relecture des Voix de Marrakech d’Elias Canetti », Textes et contextes [En ligne], 11 | 2016, publié le 18 décembre 2017 et consulté le 25 avril 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=1435

Auteur

Dirk Weissmann

Professeur des universités, Centre de Recherches et d’Etudes Germaniques (CREG, EA 4151), Université Toulouse Jean-Jaurès, UFR Langues, Littératures et Civilisations Etrangères, Maison de la Recherche, 5, allées Antonio Machado, F-31058 Toulouse Cedex 9 – dirk.weissmann [at] @univ-tlse2.fr

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