Le chenin

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Avant d’aborder la problématique du chenin, il peut apparaître utile d’essayer de comprendre l‘attrait porté à ce cépage depuis peu de temps dans le bref historique des cépages blancs à la mode. A partir de cette évolution du goût de l’amateur de vins peuvent se dessiner les contours d’un Anjou blanc sec durable et à la notoriété justifiée, base demain d’un repositionnement du chenin dans la vallée de la Loire.

Hormis les vins de Bourgogne ayant toujours su maintenir leur réputation, les premiers blancs secs « à la mode » à la sortie de la guerre sont produits en Alsace avec un caractère très aromatique ancré cépage. Très rapidement émerge Sancerre avec souvent une dominante terpénique propre au sauvignon blanc, qui rappelle en moins intense l’Alsace, et un début d’approche de la minéralité. Fort logiquement pointe ensuite Chablis avec le chardonnay, naturellement moins terpénique et possédant une acidité qui peut être confondue dans nombre de cas avec une notion de minéralité. Pour les amateurs de la Loire s’entrouvre déjà la porte du chenin. Un premier galop d’essai sera tenté, réussi et malheureusement non poursuivi avec le mondial du chenin aux journées de Fontevraud. Puis dix ans après, le focus revient sur le chenin.

Quels sont donc les attraits du chenin qui le différencie des autres cépages blancs ? Le chenin est avant tout un cépage peu terpénique qui appartient au groupe des cépages du deuxième cycle, c’est-à-dire à maturation tardive, ce qui justifie sur le plan climatique son implantation au cœur du vignoble ligérien. Il est en effet fréquent d’y observer un différentiel de trois semaines de maturation entre un sauvignon blanc et un chenin. Ce sont donc trois semaines supplémentaires dans un climat encore chaud avec des sols à leur optimum de chaleur en profondeur, facteur déterminant dans la migration des éléments minéraux les plus lourds du sol vers les feuilles. En elles, ils seront, grâce à la photosynthèse, transformés et transférés vers les raisins pour leur donner une complexité croissante. Voilà pourquoi, le chenin, particulièrement adapté au climat du cœur du vignoble ligérien, s’avère plus que tout autre cépage apte à révéler une grande originalité, lien organoleptique au terroir.

Seulement le chenin n’est pas un cépage facile à maîtriser. Même si le réchauffement climatique facilite la fin de maturation de baies, celui-ci reste un cépage productif, à floraison plus hétérogène que sur d’autres cépages, à grappes de tailles très variables et à l’aptitude au botrytis souvent très précoce.

Cépage productif : il peut difficilement s’exprimer ailleurs qu’en milieu roche, avec une faible pluviométrie et une ouverture de paysage suffisante. Malgré cela, il exige le plus souvent des vendanges en vert pour se mettre à l’abri d’une arrière-saison compliquée et assurer une maturité suffisante aux raisins. Nous ne l’avons que trop expérimenté dans les périodes 1960-1990.

Cépage à floraison hétérogène : non seulement, nous observons des écarts de maturité importants entre grappes mais également sur une même grappe. Les tries s’imposent donc à la vendange.

Coté grappe, la qualité des raisins est inversement proportionnelle à leur taille. Corollairement à la dimension des feuilles, celle-ci se révèle le meilleur reflet de la maîtrise de la vigueur de la vigne par le vigneron. Elle sera d’autant plus aisée qu’en amont le vigneron aura su faire un choix judicieux d’un porte-greffe et d’une sélection adaptés au potentiel de la parcelle ; et chaque année, par la qualité de la taille il affinera la gestion de la maîtrise de cette vigueur.

L’aptitude à la botrytisation précoce et rapide : c’est à la fois le risque d’un départ en pourriture noble avant la parfaite maturité phénolique d’un véritable chenin sec ou d’une pourriture grise trop rapide entravant une qualité sanitaire normale du raisin. L’équilibre entre les deux situations correspond à une parfaite maîtrise de la vigueur et de la charge.

u regard de toutes ces contraintes, il est permis d’affirmer que là où se cultive le chenin, le professionnalisme du vigneron doit être rigoureux et précis.

Ces handicaps ne se limitent pas à la vigne. Un climat quelquefois stressant l’été peut en effet être à l’origine d’une fermeture du vin une fois mis en bouteille, fermeture marquée aussi bien par l’oxydation que la réduction selon la météo de l’année et le stade de maturité à la cueillette. Il nous manque cruellement aujourd’hui des travaux de recherche suffisamment pointus pour comprendre et corriger naturellement cette fermeture. Le vigneron ne peut y remédier aujourd’hui que d’une manière empirique et partielle. Dans tous les cas de figure, il faut impérativement coupler ce besoin de correction de la fermeture du vin à un élevage adapté au potentiel de la vendange indispensable à l’expression de la personnalité de chaque terroir.

Un dernier risque et non des moindres serait, justement pour répondre à l’intérêt naissant porté au chenin ; de récolter des raisins à peine mûrs et de produire un vin possédant une belle acidité mais dont la personnalité potentielle en serait absente. Ce serait la meilleure occasion de manquer la transformation de l’essai offert aux producteurs de chenin.

Afin d’éviter ce piège, il faut reprendre les atlas terroir et, par la maîtrise des facteurs du milieu s’affirmer capable de récolter une vendange ayant acquis un minimum d’expression minérale.

Dès que l’on aborde la notion de minéralité il devient nécessaire d’intégrer celle de la typicité du vin : le vigneron doit savoir obtenir la typicité qu’il recherche et le consommateur acquérir une capacité à la reconnaître.

Là s’ouvre naturellement un nouveau chantier de recherche indispensable à une émergence réfléchie de notre chenin. Le résultat de ces études profiterait à terme également à tous les vins.

Cerise sur la gâteau, le peaufinage final de cette recherche de la minéralité sur le chenin passe par une quête naturelle d’une parfaite harmonie sensorielle et d’une optimisation de la personnalité du produit. Celle-ci n’est réalisable que par l’affirmation d’un lien objectif entre un volume de raisins assemblés et un territoire délimité. En se réclamant de ce niveau de précision, nous rejoignons la Bourgogne, qui, par sa délimitation de crus, a su quels que soient les aléas maintenir sa notoriété. Voilà pourquoi nous demandons à la nouvelle structure de recherche ligérienne composée de l’ESA et de personnel de l’INRA de mettre en place un modèle de délimitation de crus en Loire, de telle sorte que l’absence d’historicité et de notoriété actuelles du chenin sec puisse être comblée par ces travaux afin d’aider les vignerons avec l’appui de l’INAO, à réaliser ces futurs 1ers crus.

En lançant cette opération « 1ers crus de chenin », nous espérons ouvrir les portes d’une notoriété durable déjà historiquement fondée puisque le chenin a plus d’un millénaire d’existence en Loire.

L’objectif d’une notoriété durable exige d’abord le réalisme. La météo étant dans la Loire un facteur plus déterminant qu’ailleurs, il faudra définir dans un cadre INAO- ODG un lien entre les crus et les trois produits issus du chenin : bulles, secs et liquoreux.

En termes de conclusion, notre chenin, cépage sensible à la vigueur et aux versatilités de la météo, reste un outil difficile à dompter. Mais une fois maîtrisé, l’effet lenteur de la maturation conjugué à la sensibilité au milieu lui confère une capacité extrême, partagée par très peu d’autres cépages, à exprimer l’originalité d’une situation. De même qu’un « pur-sang » a besoin d’un dressage bien encadré et approprié, le chenin de Loire attend aujourd’hui un cadrage réglementaire mieux adapté et une assistance technique pour devenir demain hautement compétitif.

C’est donc un vaste chantier qui démarre. Il permettra demain aux vignerons ligériens d’être encore plus professionnels, mais aussi d’offrir aux consommateurs une lecture réelle des paysages de la Loire, base d’une communication collective enfin hiérarchisée bénéfique à tous les vins de la Loire et à tous les vignerons.

Citer cet article

Référence électronique

Claude Papin, « Le chenin », Territoires du vin [En ligne], 7 | 2016, publié le 01 janvier 2016 et consulté le 19 avril 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/territoiresduvin/index.php?id=855

Auteur

Claude Papin

Vigneron, Président de l’IFV Val de Loire-Centre et de l’ARFV Pays de la Loire

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