Patrimonialisation et stratégie d'œnotourisme

  • "Création of heritage " Strategy and wine tourism

Index

Mots-clés

Patrimoine, Tourisme, Labels, Plan de gestion, Œnotourisme

Keywords

Heritage, Tourism, Labels, Management plan, Enotourism

Plan

Texte

Introduction

La patrimonialisation est le fait de donner un caractère patrimonial à un objet (Gatelier 20111) et peut être présentée comme un processus socioculturel par lequel un espace, un bien ou un objet (matériel), un concept ou une pratique (immatériel) sont transformés en un composant du patrimoine. Quelle que soit la nature de cet élément (naturelle, culturelle, ...) il devient un bien collectif à la fois objet de conservation et enjeu de protection, éventuellement de restauration. En tant qu'héritage commun d'un groupe ou d'une collectivité, il lui est associé un besoin de protection et de transmission, et la population a un devoir de conservation sous peine d'une dégradation ou pire d'une disparition. Les dimensions juridiques, politiques, économiques sont naturellement présentes et le processus de patrimonialisation relève du temps long.

Dans le domaine vitivinicole, le territoire de la vigne, le vignoble, sont constitués par les vignes ainsi que par les éléments nécessaires à son exploitation (bâtiments, équipements, ...), tout comme les activités liées aux différents stades de l'élaboration des vins, ainsi que les coutumes, les fêtes et autres événements sociaux qui y sont rattachés. Ils forment un patrimoine vivant qui bouge, évolue, en façonnant les paysages dans leur relief, leur organisation (morcellement ou réunion de parcelles, réglementation). Il est également l'expression de structures sociales et culturelles variées ; il raconte une histoire (l'Afrique du Sud et son vignoble avec l'arrivée des Huguenots au XVIIème siècle par exemple), des traditions qui se poursuivent, se transforment et s'adaptent au quotidien. Le développement du tourisme y donne une nouvelle impulsion en l'ouvrant au monde.

Un état des lieux

Différentes catégories ou dimensions de patrimoines matériels sont présents : patrimoine architectural (abbayes, celliers, ...), archéologique (traces de vignobles, amphores, ...), rural (bâtiments dans les villages, dans le vignoble, ...), urbain (maisons de propriétaires, de politiques et de notables). On ne saurait oublier d'autres types de patrimoine qui ont été construits par l'homme au fil des années et des siècles : patrimoine des savoir-faire (artisans des outils, fabricants de pressoirs, tonneliers), patrimoine des noms de parcelles et dénominations des lieux ou des vins (d'une très grande richesse), patrimoine des appellations (reconnues par les réglementations successives dans plusieurs pays d'Europe), ...

Parmi les éléments de nature immatérielle, on peut évoquer les techniques de travail dans les vignes, de vinification, d'élevage aussi bien que les traditions vigneronnes (repas de fins de vendanges, paulée en Bourgogne, fêtes et manifestations vineuses, ....), les usages associés au folklore du vin (qu'il soit redécouvert ou tout simplement inventé, G. Laferté, O. Jacquet2) comme nombre de confréries vineuses ou bachiques : la Confrérie des Chevaliers du Tastevin en Bourgogne (créée en 1934), la Confrérie Saint-Etienne en Alsace (ressuscitée en 1947), la Jurade de Saint-Emilion (reconstituée en 1948) ... Nombre de ces associations ont (re)vu le jour et sont suscitées voire totalement inventées mais toujours soutenues par des professionnels et des amateurs de vin avec pour objet la promotion des vins de la région qu’elles représentent. Les confréries actuelles datent toutes du XXème siècle (et en particulier de sa seconde moitié) même si certaines peuvent justifier d'origines très anciennes. Elles se donnent des noms faisant référence à l’ancien temps ou au vieux français : compagnons, chevaliers, goustiers, tasteurs ...

La démarche de reconnaissance de ce patrimoine est de nature socioculturelle ; au delà du fait qu'elle implique l'engagement de toute la population concernée, directement ou indirectement, elle commence par l'initiative d'un individu ou d'un groupe d'individus, appuyés par une population locale voire régionale. Les responsables des collectivités territoriales et les politiques sont incontournables dans la préparation du dossier. L'élément retenu est issu d'une sélection de biens ou de coutumes qui ont perduré pendant de nombreuses années voire des siècles ; il leur est reconnu une place particulière ou essentielle dans la vie quotidienne, même si la population locale n'en a pas une parfaite conscience. La démarche nécessite des recherches approfondies avec un travail sur les archives (privées et publiques), elle mobilise les outils et méthodes d'analyse des historiens, ethnologues, anthropologues, archéologues, géographes, économistes ...

Pour ce qui est des biens matériels, c'est généralement la population locale qui décide après un long et minutieux travail d'analyse et de réflexion, quels sont les biens et objets qui ont une histoire, une signification reconnue dans le temps long, les biens qui font partie du quotidien et qui font l'"âme" de la localité. Pour les éléments immatériels, ils peuvent relever d'initiatives locales ou régionales, mais aussi nationales voire multinationales. Dans ce dernier cas, on peut évoquer "La diète méditerranéenne" inscrite en 2013 sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité et présentée par Chypre, la Croatie, l'Espagne, la Grèce, l'Italie, le Maroc et le Portugal.

Les dispositifs de protection, de préservation et de labellisation

En France, la multiplicité des dispositifs de protection et de préservation relatifs à différentes échelles territoriales et à différentes catégories de patrimoine rend complexe le choix du mode de protection. M. Prats 3(2014) en fournit un riche exposé à travers un minutieux balayage historique. En outre, la reconnaissance est faite à différentes échelles, des éléments de patrimoine sont "reconnus" ou "identifiés" au niveau local, régional, national voire international / mondial.

Loi 1930 - La protection passe généralement par des dispositifs législatifs, réglementaires, .... En France, plusieurs sont disponibles, récapitulés et analysés par M. Prats (2014). Parmi ces possibilités, il faut noter en particulier la loi du 2 mai 1930 (JO du 4 mai 1930) qui concerne les aspects paysages des vignobles et distingue les sites inscrits des sites classés. Cette loi (complétée depuis en 1957) a pour objet de conserver et de protéger des monuments naturels et des sites de caractère artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque. Dans ce cadre, de nombreux vignobles sont reconnus pour leur valeur paysagère et sont protégés au titre des sites classés : la côte méridionale de Beaune (1992), Château-Chalon dans le Jura (2006), les coteaux de Tain l'Ermitage (2013), les abords de la Roche de Solutré (2013), le vignoble de Patrimonio en Corse (2014). On peut mentionner le projet de faire classer la Côte de Nuits dans le prolongement du classement des "climats" de Bourgogne au Patrimoine mondial en juillet 2015.

Le Label UNESCO - 1972 - La reconnaissance d'un bien par l'UNESCO repose sur la Convention du Patrimoine mondial concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel, élaborée et adoptée par la Conférence générale de l'UNESCO le 16 novembre 1972. Par cette convention, les Etats s'engagent à protéger sur leur territoire les monuments et les sites reconnus d'une valeur telle que leur sauvegarde concerne l'humanité dans son ensemble. Le concept de paysage culturel, soutenu par l'ICOMOS (International Council for Monuments and Sites) est reconnu par le comité du patrimoine mondial en 1994 en tant que "œuvre conjuguée de l'homme et de la nature". Les paysages viticoles en sont une dimension ; identifiés et préservés dans leur diversité à travers le monde, ceux qui sont retenus expriment "la longue et intime relation des peuples avec leur environnement" (Prats, 2014). Plusieurs catégories sont distinguées, dont ceux qui sont considérés comme "évolutifs et vivants" et dont les fonctions ont abouti à la création d'un cadre de vie et de travail, représentatif d'une culture et en harmonie avec l'environnement et les hommes qui l'ont créé ou qui contribuent à l'entretenir.

Une large variété de biens, matériels ou immatériels, naturels ou culturels, disposant d'un lien direct ou indirect avec le domaine vitivinicole sont aujourd'hui inscrits sur la liste du Patrimoine Mondial. Ils constituent un effet de démonstration puis d'émulation. On peut ici évoquer quelques dossiers engagés ou en projets mais pas encore suffisamment étayés concernant des vignobles (Rioja en Espagne au dossier déjà bien avancé, Alsace en France avec une annonce le 17 juillet 2015, le vignoble du Sancerrois avec une décision du conseil municipal du 9 octobre 2015, ...), des coutumes (le Biou du Jura), ... A noter également le projet du Conseil des Grands Crus classés de demander l'inscription du Classement de 1855 au patrimoine français, puis au patrimoine mondial de l’Unesco, ceci à l'occasion de la célébration des 160 ans du classement des crus de Bordeaux en 1855. L'événement a eu lieu le 20 avril 2015, à l’invitation de Laurent Fabius, alors Ministre des Affaires étrangères, le premier à promouvoir les vins français à travers le monde. Cependant, des réticences et les craintes de voir se figer ce classement ont fait abandonner ce projet (janvier 2016) du fait que secrètement, certains châteaux aimeraient changer de rang alors qu'officiellement, il n'a jamais été question de toucher à ce qui est presque une icône.

La loi Paysage - 1993 - A traves la charte paysagère, la loi offre un outil d’aide à la décision prenant la forme d’un contrat moral entre les différents acteurs d’un territoire. Une démarche volontaire permet de mieux connaître les paysages d’un territoire et de développer un projet de protection, de valorisation et de restauration du patrimoine paysager dans le cadre d'une stratégie et d'un programme. Dans les Côtes du Rhône, depuis de nombreuses années, le syndicat général des vignerons et l’ensemble des vignerons s’attachent à défendre leurs appellations, notamment sur le plan foncier, en veillant à une protection de leurs terroirs. Ils ont initié en 2014 une démarche visant à assurer la connaissance, la gestion et la valorisation des AOC tant sur le plan environnemental que paysager. Ce projet interdépartemental (engagement de 6 départements) a abouti à la signature de la Charte de valorisation paysagère (2 juillet 2015, à Séguret, Vaucluse), à une mobilisation des vignerons, des collectivités et organismes de l’appellation autour d’engagements en faveurs des paysages et de l’environnement rhodaniens. L'objectif est d’assurer la pérennité de l’appellation Côtes-du-Rhône ainsi que l’image et la notoriété de ses vins.

La convention européenne du paysage - Le 19 juillet 2000, le Conseil de l'Europe a adopté la Convention Européenne des Paysages (signature à Florence en Octobre 2000) qui est la "première spécifiquement et exclusivement consacrée à la protection, à la gestion, et à l'aménagement de tous les paysages européens ainsi qu’à l’organisation d’une coopération européenne dans ce domaine" ; elle reconnait le concept de paysage et de paysage culturel (exceptionnel ou non) dans une optique de développement durable, son importance pour la qualité de vie des populations et sa contribution à la formation des cultures locales.

Depuis 2000, la création du Réseau des Grands Sites de France (GSF) a permis de rassembler des paysages exceptionnels, remarquables par leurs qualités paysagères, naturelles et culturelles, reconnus de tous et fragiles. Ils sont protégés et gérés selon les valeurs du développement durable et le réseau réunit les organismes gestionnaires en charge de la restauration, préservation et valorisation de ces territoires. Le projet aide à assurer la pérennité et la mise en valeur du site dans toute sa diversité. Le site de Solutré Pouilly-Vergisson dont une partie est constituée d'un vignoble, a été labellisé en 2013. La participation au réseau incite à améliorer la qualité de la visite (accueil, stationnements, circuits, information, animations) dans le respect du site, et à favoriser le développement socio-économique local dans le respect des habitants.

La Charte Internationale de Fontevraud4 (décembre 20035) a été élaborée sous la double impulsion de l’Interprofession InterLoire et de la « Mission du Val de Loire » à la suite de deux événements majeurs : l’inscription sur la liste du patrimoine mondial par l’UNESCO de la région Val de Loire en 2000 et le colloque international de Fontevraud « Paysages de vignes et de vins » tenu en juillet 2003. Depuis, l’adhésion à la Charte permet l’accès au Réseau d’excellence International des Paysages Viticoles6 et entraîne l’utilisation de la marque matérialisée par un emblème. Ont été reconnus : le Val de Loire, le village de Château-Chalon (6 février 2006), la Côte méridionale de Beaune (17 novembre 2009), Lavaux (Suisse, septembre 2007), les Costières de Nîmes (26 mars 2009), Brouilly et la Côte de Brouilly (26 mars 2009, 24 septembre 2011), Grand Pic Saint-Loup (4 juin 2015). Plusieurs sites et vignobles relevant de cette reconnaissance sont en cours d’adhésion, aussi bien en France (les vignobles de Gigondas, Vacqueyras et Baumes de Venise autour des Dentelles de Montmirail, la Champagne) qu'à l'étranger.

Il est à mentionner la possibilité pour les Syndicats de Défense des Appellations d'Origine Contrôlées (loi du 2 juillet 1990) de saisir l'autorité administrative compétente, s'ils estiment qu’un projet peut porter atteinte à l'aire et aux conditions de production, à la qualité ou à l'image du produit de l’appellation. Cette procédure peut concerner le contenu d'un document d'aménagement ou d'urbanisme en cours d'élaboration, un projet d'équipement, de construction, d'exploitation du sol ou du sous-sol, d'implantation d'activités économiques. C’est un outil intéressant, à condition de s'appuyer sur une dynamique de protection initiée préalablement par les acteurs viticoles et relayée par les collectivités territoriales.

Un dernier dispositif mérite d'être mentionné, instauré à l'origine par la loi de décentralisation du 7 janvier 1983 avec une extension par la loi « paysages » du 8 janvier 1993 : la Zone de Protection du Patrimoine Architectural, Urbain et Paysager (ZPPAUP, article L642 du Code du patrimoine depuis le 24 février 2004). Ayant pour objet d'assurer la protection du patrimoine paysager et urbain et de mettre en valeur des quartiers et sites à protéger pour des motifs d’ordre esthétique ou historique, ces zones ont été remplacées par les Aires de mise en Valeur de l'Architecture et du Patrimoine - AVAP7 (12 juillet 2010). C'est grâce à de tels dispositifs que certaines constructions (bâtiments professionnels, hangars, éoliennes privées, ...) sont interdites ou soumises à contraintes afin d'éviter / limiter les pollutions visuelles. Les paysages viticoles sont largement concernés, surtout après un classement au patrimoine.

Les impacts des labellisations et les plans de gestion

Les labellisations ont des impacts multiples (environnementaux, organisationnels, financiers, ...) et les aspects économiques restent largement présents, tout objet patrimonial devenant à la fois un bien public global (Kaul et al. 19998) et un bien singulier (Karpik 20079), un produit dont le fonctionnement déroge aux principes du marché concurrentiel. Aujourd’hui, l’essor du tourisme culturel renforce encore l’appétit pour le patrimoine tandis que l’extension de la sphère patrimoniale appelle de nouvelles ressources pour sa gestion et une « réutilisation quasi-systématique » (Marcotte et al. 201010). D'autres études ont été menées à l'initiative du Patrimoine Mondial. Certaines ont tenté de prendre en compte des critères artistiques, symboliques, historiques ou esthétiques dans le but d’intégrer des aspects difficilement mesurables, comme les conséquences d’une régénération du site, le développement de partenariats locaux, une augmentation des ressources disponibles, des effets sur l’éducation scolaire, un renforcement du capital social et de la cohésion collective.

Les chiffres couramment fournis, de 20 à 50% d'augmentation de la fréquentation d'un site à la suite d'une inscription au Patrimoine Mondial sont souvent des estimations "à la louche" sans doute surestimées. L'accroissement de la renommée internationale et l'existence d'un public adepte des visites des lieux et biens inscrits est peu contestable. De différentes publications, il ressort qu'une inscription ou une labellisation n'est pas une manne. Les effets dépendent plus particulièrement des actions de promotion du site, de la dynamique de l'offre et de la politique touristiques, de l'engagement de la population ... ce qui induit des retombées contrastées selon la nature du site (monument, paysage, ...). Il semble inutile de s'attendre à une explosion de la fréquentation touristique, mais une impulsion peut être donnée. Une inscription est certes une source de notoriété (niveau de connaissance qu'un individu a d'une entreprise, d'une marque, d'un produit, d'un lieu) et peut inciter des tour-operators à faire figurer de tels sites sur les circuits de visites proposés à leur clientèle. Une maîtrise des flux touristiques peut alors s'avérer indispensable ; les vignerons verraient mal les lâchers de touristes dans les rangs de leurs vignes !

Si une inscription ou une labellisation représente la reconnaissance (éventuellement mondiale) du bien, des retombées sont attendues dans des domaines connexes, comme par exemple des protections. Pour les vignobles, les préoccupations nouvelles et récentes sont apparues au fil des années avec des pollutions visuelles ; les projets d'implantation de champs d'éoliennes viennent perturber les dossiers de demande d'inscription en raison d'un impact paysager et visuel. L'existant est explicitement mentionné dans les rapports d'ICOMOS pour les dossiers présentés par la Bourgogne et la Champagne pour la campagne 2015. Des mises en garde et recommandations de limitation voire d'interdiction font partie intégrante des avis remis aux porteurs des dossiers avant la décision d'inscription. Au delà des réserves émises, il apparait qu'un développement des parcs éoliens au voisinage des sites classés remettrait en cause l'inscription et pourrait aller jusqu'à une désinscription. Les responsables politiques sont amenés à faire preuve de la plus grande prudence dans la préparation du Schéma Régional de l'Eolien (SRE). Veillons à la bonne implantation des hélices !

Un autre domaine de protection est celui du foncier. Le développement urbain, mais aussi celui des villages, a empiété sur les espaces périphériques avec des zones industrielles, artisanales, commerciales, résidentielles, de loisirs et a repoussé les utilisations agricoles des terres. Les zones viticoles (et arboricoles) ont résisté avec plus ou moins de force en raison du caractère pérenne des plantes et/ou de leur capacité à générer des revenus voire des rentes qui permettent de lutter efficacement contre des usages plus rémunérateurs des terres. Dans les zones de très forte pression foncière, lorsque les revenus viticoles sont apparus comme trop faibles par rapport aux prix des terrains affectés à ces nouvelles utilisations (cas de la production de vins de qualité courante par exemple), la vigne a disparu. L'exemple du Languedoc-Roussillon avec les villes de Montpellier et de Perpignan est une excellente illustration de ce phénomène. La situation est à l'opposé dans certains villages de Bourgogne ou d'Alsace pour lesquels une politique de densification de l'habitat a dû être développée. Un nouvel avantage de cette résistance à l'essor urbain (ou à son déplacement) est celui d'accorder aux populations des "ceintures vertes" qui participent au contrôle de la croissance des agglomérations et à la conservation des vignobles. Le classement ou la labellisation d'un site viticole devient un rempart supplémentaire et redoutablement efficace contre le développement de certaines formes d'espaces économiques.

Cependant, une partie des patrimoines en lien avec le vin et les vignobles ne sont pas protégés au niveau international. Si la reconnaissance des indications géographiques est habituelle (vin attaché à son lieu de production, espace non reproductible), il n'en va pas de même pour certains termes tels que "clos", "domaines", "château"... dont l'utilisation est lorgnée par les wineries américaines car porteuses et vendeuses. Ils seraient l'objet d'une partie des négociations lancées en juillet 2013 et des discussions entre l'Europe et les Etats-Unis, dans le cadre du partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (PTCI ; TTIP Transatlantique Trade and Investment Partnership) connu aussi sous le nom de traité de libre-échange transatlantique (TAFTA TransAtlantic Free Trade Agreement). Cet accord commercial prévoit la création d'une zone de libre-échange transatlantique souvent appelée grand marché transatlantique, et le vin fait partie des produits sensibles.

Toutefois, la protection des indications géographiques, longtemps propre aux vignobles européens, s'est diffusée aux USA avec la création des AVA (American Viticultural Area), zones viticoles aux particularités géographiques spécifiques et dont les limites sont précisément définies par l'Alcohol and Tobacco Tax and Trade Bureau (TTB) du gouvernement américain (Augusta dans le Missouri, première AVA reconnue le 20 juin 1980). Pour ce qui est de la Chine, le premier certificat d'origine délivré par le gouvernement chinois, le Protected Eco Origin of Products (PEOP) est déjà mis en place pour les produits agroalimentaires chinois, label qui devrait être proposé aux vins français. Si les bouteilles de vins français bénéficient de ce certificat, c'est que leur contrefaçon en Chine "est une problématique qui persiste, malgré tous les efforts gouvernementaux".

Les vignobles ont naturellement une double fonction : ils sont à la fois espace de travail pour les vignerons et avec le développement du tourisme, ils sont devenus des espaces récréatifs et de découverte pour le public. L'objectif de protection devient une préoccupation majeure qui implique la gestion des accès aux sites et des flux touristiques. L'intérêt de plus en plus grand des visiteurs pour les sites Patrimoine mondial a fait évoluer les exigences de l'UNESCO dans les dossiers de demande de classement. Les informations concernant le plan de gestion (la feuille de route) font partie intégrante des documents à remettre et soumettre à l'expertise. Le plan mentionne en particulier les actions à mettre en place (entretien des sites, bâtiments, modes d'accès, mise en place et maintien d'une signalétique, ...) et veille à assurer la qualité de l'accueil des visiteurs. Une fois le classement acquis, de nouvelles tâches doivent être réalisées, entre autres afin de susciter et encourager les actions susceptibles de contribuer à la protection et à la valorisation du site. Par ailleurs, la préparation des rapports nécessités par les contrôles de l'UNESCO est prévue afin d'assurer le maintien du site sur la liste du patrimoine mondial et d'éviter le déclassement : c'est l'objet de la "clause de revoyure".

Valorisation et œnotourisme

Une reconnaissance et une labellisation d'un site n'assure pas automatiquement sa pérennité. La protection et l'entretien de sites labellisés nécessitent le travail et l'énergie d'une population mais très souvent aussi des ressources financières. C'est ainsi que des processus de valorisation ont été mis en place. La valorisation (processus destiné à améliorer la valeur de l'objet ou du bien considéré) peut être appréhendée de différentes façons : par le patrimoine et l'œnotourisme pour les paysages viticoles, par les terroirs pour les territoires viticoles, par la qualité des produits pour les terres viticoles (Bourdon, Pichery 201011. Dans le cas des vignobles, elle passe par la mobilisation d'un héritage viticulturel construit durant plusieurs siècles de culture. Un bien reconnu comme élément de patrimoine devient, pour les populations voire l'humanité, du capital naturel et/ou culturel dont la valeur peut être appréciée à travers plusieurs critères. D. Throsby (2015)12 propose de nombreuses dimensions et contenus dans le cadre d'une réflexion sur les actifs économiques et culturels des terroirs associée à un modèle de développement humain et culturel avec une double dimension familiale et durable. Ces différents éléments (esthétique, symbolique, historique, social, scientifique, éducatif et de transmission) ont vocation à être retenus dans la présentation des territoires et dans la mise en œuvre de stratégies de valorisation pour attirer les visiteurs locaux aussi bien que les touristes nationaux et internationaux (Pichery, 201613). Après la période d'inventaire (travaux des historiens, archéologues, ethnologues, ...) vient le temps de la protection, de la diffusion et de la transmission des différents contenus des patrimoines viticoles.

Un moyen particulièrement retenu, apparu à partir des années 90 avec le tourisme d'agrément, est l'œnotourisme dans sa double dimension œnologique et culturelle à laquelle est venu s'associer aujourd'hui le tourisme gastronomique. Défini comme l’ensemble des prestations relatives aux séjours touristiques dans des régions viticoles, il permet la découverte conjointe du vin, des produits gastronomiques, des terroirs, des techniques, des traditions, des hommes et de leur environnement sur le territoire où ils se situent. Les routes des vins jouent un rôle non négligeable. En France, les pionniers ont été les Bourguignons avec le projet dès 1937 de création de la Route des Grands Crus suivi près de 20 ans plus tard par l'Alsace et l'inauguration de la Route des Vins en mai 1953 (Pichery 2016). Ces exemples ont été repris en Europe, Etats-Unis, Australie ... Un exemple original et international mérite d'être mentionné : le Black Sea Wine Necklace ou route de la Mer Noire. Dès 1993, une agence de tourisme d’Ukraine (Mode travel operator) a conçu le projet de créer une route culturelle transfrontalière autour de la Mer Noire à partir du constat que tous les pays du pourtour de cette mer avaient un lien historique et culturel commun : la vigne et le vin. Ce projet deviendra en 2008 «l’initiative de Kiev» et la réunion de ces pays prendra le nom de Wine Culture Tourism Exchange (WCTE) avec une offre de circuits routiers ou de croisières permettant de visiter des vignobles. Cinq Etats ont lancé le projet (Arménie, Azerbaïdjan, Géorgie, Moldavie, Ukraine) suivis ensuite par la Grèce, la Turquie, la Roumanie, la Bulgarie, la Serbie, la Croatie, la Macédoine et la Bosnie-Herzégovine. Ces pays qui bordent la Mer Noire ont un long passé vitivinicole (plus de 25 siècles) dont les sources sont décrites déjà dans la Bible avec Noé qui, échoué sur le mont Ararat, est crédité de la renaissance de la vigne et du vin.

Au delà de ces routes, les professionnels ont dû intégrer le fait que pour de nombreux touristes, la dimension sensorielle est devenue importante ; ils sont de plus en plus à la recherche d'une découverte, d'une expérience, d'une émotion (Bensa, Pichery 201314) qu'ils peuvent trouver dans le domaine du vin pour peu que les vignerons et responsables de domaines fassent le geste et l'effort d'aller au devant d'eux en leur proposant de manière ludique et de grande qualité professionnelle un lieu, un produit, un savoir-faire, une culture, un patrimoine... Mais il ne faut pas négliger la possibilité d'effets pervers à la suite de l'absence de maitrise d'un trop grand nombre de visiteurs ou de demandes comme le vivent ou l'ont vécu le Piémont (inscription Patrimoine Mondial en 2014) ou la Napa Valley (fête nationale du 4 juillet 2015) ou encore la crainte de dégradations au sein des vignobles (Pichery, 2016). La gestion des flux touristiques est là pour échapper à la mise en danger de la nature et pour éviter d'avoir à envisager une limitation "volontaire" des capacités d'accueil. En outre, certains paysages, malgré leurs spécificités, leur forte originalité due au relief ont beaucoup de mal à assurer leur valorisation malgré une inscription à l'UNESCO (cf le Cinqueterre). A ce stade de la réflexion, il peut être utile de rappeler que le concept de patrimoine a une grande proximité avec celui de développement durable qui assure les besoins de la génération actuelle sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins15. Le patrimoine nous est confié et nous devons le transmettre à nos descendants ; les activités œnotouristiques ne peuvent pas échapper à l'obligation de préservation des biens et des coutumes.

Des stratégies territoriales de valorisation apparaissent avec le passage d'une dimension produits (routes des vins, événements de promotion, produits présentés par les offices de tourisme) à une nouvelle dimension, celle des réseaux qui se met en place à travers des groupement d'acteurs. Au delà du réseau français Vignobles et découvertes, il s'agit de VITOUR le réseau européen des vignobles du patrimoine mondial de l’UNESCO, de Recevin le Réseau Européen des Villes du Vin. Leur objectif est de rapprocher des cités ou lieux qui dépendent économiquement et fortement de la viticulture, situés dans des zones protégées par leurs appellations d’origines. Ils tiennent à promouvoir les produits issus d'un terroir marqué par une forte identité culturale et culturelle, à en assurer la visibilité au delà de leurs frontières régionales et nationales.

Conclusions

Le patrimoine et la valorisation des territoires de la vigne et du vin ne peuvent pas échapper au besoin de promotion ; s'il relève des autorités locales et territoriales (profession vitivinicole, Offices de tourisme, responsables politiques et territoriaux), d'autres interlocuteurs ont un rôle majeur à jouer. L'intérêt pour l'œnotourisme est réel en France qui dispose de l'un des plus vastes vignobles (3ème pays en 2015 après l'Espagne et la Chine avec 786.000 ha) et qui est l'une des plus importantes destinations touristiques (plus de 84 millions de touristes en 2015). C'est récemment que trois signaux ont été donnés au niveau national. La décision (avril 2014) de rattacher le tourisme au Ministère des Affaires Etrangères et du Développement International (MADI) révèle la prise de conscience des politiques pour l'apport des visiteurs étrangers en matière culturelle et économique. La mise en ligne (octobre 2015) du document "Pôles d'excellence touristique : 18 mesures en faveur du développement de l'œnotourisme et de sa promotion à l'international"16 en est un autre. L'information et le faire savoir sont des éléments indispensables et les moyens pour le public de se renseigner deviennent accessibles sous de multiples formes et en de nombreux lieux (blogs, réseaux sociaux, applications pour téléphones portables, ...).

Une troisième illustration de l'intérêt porté à l'œnotourisme est le lancement (9 février 2016) du portail Internet Visit French Wine17 sur le site du Ministère des Affaires Etrangères, dans le but de promouvoir auprès des étrangers l'œnotourisme français et de doper les visites de vignobles et de caves. Au delà de ces signaux, le site "Wine tourism in France"18 défend avec beaucoup de sérieux et d'informations particulièrement pertinentes les sites et les événements proposés sur l'ensemble des territoires de vins en France. La création d'événements occasionnels ou renouvelés avec les possibilités d'accompagnement de la part du Conseil Supérieur de l'Œnotourisme témoignent de la richesse des innovations et opportunités offertes pour accueillir visiteurs et touristes dans des régions vitivinicoles dont les atouts naturels et humains sont d'une très grande diversité à travers les vignobles.

A la suite de l'inscription des vignobles du Piémont, de la Bourgogne et de la Champagne sur la liste du Patrimoine Mondial, l'attention a été portée par les professionnels de la vigne, du tourisme et des territoires aux bienfaits d'une labellisation pour une protection des paysages et des traditions ; la préparation des dossiers, qu'ils aboutissent ou non, révèle l'importance que prend la (re)connaissance et l'apport culturel de l'histoire des vignobles et des hommes qui en vivent . Peut-être peut-on espérer que ces développements, ces créations et formules variées avec leurs spécificités régionales et nationales iront à l’encontre d’une mondialisation et d’une standardisation (souvent évoquée) des vignobles et des vins.

Notes

1 Elsa Gatelier, Patrimoine vitivinicole et développement territorial, Rapport de recherche, 143 pages, 2011 Retour au texte

2 Olivier Jacquet et Gilles Laferté, « La route des vins et l’émergence d’un tourisme viticole en Bourgogne dans l’entre-deux-guerres », Cahiers de Géographie du Québec, Revue internationale de géographie humaine, Volume 57, N°162, décembre 2013/janvier 2014, p. 425-444, 2013 ; Gilles Laferté, « La production d’identités territoriales à usage commercial dans l’entre deux guerres en Bourgogne », Cahiers d’économie et de sociologie rurales, n°62, 2002 Retour au texte

Gilles Laferté, La Bourgogne et ses vins : image d’origine contrôlée, Paris, Belin, coll. Socio-histoire, 2006

3 Michèle Prats, Les paysages viticoles : une quête d'excellence, 2014 http://www.uesc.br/revistas/culturaeturismo/ano8-edicaoespecial/8-prats.pdf Retour au texte

4 http://www.chartedefontevraud.org/ Retour au texte

5 http://beaujolais.hautetfort.com/archive/2009/09/26/5e5b5ba0b60b667e000cecbb1ce9c759.html Retour au texte

6 http://www.vignevin-sudouest.com/publications/itv-colloque/assises-vins-sud-ouest/documents/paysages-viticoles_000.pdf Retour au texte

7 http://www.outil2amenagement.certu.developpement-durable.gouv.fr/avap-aires-de-valorisation-de-l-architecture-et-du-r261.html Retour au texte

8 Inge Kaul, Isabelle Grunberg et Marc Stern (dir.), Global Public Goods: International Cooperation in the 21st Century, Oxford, Oxford University Press, 1999 Retour au texte

9 Lucien Karpik, L’économie des singularités, Paris, Gallimard, 2007 Retour au texte

10 Pascale Marcotte et Laurent Bourdeau, « La promotion des sites du Patrimoine mondial de l’UNESCO : Compatible avec le développement durable ? », Management & Avenir, n° 34, novembre 2010, p. 278. Retour au texte

11 Le territoire viticole en France : de la destruction à la valorisation, colloque ASRDLF, Fort de France, 2010, http://ledi.u-bourgogne.fr/images/stories/pdf/doc_trav2010/e2010-06-wp-bourdonpichery.pdf Retour au texte

12 David Throsby, « Terroir-based economies as economic and cultural assets: value, valuation and sustainability », Colloque La valeur patrimoniale des économies de terroir comme modèle de développement humain, Paris, 18-19 février 2015, Dijon, Eud, 2016. Retour au texte

http://www.climats-bourgogne.com/fr/colloque-2015-bilan-podcast_366.html pour la version audio

13 MC Pichery, «Patrimoine et enjeux d'une stratégie d'œnotourisme», Actes du colloque Les territoires du vin, Angers, février 2016, 19 pages Retour au texte

14 Bensa Françoise ; Pichery Marie-Claude, “Wine tourism and on-site wine sales”, Wine Economics: quantitative studies and empirical applications, eds E. Giraud-Héraud and M.C. Pichery, Palgrave Macmillan, 2013, pp. 327-349 Retour au texte

15 Report of the World Commission on Environment and Development: Our Common Future p. 41 Retour au texte

http://www.un-documents.net/our-common-future.pdf

16 http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/feuille_de_route_pole_oenotourisme_finalisee_cle8a8249.pdf Retour au texte

17 http://www.visitfrenchwine.com/ Retour au texte

18 http://www.winetourisminfrance.com/ Retour au texte

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Référence électronique

Marie-Claude Pichery, « Patrimonialisation et stratégie d'œnotourisme », Territoires du vin [En ligne], 8 | 2018, publié le 01 février 2018 et consulté le 29 mars 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/territoiresduvin/index.php?id=1354

Auteur

Marie-Claude Pichery

Université de Bourgogne LEDi, UMR 6307 uB-CNRS, U 1200 INSERM

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