L’œnotourisme en Bourgogne : de la valorisation du patrimoine à l’élaboration de compétences.

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Texte

Introduction

Si l’activité touristique en lien avec le vin a toujours existé en Bourgogne, sous des formes diverses, l’œnotourisme tel qu’on l’envisage aujourd’hui est un phénomène encore récent et en pleine expansion sur le territoire. Le tourisme viti-vinicole actuel s’inspire en grande partie des initiatives californiennes (l’un des exemples les plus probants en la matière est certainement celui de Robert Mondavi et de sa winery créée en 1966 dans la Napa Valley qui offre un bel exemple d’industrie « œnotouristique » et fait figure de précurseur), mais il faut également souligner les activités qui ont offert un certain nombre de prédispositions sur le territoire bourguignon. On trouve en effet un certain nombre de facteurs facilitant l’émergence des activités touristiques liées au vin sur le territoire bourguignon, à travers les actions de certains acteurs, notamment dans la première moitié du XX° siècle.

S’il est encore difficile de définir l’origine exacte de l’œnotourisme et d’évoquer un secteur bien définit, on peut néanmoins entrevoir certaines modifications que ce phénomène a amenées dans le secteur viticole et touristique. Avec le développement de nouvelles activités, à travers l’investissement de nouveaux acteurs, on peut s’interroger sur les perspectives qu’induit l’œnotourisme et les buts et objectifs qui se forment à travers lui. Définir la réalité empirique que recouvre le terme œnotourisme est également pour le moment difficile, le manque de connaissances sur le sujet, l’engagement encore marginal des institutions et les acteurs en plein processus de définition d’identités professionnelles induisent en effet un frein à celle-ci.

C’est ce processus de construction d’identité professionnelle qui nous intéresse ici à travers l’étude de sa réalisation empirique. En effet, il est intéressant de noter que l’identité professionnelle des acteurs de l’œnotourisme prend racine dans un certain nombre de valeurs et de critères qui sont rattachés au secteur viticole et à sa culture. Ainsi, on ne peut dissocier identité professionnelle appliquée à l’œnotourisme et éléments de valorisation du patrimoine viticole régional.

L’œnotourisme en Bourgogne : outil de valorisation d’un patrimoine.

Si l’on considère l’œnotourisme comme un phénomène touristique moderne adapté des initiatives californiennes, il ne faut pas pour autant oublier tout le contexte historique régional qui a offert un certain nombre de prédispositions à son application en Bourgogne. Il est ainsi intéressant de noter que la Bourgogne s’impose comme un territoire précurseur en matière d’œnotourisme, même si ce terme paraît encore peu adéquat dans ce contexte. Car si le tourisme viti-vinicole tel qu’on le considère désormais émerge dans la deuxième moitié du XX° siècle, sous l’impulsion des « nouveaux » vignobles (Californie, Australie, Amérique Latine etc.), on peut déceler un certain nombre d’éléments antérieurs.

Dans les années 1930, le mouvement régionaliste, en réponse à la crise met en valeur le patrimoine régional et participe à la mise au premier plan du vin, jusqu’alors relégué en arrière plan. Le tourisme, centré jusqu’ici autour du patrimoine naturel est alors modifié en profondeur grâce à la dimension viticole qu’on lui confère1. Les actions de Gaston Gérard (maire de Dijon à l’époque) mais aussi des Cadets de Bourgogne et des Chevaliers du Tastevin préfigurent un certain nombre de critères que l’on retrouve dans l’œnotourisme moderne. En effet, le caractère authentique attribué au patrimoine viticole régional apparaît dans ce contexte à travers des mises en scène et un folklore faisant référence aux critères médiévaux, construits de toutes pièces par la Confrérie des Chevaliers du Tastevin, s’attribuant une image féodale jugée plus adéquate à la culture viticole régionale.

Lorsque l’on considère le tourisme viti-vinicole en Bourgogne, il faut prendre en compte la dimension d’authenticité et les valeurs qui en sont issues, construites en grande partie à partir des actions et du folklore mis en place par la Confrérie des Chevaliers du Tastevin. Mais il faut également comprendre comment cette dimension est entretenue et dans quel but. En puisant dans les représentations et les constructions sociales propres au vignoble bourguignon, on comprend mieux l’action des acteurs et leur influence sur le patrimoine viticole et sa valorisation.

L’œnotourisme prend forme à partir d’un « imaginaire touristique2 » basé sur des valeurs légitimées aux yeux des touristes et entretenues par les acteurs du secteur viticole. Cet imaginaire prend forme sur à partir des actions des professionnels, qui construisent des valeurs, un lexique, des caractéristiques en accord avec une vision partagée. Ainsi, par le biais du courant régionaliste et l’action d’acteurs comme la Confrérie des Chevaliers du Tastevin, le vignoble bourguignon est affublé d’une étiquette d’authenticité et de tradition, rendue légitime aux yeux des touristes par le biais d’un folklore construit en relation avec ces représentations et la promotion d’une qualité inégalée. Les professionnels de l’œnotourisme mais aussi ceux du secteur viticole en général s’inscrivent dans ce mouvement et renforcent la légitimité de cet imaginaire grâce à une action collective.

Le patrimoine viticole est ainsi affublé de critères et valeurs qui renvoient à cet imaginaire touristique. L’œnotourisme joue ici un rôle primordial. C’est le discours des acteurs qui est porteur des caractéristiques, des valeurs et des codes constitutifs de cet imaginaire touristique rattaché au patrimoine. Ainsi, c’est à travers l’analyse de la parole des professionnels que l’on peut comprendre ce processus. Lorsqu’ils abordent la question du patrimoine régional, les acteurs utilisent de façon récurrente des termes faisant référence de manière directe aux valeurs qui constituent l’image du patrimoine viticole régional.

L’authenticité, le folklore, la qualité, le terroir, la tradition, la « culture bourguignonne ». Toutes ces valeurs mises en avant par les professionnels du secteur viticole au sens large participent à l’élaboration d’un discours légitimant une image, socialement construite, de la Bourgogne viticole, en mettant en avant des critères qualitatifs positifs, renvoyant aux prénotions développées par les touristes. Ces termes font ainsi consensus. L’œnotourisme, en s’emparant de ces critères de jugement, en les développant et en les diffusant, se présente alors comme un outil de valorisation du patrimoine viticole. Mais le patrimoine est également utilisé comme facteur d’attractivité du territoire par l’œnotourisme. S’établit alors un lien d’interdépendance. Tout dépend des acteurs concernés et des objectifs visés. Le patrimoine est en effet un formidable outil pour attirer les touristes et stimuler l’imaginaire collectif, puisqu’il est modifiable et que son sens varie d’une société à l’autre mais aussi en fonction des groupes sociaux. Il n’est donc pas considéré de la même façon en fonction des critères culturels propres, des attentes et des capitaux, au sens bourdieusien du terme. Sa valorisation est ici un moyen de créer une attente et un « résultat » conforme, puisque les acteurs peuvent exercer une influence de manière régulière sur les valeurs et critères le définissant.

Construction d’identité professionnelle : élaboration de compétences.

La construction du patrimoine, sa définition et sa valorisation révèle un processus de construction d’identité chez les professionnels de l’œnotourisme (tour-operator, domaines, négociants, offices de tourisme, restaurateurs, hôteliers,…). Comme évoqué précédemment, le champ œnotouristique est pour l’instant flou, sans limites précises et sans définition complète et reconnue. Les institutions ont du mal à prendre la mesure de ce phénomène et leur influence est constamment contestée par les acteurs, malgré un intérêt croissant.

Il est donc difficile, voir impossible de cadrer de manière définitive l’identité, ou plutôt les identités des groupes professionnels qui composent l’œnotourisme bourguignon. D’autant qu’il apparaît que certains acteurs ne sont pas intégrés de manière complète dans l’œnotourisme, ni aux mêmes niveaux. Néanmoins, on remarque rapidement l’existence de liens professionnels, propices aux relations. Ce que l’on appelle des « écologies liées »3, c’est à dire des groupes professionnels établissant des connexions d’interdépendance en fonction de besoins et d’objectifs communs. Un système de relations professionnelles créant des liens persistant tant que le besoin s’en fait ressentir et partageant ainsi des valeurs communes et des critères d’inter-reconnaissance.

Ces interactions entre acteurs de l’œnotourisme participent à l’élaboration d’identités professionnelles, grâce au partage de valeurs et surtout à la reconnaissance des compétences. En effet, pour que ce système d’écologies liées soit maintenu dans le temps, il est nécessaire que chaque groupe reconnaisse les valeurs et les compétences d’un autre groupe avec qui il entretient des liens professionnels. Cette reconnaissance induit de ce fait un jugement, obligatoire et socialement construit. Il s’agît de juger si tel professionnel est qualifié et s’il représente bien les valeurs exigées. Aucune relation ne peut s’établir sans cette appréciation préalable.

Pour donner une impression d’objectivité à ce jugement, les acteurs définissent les compétences nécessaires en se basant sur les valeurs rattachées au patrimoine et portées comme légitimes et induites de fait. Aussi, on remarque à travers l’analyse des discours des professionnels un lexique du « bon professionnel ». Les acteurs construisent ainsi les critères du jugement grâce à des normes connues de tous et qui doivent être reconnues par autrui. Il est intéressant de constater que ce lexique est sensiblement proche de celui du patrimoine.

On comprend ainsi le lien qui se construit entre la valorisation du patrimoine et l’élaboration de compétences professionnelles. Cette relation constatée ici tend à renforcer le caractère double du patrimoine. Les compétences professionnelles sont sans cesse comparées aux valeurs du secteur, qui résident en premier lieu dans le patrimoine et ce que les acteurs lui attribuent.

Ce patrimoine culturel, construit selon les représentations sociales des acteurs, tient donc une place essentielle dans le processus de construction des identités professionnelles de l’œnotourisme régional. Ce fondement d’identités de groupes répond à l’absence de définition d’un secteur, qui souffre du manque d’une institution en mesure de le structurer. Il permet de poser les bases des relations professionnelles, en établissant des critères de reconnaissance et de jugement, qui restent désormais à étudier de manière exhaustive.

Conclusion

La valorisation du patrimoine et l’élaboration de compétences professionnelles, base d’une identité de groupe, sont indissociables dans le cheminement contemporain du tourisme viti-vinicole. Le processus de construction de compétences professionnelles passe par un cheminement parallèle à celui de la construction du patrimoine.

Celui-ci étant un élément essentiel du fonctionnement œnotouristique, il se retrouve dilué dans différentes dimensions de cette forme de tourisme. La professionnalisation des activités œnotouristiques tend à laisser penser que l’influence des acteurs sur le patrimoine est un processus essentiel dans la construction des groupes professionnels. L’un des prochains objectifs sera donc de définir quelles professions émergent au sein de ces activités œnotouristiques et d’en comprendre les fonctionnements et enjeux.

Le patrimoine subit les influences des acteurs et ne reflète pas la même réalité selon ce qui lui est attribué et les objectifs qu’il contribue à atteindre. Il n’est donc pas utilisé de la même façon par tous les groupes professionnels et les relations mises en place au sein de ces « écologies liées » appliquées à l’œnotourisme sont destinées à des changements et des divergences importantes. Ce qui induit désormais une autre interrogation, autour de l’identification de ces liens, leur fonctionnement et les représentations qui y sont liées. Le système des « écologies liées » est complexe et induit une multitude de réalités et d’interprétations. Il semble donc que ce soit un objet d’étude primordial dans la compréhension du phénomène œnotouristique et de son fonctionnement professionnel.

Notes

1 Olivier JACQUET, Gilles LAFERTÉ,  « La route des vins et l’émergence d’un tourisme viticole en Bourgogne dans l’entre-deux-guerres » Cahiers de Géographie du Québec. Revue internationale de géographie humaine, Volume 57, N° 162, décembre 2013/janvier 2014, p. 425-444. Retour au texte

2 Rachid AMIROU,  « L’imaginaire touristique », Paris, CNRS éditions, 2012, 360 p. Retour au texte

3 Andrew ABBOTT,  « Écologies liées, à propos du système des professions », Pierre-Michel MENGER [dir.] « Les professions et leurs sociologies », Paris, MSA, 2003, p. 29-50. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Charles Rigaux, « L’œnotourisme en Bourgogne : de la valorisation du patrimoine à l’élaboration de compétences. », Territoires du vin [En ligne], 8 | 2018, publié le 01 février 2018 et consulté le 18 avril 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/territoiresduvin/index.php?id=1353

Auteur

Charles Rigaux

Centre Georges Chevrier UMR 7366, Université de Bourgogne Franche-Comté

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