Comparaison de signaux (LiDAR, géophysique) utilisés dans l’étude des dynamiques naturelles et anthropiques

DOI : 10.58335/shc.267

Résumé

L’archéologie ne se limite pas à la fouille, les prospections apportent elles aussi de nombreuses informations archéologiques, principalement quant à la forme de l’occupation humaine. Ces prospections sont complémentaires à l’excavation car elles s’intéressent à des superficies bien plus importantes que celles excavées lors de fouilles.
A ce titre, elles ont été appliquées depuis plusieurs années sur le site de l’agglomération antique d’Epomanduodurum (Mandeure-Mathay, Doubs) dans le nord Franche-Comté. Cette ville est considérée, par sa taille, son équipement urbain et sa parure monumentale comme la seconde de Séquanie derrière la capitale de cité Vesontio (Besançon, Doubs).
Sur ce site, la quasi-totalité des méthodes de prospections ont pu être employées, révélant ainsi une agglomération d’une superficie supérieure à 300 hectares.
Cet article permettra, en plus de présenter l’agglomération antique dans sa globalité, de se familiariser avec les méthodes de prospection archéologique les plus couramment employées.

Plan

Texte

Aux yeux d’un large public, l’archéologie pourrait se restreindre à la fouille. Toutefois, cette dernière ne s’intéresse qu’à de petites surfaces, de l’ordre de quelques centaines de mètres carrés. Avec des fenêtres d’observation aussi petites, il est impossible de restituer l’environnement proche d’un site fouillé ainsi que l’évolution du paysage le jouxtant. Les informations obtenues par la fouille sont alors limitées par le manque de données environnantes.

Pour profiter au mieux des données de fouilles mais aussi, pour des raisons évidentes de temps et de moyen, choisir au mieux les zones à excaver, il est nécessaire de caractériser très précisément la réalité matérielle du paysage, c’est à dire d’une part de reconnaitre avec exactitude son cadre physique (forme, couverture végétale, etc.) et d’autre part de saisir les interrelations entre les hommes et l’environnement, condition indispensable à l’appréciation des origines du modelé du paysage.

La compréhension des paysages passés se fonde en partie sur l’analyse de différentes sources documentaires (archives, plans, photographies aériennes,….) qui permettent ensemble de caractériser bon nombre des évolutions paysagères intervenues notamment depuis l’époque moderne (gestion du territoire agraire, organisation de la propriété foncière, occupation du sol) (Perpillou, 1979 ; Dupouey et al., 2007).

Toutefois, les aménagements plus anciens ne sont ni localisés ni représentés sur des cartes. Leurs traces sont alors décelées dans le paysage actuel de manière efficace grâce notamment à la mise en œuvre conjointe de diverses méthodes de détection : le ramassage de mobilier archéologique au sol, la photographie aérienne, enregistrant des variations topographiques ou colorimétriques à la surface du sol (Chevallier, 1964 ; Chouquer, 1996) et, plus récemment, le système LiDAR (Light Detection And Ranging), mesurant les variations microtopographiques à l’aide d’un laser (Sittler, 2004 ; Kooistra & Maas, 2008).

L’étude d’autres paramètres physiques, imperceptibles à nos sens, permet également d’appréhender les traces des paysages passés. Les méthodes géophysiques détectent la présence de vestiges ou de structures enfouies qu’aucun indice ne signale en surface grâce, par exemple, à la mesure du champ magnétique terrestre ou de la résistivité du sous-sol (Scollar et al., 1990 ; Hesse, 2005).

Il est largement admis que les méthodes de prospection sont susceptibles de fournir des données archéologiques quant à l’occupation du sol et/ou l’exploitation du territoire (Ferdière, 2006). A ce titre, elles ont été appliquées depuis plusieurs années sur le site de l’agglomération antique d’Epomanduodurum (Mandeure-Mathay, Doubs) dans le nord Franche-Comté. Cette ville est considérée comme la seconde de Séquanie derrière la capitale de cité Vesontio (Besançon). Ce site ainsi que son territoire font l’objet depuis plusieurs années de recherches pluridisciplinaires sur les paysages passés et contemporains, principalement dans le cadre d’un projet collectif de recherche (PCR Mandeure), initié depuis 2001 et dont l’un des axes de recherche s’intéresse plus particulièrement à la reconnaissance de l’organisation de l’espace urbain et de ses marges en relation avec les contraintes du milieu naturel (Barral et al., 2001).

Après un bref rappel méthodologique, précisant les concepts et les théories des méthodes de prospection archéologique les plus employées en archéologie, cet article présentera la trame générale de l’agglomération antique, ses grandes artères et complexes monumentaux, ainsi que le l’un de ses quartiers plus en détail, afin de saisir la grande capacité des méthodes de prospections à fournir des indications archéologiques.

Présentation de quelques méthodes de prospection

De façon plus ou moins conventionnelle, les méthodes de prospection peuvent être classées en deux catégories, méthodes dites « externes » et méthodes dites « internes », selon que leur mode de reconnaissance intéresse l’exploration du sol en surface ou en profondeur.

Les méthodes « externes »

Les méthodes dites « externes » impliquent l’existence, hors du site ou à sa surface, de manifestations visuelles ou de traces matérielles d’occupation que l’on peut soit observer (reconnaissance à vue) et échantillonner directement sur le terrain (collecte superficielle d’objets erratiques), soit enregistrer (photographie aérienne) ou bien alors mesurer depuis un avion (LiDAR aéroporté).

La photographie aérienne

Il n’a pas fallu attendre l’invention de la photographie aérienne pour que des chercheurs et des érudits remarquent le lien qui pouvait exister entre des variations de la teinte du sol ou des cultures et la présence de vestiges archéologiques enfouis. Mais c’est la combinaison de deux techniques nouvelles au début du XXème siècle : l’aviation et la photographie, qui révolutionne l’appréhension spatiale des vestiges archéologiques (Chevallier, 1964).

Les prospections aériennes enregistrent quatre types d’anomalies : les ombres portées (shadow marks), les variations de la couleur du sol (soil marks), l’apparition de traces d’humidité (damp marks) et enfin les variations de la croissance de la végétation (crop marks). En effet, ces phénomènes peuvent trahir la présence de vestiges anthropiques en sous-sol.

Cette méthode de prospection permet, lorsque les conditions météorologiques sont satisfaisantes, de reconnaître un site en très peu de temps avec un appareil photo et un avion. Les résultats, souvent extraordinaires (Chevallier, 1964 ; Agache, 1978), révèlent ainsi les structures présentes dans le sous-sol avec une rare finesse.

Mais il existe tout de même quelques limites à ce mode de reconnaissance. Celui-ci ne s’adresse en effet qu’aux vestiges qui veulent bien se laisser voir directement ou indirectement. Certains des indices décelables (damp marks, crop marks) sont par nature de caractère fugace et il est nécessaire de survoler plusieurs fois la même zone, sans garantie ni certitude d’avoir réalisé au final la prospection exhaustive de toutes les structures aptes à être révélées par cette méthode. L’apparition de ces anomalies révélatrices des structures est en effet, soumise à des conditions climatiques particulières impliquant l’existence d’un stress hydrique, lié à une période plus ou moins prolongé de sécheresse. Les horaires de vol ont également leur importance, tout comme l’état du sol.

La principale limitation de la méthode tient au fait qu’elle ne détecte pas les structures sous couvert boisé, puisque le feuillage dense rend bien évidemment ce type de détection inopérante.

La prospection LiDAR

La plupart des occupations humaines laissent des traces dans le paysage sous forme d’élévations ou de dépressions. Par exemple, un muret recouvert au fil du temps par des apports de sédiments se trahira par une élévation linéaire.

La technologie LiDAR aéroportée, aussi appelée « Airborne Laser Scanning » (ALS) permet d’acquérir un relevé altimétrique (altitude) des surfaces survolées sous la forme d’un nuage dense de points qui sont géoréférencés (callés géographiquement) avec une grande précision. Le principe de cette technique est simple : un rayon laser émis depuis un avion est réfléchi et renvoyé vers ce dernier lorsqu’il rencontre un obstacle ; connaissant la vitesse de l’onde laser, il est aisé de calculer la distance entre l’avion et le corps réflecteur.

Le LiDAR est devenu en quelques années une des sources majeures d’information numérique de terrain (Raber et al., 2007). Il est utilisé dans différents champs d’application comme la modélisation urbaine en trois dimensions, le suivi de glaciers, l’aménagement côtier etc., mais l’une de ses principales missions reste la génération de modèles de terrain, c'est-à-dire des modèles numériques reproduisant l’altitude de chaque point du sol (Hodgson et al., 2005). A l’heure actuelle, l’utilisation du LiDAR pour la génération de modèles numériques de terrain est devenue une pratique courante dans la communauté des sciences du sol mais aussi dans le cadre de grands projets d’aménagement de l’espace financés par de gros groupes, tel Réseau Ferré de France (Hodgson et Bresnahan, 2004 ; Etienne, 2011).

L’avantage principal de la méthode LiDAR par rapport à la photogrammétrie est sa capacité à percer la couverture végétale. En 1998, Kraus et Pfeifer ont démontré que les modèles d’élévation numériques avaient la même précision sous couvert végétal que ceux obtenus en champs ouverts par la photogrammétrie (Kraus & Pfeifer, 1998). En termes de finesse ce type de prospection est capable de mesurer l’altitude absolue de 20 points par m² avec une résolution d’environ 5 centimètres.

Par contre, ces données LiDAR brutes réfléchies représentent une masse considérable (plusieurs dizaines de Go de fichiers de type texte pour une centaine de km² de prospection) et comportent des points qui ne correspondent pas seulement à la surface du sol, mais également aux éléments fixes du paysage comme les bâtiments, les lignes à haute tension, la végétation voire même à des éléments mobiles comme les oiseaux « interceptés » lors du vol de l’avion (Stocker et al., 2006). Il appartient par la suite à l’opérateur de filtrer les points non-désirés

Les méthodes « internes »

La prospection géophysique

Les méthodes dites « internes » recouvrent essentiellement celles qui sont issues des applications de la géophysique ; elles ont pour caractéristique d’assurer la détection de structures enfouies à partir de mesures effectuées à la surface d’un sol qui peut éventuellement masquer leur présence par un recouvrement. Ceci implique que ces structures présentent, par rapport au milieu qui les enrobe, un contraste de propriétés (électrique, magnétique, thermique…) suffisant pour produire en surface une perturbation (ou anomalie) décelable par rapport à la répartition uniforme qui serait observée sur un terrain homogène (Hesse et al. 1978 ; Hesse 1985).

Les prospections géophysiques les plus utilisées dans le domaine de l’archéologie sont :

- la méthode électrique, qui permet de mesurer la résistivité électrique du sol par injection d’un courant continu. En effet les différents matériaux constituant le sous-sol laissent plus ou moins passer le courant, par exemple, les calcaires sont considérés comme plus mauvais conducteur que les argiles. La cartographie de cette résistivité va nous permettre de déceler les structures en « dur » d’origine anthropique, par exemple les murs ou les remblais

- la méthode magnétique, qui mesure le champ magnétique terrestre. En effet, ce dernier est très faiblement modifié par les constituants du sous sol (moins de 0.1%). La cartographie des anomalies du champ magnétique terrestre va, là aussi, nous renseigner sur les vestiges enfouis dans le sous-sol.

Utilisation conjointe des méthodes de prospection

Actuellement, deux méthodes de prospection contribuent plus particulièrement à l’inventaire archéologique de cette microrégion du nord Franche-Comté.

La première méthode, la plus classique, vise à repérer les concentrations de mobilier archéologique à la surface du sol. Les surfaces couvertes par la reconnaissance à vue avoisinent aujourd’hui 200 ha principalement constitués de zones labourées.

Les zones boisées et en prairie sont en général peu propices à l’observation directe des vestiges, le repérage des concentrations de mobilier y étant réalisable qu’au prix d’un long investissement et d’une équipe conséquente de prospecteurs (Thuillier, 2004). C’est pour cela que nous avons utilisé pour ces zones une méthode de prospection adaptée à la couverture de leur sol.

Cette seconde méthode consiste à mesurer, avec la technologie LiDAR, les variations micro topographiques du relief dont certaines sont susceptibles de correspondre à des structures anthropiques. La nature des anomalies est précisée éventuellement par des prospections géophysiques, par des prospections pédestres et des reconnaissances au détecteur de métaux afin de récupérer du mobilier permettant de dater les structures repérées. Des exemples récents ont montré tout l’intérêt d’une telle démarche pour la reconnaissance archéologique des massifs forestiers francs-comtois : la géophysique affine la vision plus extensive mais moins complexe, dans le bon sens du terme, de la couverture LiDAR tandis que les prospections à vue et au détecteur de métaux fournissent des éléments indispensables de datation (Daval & Fruchart, 2011 ; Laplaige, 2012).

Présentation de l’agglomération antique d’Epomanduodurum

Contexte géographique et géologique

Le site d’Epomanduodurum se localise dans la plaine alluviale du Doubs, dominée par deux plateaux jurassiques tabulaires : le Romont le Lomont (fig. 1). Ces derniers sont entaillés par de nombreuses petites vallées dénommées localement « Combes » et aux écoulements plus ou moins permanents. La karstification très forte de ces terrains explique que l’on observe très peu de circulation en surface.

La terrasse Fy (fig. 1), constitue l’élément morphologique déterminant de la vallée. Composée d’alluvions calcaires, elle est épaisse de quatre à sept mètres et c’est sur cette dernière que s’installe la plus grande partie de la ville antique.

La terrasse la plus récente Fz (fig. 1) est composée d’alluvions fluviatiles modernes du Doubs et de ses affluents. Ces alluvions sont peu épaisses, 3 à 5 m en moyenne et de composition uniquement calcaire jusqu’à la confluence du Doubs avec l’Allan qui s’opère à hauteur de Voujeaucourt, trois kilomètres en aval.

L’une des problématiques du PCR Mandeure concerne l’étude de la part des facteurs naturels dans l’organisation et le développement de l’agglomération antique. En effet, dès 1986, Yves Jeannin supposait que la discontinuité observée dans le tissu urbain antique de la ville d’Epomanduodurum était à mettre en relation avec un ancien cours du Doubs, passant vers l’est, au pied de la colline du théâtre et recoupant le méandre (Jeannin, 1986). Peut-être actif aux époques protohistoriques, ce diverticule aurait été marécageux à l’époque gallo-romaine et remis en eau lors des crues importantes de la rivière, d’où la quasi absence de constructions jalonnant son tracé. Encore aujourd’hui, les inondations ennoient régulièrement une partie de l’assiette où sont implantés les vestiges relatifs aux différentes phases de développement de l’agglomération antique.

La ville antique

L’extension maximale de la ville antique est présentée sur la figure 1. Cette restitution compile toutes les données de fouilles et de prospections menées depuis 200 ans sur la ville d’Epomanduodurum. Il est généralement admis que cette extension maximale est atteinte entre la fin du premier et la fin du deuxième siècle après J.-C.

Le plan général de l’agglomération montre que l’extension maximale des vestiges couvre une superficie de plus de 400 ha. Ils se répartissent principalement dans la plaine alluviale du Doubs, entre Mathay « l’Essarté» au sud et Mandeure « Courcelles» à l’est, mais également à l’extrémité nord du plateau du Lomont qui surplombe le théâtre antique. La moitié au moins (270ha) de cet espace apparaît comme densément occupé au regard des indices archéologiques détectés par la prospection.

Avant d’aller plus loin dans la description, il est nécessaire de préciser que sur ces 400 ha d’agglomération, moins de 10 ont été fouillés depuis les débuts des travaux consacrés à Epomanduodurum.

Le plan du réseau viaire de la ville antique (fig. 1) révèle une trame urbaine structurée, de part et d’autre du Doubs, selon trois axes majeurs (V1, V2, V3) déterminés par la topographie de la plaine alluviale.

L’axe V1

L’axe V1 est identifié comme celui qui menait à Vesontio /Besançon, la capitale de cité. Sur la figure 1, cet axe V1 emprunte un carrefour en patte d’oie, lieu de la découverte de deux miliaires érigées sous Trajan et Hadrien et marquant la sortie de la ville vers Besançon (Jeannin, 1986 ; Thivet, 2008 ; Laplaige, 2012). A partir de cet embranchement, l’axe principal suit une direction nord-ouest sud-est. Avant le franchissement du Doubs, cet axe traverse un quartier artisanal « Faubourg de pont » dont il détermine la structure. Au point d’aboutissement de l’axe V1 en rive gauche du Doubs converge l’axe V2 qui structure les quartiers de la rive droite.

Dans cette partie occidentale de l’agglomération, l’ensemble des axes parallèles et perpendiculaires à l’axe V1 forme un réseau organisé qui se poursuit en direction du nord jusqu’aux limites de la plaine alluviale (Gaston, 2008). Au sud de « faubourg de Pont », l’extension du réseau viaire est artificiellement limitée par les constructions modernes du quartier des Avets (Mazimann, 1992). Malgré la présence d’éléments de voierie reliant « l’Essarté » au « Faubourg de Pont », aucun vestige archéologique ne permet d’affirmer la continuité du tissu urbain entre ces deux quartiers artisanaux. Ce vide s’expliquerait en partie par le caractère inondable et marécageux de cette partie de la plaine alluviale à l’époque antique (Jeannin, 1986 ; Bossuet et al., 2007 ; Thivet, 2008).

En rive gauche et à la périphérie nord-ouest de la zone urbanisée, plusieurs concentrations de mobilier (fragments de sigillées, esquilles d’os brulés) signalent le long des voies l’emplacement probable de nécropoles.

L’axe V2

L’axe V2 représente la voie principale à partir de laquelle les quartiers de la boucle du Doubs se structurent. Cet axe se développe en suivant une direction perpendiculaire à l’axe V1 depuis le gué à l’ouest du sanctuaire des « Cloux du Château » jusqu’au cœur de l’agglomération. Les prospections géophysiques montrent clairement que l’occupation de la boucle est largement déterminée par un réseau de voies perpendiculaires et parallèles à cet axe définissant des îlots rectangulaires de dimensions variables (Thivet, 2008).

La voie, implantée dans un espace réservé large de 20 m, bordé par deux murs, se présente comme un élément important structurant l’urbanisme de cette portion de l’agglomération antique. Elle sépare un quartier dévolu vraisemblablement à des fonctions résidentielles et artisanales, à l’ouest, et un vaste secteur monumental, à l’est composé entre autre par le complexe cultuel du théâtre et les installations thermales de « Muraillebourg » et des « Grillottes ».

Les fouilles du quartier antique de la rue de « La Récille » en 2006 témoignent de la prolongation de ce quadrillage urbain loin vers l’est avec une occupation continue de plaine alluviale jusqu’aux thermes de Courcelles, où une anomalie du parcellaire évoque la présence d’un sanctuaire péri-urbain.

L’axe V3

Bien que très marqué dans la topographie, le tracé de la voie V3, dite « voie du Rhin » n’a pu être observé qu’en de très rares occasions. Il coupe le méandre d’est en ouest pour relier la rive gauche au complexe cultuel monumental du théâtre grâce à deux points de franchissement de la rivière.

Plus à l’est, son tracé se prolonge en suivant approximativement celui de l'actuelle route nationale qui se trouve surélevée sur plusieurs centaines de mètres de long (Thivet, 2008). L’existence d’une trame urbaine structurée selon une direction nord-sud n’était attestée jusqu’à présent qu’au sud de la voie du Rhin. Des diagnostics archéologiques récents (« Les Montoilles » et « Coudroye ») ont confirmé sa présence de part et d’autre de la voie V3, sous la forme de vestiges de voirie et de bâtiments implantés selon cette orientation nord et sud et s’étendant de la période Augusto-Tibérienne jusqu’au début du troisième siècle après J.C (Cart, 2011).

Apports des prospections à la connaissance de l’agglomération antique : études de cas

Il ne s’agit pas ici de disserter sur la qualité des résultats des prospections menées sur l’agglomération d’Epomanduodurum, mais plutôt de présenter et décrire quelques images issues des prospections pour un quartier bien précis : celui des « Combolles », situé à l’ouest de la voie V2, en vis-à-vis des ensembles monumentaux de « Muraillebourg » et des « Grillottes »

La figure 2 présente la résistivité électrique du premier mètre du sol. Sur cette figure, ainsi que la suivante, les matériaux résistants (murs, voies, remblais, etc.) apparaissent en noir. On observe aisément le tracé des rues antiques mais aussi toute une série de bâtiments, tels des entrepôts ou des temples.

Lorsque l’on se rapproche et que l’on se concentre sur un quartier, tel le quartier résidentiel des « Combolles » (fig. 3), il est possible d’obtenir un plan des structures conservées en sous sol avec une grande précision.

Les meilleurs résultats présentables sont issus de la prospection électrique (fig. 3). La cartographie des variations de la résistivité entre 0 et 1 m de profondeur permet de suivre le tracé de la voie V2 sur 140 m. Cet axe de circulation du Haut-Empire, large de 10 m, structure une grande partie de l’intérieur de la boucle, depuis le complexe cultuel au sud jusqu’aux « Champs Pelletier » plus au nord

Plus à l’ouest, la voie V12 se développe parallèlement au cours du Doubs. Son tracé, marqué dans le paysage par une anomalie topographique remarquable, est reconnu sur toute sa longueur par la prospection électrique. Cette voie, large de 5 m, apparaît bordée de structures construites résistantes correspondant soit à des trottoirs et à des caniveaux, soit à des murs de façades ou à des portiques.

On remarque également le tracé de deux autres voies, V11 et V13 qui leurs sont perpendiculaires. La voie V11 est très particulière, son extrémité nord-ouest, en forme de fer à cheval ou de clef anglaise, enserre très clairement les vestiges d’un grand bâtiment quadrangulaire dont le plan en deux carrés concentriques évoque celui d’un fanum de tradition indigène. Une autre structure cultuelle de ce type est visible au nord de la voie V13.

Les deux îlots situés de part et d’autre de la voie V12 regroupent des bâtiments à vastes cours carrées, de 30 ou 40 m de côté, dont le plan évoque celui des villas urbaines (domus) de dimensions variables. Certaines possèdent des pièces mais il est important de garder à l’esprit que ces cours pouvaient comporter des structures légères qui n’ont pas été détectées ou qui ont été détruites.

La figure 4 présente la carte des pentes de la zone. Les valeurs de pentes sont très faibles, distribuées entre 0 et 3°. La voie V12 est visible sur deux tronçons sous la forme d’une élévation linéaire (en vert, numéros 1 et 2). L’élévation 3 que l’on pourrait interpréter dans un premier temps comme le prolongement de la voie V12 est en réalité dû aux vestiges d’un portique accolé à la voie. Les emprises des deux temples carrés sont encore discernables dans la microtopographie sous la forme de bosses. L’élévation visible au sud du quartier (4) serait plutôt à mettre en relation avec le lotissement moderne juste au sud.

Enfin, la voie V11 apparaît, sur une partie seulement de son tronçon, plutôt en creux (en rouge) alors que les voies V2 et V13 ne semblent pas créer en surface d’anomalie microtopographique.

Cet exemple, sur une surface réduite, illustre assez bien la grande capacité des méthodes de prospection à détecter les vestiges des occupations humaines et ce à très haute résolution. La vitesse à laquelle il est maintenant possible d’effectuer ces mesures grâce aux récents développements instrumentaux permet d’obtenir des données à très haute résolution sur de grandes surfaces en très peu de temps.

Conclusion

Même si les prospections présentées ont été utilisées dans une optique géoarchéologique, ces dernières intéressent en réalité plusieurs thématiques. Des études épidémiologiques et urbanistiques ont été développées à partir des données LiDAR acquises dans le cadre du LIEPPEC, les orthophotographies sont utilisées par les services d’urbanisme et les méthodes de prospection géophysique de surface sont utilisées dans les domaines de l’aménagement et de l’agriculture de précision (Dabas et al., 1989).

En résumé, les mêmes méthodes de prospections intéressent plusieurs domaines. Ce sont en fait ces derniers qui commandent parfois la stratégie de recherche par le choix d’une maille d’acquisition plus ou moins fine ou une profondeur d’investigation plus ou moins importante. Par exemple, dans le cas de la prospection LiDAR du programme LiEPPEC, il a fallut prospecter une fenêtre intéressant à la fois les archéologues (c’est-à-dire comprenant Epomanduodurum) et les géographes qui travaillent sur les bordures d’agglomération modernes.

L’obligation de compromis, dans le choix des paramètres d’exploration, entre les différents partenaires scientifiques ou administratifs permet un échange de données, de raisonnements et de processus de traitements profitables à tous les partis.

Dans le cadre des prospections à finalités archéologiques, la succession idéale de prospections est assez simple à envisager si l’on place dans le cas de fouilles programmées. Les prospections LiDAR devraient intervenir bien en amont, en même temps que l’acquisition d’orthophotographies et l’étude de la bibliographie. Des prospections géophysiques pourraient par la suite être menées afin de caractériser le sous-sol.

Cette démarche prospective, de la plus petite à la plus grande échelle, permettrait, grâce à la production de plans et de cartes, de choisir au mieux les zones de fouilles. Mais surtout, elle aiderait à la compréhension du cadre naturel et anthropique dans lequel s’inscrivent les vestiges exhumés.

L’enrichissement mutuel entre les résultats de la fouille et ceux issus des méthodes de prospections est alors évident. La figure 2, présentant la résistivité du proche sous-sol de la majorité de la ville antique, est par exemple un document idéal pour détecter de nouvelles structures, choisir des zones de fouilles, prévoir le risque archéologique et intégrer toute excavation dans un environnement archéologique.

Enfin, il est nécessaire de garder à l’esprit que les prospections ne remplacent pas la fouille. Elles s’intéressent à de plus grande surface, mais les informations sur la nature des structures détectées et leurs chronologies sont beaucoup moins précises que celles obtenues grâce aux excavations.

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Clément Laplaige, « Comparaison de signaux (LiDAR, géophysique) utilisés dans l’étude des dynamiques naturelles et anthropiques », Sciences humaines combinées [En ligne], 10 | 2012, publié le 01 septembre 2012 et consulté le 29 mars 2024. DOI : 10.58335/shc.267. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/shc/index.php?id=267

Auteur

Clément Laplaige

Docteur en Archéologie, Chrono-environnement - UMR 6249 - UFC