Texte

Indignés, atterrés, sans papiers, printemps arabes, Occupy Wall Street …, les mouvements politiques ou sociaux de ce début de XXIème siècle se multiplient, mais l’on rencontre des difficultés quasi insurmontables pour les nommer ou les qualifier. Surgissent alors des métaphores usant de couleurs, de noms de fleurs, de qualificatifs plus ou moins aseptisés. Tout se passe comme si la prétention à l’Universel des anciennes dénominations : résistance, révolte ou révolution était devenue obsolète. D’où l’insistance de ce numéro de la revue de l’Ecole Doctorale LISIT sur les pluriels comme prélude à la multiplicité des formes de contestation ou de celle des champs concernés, politique, social ou culturel.

Déjà l’après 68 avait vu se dissoudre la Révolution de Mai dans les « mouvements », les « luttes » de groupes de catégories diverses (femmes, immigrés, homosexuels, …) faisant émerger des revendications catégorielles dont la légitimité se heurtait aux rêves d’un Grand Soir globalisé, mais renvoyant peut-être à des logiques communautaires ou de « tribus ». Puis la technologie vint, annonçant et réalisant des transformations radicales des modes de fabrication, de consommation et de communication, occupant à son tour le champ de la Révolution.

Est-ce justement la nouveauté et de l’effet de surprise de ces nouvelles irruptions dans le domaine de la communication et de la technologie sur une industrie dépassée ou au contraire celles apparues sur les territoires de dictatures effondrées, de la globalisation économique et culturelle qui rendent inadéquates les terminologies anciennes ? Qu’en est-il aujourd’hui de la capacité de ces terminologies : Résistance, Révolte, Révolution à rendre compte de cette effervescence qui gagne des espaces qui semblaient fermés et protégés à jamais par des murs de toutes natures, barrières infranchissables mais effondrées ?

Résistance : le terme peut-il échapper à double connotation, l’inertie, la passivité d’une part comme le rappelle son utilisation en physique et surtout, d’autre part, sa fixation historique, la Résistance, la vraie, celle de 40-45, qui décourage toute identification nouvelle comme autant d’usurpation d’une geste héroïque, fabrique d’unité nationale. On ne joue pas impunément avec les symboles.

Révolte : inscription de l’éphémère et l’aléatoire, du refus d’un sens de l’histoire au profit de réactions émotionnelles et disparates, locales ? Refus volontaire d’un « philosophe pour classes terminales », empêtré dans les contradictions d’un monde colonial agonisant, prélude à de Nouveaux philosophes de pacotille mais médiatiques ? « l’Homme révolté » est-il toujours un « Etranger » à lui-même et au monde ou annonce-t-il au contraire, par son individualisme même, un nouveau rapport au monde et aux autres ? Affirmation d’un refus absolu primaire viscéral, d’invocations urgentes et sans dialogue, marquées par le désormais célèbre : « Dégage », ou participations mouvantes et plurielles irriguant les transformations d’un monde qui ne se conçoit plus que par sa complexité ? Les révoltes sont-elle alors l’indicateur des nécessaires points de bifurcation des dynamiques complexes d’un monde d’interactions systémiques ?

Révolution : est-ce un trop d’usage qui en a dévoyé le sens qui oblige aujourd’hui à l’affubler de qualificatifs. Chacun y va de sa couleur, orange, verte, bleue et même pourpre pour Georges Bush, de ses fleurs, œillets, tulipes, jasmin, de ses arbres libanais, de ses saisons printanières, d’autres choses demain ? Le terme est-il à ce point banalisé, mis à toutes les sauces que son origine chez les astronomes rappelle son retour périodique, à l’infini ? Ou que la mainmise et l’appropriation par les courants marxistes en a rendu la référence moins crédible, moins justifiable sans ce florilège marketing. Chacun a désormais sa révolution à vendre, comme un général mexicain d’autrefois.

Il reste donc un effort considérable pour comprendre et nommer ce qui se passe dans un monde en pleine effervescence, très loin désormais de cette vision d’un monde unifié par la globalisation ou en voie de domination par un capitalisme mondialisé, étendant sa démocratie militaire par le choc des civilisations. Peut-être devons-nous nous habituer à vivre dans un monde de la Surprise, de la Catastrophe (au sens mathématique), des Cygnes noirs ? On peut être convaincu alors de l’urgence de trouver les mots pour le dire. C’est le but de cette livraison de la revue de l’Ecole doctorale d’ouvrir le débat, dans l’Espace, l’Histoire et la Culture.

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Référence électronique

André Larceneux, « Éditorial n° 9 », Sciences humaines combinées [En ligne], 9 | 2012, . URL : http://preo.u-bourgogne.fr/shc/index.php?id=250

Auteur

André Larceneux

Professeur de Géographie, THEMA - UMR 6049 - UB

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