Editorial n° 3 - Crise(s) en thème

Texte

C'est bien connu : notre monde est en crise. Il suffit, pour s'en rendre compte, de regarder ce que l'on appelle le journal. Mais on peut aussi, fait peut-être plus inquiétant, faire une recherche bibliographique dans un fichier de bibliothèque universitaire : on y rencontrera quelques milliers de titres où apparaît le mot « crise »( pas loin de 1300 pour la B.U. Droit-lettres de Dijon, mais on peut parier que la B.U. des sciences ne serait pas en reste) et d'où il s'avère que tout est en crise : la famille, les banlieues, le sujet, la démocratie, l'art contemporain, les représentations, le couple, le travail, l'alimentation mondiale, la sexualité, l'éducation, l'autorité..., liste interminable qui ne rend pas même compte des multiples déclinaisons de la crise économique et de la crise politique. Donnée problématique, et troublante. Peut-on donc formaliser la crise ? Doit-on même s'y essayer ? Mais peut-on aussi ne pas s'interroger sur un phénomène qui irrigue si profondément l'imaginaire contemporain ?

Si toute crise a sans doute toujours quelque rapport avec un événement quelconque, tous les événements n'ont pas la même temporalité : dans certains cas (la crise de 29, la crise pétrolière de 1974, la crise financière de 2008...), l'événement fait date, c'est-à-dire qu'il peut être dit la cause de la crise; dans d'autres cas, si une date reste assignable à un événement, l'événement lui-même n'est qu'une expression parmi d'autres d'une crise plus profonde (les émeutes et la crise des banlieues, les suicides et la crise des prisons...) : ici, c'est la crise qui est cause de l'événement. Mais à vrai dire, tout événement, même lorsqu'il fait date, peut toujours être lu comme procédant d'une crise quelconque (les crises économiques comme crise du capitalisme). Telle est bien la difficulté : toute réflexion en terme de crise est une affaire d'évaluation : comment évaluer un événement ? Peut-il être en lui-même évalué, comme avènement de la crise (et il suffit de comprendre l'événement pour résorber la crise) ? Ou doit-il être rapporté à une crise plus profonde dont il n'est qu'un signe particulier (et il faut alors s'attaquer à ce dont il est le signe si l'on veut éviter le retour de l'événement). On peut bien sûr traduire cette opposition en termes politiques, ou en termes méthodologiques. Il reste que, quelle que soit l'option choisie, cette opposition témoigne d'abord de ce que notre pensée est désormais pensée de la crise parce qu'elle est pensée de l'événement, c'est-à-dire de la finitude, et de l'irréparable. Et si la pensée ne peut se dire alors que dans les termes de la crise, alors il faudra bien qu'elle aille jusqu'au bout d'elle-même: et penser la crise de la crise.

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Référence électronique

Maxime Dury, « Editorial n° 3 - Crise(s) en thème », Sciences humaines combinées [En ligne], 3 | 2009, . URL : http://preo.u-bourgogne.fr/shc/index.php?id=115

Auteur

Maxime Dury

MCF en Sciences politiques, CREDESPO EA 4179