L’ivresse et l’ivrognerie dans le regard de l’autre : représentations des individus ivres en France du XVIe au XVIIIe siècle

DOI : 10.58335/shc.105

Résumés

Le regard porté sur l’individu ivre a évolué du XVIe au XVIIIe siècle, des humanistes aux Lumières. S’il existe une certaine continuité du regard porté sur son corps, fondé sur les altérations de l’organisme, la maladie et le spectacle amusant de l’ivresse, les représentations spirituelles se transforment. Au XVIe siècle, des humanistes estiment que l’élévation divine par l’ivresse est possible. Ils s’appuient sur de nombreuses références vinaires puisées non seulement dans la Bible ou la patristique, mais également dans l’aristotélisme ou le néo-platonisme. Mais nous observons une chute spirituelle de l’individu ivre aux siècles suivants. La pensée aristotélicienne est mise à mal par la Réforme catholique et par le rationalisme des XVIIe et XVIIIe siècles. Les représentations divinisantes des humanistes se transforment dès lors en images moins positives.
Il n’y a donc pas de continuité totale du regard porté sur l’individu ivre d’Ancien Régime. Il est possible d’évoquer d’un côté « le regard spirituel humaniste » et de l’autre le « regard spirituel moral des XVIIe et XVIIIe siècles ». Face à l’absence de normes identitaires officielles de l’individu ivre du XVIe au XVIIIe siècle, son identité demeure donc polymorphe et évolutive.

The view of the drunkard changed from the 16th to the 18th century, from the humanists to the Enlightenment. While there may have been continuity in the way the body was regarded, based on physical changes, sickness, and the amusing spectacle of drunkenness, representations of the spirit did transform over this period. In the 16th century, the humanists believed that it was possible to attain divinity through drunkenness. They drew on the numerous references to wine not only in the Bible, but also in Aristotelianism and neo-Platonism. But we can see a spiritual fall of the drunkard in the following centuries. Aristotelian philosophy was rendered obselete by the Catholic reformation and by 17th and 18th century rationalism. The divine representations of drunkenness of the humanists were therefore transformed into much less positive images.
There is therefore not a total continuity in the view of the drunkard in the Old Regime. It is possible to separate the "spiritual humanist view" from the "moralist view of the 17th and 18th centuries". In the absence of official norms for the drunkard from the 16th to the 18th century, his identity remained polymorphic and evolving.

Texte

« A la trongne cognoit-on l’yvrongne 1»

Même si ce proverbe laisse entendre qu’il est facile de reconnaître un ivrogne, « l’image du buveur d’Ancien Régime reste à construire 2» ainsi que celle plus spécifique du buveur ivre dans le regard d’autrui. Seuls quelques chercheurs ont pour l’instant fait appel aux représentations mentales de la société sur l’ivresse et l’ivrognerie3. Roger Dion4, dès les années 1950, et Georges Durand5, dans les années 1970, ont été novateurs en travaillant sur le vin. Mais il faut attendre des colloques à partir des années 1980 comme L’Imaginaire du vin 6 ou bien des œuvres résumant les acquis de la recherche telles que l’Histoire sociale et culturelle du vin7 ou l’Histoire de l’Alimentation8 dans les années 1990, enfin le rayonnement de champs de recherche, jusqu’alors secondaires, comme l’histoire du corps autour de Georges Vigarello9, pour que le sujet soit véritablement abordé par des historiens. D’autres secteurs de la recherche, qu’ils soient médicaux, littéraires10 ou phénoménologiques autour de Véronique Nahoum-Grappe11, ont également jeté les bases d’une réflexion globale sur le phénomène à l’époque moderne.

La conceptualisation du « buveur ivre d’Ancien Régime » n’est envisageable qu’en réfléchissant à ses caractères communs dominants et stables dans le regard d’autrui. Il s’agit donc de se demander s’il est possible de conceptualiser une identité spécifique et stable, dans le regard d’autrui, de l’individu ivre d’Ancien Régime, ou bien si les images et les représentations sont diverses et évolutives selon les circonstances, de l’Humanisme de la Renaissance aux Lumières en passant, par exemple, par la Réforme catholique ou l’essor du rationalisme au XVIIe siècle.

La clé de compréhension semble se situer dans une distinction entre le corps et l’esprit du buveur ivre. N’y aurait-il pas d’une part une relative stabilité ou continuité du regard porté sur le corps de l’individu ivre du XVIe au XVIIIe siècle, et d’autre part une rupture entre l’élévation spirituelle du buveur enivré au XVIe siècle et sa chute spirituelle aux XVIIe et XVIIIe siècles ?

Stabilité de l’image du corps ivre du XVIe au XVIIIe siècle.

Dans le regard de l’homme moderne, le corps ivre évolue peu du XVIe au XVIIIe siècle. Il est représenté différemment des autres corps et demeure globalement un organisme malade12, altéré et déséquilibré.

Montaigne rapporte au sujet de l’ivrognerie que « les autres vices alterent l’entendement ; cettuy-cy le renverse, et estonne le corps :

« cum vini vis penetravit Consequitur gravitas membrorum proepediuntur
Crura vacillanti, tardescit lingua, madet mens,
Nant oculi ; clamor, singultus, jurgia gliscunt.13 »

Le discours médical, relayé par Jean Mousin énonce que « l’homme yvre pâtit principallement en son corps »14. En plus de ce déséquilibre des sens, le corps des ivrognes est transformé et accablé15 par la consommation excessive, et ces modifications sont mal considérées. « Pour qui la rougeur et l’obsurcissement des yeux ? Sinon pour ceux qui passent le temps à boire du vin16».

Dans l’Encyclopédie17, De Jaucourt se charge de présenter l’état des connaissances accumulées jusqu’au milieu du XVIIIe siècle sur l’ivresse. Dans sa classification du buveur ivre selon les effets du vin sur lui, il distingue trois degrés de symptômes, « l’yvresse commençante », « l’yvresse proprement dite » et le degré « qui exige le secours du médecin ».

Les symptômes les moins graves du buveur ivre sont ceux de « l’ yvresse commençante » : la rougeur du visage, la chaleur ressentie par la personne enivrée, l’épanouissement des yeux qui respirent la gaieté, le front qui se déride, l’oubli des soucis et de la raison, l’expression de ses idées avec davantage de force même si son discours est prononcé moins nettement à cause de la langue qui s’appesantit et de la salive qui devient épaisse et gluante. « Cet état est proprement ce qu’on appelle être gris ; il n’a rien de fâcheux, n’exige aucune attention de la part du médecin ; on le regarde comme un des moyens les plus propres à répandre et à aiguiser la joie des festins.»

Mais si jamais le buveur boit davantage, il s’expose au second degré de « l’yvresse ». « L’yvresse proprement dite » fait succéder les pleurs aux rires et s’opère alors « une altération vraiment maladive ». Cette fois-ci la maladie est atteinte car les sens sont incapables d’exercer leur fonction. Les symptômes de cet état secondaire et maladif sont multiples. Il y a l’obscurcissement des yeux qui provoque une vision parfois double ou agitée par un mouvement circulaire, ainsi que l’apparition d’un bruissement continuel qui fatigue l’oreille, alors que les discours n’ont plus aucune logique. Mais laissons De Jaucourt nous conter le dénouement. « La langue bégaye à chaque mot, et ne peut en articuler un seul ; les mains sont portées incertainement de côté et d’autre ; le corps ne peut plus se soutenir sur les piés foibles et mal assurés ; il chancele de côté et d’autre à chaque pas, et tombe enfin sans pouvoir se relever. Alors l’estomac se suive, le ventre quelquefois se lâche, les urines coulent, et un sommeil accompagné de ronflement troublé par des songes laborieux succede à tous ces symptômes, et les termine plus ou moins promptement. » De Jaucourt estime que cet état est certes maladif, mais il n’en exagère pas la gravité parce que cette ivresse « ne laisse aucune suite fâcheuse pour l’ordinaire » et « se dissipe après quelques heures de sommeil » durant lesquelles le buveur cuve son vin. Il ne la considère grave qu’ « en apparence ». L’action nocive à long terme des molécules d’éthanol sur l’organisme est donc incomprise des hommes du milieu du XVIIIe siècle. Les secours du médecin ne sont pas exigés pour résoudre « l’yvresse proprement dite », contrairement au « troisième degré ».

Ce dernier état consiste en « l’apparition des accidens graves et moins ordinaires, tels que la folie, les convulsions, l’apoplexie, etc. qui succèdent aux symptomes que nous venons de détailler ». Nous sommes ici nettement dans le cadre d’une maladie. Mais sa gravité est encore minorée puisqu’il écrit que si le danger est grand, « il est cependant moins pressant et moins certain que si ces symptomes devoient leur naissance à toute autre cause ».

L’homme moderne donne du sens à la maladie en associant la théorie des humeurs de Galien18 à des comparaisons animales. Ainsi les altérations du corps ivre le rapprochent de l’état animal.

« Le colerique est nature de feu, chault et sec, naturellement est maigre et gresle, convoiteux, creux, hastif et mouvant, escervelé, fol, large, malicieux, decevant, subtil ou il applique son sens. A vin de lyon, c’est a dire quant a bien beu, veulte tanser, noiser et batre. 19» « Le sanguin de nature de l’air, moyte et chault ; si est large, plantureux, attrempé, amaible, abondant en nature, joyeulx, chantant, riant, charnu, vermeil en chere et gracieux. A vin de cinge, c’est a dire tant plus a beu, tant plus est joyeulx. » «Le flegmatique a nature d’eaue, froit et moyte et si est triste, pensif, paresseux, pesant, endormi, cault et ingenieux, habondant en flumes, volontiers craiche quant est esmeu, est gras au visaige, et a vin de mouton, c’est a dire quant il a bien beu, semble estre plus faible et mieux entendu a ses besognes. »«Le melancolique a nature de terre, sec et froit, et si est triste, pesant, convoiteux, eschars, maldisant, suspitionneux, malicieux et paresseux, a vin de pourceau, c’est a dire quant a bien beu ne quiert que a dormir ou sommeiller.» Cette comparaison est légitimée par l’idée qu’ « il n’est condition ne maniere en nulle beste qui ne soit trouvéé en l’homme. »

Jean Nicot s’essaye aussi au début du XVIIe siècle à cette typologie sur le thème animal. A l’article « renard 20», il écrit « vin de renard [ …] se rapporte à un homme qui en beuvant beaucoup s’aguise l’esprit, et n’en devient que plus fin […]. Iceluy est opposé, à vin de pourceau, quand le beuveur s’abrutit, dort et ronfle dedans son vomissement ». Il ajoute également une dernière image concernant le vin de cheval avec le proverbe « Apres bon vin bon cheval 21». Il explique que « ce proverbe se rapporte aussi à ceux qui apres avoir bien beu se mettent hardiment aux champs courent vite de la langue, et sont prompts à quereller. »

Le Dictionnaire de Trévoux contient le même genre de classification relativement évocatrice des différents états d’ivresse. « On dit qu’il a mauvais vin, qu’il a un vin de lion, quand il se bat et querelle tout le monde ; qu’il a un vin de singe, quand il est gai, quand il danse, et quand il folâtre après avoir bû ; qu’il a un vin d’âne, quand il devient hébêté ; un vin de cerf, lorsqu’il est mélancholique, et que les larmes lui sortent des yeux ; un vin de pie, lorsqu’il babille et caquette22 ».

Enfin l’altération et le déséquilibre du corps ivre amusent la population du XVIe au XVIIIe siècle. Les individus ivres provoquent des rires dans la culture populaire ou dans une culture plus élitiste. Le succès de Pantagruel23 ou de Gargantua24 le prouve au XVIe siècle. Rabelais offre une image traditionnelle et amusante de l’ivrogne : « le nez qui sembloit la fleute25 d’un alambic, tout diapré, tout estincelé de bubeletes26 : pullulant27, purpuré28, à pompettes29, tout esmaillé, tout boutonné et brodé de gueules. Et tel avez veu le chanoyne Panzoult et Piedeboys medicin de Angiers, de laquelle race peu furent qui aimassent la ptissane30, mais tous furent amateurs de purée Septembrale.31» Molière au XVIIe siècle ou Carton Dancourt de la fin du XVIIe au début du XVIIIe siècle, ont bien compris qu’intégrer des ivrognes dans leurs farces faciliterait le rire des spectateurs et le succès de leurs pièces. Jean-Baptiste Poquelin utilise ce procédé comique dans Le médecin malgré lui32, dans George Dandin ou le Mari confondu33, ou bien dans Le bourgeois gentilhomme34. Carton Dancourt fait également référence à l’ivresse dans Les eaux de Bourbon35, Le Moulin de Javelle36, Le vert-Galant37 ou Le prix de l’arquebuse38.

Ce type de rire peut toucher les plus hautes catégories sociales. Par exemple lorsque Jean Buvat, bibliothécaire du roi, fait le récit d’une scène de beuverie au Régent Philippe d’Orléans, la seule réaction du représentant des pouvoirs civils dans le royaume est de rire aux éclats. « Le 20 dudit mois de septembre [1719], il se passa ici, dans le cloître de Saint-Germain-l’Auxerrois, une scène extraordinaire dont voici le fait39. Le sieur Nigon, avocat, qui logeait dans ce cloître, étant mort le 19, et sa bière étant exposée sur les sept heures du matin à la porte de son logis, couverte du drap mortuaire et environnée de cierges avec des chandeliers et un bénitier d’argent, on avertit le duc d’Aremberg, jeune prince des Pays-Bas qui logeait dans la maison voisine, que les prêtres de la paroisse allaient venir prendre le corps de cet avocat pour l’inhumer. Ce duc, qui avait passé la nuit à boire avec quatre autres seigneurs, descendit avec eux, suivis de leur laquais, ayant tous une bouteille de vin et le verre à la main. L’un s’approche du cercueil ; lève le drap mortuaire, et apostrophant le défunt, lui dit : « Mon pauvre Nigon, que fais-tu là ? Viens boire avec nous. » […] Les prêtres, venus pour le convoi, furent bien étonnés de voir la scène de ces ivrognes, et n’en pouvant tirer que des obscénités, prirent le parti de porter le corps le mieux qu’ils purent […mais les ivrognes continuent leur scandale malgré les insistances des ecclésiastiques]. Cela n’empêcha pas le curé de porter, après le service, ses plaintes devant un commissaire du Châtelet, qui furent attestées par les ecclésiastiques et par un grand nombre de personnes. Le lendemain matin ces seigneurs, avertis de ce qui s’était passé le jour précédent, et de ce que le curé voulait intenter contre eux au sujet de leurs extravagances, dont ils avaient entièrement perdu le souvenir, prirent sagement le parti d’aller chez le curé, à qui ils firent de grandes soumissions, et le prièrent d’excuser le vin qui les avait portés à des choses auxquelles ils n’auraient jamais pensé dans leur bon sens. Ainsi cela fut assoupi, le curé s’étant contenté de leur repentir. Le duc d’Aremberg ne suivit pas le convoi, parce que peu après qu’il fut descendu proche du cercueil il tomba comme mort, tant il était ivre, de sorte que ses camarades le firent porter dans son lit […]. Toute cette scène ne manqua pas d’être bientôt rapportée à M. le duc d’Orléans, à qui elle donna grand sujet de rire pour la nouveauté du fait dont il n’y avait pas d’exemple. »

Les images mentales et discours sur le corps des buveurs ivres font partie de la culture des Français en général. Les images corporelles du buveur ivre restent globalement les mêmes du XVIe au XVIIIe siècle mais sa représentation spirituelle évolue avec les humanistes de la Renaissance puisque « notez amis que de vin divin on devient […]. Car pouvoir il a d’emplir l’ame de toute verité, tout savoir et philosophie […], en vin est vérité cachée40 ».

La rupture de la Renaissance : les humanistes et l’élévation spirituelle de l’individu ivre.

Alors que l’Eglise considère traditionnellement l’ivresse et l’ivrognerie volontaires comme peccamineuses41, pendant la Renaissance, des humanistes estiment que l’individu volontairement ivre n’est pas nécessairement un pécheur.

A l’occasion du grand mouvement de redécouverte des écrits des Anciens en Europe, se développe la philosophie néo-platonicienne qui souhaite faire la synthèse entre la religion chrétienne et les œuvres de Platon42. Deux grandes idées séduisent les humanistes qui voient le platonisme comme une théologie primitive du christianisme. La première est que malgré sa chute, l’homme conserve une faculté intuitive de saisir le « logos » divin puisqu’elle est une créature faite à l’image de Dieu. Grâce à son âme intellectuelle, contemplative et intuitive, l’homme peut éventuellement se rapprocher du divin. La deuxième idée est que l’homme est un microcosme. Il y a donc une unité à retrouver entre l’homme et Dieu43.

Dès lors des humanistes français, comme Montaigne, peuvent écrire que « Platon argumente ainsi que la faculté de prophétiser est au dessus de nous ; qu’il nous faut estre hors de nous quand nous la traictons ; il faut que nostre prudence soit offusquée ou par le sommeil ou par quelque maladie, ou enlevée de sa place par un ravissement céleste.44» Prophétiser signifie ici avoir un jugement divin, à savoir quelque chose normalement hors de portée d’un homme, sauf s’il est hors de lui, c’est-à-dire dans la folie. Ce qui est possible pendant ses rêves, à partir de délires fiévreux ou lors d’une élévation guidée par Dieu. L’ivresse et l’ivrognerie peuvent permettre cette folie. L’enivrement est en effet une maladie, et souvent l’ivrogne finit son activité favorite par un sommeil profond. Reste la question sacrée du ravissement céleste. Penchons-nous sur l’aristotélisme pour avoir la réponse.

Le Problème XXX, attribué à Aristote45 , a eu un grand impact au XVIe siècle. Ce texte, montre que la mélancolie est un des effets de la bile noire. Or les mélancoliques sont particulièrement enclins à un état de folie les prédisposant à l’extase et à la prophétie. La mélancolie fait donc des êtres qu’elle atteint des individus d’exception, des hommes de génie tels que Socrate ou Platon. Comme le vin est de même nature que la bile, c’est-à-dire venteuse46, sa consommation excessive doit pouvoir procurer de la mélancolie aux hommes, jusqu’à l’extase et à l’inspiration divine47. Cette théorie est en accord avec la pensée platonicienne de l’âme qui est apte à rejoindre le monde des Idées en perdant le contrôle de soi-même.

Une des originalités des ouvrages de François Rabelais est de montrer que l’élévation divine par l’ivresse est possible en introduisant de nombreuses références vinaires puisées non seulement dans la Bible ou la patristique, mais également dans l’aristotélisme ou le néo-platonisme. Il réemploie par exemple des paroles attribuées à Jésus pour légitimer la consommation de ses personnages : « J’ay la parolle de dieu en bouche : Sitio48. » En buvant, les hommes font donc comme Dieu. Comment ne pas croire que le vin permet un ravissement céleste lorsque la Cène ou l’épisode des noces de Cana49 lui donnent un rôle central ? Rabelais50 se fait dès lors le maître de la fête51 : « Et paour ne ayez, que le vin faille, comme feist es nopces de Cana en Galilée. Autant que vous en tireray par la dille52, autant en entonneray par le bondon53. Ainsi demeurera le tonneau inexpuisible54 », puisque tel est le but de Jésus à Cana.

Il fait aussi appel aux écrits des pères de l’Eglise comme le célèbre dicton de saint Augustin « en sec jamais l’âme n’habite ». « Je mouille, je humecte, je boy. Et tout de peur de mourir. Beuvez tousjours vous ne mourrez jamais. Si je ne boy je suis à sec. Me voylà mort. Mon ame s’en fuyra en quelque grenoillere. En sec jamais l’ame ne habite55. Somelliers, o createurs de nouvelles formes rendez moy de non beuvant beuvant. 56»

« Sers Dieu et fais ce que tu voudras » est aussi une phrase de saint Augustin, elle devient dans Gargantua « Fay ce que vouldras57 », la règle de vie des moines Thélèmites. Parmi eux, « si quelq’un ou quelcune disoit "beuvons", tous buvoient. » La cause de cette étonnante liberté réside dans la signification du mot grec théléma, un vouloir spontané qui fait se confondre la sagesse divine58 et l’instinct de l’esprit. Les pieux Thélèmites peuvent agir librement et en toute sécurité pour leur vertu, puisque leur volonté se confond avec celle de Dieu. La consommation de vin doit leur permettre, ainsi qu’à tous les gens « bienyvres 59», d’être enthousiasmés, c’est-à-dire d’être transportés vers Dieu60 pour découvrir les vérités cachées aux autres humains.

Mais il serait faux de penser que n’importe quel buveur ivre peut s’élever vers Dieu en buvant du vin. Il est nécessaire pour cela de boire avec piété. Il faut toujours rejeter l’enivrement profane au profit de son équivalent sacré fondé sur la récitation de louanges et prières pendant l’absorption de la boisson. L’épisode durant lequel Pantagruel et ses compagnons sont bloqués sur la mer par une absence de vent illustre bien cette idée. Ils résolvent le problème en buvant du vin et en louant Dieu, ce qui provoque l’arrivée d’un spiritus qui gonfle les voiles du bateau61. Toute autre manière de boire, qu’elle soit modérée ou excessive, ne permet pas le ravissement céleste. C’est le cas par exemple pour Panurge62. « Mais le pauvre Panurge en beut vaillamment, car il estoit eximé63 comme un haran soret [...]. Et quelcun l’admonesta64 à demye alaine d’un grand hanat65 plein de vin vermeil, disant "Compere tout beau, vous faictes rage de humer66.

Je donne au diebsle67 (dist il)[...]. Ce vin est fort bon et bien delicieux, mais plus j’en boy plus j’ay soif. » Il est un mauvais buveur ivre car il ne s’ouvre pas à la dimension divine du vin mais préfère se donner au diable. Il ne peut donc plus s’arrêter de boire et les paroles du Christ ne peuvent donc pas s’appliquer : « quiconque boit de cette eau aura soif à nouveau ; mais qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif68 ».

L’existence d’une tolérance pour un certain type d’ivresse chrétienne et inspirée des Anciens se trouve dans les écrits de nombreux humanistes tels que Henri Estienne69 par exemple. « Quant aux simples prestres, qui ne font pas profession d’une si austère vie, et qui de leur mestier sont messotiers, il semble bien qu’ils ayent raison de ne vouloir boire que du meilleur [..]. Or les raisons pour lesquelles je di qu’ils font bien de ne vouloir boire que du meilleur, sont telles : premièrement, pource qu’il les garde de cruditez lesquelles leur pourroyent faire eschapper quelque chose déshonneste en célébrant la messe : secondement, pource qu’il y a apparence que la dévotion soit plus ardente en un estomach eschauffé qu’en un refroidi : tiercement pource qu’il est question de chanter. Car puisque entant qu’ils chantent, ils tiennent des poëtes (lesquels sont mesmement appelez quelquefois en Grec d’un mot qui signifie proprement chantres), ils font très-bien de se gouverner selon l’opinion des poëtes, qui a esté telle de tout temps, qu’on ne sçauroit chanter chose qui vaille sinon qu’on ait beu du meilleur et d’autant. Mais on me dira qu’il y a danger qu’ils s’enyvrent. Et qu’en est-ce pourveu qu’ils s’enyvrent à bonne intention ? » Le buveur ivre peut donc être perçu positivement par les humanistes si la consommation du vin se fait dans une démarche spirituelle, mais il peut également renvoyer une image négative si son ivresse demeure simplement matérielle.

Cette question intéresse aussi Montaigne qui rappelle que Socrate était considéré par les stoïciens comme le plus grand des buveurs ivres. « Les escris mesmes de plusieurs Philosophes en parlent bien mollement ; et, jusques aux Stoiciens, il en a qui conseillent de se dispenser quelque fois à boire d’autant, et de s’enyvrer pour relâcher l’âme :

Hoc quoque virtutum quondam certamine, magnum
Socratem palmam promeruisse ferunt 70. »

Ces réflexions ont un caractère insensé dont les humanistes ont conscience car il est tout à fait juste et positif, selon eux, d’identifier spirituellement l’ivrogne à un fou71. « En l’estimation des Intelligences cœlestes : ainsi faut il pour davant icelles saige estre je diz sage et præsage72 par aspiration divine, et apte à recepvoir benefice de divination, se oublier soymesmes, issir hors de soymesmes, vuider73 ses sens de toute terrienne affection, purger son esprit de toute humaine sollicitude74, et mettre tout en non chaloir75. Ce que vulgairement est imputé à follie.76» Rabelais explique l’intérêt de la folie pour atteindre le divin en s’inspirant de saint Paul. « Que personne ne se trompe lui-même : si l’un d’entre vous pense être sage du point de vue de ce monde, qu’il devienne fou afin d’être réellement sage. Car la sagesse à la manière de ce monde est une folie aux yeux de Dieu. En effet, l’Ecriture déclare aussi " Le Seigneur connaît les pensées des sages, il sait qu’elles ne valent rien." 77» Les humanistes de la Renaissance pensent donc que la volonté de l’homme de s’élever vers Dieu doit être permise par la folie, laquelle est l’exact renversement du monde des apparences, seul monde accessible à la raison humaine. Quand l’homme veut dépasser le sensible, il devient fou. La marche vers Dieu est alors une folie car la vérité divine ne peut être que déraison pour les capacités de l’homme78.

Avec les écrits des humanistes de la Renaissance, les représentations et images portées sur les individus ivres connaissent une justification et légitimité sacrées mais aussi artistique, puisque le narrateur de Pantagruel y puise son inspiration79. Les humanistes mettent-ils cependant en pratique cette philosophie de l’enivrement ou bien n’est-ce qu’une posture intellectuelle ? Peut-être n’est-ce qu’une attitude livresque et abstraite ? Quoi qu’il en soit, c’est bien l’identification spirituelle du buveur ivre qui a changé. Mais les perceptions sont-elles encore les mêmes aux XVIIe et XVIIIe siècles ou bien y a-t-il une nouvelle rupture symbolisée par le rejet de l’image positive et une chute spirituelle des grands buveurs ?

La chute spirituelle de l’individu ivre aux XVIIe et XVIIIe siècles.

Dès la seconde moitié du XVIe siècle, l’humanisme n’est plus aussi triomphant qu’avant. Ce sont désormais de nouvelles pensées qui s’imposent. La réforme catholique tridentine entend instaurer une discipline des corps et des âmes en démasquant, notamment, les fables du paganisme. L’Eglise se raidit sur ses positions, impose plus de dogmatisme et laisse moins de liberté de penser et d’écrire. Selon la spiritualité tridentine et post-tridentine, le moyen le plus sûr d’atteindre le divin est de souffrir en son corps. Ces idées sont alors répandues par les dévots80 et les éventuels penseurs dangereux sont rejetés. L’incertitude et la relativité à l’égard des savoirs humanistes sont alors fréquentes. Le début du XVIIe siècle voit une rupture avec l’aristotélisme et les libertins érudits font triompher un système de pensée fondé sur la raison. Un rigorisme plus grand dans la vie morale est donc diffusé par les dévots81 ou par ces libertins érudits82, et finalement l’homme des Lumières est le philosophe, c’est-à-dire un homme de la raison, de l’utilité et de la morale sociale. Ce règne de la raison et de la discipline des corps et des âmes met en danger la création chrétienne telle qu’elle était comprise par les humanistes et il peut entraîner une nouvelle chute de l’homme, qui n’est plus le nombril du monde, et avec lui de l’individu ivre. Par exemple dans Philosophiæ Epicuri syntagma83, Gassendi met de côté la dimension religieuse de l’homme qui devient de plus en plus matière et expose une nouvelle morale basée sur la voluptas84. La croyance en la possibilité pour l’homme de rejoindre le divin s’éloigne donc et avec elle, la vision humaniste du buveur ivre. Elle est remplacée par des représentations plus morales. Les enivrés sont donc perçus de plus en plus négativement.

Afin d’avoir une vision globale des représentations morales en vogue, feuilletons une remontrance lyonnaise anonyme publiée en 1598. Elle clôt donc le XVIe siècle et introduit au XVIIe siècle. Son objectif est de soutenir la lutte contre l’enivrement85. L’auteur, un dévot très opposé aux individus ivres, montre son contentement à l’égard d’un nouvel édit86 limitant la fréquentation des tavernes en France. Sa remontrance s’inspire d’un tableau qu’il dit être d’Apelles87. Il met en scène des personnages au milieu d’un merveilleux verger aux fruits et odeurs exquis. Deux portes sont proposées. L’une, située à droite, est plaisante tandis que l’autre paraît sinistre. Ce sont des allégories de la Sobriété, de la Réjouissance ou de l’Honnêteté qui servent les convives de droite. L’Insensée, la Folie, la Luxure et son frère l’Excès sont les échansons de gauche au service de la « royne » « yvrongnesse88». Les heureux convives de droite ne boivent que ce qui leur est nécessaire pour la santé alors que les autres deviennent des ivrognes. Ainsi est résumé allégoriquement le choix proposé à l’humanité : l’ivresse ou la sobriété.

Ce texte dénonce tout d’abord l’apparence divine du buveur ivre :

« Une autre femme environ le milieu,
Qui presidoit hautement en ce lieu,
Estant vestüe ainsi qu’une Deesse,
Et toutesfois elle estoit yvrongnesse. »

Une mutation s’opère donc. Il apparaît qu’à partir de la fin du XVIe siècle, le discours spirituel sur le buveur ivre s’éloigne du ravissement divin et diffuse de plus en plus des représentations morales négatives. L’ivrogne, homme ou femme, n’a plus du divin que l’apparence. Son rang et sa ressemblance sont finalement uniquement animaux :

« Il y avoit des Ours, et des Taureaux,
Des veaux aussi, des asnes, des chevaux
Des chiens, des boucs, chieures, moutons bellans,
Singes, marmots, et des loups ravissans,
Force pourceaux, et brief de toutes bestes »

Seuls les individus sobres sont clairement identifiés à des êtres humains :

« Pour quelque temps hommes y demouroyent :
Mais aussi tost qu’avoyent beu ses breuvages
Muez estoyent tost en bestes sauvages.89 »

Une fois leur ivresse dissipée, les buveurs demeurent facilement identifiables par autrui :

« D’autres aussi reprenoyent face d’homme
mais nonobstant demouroyent leurs peaux comme
Celles qu’on voit à des bestes sauvages.90 »

La vision médicale positive de l’ivresse est également critiquée. Elle n’est plus aussi bénéfique au corps et devient de plus en plus liée aux maladies et à la mort. Le buveur ivre est seulement associé à la « Fiebvre », à l’ « Hydropisie », à la « Paralysie » et à l’ « Apoplexie ». Enfin la remontrance se termine par une identification à la pauvreté et à des individus vieillissants qui se rapprochent trop vite de la mort :

« Oultre y avoit une vieille à l’yssue,
Laquelle avoit sa robbe recousue
En mille endroicts, mesmes aussi la face
Toute couverte et chargée de crasse,
Maigre, hydeuse, et ayant grand deffaut :
Brief elle estoit accoustrée en maraut.
Et ceste-cy tous nuds les despouilloit
Plus rudement, et tresbien fouetoit
Ces pauvres gens en grande austérité,
Et pour le seur s’appelloit Pauvreté.
Et puis apres de toutes ceste-cy
Venoit Vieillesse avec la Mort aussi.91 »

L’utilité de l’ivresse, justifiée par les théories antiques, est moins en vogue et la théorie des humeurs est peu à peu discréditée, en rapport avec le règne de la raison, avec l’intérêt nouveau porté à la santé du corps et avec certaines découvertes médicales92. Le médecin Jean Mousin93 écrit au XVIIe siècle qu’il n’est pas sain d’ivrogner et que l’honnête homme ne saurait être enivré. « C’est chose asseuree que toute homme civilisé et curieux sectateur de la vertu doibt abhorrer ceste affection comme trop deshonneste et bestiale [...]. L’yvresse est tousjours nuysible à la santé de l’homme et consequemment qu’elle ne doibt jamais estre reconnue ny advouee pour salutaire94.» Mousin utilise même Hippocrate pour le démontrer puisqu’il ajoute que le maître à penser des humanistes a écrit que « toutes immoderations estoient contraires à la santé humaine .» « Puis donc que l’yvresse est l’occident95 de la santé, et l’orient96 de toutes maladies : la mort de la raison, et la naissance de toute brutalité, bref la peste du corps et tousjours le poison de l’ame : concluons avec les Philosophes qu’il n’est beau ny honneste, et avec les Medecins qu’il n’est bon ny sain de s’enyvrer. 97» Le médecin Hecquet remet aussi en question la dimension thérapeutique et revigorante du vin dans la première partie du XVIIIe siècle. Il identifie le corps ivre à un corps décati et proche de la mort. « Ceux qui se livrent à boire journellement des liqueurs [...] se font des habitudes de tous les jours de boire souvent des eaux-de-vie, ou des esprits de vin, préparés comme seraient des ratafiats, des eaux d’or, de celles des Barbades, etc. dont ils abusent à toute heure. En effet il est étrange combien tôt et malheureusement de jeunes corps frais et faits pour vivre longtemps, tombent par ces liqueurs en des dégoûts mortels, et en peu d’années dans la mort même. 98» Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, les philosophes de l’Encyclopédie ou Legrand d’Aussy rejettent aussi cette image médicale positive du XVIe siècle. « C’est l’ordinaire des gens qui font mal, d’avoir, pour répondre aux reproches qu’on peut leur faire, une excuse quelleconque, bonne ou mauvaise. De tout tems sans doute, les ivrognes ont eu la leur ; et je ne doute pas que ce ne soient eux qui ont mis en vogue ces apophtegmes proverbiaux qu’on entend répéter tous les jours ; que le vin est la boisson de l’homme, que c’est le lait des vieillards ; qu’il est nécessaire pour donner du ressort à toute notre machine, etc. peut-être quelque buveur, plus hardi, aura soutenu que l’ivresse était salutaire en certains cas ; et on l’aura cru. Ce qui est au moins, c’est que, cette opinion a été, pendant long-tems, un principe de santé, réputé incontestable. Nous avons aujourd’hui une chanson de table dont le refrein, […], cite Hippocrate ; et, d’après son autorité, déclare

« Qu’il faut à chaque mois
S’ennivrer au moins une fois.
Ce n’est plus là maintenant qu’un badinage, fait pour animer, ou pour excuser la
gaieté des repas. Mais autrefois on y croyait sérieusement; et bien des personnes s’ennivraient tous les mois.99»

D’autre part, les hommes des Lumières renversent les arguments du XVIe siècle qui relient l’enivrement au ravissement divin. Un des fondements de la théorie de Rabelais, à savoir la présence d’ivresses dans la Bible, est même mis à mal par L’Encyclopédie100. « Ce mot ne se prend pas toujours dans l’Ecriture pour une yvresse réelle ; très souvent il ne désigne que boire jusqu’à la gaieté dans un repas d’amis ; ainsi quand il est dit dans le Genèse, xliij.34. que les freres de Joseph s’enyvrerent avec lui la seconde fois qu’ils le virent en Egypte ; ces paroles ne doivent point offrir à l’imagination une yvresse réelle ; […] Quand saint Paul dit aux Corinth.xj.21. dans vos repas l’un a faim et l’autre est yvre,[…] cela signifie tout-au-plus, boit largement ; […] car enyvrer dans le style des Hébreux, est combler de biens. Ecclés.j.24. » L’ivresse biblique n’est plus qu’une image et l’individu ivre n’a plus rien de divin. Les écrits de saint Paul qui légitimaient la pensée humaniste sont donc analysés rationnellement par De Jaucourt afin de renverser, avec encore plus d’efficacité, l’image positive du buveur ivre pouvant s’élever vers le divin.

C’est désormais un regard davantage moral qui est porté sur l’enivré. « Je soutiens que les vices mêmes qu’on regarde ordinairement comme ne faisant tort qu’à celui qui en est atteint, sont pernicieux à la société. On entend dire assez communément, par exemple, qu’un homme qui s’enivre ne fait tort qu’à lui-même ; mais pour peu qu’on y fasse attention, on s’appercevra que rien n’est moins juste que cette pensée. Il ne faut qu’écouter pour cela les personnes obligées de vivre dans une même famille avec un homme sujet à l’excès de vin. Ce que nous souhaitons le plus dans ceux avec qui nous vivons, c’est de trouver en eux de la raison ; elle ne leur manque jamais à notre égard, que nous n’ayons droit de nous en plaindre. Quelque opposés que puissent être les autres vices à la raison, ils en laissent du moins certaine lueur, certain usage, certaine regle ; l’ivresse ôte toute lueur de la raison ; elle éteint absolument cette particule, cette étincelle de la divinité qui nous distingue de bêtes » 101. Spirituellement, les représentations en font essentiellement un pécheur qui transgresse et dénature la loi naturelle. Le jésuite Jean Pontas, docteur en Droit Canon de la Faculté de Paris, écrit par exemple que « quoique la boisson soit nécessaire pour la conservation de la vie, la nature y a mis des bornes, que les bêtes mêmes ne transgressent pas, et qu’il est par conséquent honteux à l’home, et indigne d’une créature raisonnable de violer102 ».

Le buveur ivre viole également la loi divine. « L’Ecriture parle avec horreur de cette sorte d’yvrognerie, […], voici comment s’explique le Prophète Isaïe103. Malheur à vous qui vous levez dès le matin pour vous plonger dans les excès de la table, pour boire jusqu’au soir, jusqu’à ce que le vin vous échauffe par ses fumées. Malheur à vous qui êtes puissans à boire le vin, et vaillans à vous enyvrer. Ils sont si pleins de vin qu’ils ne scavent ce qu’ils font, ils sont si yvres qu’ils ne peuvent se soûtenir. Venez, disent-ils, prenons du vin, remplissons-nous jusqu’à nous enyvrer, et nous boirons demain come aujourd’hui et encore davantage 104».

Le buveur est désormais indigne de Dieu et de lui-même, puisqu’il est créé à son image. « C’est bien une autre profanation, que de soüiller nos cœurs et nos corps qui sont consacrez pour être les Temples du Saint-Esprit 105». Le buveur ivre n’a plus rien de divin puisque l’ivresse n’est plus perçue comme un moyen d’atteindre le divin. Il demeure un pécheur volontaire. Pontas précise intelligemment que c’est saint Paul qui fait de l’ivrognerie un péché mortel dans la Première lettre aux Corinthiens106. « Saint Augustin conclud […], que l’ivrognerie est un grand péché. Il soutient que la loi éternele condanne l’ivrognerie, parce que Dieu n’a institué le manger et le boire que pour soûtenir l’home, et pour conserver sa santé. Dès lors « la Faculté de Theologie de Paris l’a determiné dans la première partie de son Corps de Doctrine art.78 […] conformément à la doctrine enseignée par saint Paul107 ». Nous voyons donc que les écrits de l’apôtre sont au centre de la réflexion.

Naturellement, les vices énumérés par saint Paul dans la Première lettre aux Corinthiens sont repris au XVIIIe siècle pour caractériser le buveur ivre. L’impureté, la colère ou la violence sont ses vices les « plus naturels et les plus ordinaires »108. Mais d’autres sont censés suivre logiquement. L’ivrogne est par exemple un mauvais chef de famille stupide et fatalement appauvri. « L’ivrognerie met le desordre dans les familles par la perte des biens temporels que l’on emploïe en excès et en débauche. Celui-là, dit le Sage109, qui aime les festins, sera dans l’indigence. Celui qui aime le vin et la bonne chère, ne s’enrichira point ». « L’ivrognerie abrège la vie. Le Sage110 nous le fait voir, quand il nous dit, que l’intempérance en a tué plusieurs, et que l’home sobre en vit plus longtemps ». Enfin « l’ivrognerie rend l’home stupide. On en voit plusieurs qui en sont come abrutis. L’Ecriture Sainte111 marque cet effet du vin, quand elle nous dit : Prenez garde à vous, de peur que vos cœurs ne s’apesantissent par les excès des viandes et du vin ».

C’est ce désordre que Jean-Baptiste Greuze donne à voir dans le tableau le Retour de l’ivrogne112, où nous pouvons observer un père qui revient chez lui en état d’ivresse. Il peine à se tenir debout et droit. Il est accueilli par ses deux enfants délaissés, ainsi que par sa femme à l’allure menaçante. Le retour de l’ivrogne dans son domicile est alors un moment conflictuel qui renverse la hiérarchie familiale. Le renversement de l’ordre établi est ici évident : le chef de famille est incapable de jouer son rôle, alors que ses enfants et son épouse dégagent une impression de pureté et de solidité. L’ivrogne devient ridicule, et l’odieuse ivrognerie est opposée aux vertus de pureté et de force. Le père ne peut pas subvenir aux besoins affectifs ou alimentaires de sa famille. Dans l’état actuel des recherches, si au XVIIIe siècle des œuvres de Chardin ou Boucher mettent à nu la gaieté et le bonheur de la boisson, c’est la peinture de Greuze qui apparaît comme un grand tournant113. Il est le premier à renverser les habitudes picturales en abordant un sujet réservé jusque-là aux peintures de genre comique et en faisant appel à la morale ainsi qu’aux sentiments. Il symbolise en fait la nouvelle mission éducative des artistes de la fin du XVIIIe siècle, influencée par les Lumières. Nous pouvons ainsi lire à l’article « Intéressant » de l’Encyclopédie, qu’une œuvre d’art doit son intérêt à son contenu éthique et social et que l’artiste doit être en même temps un philosophe et un honnête homme. C’est toute la théorie de Diderot qui est résumée ici : un artiste doit « rendre la vertu attrayante, le vice odieux, le ridicule violent 114».

Conclusion :

Le regard porté sur l’individu ivre a donc évolué du XVIe siècle humaniste au siècle des Lumières. S’il existe bien une certaine continuité du regard porté sur son corps, fondé sur les altérations de l’organisme, la maladie et le spectacle amusant de l’ivresse, les représentations spirituelles divinisantes des humanistes se transforment en images moins positives. Il y a une chute spirituelle de l’individu ivre aux siècles suivants. La pensée aristotélicienne est mise à mal par la Réforme catholique et par le rationalisme des XVIIe et XVIIIe siècles.

Il n’y a donc pas de continuité totale du regard porté sur l’individu ivre d’Ancien Régime mais une conceptualisation demeure envisageable en périodisant. Il est alors possible d’évoquer d’un côté « le regard spirituel humaniste » et de le différencier du « regard spirituel moral » des XVIIe et XVIIIe siècles. Face à l’absence de normes identitaires officielles de l’individu ivre du XVIe au XVIIIe siècle, son identité demeure donc polymorphe et évolutive.

Evidemment, le regard humaniste du XVIe siècle ne renvoie pas nécessairement à la réalité mais plutôt à des représentations et à des postures intellectuelles inspirées de l’Ecriture et des Anciens dont on réutilise les mythes tels que celui de Bacchus, le dieu des mystères et du vin. C’est ainsi parce qu’il est à la fois le dieu du vin et le dieu des mystères que les humanistes imaginent une extase transfigurée en intuitions divines115.

Mais le XVIIe siècle rationalise et met à mal les mythes païens, avec le cartésianisme, la Réforme catholique ou le jansénisme. Si par la suite quelques individus continuent de croire en la possibilité d’un ravissement céleste par l’ivresse, ce n’est plus qu’une simple nostalgie poétique, de l’anecdotique, et non plus du sacré, contrairement au XVIe siècle.

Enfin les Lumières moralisent. « Vous voyez les uns accablés d’un poison liquide, la tête penchée vers les genoux, les mains pendantes, ne voyant point, n’entendant rien, réduits à un état fort au-dessous de celui des brutes, reconduits en chancelant par leurs femmes éplorées, incapables de travail le lendemain, souvent malades et abrutis pour le reste de leur vie. Vous en voyez d’autres devenus furieux par le vin, exciter des querelles sanglantes, frapper et être frappés, et quelquefois finir par le meurtre ces scènes affreuses qui sont la honte de l’espèce humaine.116 »

Pour résumer, à la fin de l’Ancien Régime, l’ivrogne a globalement l’image d’un déviant qui renverse l’ordre familial et l’ordre politique car le père (le roi) n’est plus le maître dans sa maison (la monarchie). Il y a donc un dangereux renversement des normes qui s’opère dans l’ivresse117. Il renverse aussi l’ordre chrétien des choses puisqu’il n’est plus le maître de son corps et de son esprit118. Le buveur ivre peut également être représenté comme quelqu’un qui renverse l’ordre économique par ses dépenses superflues et son endettement au lieu d’investir son argent dans une action rentable. L’ivrogne qui passe sa soirée au cabaret ne peut pas travailler efficacement le lendemain dans les champs. Il peut enfin renverser la cohésion sociale avec les querelles à répétition entre individus excités par le vin et l’alcool.

Notes

1 NICOT Jean, Le grand dictionnaire françois, latin, et grec, Lyon, 1612, p.1044. Retour au texte

2 NOURRISSON Didier, Le buveur du XIXème siècle, Paris, Albin Michel, l’Aventure humaine, 1990, 378 pages, p.13. Cette idée est également partagée par NAHOUM-GRAPPE Véronique « Les santés du crocodile en larmes ou quelques hypothèses sur l’histoire du buveur », in De L’alcoolisme au bien boire, 2nde rencontre internationale (Rennes, septembre 1987), Paris, L’Harmattan, 1990, 2 vol., p.105-114. Retour au texte

3 FURETIÈRE Antoine, Dictionnaire Universel, Arnout et Reinier Leers, La Haye et Rotterdam, 1690, t. III : L’abbé écrit que « l’yvresse » est « l’effet que cause le vin, ou autre chose semblable en une personne yvre » alors que « l’yvrognerie » est l’état « de celuy qui boit souvent et par excez ». Retour au texte

4 DION Roger, Histoire de la vigne et du vin en France. Des origines au XIXeme siècle, Flammarion, Paris, 1959. Retour au texte

5 DURAND Georges, Vin, Vigne et Vignerons en Lyonnais et Beaujolais (XVIe-XVIIIe siècles), PUL, 1979, 540 pages. Retour au texte

6 MILNER Max et CHATELAIN-COURTOIS Martine (dir.), L’Imaginaire du vin, actes du colloque de Dijon, Marseille, éditions Jeanne Laffitte, 1983 : Retour au texte

7 GARRIER Gilbert, Histoire sociale et culturelle du vin suivi de Les mots de la vigne et du vin de COURTOIS Martine, Larousse, In extenso, Paris, 1995. Retour au texte

8 FLANDRIN Jean-Louis, MONTANARI Massimo (dir.), Histoire de l’alimentation, Librairie Arthème, Fayard, Paris, 1996, 915 pages. Retour au texte

9 VIGARELLO Georges, Histoire des pratiques de santé. Le sain et le malsain depuis le Moyen Age, Paris, Points Seuil Histoire, 1999 (1993). Retour au texte

10 Notons particulièrement les réflexions littéraires de qualité de NAYA Emmanuel, «La concordance du passionnel et du religieux », in Rabelais. Une anthropologie humaniste des passions, PUF, collection « Philosophies », 1998, p. 75-115. GENDRE André, « Le vin dans Gargantua », in Etudes rabelaisiennes, n° XXI, Droz, 1988, p.175-183. ANTONIOLI Roland, « L’éloge du vin dans l’œuvre de Rabelais », in MILNER Max et CHATELAIN-COURTOIS Martine (dir.), L’imaginaire..., op.cit.,, p.131-140. Retour au texte

11 NAHOUM-GRAPPE Véronique, La culture de l’ivresse. Essai de phénoménologie historique, Quai Voltaire Histoire, Paris, 1991, 216 pages. Retour au texte

12 GÉLIS Jacques, « Le corps, l’Eglise et le sacré », in CORBIN Alain, COURTINE Jean-Jacques, VIGARELLO Georges (dir.), Histoire du corps. De la Renaissance aux Lumières, Seuil, Paris, 2005, p.17-108. A partir du XVIe siècle, se développe l’idée qu’il faut conserver le corps en bonne santé et le préserver longtemps. Ce désir de prolonger la vie sur Terre est alors nouveau. Il procède de l’optimisme humaniste qui fait du corps un lieu d’épanouissement. L’étude du corps de l’homme devient une préoccupation centrale. Retour au texte

13 Cité in MONTAIGNE Michel, Essais, T.II, Garnier Frères, Paris, 1962 (1580), p.374 : « Quand la force du vin nous a pénétrés, les membres s’appesantissent, les jambes sont enchaînées et vacillantes, la langue s’embarrasse, l’intelligence est noyée, les yeux nagent ; c’est une succession de cris, de hoquets, de disputes. » Lucrèce, III, 475. Retour au texte

14 MOUSIN Jean, Discours de l’yvresse et yvrongnerie. Auquel les causes, nature, et effects de l’yvresse sont amplement deduictz, avec la guerison et preservation d’icelle. Ensemble la maniere de carousser, et les combats bacchiques des anciens yvrongnes, Toul, 1612 , p.31. Retour au texte

15 Le verbe provient de CRENDAL Gérard-François, Lettre sur la biere, Valenciennes, publiée in Bibliotheca Cerevisa, vol.1, Editions du bibliophile, Lille, 1987, p. 4-5. Retour au texte

16 DELAMARE Nicolas, Traité de Police, Paris, 1722, T.I, Livre IV, Titre IX : du Vin. Retour au texte

17 DE JAUCOURT, « yvresse » in DIDEROT et D’ALEMBERT (dir.), L’Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, Paris, 1751-72, vol. XV. Retour au texte

18 Les humeurs désignent quatre liquides physiologiques censés participer au fonctionnement du corps. Le sang, le phlegme, la bile jaune et la bile noire sont constitutifs de tous les êtres vivants. Quatre qualités primordiales caractérisent ces humeurs : le sang est chaud et humide, le phlegme est froid et humide, la bile noire est froide et sèche, la bile jaune est chaude et sèche. Ces humeurs, en défaut ou en excès, sont responsables des déséquilibres qui entraînent maladies et variations de tempéraments. Cette théorie séduit beaucoup de médecins jusqu’au XVIIIe siècle. C’est par exemple l’excès de bile noire, qui refroidit et dessèche le corps, qui provoque la mélancolie. La mélancolie entraîne alors des comportements anormaux et une tendance à s’altérer de diverses manières, voire une folie. De son côté le vin est une substance de nature chaude et humide. Son excès provoque donc un réchauffement et une humidité croissante du corps humain (la transpiration par exemple). De par sa nature il est censé agir contre les affections de nature froide, c’est-à-dire les humeurs froides : le phlegme et la bile noire. C’est pourquoi nombreux sont ceux qui estiment que l’ivresse est naturellement répandue chez les mélancoliques et dans des régions au climat froid. Son rôle est de rééquilibrer médicalement le système climatique. Retour au texte

19 MANDROU Robert, De la culture populaire aux XVIIe et XVIIIe siècles : La Bibliothèque bleue de Troyes, Paris, Stock, 1964, p.189-194 : extrait de L’Almanach des bergers. Retour au texte

20 NICOT Jean, Le grand dictionnaire..., op. cit., p.1051. Il est conseiller du Roi et maistre des Requestes de l’Hostel. Retour au texte

21 NICOT Jean, Le grand dictionnaire..., op. cit., p.1035. Retour au texte

22 « vin », in Dictionnaire Universel François et Latin vulgairement appelé Dictionnaire de Trévoux, La compagnie des libraires associés, Paris, 1752, T.VII. Retour au texte

23 1532. Retour au texte

24 Fin 1534 ou début 1535. Retour au texte

25 Tube par lequel l’eau coule goutte à goutte. Retour au texte

26 Petits boutons. Retour au texte

27 Eclatant. Retour au texte

28 Pourpré. Retour au texte

29 Rougi ou tuméfié. Retour au texte

30 Décoction d’orge mondé. Retour au texte

31 RABELAIS, Pantagruel in Œuvres complètes, Gallimard, La Pléiade, Paris, 1994, chapitre 1 p.219. La purée septembrale désigne le vin. Retour au texte

32 1666 : Acte I, scène 5. Retour au texte

33 1668 : Acte III, scène 7. Retour au texte

34 1670 : Acte IV, scène 2. Retour au texte

35 1696 : Scène XXXI. Retour au texte

36 1696 : Scène II. Retour au texte

37 1714 : Scène XIX. Retour au texte

38 1717 : Scène III. Retour au texte

39 BUVAT Jean, Journal de la Régence, in MAUREPAS Arnaud de, BAYARD Florent, Les Français vus par eux-mêmes, le XVIIIe siècle. Anthologie des mémorialistes du XVIIIe siècle, Bouquins, Robert Laffont, 1996, Paris, p.248. Retour au texte

40 RABELAIS, Cinquiesme livre in Œuvres complètes, Gallimard, La Pléiade, Paris, 1994, chapitre XLVI, p.834. Retour au texte

41 Cf. saint Thomas, La somme théologique, édition de l’abbé Drioux, tome dixième, Paris, Librairie ecclésiastique et classique, Belin, 1856, « 2a-2ai, Question CL-CLXXXIX, De la tempérance et des états », : « Il peut arriver que l’on sache bien que l’on boit immodérément et qu’on va s’enivrer, mais qu’on aime mieux être dans l’ivresse que de s’abstenir de boire, et c’est à proprement parler ce qu’on entend par un homme ivre [...]. En ce cas l’ivresse est un péché mortel, parce que l’homme se prive volontairement et sciemment de l’usage de la raison qui le fait agir conformément à la vertu et l’éloigne du péché. Par conséquent il pèche mortellement. » Retour au texte

42 Le premier à christianiser le platonisme est Plotin au IIIe siècle après Jésus-Christ. Retour au texte

43 Ces quelques idées sont par exemple diffusées dans l’ouvrage de FICIN Marsile, Concordance de Moïse et Platon, 1481 ou dans celui de PIC DE LA MIRANDOLE Jean, Discours sur la dignité de l’homme, 1486. Retour au texte

44 MONTAIGNE Michel, Essais, op.cit., Livre second, chapitre II « De l’yvrongnerie », p.382-383. Retour au texte

45 La traduction latine de Théodore Gaza est disponible à Rome dès 1475 et la première traduction latine française date de 1500 chez J. Alexandre. Retour au texte

46 Pour les médecins, le corps humain est animé par des forces, appelées « vertus », qui viennent des puissances de l’âme. Elles-mêmes immatérielles, ces vertus sont transmises aux diverses parties du corps par des « souffles » ou « esprits » qui sont la vapeur du sang et l’air inspiré par l’individu. Ces esprits et leurs vertus se propulsent alors dans les veines et artères. Selon Aristote, la bile noire et le vin sont de même nature, c’est-à-dire venteuse. Ils sont pleins de souffle. Les bulles d’air contenues dans l’écume du vin prouvent sa nature venteuse ou aérienne. Retour au texte

47 RABELAIS François, Cinquiesme livre, op.cit., chapitre XLVI, p.834 : « Boire est le propre de l’homme. Je ne dy boire simplement et absolument, car aussi bien boivent les bestes : je dy boire vin bon et frais. Notez amis que de vin divin on devient […]. Car pouvoir il a d’emplir l’ame de toute verité, tout savoir et philosophie […] en vin est vérité cachée ». Rabelais fait ici référence à la possibilité pour l’âme du mélancolique d’entrer dans la connaissance des plans de la Divine Providence, comme l’explique par exemple Henri Corneille Agrippa en 1533 dans le De occulta philosophia libri tres. Retour au texte

48 RABELAIS François, Gargantua in Œuvres complètes, Gallimard, La Pléiade, Paris, 1994, p.19. La citation de Jésus « J’ai soif » est issue de Jean, XIX, 28. Retour au texte

49 Jean, II, 1-12. Selon cet évangile, le premier miracle de Jésus est de transformer de l’eau en vin dans un contexte joyeux et festif. Retour au texte

50 RABELAIS François, Tiers livre in Œuvres complètes, Gallimard, La Pléiade, Paris, 1994, p.351. Retour au texte

51 Expression utilisée lors des noces de Cana : Jean, II, 8. Retour au texte

52 Fausset. Retour au texte

53 Bonde. Retour au texte

54 Inépuisable. Retour au texte

55 Rabelais s’inspire d’un dicton attribué à Saint Augustin « Anima in sicco habitare non potest ». Retour au texte

56 RABELAIS François, Gargantua, op.cit., p.18. Retour au texte

57 RABELAIS François, Gargantua, op.cit., p.149. Retour au texte

58 Le théléma est présent dans les Evangiles, par exemple dans guénèthètô to thélèma sou, Matthieu VI, 10 : « fais se réaliser ta volonté ». Retour au texte

59 RABELAIS François, Gargantua, op.cit., p.17. Retour au texte

60 RABELAIS François, Tiers livre, op.cit., p.349 : « Attendez un peu que je hume quelque traict de ceste bouteille : c’est mon vray et seul Helicon : c’est ma fontaine Caballine : c’est mon unique Enthusiasme. » Retour au texte

61 RABELAIS François, Quart livre in Œuvres complètes, Gallimard, La Pléiade, Paris, 1994, chapitre LXV, p.694. Retour au texte

62 RABELAIS François, Pantagruel, op.cit., chapitre XIV, p.263. Retour au texte

63 Maigre. Retour au texte

64 L’avertit. Retour au texte

65 Hanap. Retour au texte

66 Boire. Retour au texte

67 Je me donne au diable. Retour au texte

68 Jean, 4, 13-14. Retour au texte

69 ESTIENNE Henri, Apologie pour Hérodote : satire de la société au XVIe siècle, nouvelle édition par P.Ristelhuber, Genève : Slatkine, 1969, 2 vol., 431 et 505 p. (1566), T.2, Chapitre 22 « De la gourmandise et yvrongnerie des gens d’église », p.41-42. Retour au texte

70 MONTAIGNE Michel, Essais, op.cit., Livre second, chapitre II « De l’yvrongnerie », p.376. « Dans ce vertueux combat aussi, jadis le grand Socrate remporta la palme, à ce qu’on dit. » Pseudo-Gallus, I, 47. Retour au texte

71 Selon le médecin Theophrastus Bombastus von Honhenheim dit Paracelese, il y a quatre catégories de fous : Retour au texte

72 Inspiré par des présages. Retour au texte

73 Vider. Retour au texte

74 Souci. Retour au texte

75 Négliger. Retour au texte

76 RABELAIS François, Tiers Livre, op.cit., Chapitre XXXVII, « Comment Pantagruel persuade à Panurge prendre conseil de quelque fol. », p.468. Retour au texte

77 Paul, I, Corinthiens, III, 18-19. Retour au texte

78 FOUCAULT Michel, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard, 1972 (1961), p.49-51. Retour au texte

79 RABELAIS François, Pantagruel, op.cit., chapitre XXXIIII, p.336. Retour au texte

80 Le XVIIe siècle voit se développer des modèles comportementaux qui reproduisent la vie des saints des XIIe et XIIIe siècles. L’ascèse alimentaire est alors fortement valorisée, ainsi que le refus de tout plaisir. Tous ceux qui renoncent aux charmes corporels reçoivent le salut en récompense. C’est ce que BÉRULLE défend par exemple en 1625 dans Elévation à Jésus-Christ Notre Seigneur sur la conduite de son esprit et de sa grâce vers sainte Madelaine. Retour au texte

81 GUTTON Jean-Pierre, Dévots et société au XVIIe siècle. Construire le Ciel sur la Terre, Belin, 2004, p.13-18 : Les dévots et les libertins érudits du XVIIe siècle veulent tous moraliser la société. L’organisation de dévots la plus importante est la Compagnie du Saint-Sacrement, constituée entre 1627 et 1630. Retour au texte

82 CHARRON Pierre, De la sagesse, 1601, Livre 3, chapitre 39, p.632–633 : « la gourmandise et l’yvrongnerie sont vices lasches et grosiers ». Pierre Charron est l’un des maîtres à penser des libertins érudits. Retour au texte

83 1649. Retour au texte

84 GASSENDI Pierre, Traité de la philosophie d’Epicure, IIIe partie : L’éthique ou la morale, p.628 : « Car ce ne sont pas les beuveries ou les orgies perpétuelles, les relations avec les femmes et les jeunes garçons, les poissons fins ou les autres délices d’une table luxueuse qui procurent une vie agréable, mais la raison qui cherche dans la tempérance et la sérénité pourquoi il faut choisir ou fuir chaque chose, et chasse les opinions qui jettent l’esprit dans un grand trouble. » Retour au texte

85 ANONYME, Remonstrance sur l’interdiction ou defense faicte de ne hanter les tavernes, précédé du Huictain de Sobriété, Lyon, Iean Dinet, 1598, 16 pages. Retour au texte

86 Il doit dater de 1598. Retour au texte

87 Peintre grec du IVe siècle avant J.-C. dont seule la réputation nous est parvenue. Retour au texte

88 ANONYME, Remonstrance..., op.cit., p.7. Retour au texte

89 ANONYME, Remonstrance..., op.cit., p.8. Il ne faut pas négliger la vision chrétienne qui ne glorifie les corps des individus que lorsqu’ils appartiennent au corps collectif réunissant tous les croyants. L’humain n’est pensé que comme faisant partie de l’ensemble social appelé Eglise. Comme l’individu ivre sort de la communauté des bons croyants, il n’est plus pensé comme un homme mais comme une bête. Retour au texte

90 Ibid., p.9. Retour au texte

91 Ibid, p.14. Retour au texte

92 Telles que l’importance médicale des fibres et des nerfs à la fin du XVIIIe siècle. Cf. VIGARELLO Georges, Histoire..., op.cit. Retour au texte

93 MOUSIN Jean, Discours de l’yvresse..., op.cit. Retour au texte

94 Ibid., p.292. Retour au texte

95 Le soleil couchant. Retour au texte

96 Le soleil levant. Retour au texte

97 MOUSIN Jean, Discours de l’yvresse..., op.cit., p.308-309. Retour au texte

98 HECQUET, Médecine théologique ou la médecine créée, telle qu’elle se fait voir ici, sortie des mains de Dieu, Créateur de la Nature, et régie par ses lois, Paris, 1733, p.121. Retour au texte

99 LEGRAND d’AUSSY, Histoire de la vie privée des Français, Paris, 1782, T.III, p.274-275. Retour au texte

100 DE JAUCOURT, « yvresse », in DIDEROT et D’ALEMBERT (dir.), L’Encyclopédie..., op.cit. Retour au texte

101 Article « société » in DIDEROT et D’ALEMBERT (dir.), Encyclopédie..., op.cit., T.XV, p.254-255. Retour au texte

102 PONTAS Jean, Dictionnaire des cas de conscience ou decisions des plus considerables dificultez touchant la Morale et la Discipline Eclésiastique, 1726, T.III, p.1420. Retour au texte

103 Isaïe, 28, 7-13. Retour au texte

104 PONTAS Jean, Dictionnaire..., op.cit., T.III, p.1426. Retour au texte

105 Ibid, p.1432. Retour au texte

106 Paul, 1 Corinthiens, 6, 9-10 : « Ne vous y trompez pas : les gens immoraux, adorateurs d’idoles, adultères, pédérastes, voleurs, envieux, ivrognes, calomniateurs ou malhonnêtes, n’auront pas de place dans le Royaume de Dieu ». Retour au texte

107 PONTAS Jean, Dictionnaire..., op.cit., T.III, p.1427. Retour au texte

108 Ibid, p.1420. Retour au texte

109 Pontas cite la référence suivante Proverbes, 2,17, mais elle ne correspond pas à son argument. Retour au texte

110 Cette constatation est aussi valable pour Ecclésiaste, 37,34. Retour au texte

111 Luc, 21, 34. Cette citation est en revanche bien citée. Retour au texte

112 GREUZE Jean-Baptiste, Le Retour de l’ivrogne, vers 1780. Huile sur toile, 74,7 x 91,8 cm. Portland, Oregon, Portland Art Museum. Retour au texte

113 HONOUR Hugues, Le Néo-classicisme, Le livre de poche, Paris, ouvrage traduit de l’anglais par Dauzat Pierre-Emmanuel, 1998 (1968), p.169. Retour au texte

114 Ibid., p.99. Retour au texte

115 MAHÉ Nathalie, Le mythe de Bacchus, Fayard, Librairie Arthème, 1992, p.259. Retour au texte

116 VOLTAIRE, Dictionnaire philosophique, La Salamandre, Imprimerie nationale éditions, Paris, 1994 (1764-1769), 558 pages, « catéchisme du curé ». Retour au texte

117 Cf. GREUZE Jean-Baptiste qui montre les enfants de l’ivrogne comme étant plus raisonnables et droits que leur père ou bien MERCIER Louis-Sébastien, Tableau de Paris, 1781-1788, quand il traite de l’ivrogne et de ses enfants. Retour au texte

118 Cf. Saint Augustin et le corps vu comme une demeure de l’esprit saint, ou l’idée de l’homme fait à l’image de Dieu. Retour au texte

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Référence électronique

Matthieu Lecoutre, « L’ivresse et l’ivrognerie dans le regard de l’autre : représentations des individus ivres en France du XVIe au XVIIIe siècle », Sciences humaines combinées [En ligne], 2 | 2007, publié le 01 novembre 2007 et consulté le 28 mars 2024. DOI : 10.58335/shc.105. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/shc/index.php?id=105

Auteur

Matthieu Lecoutre

Doctorant en Histoire, Centre Georges Chevrier UMR 5605

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