L’apport des travaux de l’ex-RDA dans le domaine de la Literaturwissenschaft

DOI : 10.58335/individuetnation.79

Résumés

La présente contribution propose une sorte de récapitulatif des travaux de recherche dans le domaine de la sémiotique du texte littéraire ou encore, plus généralement, de ce que l’on a coutume, en Allemagne, de nommer Literaturwissenschaft, des années 60 jusqu’à 1975 environ. Il transmet ainsi des orientations fondamentales du structuralisme, puis de l’esthétique de la réception (Rezeptionsästhetik) dans l’ex RFA, évoquant, en particulier, les écrits de H.R. Jauss et W. Iser et des concepts, entre autres, de ' répertoire textuel ' (Textrepertoire) et ' d’horizon d’attente ' (Erwartungshorizont). Il rend compte enfin des recherches menées parallèlement dans l’ex RDA, notamment par des auteurs comme M. Naumann ou R. Schober, portant, elles aussi, sur des notions essentielles, telles que celles de ' texte ' (Text), ' œuvre littéraire ' (literarisches Werk), 'évaluation ' (Wertung) et contenant une analyse approfondie du caractère de ' reflet ' (Abbild) du texte littéraire.

Yves Gilli’s paper offers a kind of résumé of the latest research in the field of the semiotics of literary texts or, more generally, of what was commonly called « Literaturwissenschaft » in Germany from the 60s to around 1975. It conveys the fundamental directions of structuralism, then of the aesthetics of « reception » in the then FRG, recalling the works of H.R. Jauss and W. Iser and the concepts of, among others, « phrase repertory » (Textrepertoire) and « range of expectations » (Erwartungshorizont). The paper also gives an account of the research, at the same time, in the then DRG, of authors like M. Naumann or R. Schober dealing as well with essential notions like those of « text » (Text), « literary work » (literarisches Werk), « evaluation » (Wertung) and containing an in-depth analysis of the charakter of « reflection » (Abbild) of the literary text.

Plan

Texte

Introduction

L’objet de notre contribution est de présenter très brièvement quelques aspects de l’apport des travaux réalisés en RDA,1 grosso modo entre les années 1975-1985. Peu connus en France, même des germanistes (contrairement à ceux de Wolfgang Iser ou de Hans Robert Jauss en RFA), ces travaux s’inscrivent dans un champ de recherche qui concerne ce que les Allemands nomment Literaturwissenschaft – terme qui correspond en gros à ce que nous appelons en France l’analyse littéraire – et qui traite en particulier de la question de savoir comment accéder au(x) sens d’un texte, en bref comment interpréter. Par ailleurs, ces travaux de RDA ne peuvent être compris si on les isole de ceux du structuralisme et de ceux de la RFA qui les précèdent immédiatement.

Pour le survol rapide que nous proposons, nous partirons des lettres TALC. Ces lettres désignent pour nous quatre voies d’accès possibles à l’interprétation. Nous dirons d’emblée que l’une n’exclut pas l’autre, mais que, bien évidemment, elles se complètent, point que l’on a peut-être négligé ou, en tous cas, oublié de souligner durant les années 1960 à 1985.

Une première voie est la référence à l’auteur, au pôle auteur dirions-nous (lettre A), c’est-à-dire aux éléments biographiques. C’est la voie qui fut pendant très longtemps, en réalité, pratiquement la seule à être recommandée, suivie, voire autorisée en milieu universitaire. La deuxième voie est celle du pôle contexte (lettre C). En effet, grâce notamment, mais pas uniquement, aux recherches d’inspiration marxiste, on a montré qu’il était difficilement imaginable qu’un auteur puisse demeurer dans sa tour d’ivoire, isolé du temps et de l’espace. C’est évident lorsqu’il s’agit d’œuvres telles que celles de Zola ou de Brecht, mais aussi, à des degrés divers, de Goethe, Proust, Stifter ou Kafka. Plus récentes sont les recherches qui s’appuient sur les pôles Texte (lettre T) et Lecteur (lettre L). C’est d’elles que nous voulons dire quelques mots en parlant d’abord du structuralisme (1), puis de l’esthétique de la réception (Rezeptionsästhetik) en RFA (2.1), et enfin des travaux de RDA (2.2).

1. Le structuralisme

Quelques généralités tout d’abord sur l’origine du structuralisme et son ambition, puis un aperçu au moins sur deux applications possibles au texte littéraire.

1.1. Les origines du structuralisme

Le structuralisme est un mouvement d’inspiration linguistique, plus particulièrement phonologique, qui a connu ses heures de gloire dans les années 60, mais ses origines sont plus lointaines. Nous citerons seulement les travaux de Ferdinand de Saussure (Saussure 1916), ceux de l’Ecole de Prague et de Nicolas Sergeevitch Troubetzkoy (Troubetzkoy 1949), Roman Jakobson (Jakobson 1963), André Martinet (Martinet 1955) etc.

Pour faire court, on peut dire que son ambition est de dégager, dans un ensemble donné – celui de la phonétique-phonologie d’une langue, par exemple – des unités minimales (les sons) et de voir quelle hiérarchie et quels réseaux d’opposition existent au sein de ces unités, oppositions qui servent à créer un système fonctionnel de signification. Il s’agit donc d’une méthode d’investigation qui a fait ses preuves en phonétique-phonologie, mais aussi dans d’autres domaines tels que l’anthropologie, la psychanalyse, la mode, qui sont autant d’ensembles que l’on peut analyser en ‘unités premières’, s’opposant dans telles ou telles situations et selon telle ou telle hiérarchie, de manière, là encore, à dégager du sens.

1.2. Applications du structuralisme au texte littéraire

Cette manière de concevoir un objet de recherche a été aussi envisagée à propos du texte littéraire, point qui nous intéresse plus spécialement. Sur le sujet, on trouve de multiples ouvrages ; c’est pourquoi nous nous abstiendrons de faire un inventaire de noms. Le pôle d’accès au texte est donc ici le texte lui-même (T) et lui seul, au sujet duquel on s’efforcera de dégager des structures porteuses de sens. Nous nous contenterons d’évoquer deux domaines où l’analyse structuraliste a été pratiquée : la narration et les personnages. La narration peut, en effet, être considérée comme un ensemble comprenant des unités narratives créant entre elles des réseaux d’opposition. On peut estimer que l’initiateur de la démarche structuraliste a été ici Vladimir Propp avec son ouvrage Morphologie du conte (Propp 1928). D’autres auteurs ont poursuivi dans cette voie, comme Roland Barthes (Barthes 1966), Claude Brémond (Brémond 1981) ou Tzvetan Todorov (Todorov 1967). A notre avis, c’est à propos des personnages que la méthode structuraliste est cependant la plus intéressante et convaincante. Dans une optique structuraliste, les personnages ne sont plus abordés isolément, mais comme des unités qui s’opposent au sein d’un ensemble (celui des personnages), donnant ainsi à ce dernier une structure signifiante. Nous avons personnellement travaillé dans cette direction à propos des personnages de l’Amérique de Franz Kafka (Gilli 1985).

2. Le pôle lecteur

Venons-en au pôle lecteur (lettre L). Les Allemands ont peu pratiqué l’approche structuraliste et on peut dire que c’est dès le début des années 70 qu’ils la mettent fortement en question. A l’inverse d’approches qui favorisent les pôles TA et C, à la base d’une esthétique de la production (Produktionsästhetik), ils préconisent une Rezeptionsästhetik, autrement dit, ils soulignent la part prise par le lecteur (L) dans la création littéraire et artistique, pourrait-on dire, de façon générale. Se trouve ainsi valorisé un pôle qui n’avait sans doute pas été ignoré, mais quelque peu négligé auparavant. C’est alors que s’instaure entre les « deux Allemagnes » de l’époque un échange intéressant qui dépasse le stade de la simple polémique entre deux frères ennemis. Nous examinerons rapidement les concepts fondamentaux proposés par la RFA (2.1), puis les apports de la RDA dans le cadre de cette problématique de l’analyse du texte littéraire (2.2).

2.1. RFA

Les concepts proposés par la Rezeptionsästhetik ou l’Ecole de Constance intéressent au moins, selon nous, trois secteurs fondamentaux : la définition de l’œuvre littéraire, l’analyse du texte et les rapports du texte au monde.

2.1.1. La définition de l’œuvre littéraire

Pour un chercheur comme Wolfgang Iser, par exemple, tout auteur écrit pour un lecteur, ou encore tout texte a un ‘lecteur implicite’. Le titre de l’un des ouvrages de Wolfgang Iser est précisément Der implizite Leser (Iser 1972)2. Cette affirmation va nettement au-delà d’une évidence. Elle signifie que le lecteur participe à la création de sens – lequel n’est donc à rechercher ni dans la seule biographie (pôle A), ni dans le seul contexte (pôle C), ni dans le seul texte (pôle T). Une des premières conséquences de cette mise en relief de la participation active du lecteur est une redéfinition de l’œuvre littéraire avancée par Wolfgang Iser et reprise par Hans Robert Jauss dans Pour une esthétique de la réception (Jauss 1978). L’œuvre est certes le texte en tant que structure donnée, mais cette dernière a besoin d’être ‘concrétisée’ par un lecteur. Elle est ainsi à la fois texte et concrétisation, sans laquelle un texte ne peut accéder à la qualité d’œuvre.

2.1.2. Concepts clefs pour l’analyse du texte

L’accent étant mis sur le pôle lecteur, il est logique que l’esthétique de la réception examine – du côté texte – les procédés mis en œuvre pour retenir et intéresser le « lecteur implicite » et – du côté de la réception – les processus qui permettent l’élaboration d’un sens. Résumant au maximum le contenu de plusieurs ouvrages, nous allons transmettre des concepts qui nous ont paru les plus convaincants et les plus utiles d’un point de vue pédagogique.

- Du côté texte, trois notions sont essentielles : celles de Leerstelle, Negation et Unbestimmtheit. Tout texte, principalement tout récit, comprend des Leerstellen, c’est-à-dire des blancs ou des trous qui demandent à être comblés au cours de la lecture, qui sont éventuellement source de suspense et exigent, en tous cas, que l’on poursuive la lecture. Les Leerstellen sont produites, par exemple par des flash-back ou des ruptures dans la transmission des informations, comme lorsqu’on change de perspective narrative, un narrateur étant censé en savoir plus qu’un personnage principal, ou moins, ou autant. La Negation est présente notamment quand un événement attendu par le lecteur ou le personnage principal ne se produit pas. Leerstellen et Negationen sont à la base de toute une série de Unbestimmheiten, incertitudes qui doivent, en principe, être transformées en certitudes à la fin de la lecture. Ces notions sont tout à fait pertinentes et utiles dans le cas d’une analyse de textes tels que ceux de Kafka, par exemple, avec cette particularité que, chez cet auteur, les certitudes n’existent pas, ce qui motive des relectures ou, au contraire, l’abandon de la lecture, sauf si l’on admet que la négation fait partie, chez Kafka, de la thématique. Quoi qu’il en soit, on peut dire que Leerstellen, Negationen ou Unbestimmheiten sont des moteurs puissants de la narration à la disposition d’un lecteur pour créer du sens et faire que le texte devienne œuvre, au sens de l’esthétique de la réception.

- Du côté du récepteur, nous nous intéresserons à une seule notion, celle de Synthese. Elle rend compte du travail qu’effectue le lecteur tout au long de sa lecture. A intervalles réguliers, le lecteur est en effet amené à se forger des synthèses qui lui permettent d’interpréter et de créer du sens. Ces synthèses ont un caractère de fermeture, dans la mesure où elles récapitulent un ensemble de données, mais elles sont constamment menacées d’ouverture en raison d’incertitudes nouvelles qui apparaissent, remettant en question les éventuelles certitudes acquises et les synthèses opérées.

2.1.3. Les rapports du texte au monde

Nous l’avons dit plus haut, les travaux de l’esthétique de la réception nous aident à repenser les rapports de l’œuvre littéraire avec le monde – au niveau de sa production (le texte) et de sa réception (la ‘concrétisation’ du lecteur). L’auteur d’un texte – nous l’avons souligné – n’est pas isolé de son environnement. Il puise les éléments dont il va traiter dans un ensemble de normes sociales, morales, poétiques, linguistiques etc., même lorsqu’il entreprend de les contester, autrement dit, dans un contexte socio-culturel que Wolfgang Iser et Hans Robert Jauss appellent Textrepertoire (répertoire textuel). Du côté de la réception, tout lecteur aborde n’importe quel texte en fonction de normes dont il dispose lui aussi et qu’il partage ou non avec l’auteur. Hans Robert Jauss utilise le mot composé Erwartungshorizont (horizon d’attente) pour définir ces derniers éléments qui influencent, voire déterminent, la réception.

Toutes les notions que nous avons évoquées ne suffisent évidemment pas pour rendre compte de la richesse des travaux de l’esthétique de la réception, mais elles montrent combien il est indispensable de tenir compte de l’interaction entre texte et lecteur, de la place qu’occupe le lecteur dans la création du sens d’un texte et – peut-on ajouter – de la part que peut prendre le texte dans l’éventuel changement ‘d’horizon d’attente’ d’un lecteur, condition, selon Hans Robert Jauss, pour qu’un texte ait une portée révolutionnaire.

2.2. RDA

Même si la recherche en RDA a été, pour une bonne part, motivée par les critiques formulées par l’esthétique de la réception à l’encontre des travaux marxistes, on peut dire qu’elle s’est effectuée parallèlement aux productions de la RFA. Les dates de publication des ouvrages fondateurs, comme ceux de Rita Schober (1982), Manfred Naumann (1976), Horst Redeker (1980) ou John Erpenbeck (1979), pour ne mentionner que quelques auteurs, vont en effet, grosso modo, de 1975 à 1985.

Nous montrerons ce que la Literaturwissenschaft de RDA apporte d’original à partir d’un socle commun aux recherches de l’Ouest et de l’Est, mais commençons par le socle commun. Les auteurs de RDA partent du principe que le processus littéraire dans son entier est de type communicatif. Cela revient à mettre l’accent, ainsi que le fait l’esthétique de la réception, sur le pôle lecteur (L). Entre le texte et le lecteur se crée un dialogue. On peut dire encore qu’il existe de la part du lecteur un phénomène d’appropriation (Aneignung) du texte. Nous avons indiqué que, pour l’esthétique de la réception, le texte est une structure qui a besoin d’une ‘concrétisation’. Au lieu du terme ‘structure’ (ou ‘artefact’) proposé par l’esthétique de la réception, les chercheurs de RDA parlent, à propos du texte, d’une Rezeptionsvorgabe, c’est-à-dire d’une sorte de matériau mis à la disposition d’un lecteur (Zentralinstitut für Literaturgeschichte 1976) dans le cadre d’un contexte donné. Cette façon d’envisager les rapports texte / lecteur conduit la recherche de l’Est à considérer sous un autre angle, comme le fait l’esthétique de la réception, l’œuvre littéraire (das literarische Werk). « Le texte ne doit pas simplement être confondu avec l’œuvre littéraire. Il n’est qu’un aspect d’un tout » (Schlenstedt 1976). L’œuvre n’existe pas en tant que donnée, mais en tant que procès qui participe d’un acte de communication sociale (nous soulignons ce terme, car nous verrons son importance plus loin), c'est-à-dire selon telles ou telles conditions de production et de réception (Produktions- und Rezeptionsbedingungen).

A partir de ce socle commun, on peut distinguer deux grands volets dans l’apport de la RDA à la Literaturwissenschaft de l’époque : un volet critique à l’égard des travaux de l’Ouest (2.2.1) et une autocritique (2.2.2).

2.2.1. Le volet critique des recherches « occidentales »

Les auteurs de RDA reconnaissent les mérites aussi bien de l’esthétique de la réception que du structuralisme. De manière générale cependant, le reproche qu’ils leur adressent est, tout en déclarant prendre en compte les quatre pôles du texte littéraire, de n’en retenir pratiquement qu’un, le texte pour les uns, le lecteur pour les autres.

- Formalisme et structuralisme relèvent d’un type de critique immanente qui considère le texte comme un tout fermé sur lui-même et un peu comme une création ex nihilo indépendante des pôles A, C et L. S’il en était ainsi, il serait en particulier impossible d’expliquer pourquoi les interprétations d’un texte littéraire changent d’une époque à l’autre.

- Les critiques les plus vives sont toutefois adressées – et on le comprend – aux tenants de l’esthétique de la réception. Certes, il fallait s’attarder sur le pôle lecteur et rappeler, en quelque sorte, ce qu’écrivait déjà Karl Bühler (Bühler 1934) au sujet de la fonction d’appel (Appellfunktion) du texte, mais si l’esthétique de la réception reproche aux marxistes de trop mettre en valeur le contexte et la fonction de reflet (Wiederspiegelung) du texte littéraire, les chercheurs de RDA estiment, quant à eux, qu’une importance trop grande est attribuée au lecteur dans les travaux de l’Ouest. Or, nous avons signalé plus haut que pour les auteurs de l’Est, l’œuvre existe en tant que procès participant d’un acte de communication sociale. Pratiquement tous les concepts proposés par l’esthétique de la réception sont passés en revue à la lumière de cette critique fondamentale. Nous n’allons pas revenir sur tous ceux que nous avons mentionnés, mais envisageons seulement deux critiques précises. Dans les travaux de l’esthétique de la réception, la notion de lecteur implicite est jugée beaucoup trop abstraite. En ce sens, le reproche que l’on peut lui faire rejoint celui que l’on peut adresser aussi à propos d’un structuraliste tel que Noam Chomsky et de son ‘locuteur idéal’. Mais, en même temps, on sait que les travaux de l’esthétique de la réception sont, pour une large part, à l’origine de la perte de prestige subie par le structuralisme ! Selon la même orientation, on peut juger que la Konkretisation dont parle l’esthétique de la réception manque à l’évidence de concret ! Plus largement, la place accordée au lecteur par l’esthétique de la réception est telle que le texte en est réduit à n’être plus qu’une espèce de prétexte, à partir duquel un lecteur forge ‘son’ sens. En fait, c’est la trop grande ‘ouverture’ ainsi permise à l’interprétation – et qui met plus ou moins hors jeu l’auteur ou le contexte – qui est ici visée. On pourrait faire les mêmes objections à propos de l’ « œuvre ouverte » (opera aperta) d’un Umberto Eco (1965). Nous avons nous-même souligné l’intérêt scientifique et pédagogique de notions telles que Leerstelle, Negation, Unbestimmheit, mais il est vrai qu’elles invitent à une approche qui a de nouveau un caractère immanent.

2.2.2. L’autocritique

De même que les travaux de l’Est ont pu amener les auteurs de l’Ouest à revoir et préciser certains concepts (celui d’horizon d’attente, par exemple), les remarques émises par l’esthétique de la réception ont incité les chercheurs de RDA à opérer sur plusieurs points une autocritique. Nous ne prendrons qu’un seul exemple ; il a trait à la notion de ‘reflet’ (Wiederspiegelung), cible privilégiée de l’Ouest.

A la base d’un réexamen de la notion de reflet se trouve une réflexion sur les rapports du texte avec la réalité. En effet, pour une recherche marxiste, le texte littéraire part forcément du réel, c’est-à-dire de phénomènes d’ordre social ou psychique ou encore de phénomènes de conscience (Bewusstseinserscheinungen). Il faut ajouter à cela que tout ce qui est reflété par le texte littéraire fait partie de la réalité, mais d’une réalité par rapport à l’homme. Il faut, par ailleurs, insister sur le fait que le texte littéraire n’est pas une copie pure et simple ou un cliché photographique d’une réalité. En ce sens, le substantif Abbild est peut-être préférable à celui de Wiederspiegelung. D’autre part, la production d’un texte littéraire résulte d’un processus d’appropriation (Aneignung), concept déjà rencontré et d’évaluation (Wertung) de cette réalité. Ce même travail d’appropriation-évaluation s’effectue également au niveau de la réception d’un lecteur qui s’approprie et évalue le texte littéraire. En fait, Abbild, Aneignung et Wertung se réalisent dans le même temps et le terme de Sinnbild (symbole) qui figure dans le titre de l’ouvrage de Rita Schober (Schober 1982)3 et qui a été utilisé notamment par Goethe et Schiller a l’avantage de « signaler de façon heureuse la particularité qu’a l’œuvre d’art d’être le résultat d’un processus qui englobe reflet, évaluation et généralisation » Erpenbeck (1979).

Nous dirons, en conclusion, que cette contribution ne pouvait être qu’un bref aperçu des travaux des années 1960 à 1985 en Literaturwissenschaft. Nous n’avons pu souligner que ce qui nous a paru le plus intéressant. Peut-être faudrait-il de nos jours revenir au pôle A.

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Notes

1 Pour des raisons de commodité, nous nous dispenserons désormais d’écrire « ex-RDA » et « ex-RFA ». Retour au texte

2 Un autre livre de Wolfgang Iser est intitulé Der Akt des Lesens (Iser 1976). Retour au texte

3 Abbild-Sinnbild-Wertung Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Yves Gilli, « L’apport des travaux de l’ex-RDA dans le domaine de la Literaturwissenschaft », Individu & nation [En ligne], vol. 1 | 2008, publié le 14 février 2008 et consulté le 16 avril 2024. DOI : 10.58335/individuetnation.79. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/individuetnation/index.php?id=79

Auteur

Yves Gilli

Histoire et littérature des pays de langue européenne (EA 3224) 25 rue Jean et Pierre Chaffanjon, F-25000 Besançon – marita.gilli[at]wanadoo.fr