Plan

Texte

Le présent volume présente aux candidats à la session 2008 des cours de recrutement d’allemand1 les actes d’une journée d’études organisée à Besançon le 10 décembre 2007 sous l’égide du laboratoire Histoire et littérature des pays de langue européenne (EA 3224) de l’Université de Franche-Comté et du Centre de recherche interlangues Texte Image Langage (EA 4182) de l’Université de Bourgogne – et consacrée au roman de Volker Braun Hinze-Kunze-Roman. Ces études ont été regroupées en quatre parties, représentant autant de parcours interprétatifs possibles pour quiconque s’intéresse à ce texte ardu et foisonnant.

Filiations

La première partie regroupe ainsi, sous le titre général de filiations, deux contributions visant à replacer le roman de Braun dans ce qu’il est convenu d’appeler le champ littéraire.

L’article d’Yves Gilli aborde les aspects théoriques de la création littéraire dans l’ex-RDA des années 1970-1980 en les situant dans le contexte épistémologique au sein duquel ils s’inscrivent : après un survol des théories antérieures, en particulier du structuralisme et de la théorie de la réception d’inspiration ouest-allemande (Jauss en particulier), il se concentre sur les concepts fondamentaux développés par les théoriciens de l’Est. Ces notions, par exemple celles de Leerstellen et Unbestimmtheiten ou encore celle, centrale, de lecteur / Leser se révèlent en effet être d’une grande utilité pour aborder le texte de Braun : ne regorge-t-il pas d’incertitudes et autres ‘blancs’ mettant justement le lecteur à l’épreuve dans un processus actif de constructions du sens ? Le regard plus littéraire porté sur cette œuvre dans les analyses de Marie-Geneviève Gerrer, Hélène Yèche et Richard Parisot démontrera par ailleurs, à l’épreuve du texte, la pertinence de cette approche théorique.

Rudy Chaulet, de son côté, constate que « Le Roman de Hinze et Kunze possède à la fois la structure binaire et inversée propre au couple maître-serviteur et qu’il est empli du profond pessimisme caractéristique de la littérature picaresque ». Après avoir donné une définition de la picaresque et présenté les œuvres-phares de la littérature espagnole, il s’interroge sur le Hinze-Kunze-Roman, et lui trouve davantage de points communs avec Don Quichotte – défini comme un roman non-picaresque – qu’avec Lazarillo de Tormes. Dans la littérature picaresque, c’est la forme autobiographique, l’infamie assumée, qui contribue le plus à fermer dans le roman toute possibilité d’issue positive. L’évocation du bas matériel – celui que définit Mikhail Bakhtine en référence à l’œuvre de Rabelais – y fournit « le combustible nécessaire à l’avancée du récit et au divertissement du lecteur ». Si la satisfaction des besoins matériels, nous dit R. Chaulet, ne semble pas constituer l’ingrédient fondamental du roman de Braun, d’un point de vue purement thématique, l’inversion des rôles et des valeurs y est omniprésente.

Parcours littéraires

Dans un deuxième temps, quatre articles s’attachent aux aspects plus strictement littéraires du texte.

Véronique Liard s’attaque à un deuxième aspect de la distanciation dans le texte Braun et lui applique l’analyse de Jean Rousset sur le mythe de Don Juan en montrant qu’on y trouve les trois invariants que ce sont l’inconstant, le groupe féminin et le mort. En travaillant plutôt sur le Don Giovanni de Mozart, elle éclaire tout ce que Volker Braun emprunte au mythe de Don Juan pour l’adapter à la situation de RDA : la relation maître-valet, la séduction des femmes par la contrainte ou par l’appât d’avantages matériels, la mort qui plane sur une société qui veut ignorer les sentiments et refuser aux femmes et aux hommes ce qui fait justement leur humanité. Grâce à une intertextualité, parfois difficilement reconnaissable il est vrai, parce que faisant référence à de très nombreux textes (Don Quichotte, Jacques le fataliste entre autres), Volker Braun introduit une distance et souvent des effets humoristiques qui, finalement, nous dit l’auteure, font moins rire que réfléchir.

Hélène Yèche s’interroge sur le pacte autobiographique de Volker Braun dans le Roman de Hinze et Kunze. Elle met en lumière le jeu subtil des multiples voix de la narration dont l’auteur use et abuse jusqu’à mettre en danger, voire en cause, le caractère fictionnel du texte. Braun joue constamment avec les différents niveaux d’énonciation et une intertextualité très forte avec le roman de Diderot Jacques le fataliste et d’autres auteurs ou penseurs, pour la plupart d’entre eux, germanophones. Toute l’habileté d’H. Yèche réside dans un ‘détricotage’ précis des instances narratives présentes dans le roman, sans jamais ôter le charme particulier de ce ‘je / jeu’. Le lecteur n’est pas toujours non plus là où on l’attendrait : il arrive que certain personnage, au féminin singulier en particulier, prenne le relais du lecteur traditionnel ou professionnel. Et ainsi, comme le précise l’auteure, par l’entremise de toutes ces métamorphoses (de l’auteur en narrateur, lecteur et personnage, et vice-versa), s’élabore un second roman, personnel où la présence, souvent intempestive, d’une voix à la première personne souligne et affirme une authentique « poésie de la parole ».

Dans son article Du roman, expérimental, Richard Parisot se demande si on peut encore parler de roman à propos de cette œuvre qui pose tant de questions aussi bien par le contenu que par l’écriture elle-même. Il tente de montrer que, dans ce texte résolument moderne qui se plaît à présenter l’envers du décor, aussi bien les coulisses de la politique que la cuisine de l’auteur, Volker Braun déjoue les pièges de la censure pour s’assurer, avec, entre autres, la complicité de Diderot, une grande liberté de conter et donner corps à des personnages constitués en partie de morceaux empruntés à des modèles littéraires antérieurs. Le lecteur, profitant de toutes les failles, toutes les béances aménagées par l’auteur est fréquemment sinon constamment invité à partager son inquiétude et à prendre ainsi une part considérable à la construction du sens. R. Parisot, s’appuyant en partie sur la définition de J. Ricardou (le roman est l’écriture d’une aventure et l’aventure d’une écriture), conclue que, si roman il y a, il ne saurait être qu’expérimental : ce texte définirait lui-même son protocole d’élaboration et ne serait peut-être en fin de compte pas autre chose que son propre ‘art poétique’. Savoir si on peut appliquer cette définition à tout texte reste évidemment une question ouverte.

Parcours linguistique

La lettre du texte de Braun présentant nombre d’îlots de résistance à l’herméneute, le parcours littéraire qui vient d’être présenté se poursuit par une exploration linguistique et stylistique de son mode d’écriture.

Prenant comme point de départ la genèse de ce roman qui a d’abord existé sous forme de pièce de théâtre (Hinze und Kunze), puis sous la forme de Libres Propos (Berichte von Hinze und Kunze), Thierry Gallèpe étudie ce qui subsiste, au niveau langagier, de ce passage « du vrai théâtre au non-roman ». Ce faisant, il se concentre particulièrement sur les éléments paratextuels hérités de la version dramatique (en particulier le discours didascalique) et sur les formes de présentation du dire dont la complexité et l’imbrication dans une structure narrative déjà elle-même fort complexe contribue directement à la mise à l’épreuve du lecteur.

Epilogue

Le recueil s’achève, à partir d’une lecture littéraire du texte, sur une étude approfondie du contexte global, en particulier idéologique, de production de l’œuvre. Pour Sophie Lorrain en effet, « le marxisme a eu pour enjeu philosophique de penser l’instauration d’un lien entre les individus qui soit à la fois la condition de leur libération et le fondement d’une société nouvelle établie sur un contrat social qui mette en pratique les trois principes de la Révolution française, la liberté, l’égalité et la fraternité ». Mais si les dirigeants de RDA se sont réclamés de la théorie « scientifique » du marxisme-léninisme pour asseoir leur légitimité et justifier d’une pratique qui s’est cependant progressivement éloignée de cette théorie, la référence au marxisme devient une rhétorique dogmatique aveugle aux contradictions dont les termes et les expressions figés construisaient « une fiction pseudo-harmonieuse entre le collectif et l’individu ». A travers son étude des relations de travail et d’amour telles qu’elles apparaissent et se déclinent dans le roman de Braun (travail au passé et au présent, inversion des rôles, personnage de l’ami, invasion du politique par l’érotique), S. Lorrain s’interroge sur ce qui fait le ‘nous’, ce qui littéralement fait le lien entre les membres d’une même société. Elle montre comment l’écrivain Volker Braun, qui se définit lui-même comme un Freischaffender tente de reconstruire le je / jeu des possibles, et elle met en lumière le rôle joué par le trait d’union entre Hinze et Kunze : ce trait qui peut d’ailleurs disparaître au détour d’une page… et se réinstaller à la page suivante ou laisser la place à un ‘et’… A la collectivité forcenée du ‘nous’ socialiste, le poète répond par le ‘je’ / jeu de la personne libre.

Remerciements

Les directeurs de publication tiennent à remercier toutes les institutions qui, par leur soutien financier et logistique, ont rendu possible l’organisation de cette journée et la publication rapide des présents actes : l’IUFM de Franche-Comté, l’IUFM de Bourgogne, l’Université de Franche-Comté à travers son département d’allemand et le laboratoire Histoire et littérature des pays de langues européennes (EA 3224) et l’Université de Bourgogne via le centre de recherche interlangues Texte Image Langage (EA 4182). Nos remerciements s’adressent par ailleurs à nos collègues les Professeures Sylvie Crinquand et Agnès Collier-Alexandre, respectivement directrice de l’EA 4182 et directrice de la collection Individu et Nation pour avoir accepté ce volume qui a le privilège d’inaugurer les publications électroniques de l’équipe dijonnaise. Il nous reste à exprimer notre reconnaissance à Hédi Maazzaoui, assistant-ingénieur à la Maison des Sciences de l’Homme de Dijon, pour son assistance précieuse lors de la préparation de la mise en ligne et pour sa patience eu égard à nos nombreuses sollicitations.

Notes

1 Mais aussi, par delà, à tous les chercheurs intéressés par Volker Braun, la littérature de l’ex-RDA ou encore l’approche linguistique et stylistique du texte littéraire. Retour au texte

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Référence électronique

Laurent Gautier et Richard Parisot, « Introduction », Individu & nation [En ligne], vol. 1 | 2008, . URL : http://preo.u-bourgogne.fr/individuetnation/index.php?id=76

Auteurs

Laurent Gautier

Centre Interlangues « Texte Image Langage » (EA 4182), Université de Bourgogne, UFR des Langues & Communication, 2 boulevard Gabriel, F-21000 Dijon – laurent.gautier [at] u-bourgogne.fr

Richard Parisot

Histoire et littérature des pays de langues européennes (EA 3224), Université de Franche-Comté, UFR SLHS, 30 rue Mégevand, F-25000 Besançon – rparisot [at] club-internet.fr

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