Alexandre Courban, Gabriel Péri. Un homme politique, un député, un journaliste, Paris, La Dispute, 2011.

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Communisme, Intellectuels

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Alexandre Courban livre ici la première biographie universitaire de Gabriel Péri, militant socialiste puis communiste, journaliste et responsable de la rubrique internationale de L’Humanité, député, fusillé par les nazis au Mont Valérien en 1941. Pour le mouvement communiste dans la seconde moitié du XXᵉ siècle, Péri constitua dès lors une figure majeure, fût-ce d’une manière discontinue, et dont l’image fut l’objet de fréquentes retouches. Au lendemain de sa mort, Aragon lui consacre deux poèmes, l’associant au souvenir de Guy Môquet dans La Rose et le réséda (1942), avant de composer La Ballade de celui qui chanta dans les supplices (1943). De l’icône au monument, il n’est qu’un pas que franchit en 1957 Elsa Triolet dans Le Monument. La mémoire de Péri n’envahit pas que l’espace urbain par la titulature des rues et des collèges des communes et des villes « rouges » : c’est aussi le nom de la fondation politique proche du PCF, créée en 2003, souhaitée et dirigée par Robert Hue. C’est enfin un symbole : lors d’une élection à Argenteuil, « sur les affiches du candidat Hue, les « durs » du cercle Gabriel Péri viennent coller une petite faucille et un marteau pour signifier leur opposition à la ligne d’ouverture et de mutation du secrétaire national du PCF »  (p. 195). On mesure là tout l’enjeu d’une biographie qui ne succomberait pas au mythe, mais décrypterait ses fréquentes réévaluations et ses usages contemporains, dans leur contexte.

S’il lui consacre son dernier chapitre, Alexandre Courban retient peu dans son étude la mémoire de Gabriel Péri dans la composition de la biographie. Le fil d’une vie se déroule là, à plat, en 6 chapitres, nous menant de Marseille jusqu’au Mont Valérien. Une vie militante, une vie en communisme qui permet de suivre une trajectoire brisée par la guerre. Tôt secrétaire des Jeunesses communistes de Marseille, il en est rapidement l’un des dirigeant nationaux avant de devenir délégué régional du PC, puis journaliste à L’Humanité (1924-1929).  « À sa façon, Gabriel Péri est l’un des acteurs de la profonde mutation du parti communiste, réorganisé sur le modèle du Parti communiste bolchevik » (p. 49), ces années-là. À sa façon ? Le chapitre qui suit, « les tribulations d’un communiste », dit implicitement, sinon un écart, du moins une forme de disgrâce pour Péri, avant que le Front populaire ne le consacre député. Si la ligne antifasciste lui convient, en revanche, après le pacte Molotov-Ribbentrop, à lire Alexandre Courban entre les lignes, l’on sent Gabriel Péri peu convaincu de la nouvelle tournure de la ligne communiste. Son arrestation, puis son exécution, ouvrent bientôt la voie à la célébration d’une icône.

Le lecteur reste pourtant souvent sur sa faim. Refusant une mise en écriture construite par la mémoire de Péri et les représentations qu’elle implique, un choix assumé par exemple par Stéphane Sirot pour sa biographie de Maurice Thorez en 2000 (Presses de Sciences Po), l’auteur choisit un cadre biographique trop étroitement borduré où s’aperçoit le militant, peu l’homme. Trop souvent les explications sont elliptiques. Ainsi de ses rapports compliqués avec André Marty, son beau-frère : l’hypothèse d’une brouille liée à leurs épouses, et le côté séducteur de Péri, ne sauraient à eux seuls expliquer une mésentente qui semble aussi de nature politique. Le Péri d’Alexandre Courban manque là d’une épaisseur contextuelle qui ne serait pas seulement celle donnée par la confrontation de l’auteur à l’historiographie du communisme, mais aussi celle d’une histoire sociale et politique approfondie (ainsi de Marseille au sortir de la Grande Guerre) ou d’une histoire culturelle du politique plus affirmée dans l’examen de son rôle à L’Humanité : militant et journaliste, journaliste militant ?

« Rien n’est si mort qu’un mort » écrit Guillevic à la mémoire de Gabriel Péri. Si cette biographie ne le ressuscite pas, elle rend compte à sa manière d’un parcours en communisme. Dommage qu’elle élude trop souvent ce que la mémoire saturée de significations et de non-dits de Péri révèle du mouvement communiste sur le siècle. Les documents reproduits en fin de volume – des textes de Péri, les poèmes qui l’évoquent – l’appellent davantage.

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Vincent Chambarlhac, « Alexandre Courban, Gabriel Péri. Un homme politique, un député, un journaliste, Paris, La Dispute, 2011. », Dissidences [En ligne], Février 2012, Littérature scientifique, publié le 02 février 2012 et consulté le 29 mars 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=728

Auteur

Vincent Chambarlhac

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