Karl Laske et Laurent Valdiguié, Le vrai Canard , Paris, Stock, 2008, 490 p.

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S'appuyant largement sur la thèse de Laurent Martin (rééditée récemment chez Flammarion), les auteurs, journalistes à Libération et à Paris-Match , nous donnent une étude précise et vivante de cette véritable institution qu'est Le Canard enchaîné . Créé en 1915, d'où l'adjectif « enchaîné », pour dénoncer la censure, le journal ne s'est interrompu que du 5 juin 1940 au 6 septembre 1944. Les auteurs se sont surtout intéressés aux 40 dernières années, rassemblées en 3 parties aux titres suggestifs : 1970-81, le journal qui s'engage ; 1981-95, le journal qui s'enchaîne ; 1996-2008, Chirac tête de turc.

Sous la direction de Claude Angeli, ancien militant du PC dont il a été permanent pendant 7 ans, Le Canard enchaîné des années 70 ne se contente pas seulement de pousser des cris, il va « braquer le projecteur sur le festin des rongeurs » (Jean Egen, p.73). Dans cette entreprise de démolition du pouvoir gaulliste et surtout giscardien, Angeli sera aidé par Claude-Marie Vadrot, venu de Politique Hebdo , Nicolas Brimo venu de L'Unité (hebdo du PS) et surtout Georges Marion, un ancien de Rouge . Ni les ministres (par exemple Robert Boulin, accusé d'avoir facilité une opération immobilière à Ramatuelle), ni le Président de la République Giscard d'Estaing (c'est le Canard qui soulève le scandale des diamants offerts à Giscard par Bokassa le dictateur de Centrafrique) ne sont épargnés. Mais quand Henri Deligny, plutôt antimilitariste et anarchiste, s'apprête à dénoncer une pollution des eaux de Vittel, Angeli l'en empêche, sur demande des avocats de la Société des Eaux de Vittel, R. Badinter et J.-D. Bredin, eux-mêmes liés à Roland Dumas, avocat du Canard. Ce mutisme, dès que les hommes du pouvoir socialiste risquent d'être éclaboussés, sera constant dans la décennie 80 et après. Marion, qui tenait le scoop pour l'affaire des Irlandais de Vincennes (1983) comme pour Greenpeace (1985), se verra contraint de le donner à son ami Plenel, pour publication dans Le Monde , journal qu'il rejoindra vite. Plus grave, le silence assourdissant sur l'affaire Papon comme sur l'affaire Bousquet, le journal s'alignant sur l'attitude de François Mitterrand qui « ne voulait pas rouvrir de vieilles blessures ». Cette attitude surprenante vis-à-vis de la Collaboration s'expliquerait par l'histoire, beaucoup des anciens journalistes du Canard s'étant dispersés, à sa disparition en juin 40, dans la presse parisienne collaboratrice : « Le Canard a couvé plus de collaborateurs que de héros » ! Et dans les années 50, un certain nombre d'entre eux sont revenus au Canard, Morvan Lebesque, le plus connu, ou Moisan, le dessinateur.

Ceci n'a pas empêché le succès du Canard, qui passe de 100.000 exemplaires en 1953 à près de 500.000 aujourd'hui, ses journalistes étant les mieux payés de la presse parisienne, selon un système opaque, où les primes annuelles (hiérarchisées de 1 à 10) jouent un rôle important. Les auteurs consacrent des pages intéressantes (p.379 et sq.), à un fonctionnement que la direction du journal n'aime pas qu'on dissèque. Une étudiante, Micheline Mehanna, qui menait une étude au journal, en a fait les frais. Le rédacteur en chef n'hésita pas à écrire à son directeur de recherche, Philippe Braud (Université de Paris I) pour qu'elle cesse ses recherches. Manifestement il avait peur que l'étudiante fasse apparaître un milieu sexiste (une seule journaliste femme sur 50 !), hiérarchisé, peu chaleureux. Elle ira malgré tout jusqu'au DEA mais abandonnera l'idée de thèse.

Un journal donc qui a perdu son caractère initial, son insolence, sa dérision, ses cris d'humeur : « Il boitille sérieusement à l'approche de son centenaire, en 2015. L'investigation avait mis à mal sa force satirique, la politique a affaibli ses capacités d'investigation » (p.486). Car les auteurs sont très pessimistes pour l'avenir immédiat, Le Canard semblant avoir de nouveau des liens étroits avec la Présidence de la République  !

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« Karl Laske et Laurent Valdiguié, Le vrai Canard , Paris, Stock, 2008, 490 p. », Dissidences [En ligne], Politique et société en France, publié le 06 décembre 2012 et consulté le 28 mars 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=566