Du « quartier » au « champagne » : pluralité et emboîtement des échelles de lieux en Champagne (1650-1820)

DOI : 10.58335/crescentis.267

Plan

Texte

De nos jours, le vignoble de Champagne entretient un rapport au lieu pour le moins ambiguë. Depuis le XVIIIème siècle y a émergé le vin mousseux, porteur d’une logique de déterritorialisation. Dès la fin des années 1770, les propriétaires de vignes forains de Pierry déclarent dans une procédure judiciaire qu’« il y aurait impossibilité physique de leur part de payer leur dîme en vin du cru de Pierry, parce que mélangeant leurs raisins de différents crus pour la perfection de leurs vins, ils ne sont pas dans le fait ni du cru de Pierry, ni d’un autre cru particulier »1. Le « champagne mousseux » est déjà à ce moment un produit générique, un vin d’assemblage sans cru, et cette logique ne semble heurter personne, sauf les décimateurs. Aujourd’hui, les crus sont sans doute encore plus minorés face à l’appellation globale. Le champagne est un vin d’assemblage, et il est possible de mélanger les crus et les années. En 1974, Hérard, président d’une confrérie auboise, déclarait d’ailleurs que le « bon champagne n’est plus un critère de région, mais de fabrication », alors que Sandrin, maire de Celles-sur-Ource, avait déclaré dix ans auparavant, pour défendre le classement de sa commune, que « ce n’est un secret pour personne que le champagne n’est pas un vin naturel. Pour le bien faire, il faut d’abord le bien manipuler » (Framery 2010, p. 248-249). Derrière l’absence de vin naturel, il y a l’absence de lieu.

Il convient ici de s’interroger sur l’usage des lieux par les acteurs, durant la phase d’émergence des vins mousseux. D’un point de vue général, il faut rappeler que les lieux n’ont pas la même signification pour les producteurs et pour les buveurs. Les producteurs, d’abord, évoluent logiquement dans un système local de lieu. Les parcelles, les quartiers, la proximité des chemins, l’éloignement des villages, des cuves et des pressoirs constituent leur univers quotidien. Ces lieux ont un nom, des caractéristiques, sont associés à un vécu. Pour les consommateurs ensuite, le cru est une sorte de label permettant de garantir une origine et une qualité constante2. Il peut aussi contenir une force de distinction, indépendamment du plaisir gustatif recherché, renvoyant cette fois à un imaginaire social. Entre les deux enfin, les marchands servent de relais, devant maîtriser une connaissance minimale des lieux, mais cherchant aussi à comprendre les attentes des acheteurs. Dans certains cas, il leur est avantageux aussi de jouer sur les lieux, et de vendre un vin pour un autre.

Nous allons étudier trois rapports au lieu qui coexistent dans les années 1700-1820. Nous verrons d’abord que l’échelle des « villages-crus » structure le vignoble, à l’intérieur comme à l’extérieur, en étant le cœur du système d’identification des vins. Nous aborderons ensuite le rôle des « infra-lieux » que sont les quartiers, constituant une échelle de référence pour les producteurs, et parfois pour les consommateurs. Enfin, nous étudierons l’impact des vins « apatrides » en bouteilles, dont l’acceptation par le consommateur s’est faite sans aucune difficulté ni manipulation de la part des négociants, même si la logique des lieux est difficile à évacuer totalement : buveurs et producteurs exigent une certaine traçabilité fondée sur des lieux.

Le système des lieux des vins en tonneaux : la hiérarchie des crus

Avant l’émergence des vins mousseux, les vins en tonneaux – rouges pour la plupart – étaient caractérisés par un système d’identification fondé sur les crus. Les crus réputés produire des « vins de Champagne » se limitaient aux vignobles de Reims et d’Epernay3. L’opposition entre ces deux sous-ensembles, volontiers appelés « Montagne » et « Rivière » constituait d’ailleurs un premier élément structurant du rapport au lieu. Ce binôme était même la principale mention d’identification géographique dans la littérature viticole jusqu’au XVIIème siècle. Le vin de Rivière était jugé plus fruité et moins fort, à boire avant l’été. Le vin de Montagne était réputé plus dur, à boire à partir du printemps4. Dans le détail, les appellations variaient un peu : vins de Reims pour les premiers, vins d’Ay ou de Marne pour les seconds5.

Mais à l’intérieur de ces ensembles, les noms de crus ont augmenté peu à peu. Ainsi, les auteurs du XVIème siècle ne citent presque pas de crus : aucun chez Estienne et Le Paulmier, à l’exception d’Ay ; trois seulement chez le médecin rémois La Framboisière (Ay, Verzenay, Avenay)6. L’amplitude s’accroît progressivement à partir des années 1670, avec trois crus chez L.S.R. (1674, p. 35), six chez Saint-Evremond (1701, p. 117 : trois pour la Montagne et trois pour la Rivière), neuf dans une lettre d’un médecin rémois de 1700 (Anonyme 1700, p. 9), encore six chez l’abbé Pluche en 1732 (Pluche 1735, vol. 2, p. 370), et même treize dans The Vineyard en 1727 (S. J. 1727, p. 40)7. L’inflation est nette dans la seconde moitié du XVIIIème siècle : seize crus dans le Patriote artésien de 1761 (Bellepierre de Neuve-Église 1761, p. 180-181), quinze dans le dictionnaire de commerce de Paganucci en 1762 (Paganucci 1762, vol. 3, p. 670), dix-huit dans la Parfaite intelligence du commerce en 1785, vingt-huit dans le Tableau général du commerce de 1790 (Gournay 1790, p. 184-185), et soixante-dix dans André Jullien (1816, p. 30-37). Ainsi, quelques crus « vedettes » s’imposent dans le public. On peut distinguer les crus devenus très connus comme Ay (13), Hautvillers (13), Pierry (13), Verzenay (11), Sillery (10) ; ceux connus comme Verzy, Chigny, Ludes, Mailly, Saint-Thierry, Rilly, Villers-Allerand, Taissy, Epernay, Bouzy, Avenay ; ceux qui, enfin, ne sont cités que dans Jullien ou Cavoleau. Ainsi, des pans entiers du vignoble sont dans un anonymat plus ou moins complet dans la littérature destinée aux amateurs éclairés. Le bassin de Reims est assez largement à l’écart de toute notoriété, de même que tout l’ouest de la ville (vallées de la Vesle et de l’Ardre ; périphéries de Saint-Thierry), et la côte située à l’est de Reims (mont de Berru). La vallée de la Marne est également contrastée : les crus des vallées affluentes sont tout simplement ignorés.

Il s’agit là de la littérature viticole destinée à un public d’amateurs. L’appropriation de ces noms de crus par un public plus large est difficile à mesurer. Les mentions de crus dans les documents commerciaux donnent une indication. Ainsi, dans les comptes de vins expédiés, les marchands indiquent très souvent les noms de crus, laissant penser que les vins étaient vendus sous un nom d’origine précis. Dans les quelques correspondances commerciales conservées, les acheteurs, pour une grande part des professionnels, font preuve d’une réelle connaissance des crus. Dans les lettres reçues par madame Buiron de 1759 à 1770, les crus sont identifiés dans 428 cas sur 678, avec un total de 14 crus, laissant tout de même dans l’anonymat, là encore, 250 pièces de vin, sans doute vendues sous une appellation générique sans référence à un cru. Mieux, certains acheteurs paraissent capables d’identifier les crus au goût. En mai 1771, Desprets de Wylder dénonce auprès de madame Willerme du vin « absolument défectueux pour du Verzenay »8. A Cambrai dans les années 1760, le chanoine Froment se fait véritable œnologue, distinguant les crus de Montbré, Cormontreuil plus légers d’un côté, de Rilly et de Verzenay plus corsés de l’autre9.

À l’échelle du vignoble, nous pouvons identifier un véritable « effet cru » se traduisant dans trois domaines principaux. Les prix des vins tout d’abord reflètent largement la notoriété différenciée des crus que nous avons relevée plus haut. Un premier relevé de 1699 permet d’observer les contrastes dans le vignoble de Reims (Laurent 1930, p. 209)10. Alors que les crus périphériques se situent autour de 20 livres par hectolitre, la petite Montagne et Saint-Thierry vendent autour de 30 à 40 livres, et la Montagne de Reims vend environ un tiers plus cher encore. Près d’un siècle après, le Maximum fournit une photographie des prix en 1790. L’adéquation avec des réputations encore plus différenciées est sans surprise. Alors que les crus les plus réputés dépassent les 75 livres par hectolitre (et même plus de 100 livres les plus chers), les bons crus vont de 55 à 75 livres, les communs de 35 à 55 livres, et les anonymes de la littérature viticole descendent sous les 35 livres. On observe logiquement les mêmes noyaux favorisés : la Montagne de Reims et secondairement Saint-Thierry, puis Ay et ses environs. Dans les années 1820, le rapport publié par Cavoleau confirme cette hiérarchie, certes un peu compliquée par le dualisme vin rouge / vin blanc (Cavoleau 1827, p. 197-206). Globalement, la hiérarchie et les échelles de prix y sont toujours mêmes : de 100 à 200 francs par hectolitre au cœur du vignoble (Montagne, Epernay, Ay). A l’inverse, les crus anonymes de la vallée de la Marne et des périphéries rémoises passent sous le seuil de 40 francs.

La répartition de la propriété foraine privilégie assez nettement les crus réputés. La carte (Figure 1) de la propriété rémoise en 1762 est assez nette11. Certes, la proximité de Reims reste une valeur sûre pour les crus peu réputés. Ainsi, le bassin de Reims est colonisé par les propriétaires rémois. Mais les monts entourant Reims offrent un cas intéressant. Les grandes superficies des crus de l’ouest rémois sont délaissées, de même que le mont de Brimont et le mont de Berru, presque désertés. Quoique éloignée de près de 20 kilomètres, la grande Montagne reste un vignoble attractif. Les Rémois y emportent entre 15 et 30 % des superficies. La vente des biens nationaux dans le vignoble d’Epernay traduit à peu près la même réalité (Musset 2008, p. 571). Les superficies des privilégiés sont maximales à Hautvillers, Epernay, Pierry, où les forains possèdent même 30 % des vignes.

Figure 1 : Propriété et crus dans le vignoble de Reims en 1762

 Figure 1 : Propriété et crus dans le vignoble de Reims en 1762

Cependant, le cru est complété par d’autres paramètres. Il existe une différence entre les vins de vignerons et de bourgeois. De toute évidence, les vins provenant des deux groupes d’acteurs ne sont pas les mêmes. La littérature viticole comme les inventaires après décès ou les comptes d’exploitations montrent que les techniques de culture divergent profondément, au point que l’on peut identifier une véritable viticulture « low cost » chez les vignerons (Musset 2014b). Malgré ses excès, le tableau de Bidet en 1759 peut être repris : taille plus longue chez les vignerons, désherbages et effeuillages moins rigoureux, densité des ceps très supérieure à cause d’un provignage intensif. De même, la vinification ne se déroule pas dans les mêmes conditions. Chez les vignerons, le matériel vinaire est très limité : pas de pressoir, de mauvaises cuves, quelques entonnoirs. A l’inverse, les bourgeois disposent d’un matériel varié et sain, mais aussi de colle de poisson pour les collages, des fontaines à soutirer, des pompes, des boyaux, des bassins. Les temps de cuvaison et le pressurage sont également mieux maîtrisés (Musset 2015).

Aussi les deux types de vin sont soigneusement distingués dans chaque cru. Dans ses lettres des années 1720-1740, Philippe Bertin du Rocheret donne l’éventail des prix par cru, doublé des deux qualités, bourgeois et vigneron. En général, les bourgeois vendent deux à trois plus cher que les vignerons, et même cinq à dix fois pour les « têtes de cuvées » des religieux d’Hautvillers ou de Pierry12. Au-delà du lieu, la qualité du propriétaire vient ajouter une garantie d’origine et surtout de qualité supplémentaire jouant, à l’image du lieu, une fonction de « label » pour le consommateur parisien dans un marché toujours incertain et géographiquement éloigné.

La réalité discrète des quartiers

À un second niveau, le vignoble est une marqueterie de quartiers, qui sont des morceaux de finage identifiés par un nom. Les quartiers sont donc pleinement comparables aux climats de Bourgogne13. La plupart de ces quartiers mesurent en effet moins de 10 arpents, soit 4 à 5 hectares. Sur les cadastres des années 1820, dans la région d’Epernay, nous les voyons isolés principalement par des chemins, mais pas toujours, certains n’étant séparés par aucune frontière matérielle apparente.

La plupart de ces noms de quartiers renvoient à des espaces vécus. Quelques uns font référence à un propriétaire actuel ou passé. Le clos Sainte-Hélène à Cumières, par exemple, appartient avant la Révolution aux religieux de Saint-Pierre d’Hautvillers, qui possèdent des reliques de la sainte. S’il a peut-être été clos de murs ou de buissons à un moment donné, il est au xviiie siècle un quartier parfaitement ouvert. Le clos Saint-Pierre à Pierry se trouve presque en face de la maison appartenant à l’abbaye Saint-Pierre-aux-Monts de Châlons. Il existe aussi à Hautvillers un clos du même nom proche de l’abbaye Saint-Pierre. Nous recensons encore dans le cadastre la cure à Hautvillers, le clos l’abbé à Epernay. Quant au grand nombre de patronymes, telle la cave Thomas à Hautvillers, il nous est difficile de les identifier. Nous pouvons encore placer les noms renvoyant aux conditions de travail, comme le Brise Pot (Chouilly, Ay), Brise Bêche que l’on rencontre dans toute la vallée de la Marne, ou la Côte à bras. Le passage des animaux – souvent prédateurs des vignes – se traduit par la Ruelle aux Vaches sur le chemin de la forêt à Hautvillers, la Voie aux Vaches à Epernay, Ay (tous les deux à la sortie de la ville), ou les Chèvres à Cumières (Figure 2).

Figure 2 : Toponymes d’Epernay d’après les plans cadastraux, 1827 (partie ouest et sud-est viticoles)

 Figure 2 : Toponymes d’Epernay d’après les plans cadastraux, 1827 (partie ouest et sud-est viticoles)

D’autres noms renvoient aux caractéristiques physiques. La terre arrive en tête avec, par exemple, les Terres Rouges (Epernay, Hautvillers), les Rouges Chausses (Champillon), les Sablons et les Sablonnières (Hautvillers), les Crayères (presque chaque village possède ce toponyme), le Rocheret (Epernay, Pierry, Chouilly). Le relief est assez fréquent, comme le Mont Héry, le Mont Bernon à Epernay, la Montagne à Cumières. Enfin, l’exposition apparaît parfois mauvaise avec le Froid Cul (Hautvillers), les Froides Terres (à Epernay, à Champillon), les Mal Tournées (Hautvillers) ou encore le Renvers du Midi (Champillon), ou parfois bonne comme avec les très fréquentes Gouttes d’Or (Epernay, Chouilly, Cramant), le Chalmont (bien nommé à Cumières où il est exposé plein sud) ou le Cul Chaud (Chouilly, aussi plein sud).

De nombreux noms renvoient à une ancienne occupation du sol. L’extension importante des vignes au XVIIIème siècle (de l’ordre de 30 à 50 %) a sans aucun doute multiplié les décalages toponymiques : le Champ Froment (Ay), les Buissons, les Plantes et les Essarts (en limite de forêt à Hautvillers), le Noyer de l’Orme (Hautvillers), la Garenne (Hautvillers), le Pommier, le Chêne (Epernay). À ces noms palimpsestes, on peut aisément joindre ceux renvoyant à une croix, une borne ou un bâtiment, souvent disparu : la Blanche Borne à Hautvillers, la Maladerie, la Croix Cramant (Chouilly), ou encore le Donjon et les Pendus (l’actuelle avenue de Champagne…).

Même si les spécialistes de microtoponymie mettent en évidence de nombreux exemples de permanence des noms, il est important de souligner leur plasticité : certains disparaissent, remplacés par d’autres. Nous pouvons ainsi suivre le cas de Champillon, en comparant le rôle des années 1650 avec le cadastre 182014. Le premier document mentionne 27 quartiers de vigne, et le second 24. Seulement 12 quartiers sont communs aux deux listes (44 %). Dans l’ensemble, des noms propres ont remplacé des noms plus imagés. Ont disparu la Folie, la Brousse, le Paradis, la Franquette, le Beauchamp, le Bas et Haut Moulin. Sont apparus le Chalivet, la Doriotte, le Clos Saint-Thierry, les Olivas, le Trou Gosset. Le nouveau Renvers du Midi est peut-être une mutation du Malassis des années 1650. En revanche, les fameuses Gouttes d’Or n’existaient pas vers 1650.

La hiérarchie des quartiers est une évidence dans la littérature viticole champenoise. En 1759, son principal auteur, Nicolas Bidet, expose les critères de qualité d’un bon terrain à vigne, postulant que « le grain de terre coopère plus que toutes autres choses » à la qualité du vin (Bidet 1759, tome 2, p. 16). Il privilégie d’abord la composition de la terre, affirmant que « chaque vignoble a un grain de terre qui lui est propre : souvent même chaque canton d’un même terroir, et chaque pièce de vigne a une qualité différente » (Bidet 1759, tome 1, p. 110). Selon lui, les meilleures terres contiennent de la craie ou des silex. Il recommande aussi les terres un peu sablonneuses, permettant de réfléchir les rayons du soleil. A l’inverse, il rejette les terres trop lourdes, comme les bas de versant. Les autres facteurs sont chez lui auxiliaires. Il accorde une importance modérée à l’exposition, puisque « l’expérience nous fait voir que dans des terroirs qui ont la même exposition on y recueille des vins très différents en bonté » (Bidet 1759, tome 1, p. 131). De manière classique pour un auteur du milieu du XVIIIème siècle, il attache une grande importance au vent et à la circulation de l’air, qui nettoie les raisins (chassant en particulier l’humidité) et nourrit la vigne en « sels végétatifs ». Il n’ajoute qu’en dernier lieu la qualité des ceps, défendant la primauté du pinot noir sur tous les autres (Bidet 1759, tome 1, p. 85.).

Dans la pratique, les propriétaires ont un choix plus ou moins grand des quartiers. Mais une véritable ségrégation sociale des quartiers existe dans le vignoble. Les grands propriétaires – 3 à 10 hectares à l’échelle de la Champagne – sont de véritables collectionneurs de parcelles dans des quartiers variés (Figure 3). À partir de la comparaison d’une poignée d’exploitations, trois critères apparaissent dans la localisation des quartiers où ils possèdent des vignes15. Alors que Bidet les déconseillait, les bas de versant ont la préférence des propriétaires bourgeois. Leurs avantages agronomiques sont certains. La terre y tombe régulièrement, limitant les travaux de terrage très longs et coûteux. Il est possible d’y mettre moins d’engrais et la taille courte y donne de meilleurs résultats. Ensuite, la proximité des chemins est valorisée. Il est certain que pour faire du vin gris, l’évacuation rapide des raisins vers les pressoirs est un atout indispensable. Ces constats recoupent finalement les affirmations de Bidet qui évoque dans son traité les vignes doublement hautes des vignerons : elles sont situées d’une part sur les terrains les plus élevés, et elles sont taillées plus longues16.

Figure 3 : Parcelles de Geoffroy de Vandières au sud d’Epernay, 1772 (fond de carte mi-XIXème siècle)

 Figure 3 : Parcelles de Geoffroy de Vandières au sud d’Epernay, 1772 (fond de carte mi-XIXème siècle)

Dans la tradition champenoise, les grands propriétaires – Dom Pérignon en tête – auraient pratiqué des assemblages savants entre les raisins ou les vins des quartiers. Or, dans les faits, les vins de Champagne sont bien des « vins de quartiers », du moins avant leur mise en bouteilles. Le cas de Geoffroy de Vandières, connu grâce à son carnet de vendanges couvrant les années 1750-1780, montre que les vins étaient géographiquement très homogènes17. Anobli en 1737, propriétaire d’une quinzaine d’hectares de vignes réparties en au moins 81 parcelles à Cumières, Hautvillers et Dizy d’une part, Epernay, Pierry, Vinay, Moussy et Saint-Martin d’Ablois d’autre part, Geoffroy de Vandières dirigeait en personne son exploitation lors des vendanges. On le voit suivre des plans de cuvées très stables, ne regroupant que des quartiers voisins, mais en aucun cas des crus différents. En 1772, nous relevons les cuvées suivantes : cuvée CB (24 pièces des Crayons de Moussy), cuvée AB / BC (17 et 24 pièces des Crayons de Moussy et Vinay), cuvée CA (24 pièces de Vinay), cuvée BCD (2e choix des Crayères de St-Martin, Vinay et Moussy), cuvée CP (14 pièces de Pierry), et cuvée C St-JV (7 pièces 1 caque du Clos-Saint-Pierre). La structure de son exploitation est finalement loin d’être anarchique. Les quartiers sont alignés à une altitude semblable, permettant des itinéraires cohérents. De plus, la proximité des chemins assure une arrivée rapide au pressoir. Seuls les raisins non mûrs (les « maumurs ») et regrappés (ceux arrivés à maturité après le début des vendanges) sont mélangés sans plan d’ensemble. Ainsi, les vins de Champagne sont des vins de quartiers plutôt que de crus. Techniquement, les cuvées sont issues de quartiers bien délimités.

Les quartiers sont assez méconnus du grand public, mais pas totalement. Le clos de Saint-Thierry, situé en contrebas de l’abbaye, a en effet acquis une certaine notoriété. Il est cité pour la première fois en 1700 dans la lettre d’un médecin rémois dans la défense des vins de Champagne face à ceux de Bourgogne, évoquant Saint-Thierry et la « montagne d’Or que le Soleil ne perd point de vue » (Anonyme 1700, p. 10). Il l’est encore par Bidet en 1759. Il est alors réputé – localement – comme égalant la Bourgogne. Il y ajoute le clos de Chenay, le « clos de Brimont dit l’Hermitage » (possédé alors par la famille Ruinart), et quelques cantons de Marzilly (Bidet 1759, p. 258). On retrouve une dernière fois le clos de Saint-Thierry chez Jullien, qui « produit des vins qui réunissent la couleur et le bouquet des vins de Haute Bourgogne à la légèreté des vins de Champagne » (Jullien 1816, p. 28-34). La Côte à Bras entre Cumières et Hautvillers fait quant à elle une apparition furtive dans le rapport publié par Cavoleau en 1827, qui affirme que « le lieu dit la Côte à bras est en réputation » (Cavoleau 1827, p. 199). Il en est de même pour le Closet à Epernay, signalé par André Jullien en 1816, mais absent du rapport de Cavoleau en 1827 (Jullien 1816, p. 32). La divergence avec la Bourgogne est donc surtout dans la publicité des quartiers. Alors que certains climats commencent à être identifiés dans le public dès les années 1720, les quartiers champenois laissent assez indifférents18.

Le lieu caché ? Les vins en bouteilles

La raison principale de l’effacement du lieu provient de la pratique des assemblages dans la fabrication des vins blancs en bouteilles, attestée à partir des années 1680-1700, et dont les expéditions apparaissent dans le Contrôle des Actes d’Epernay en 1708. Toutes les bouteilles ne contiennent pas au départ des vins mousseux, mais peu à peu, ceux-ci imposent un nouveau rapport au lieu.

C’est pendant la vinification en blanc que des mélanges sont réalisés par les grands producteurs. En 1718, Godinot n’en dit rien. Par contre, dans les années 1740, le frère Pierre affirme que les vins « sont formés par le mélange des cantons les plus fins de chaque espèce de terrain ». Selon lui, les vins trop chauds issus d’une terre pierreuse doivent être corrigés par un tiers de vin de terrain crayeux, et un quart de vin d’une terre plus grasse. Conscient des difficultés pratiques, il ajoute qu’« il y a beaucoup de personnes qui ne peuvent pas observer ces proportions par le manque de la quantité nécessaire dans l’une et dans l’autre espèce de ces différents terrains » (Pierre 1931, p. 19). Notons que les foudres, tonneaux pouvant contenir de 30 à 100 hectolitres de vin, outils emblématiques de ces assemblages au XIXème siècle, apparaissent seulement dans les années 1800. En 1786, le cellier du négociant Sutaine-Bouron à Dizy n’en présente aucun, pas plus que l’abbaye d’Hautvillers en 179019. Le premier foudre est cité dans un inventaire en 1807 à Ay20.

Une sorte d’assemblage classique apparaît dans les années 1790-1800. Alors que les ventes passent de 500 000 à 2 500 000 bouteilles en 15 ans, de plus en plus de crus entrent dans les assemblages pour soutenir cette expansion. Les négociants achètent des vins pour les mélanger, n’ayant pas les assises foncières pour produire eux-mêmes les raisins. Aussi la littérature viticole promeut un assemblage classique. Le rapport publié par Cavoleau en 1827 oppose l’assemblage classique des anciens, soit « le vin de Champagne par excellence » contenant un tiers d’Ay, de Pierry et de Cramant, aux assemblages de plus en plus courants qui, sur une base de vin d’Ay, ajoutent des vins de Cramant, d’Avize, d’Oger ou du Mesnil-sur-Oger, c’est-à-dire de la Côte des Blancs. L’auteur note néanmoins que « cela dépend des pays sur lesquels on est dans l’habitude d’expédier. Envoyer à Francfort le vin qui plaît à Paris serait s’exposer à le voir rester pour le compte de l’expéditeur » (Cavoleau 1827, p. 219). Les négociants ajoutent encore une liqueur de tirage, compliquant encore les choses du point de vue de l’identification géographique. Les bouteilles sont vidées d’une partie de leur contenu, remplacé par du vin plus ou moins sucré en fonction de la destination. Jean-Remy Moët remplace par exemple entre 4 et 10 % du volume initial (Musset 2008, p. 607).

Les comptes des négociants montrent la pratique généralisée de ces assemblages, jointe à une grande souplesse en fonction des années. Chez Moët, en l’absence de carnet d’assemblage, l’origine des vins blancs achetés permet d’observer indirectement les assemblages sans grande marge d’erreur. La Côte des Blancs fournit ainsi plus d’un tiers des vins, suivie par Ay puis Epernay. Les assemblages de la maison Clicquot sont assez semblables21. En 1802, on recense 39 % de vins d’Ay, pour 11 % d’Hautvillers et 50 % de Côte des Blancs. En 1807, on passe à 17 % d’Ay, 32 % d’Epernay, 10 % de Pierry et 33 % pour la Côte des Blancs. En 1818 encore, on compte 11 % de vins d’Ay pour 12 % de Pierry, 23 % de Côte des Blancs, 10 % de Sillery et 25 % de vins vieux non identifiés. Quatre éléments peuvent être distingués. Les assemblages sont d’abord assez opportunistes, en fonction des années. Une sorte d’équilibre apparaît ensuite, avec le socle Ay / Pierry et Epernay / Côte des Blancs. La Montagne de Reims commence à apporter des vins, réputés plus fruités mais moins aptes à la mousse. Enfin, des vins vieux permettent de corriger les caractéristiques de certaines années22.

Dans ces conditions, on comprend pourquoi les vins en bouteilles sont vendus sans nom de cru. Les bouteilles sont vendues comme « champagne », sans que les consommateurs n’y voient aucune tromperie. L’identité géographique « champagne » suffit pour l’acheteur à garantir la qualité des vins. Dès les années 1720-1740, Bertin du Rocheret tait l’origine des vins en bouteilles, alors qu’il la précise toujours pour les tonneaux23. Chez Vanderveken en 1781-1789, alors que 14 % seulement des vins rouges en bouteilles n’ont pas de cru d’origine, 80 % des vins mousseux sont anonymes, les 20 % restants bénéficiant d’une appellation « d’Ay » très générique. Chez Moët de même, de 1791 à 1817, l’anonymat est la norme pour les vins mousseux. Pour les vins tranquilles, des noms de crus survivent : les crus sont identifiés dans 52 % des cas pour les rouges, et 43 % pour les blancs. Pour ces derniers, les comptes mentionnent même un producteur dans 41 % des cas. Par contre, parmi les vins mousseux, le cru n’existe presque pas, le taux d’anonymat allant de 93 % pour les blancs mousseux à 100 % pour les rosés mousseux.

En fait, le champagne mousseux est un produit générique. Au fond, ce genre d’information n’intéresse pas les clients. Pourtant, les ouvrages spécialisés comme ceux de Jullien ou Cavoleau ne cachent pas l’existence des assemblages, en décrivant les crus fournissant les vins blancs ensuite mélangés. Mais les clients n’ont pas d’exigence de provenance : le lieu autre que la région n’est pas un critère de « labellisation », d’autant plus qu’avant les années 1820, il n’existe que très peu d’autres vins effervescents.

Cependant, les noms de crus survivent pour les vins blancs tranquilles d’Ay et de Sillery. Mais eux-mêmes sont des appellations assez génériques. Chez Moët, 43 % des vins vendus sous le nom de Sillery proviennent, d’après les comptes, d’Ay24. En 1804, Moët donne à ce propos une étonnante leçon d’œnologie à Concannon, un officier irlandais en résidence surveillée à Verdun. Ce dernier a donné du vin de Sillery de 1794 à Moët pour lui demander son avis. Or, Moët en conteste le millésime et le cru, lui expliquant que « c’est tout justement du vin de Pierry, mêlé avec Ay qu’on a mis en bouteille à l’automne comme du vin de Sillery et qui est de l’année 1800 », avant d’ajouter que « je l’ai reconnu parce que je l’ai acheté dans le temps plusieurs milliers du même »25.

Conclusion

La Champagne des années 1700-1820 offre un éventail varié de rapport au lieu. Nous pouvons d’abord identifier un système hyper-localisé, à l’échelle des producteurs. Pour eux, tous les lieux ne se valent pas, loin de là. Les grands propriétaires choisissent leurs quartiers et leurs parcelles, et ceux-ci connaissent une hiérarchie de fait qui, si elle est rarement apparente dans les documents, devait faire l’objet d’un puissant discours oral dans le vignoble. Mais cette échelle de structuration du vignoble est rarement appréhendée par le public. Nous pouvons relever ensuite un solide système de crus-villages, l’échelle de référence pour les buveurs de vins rouges. La littérature viticole décrit toute une hiérarchie qui, cette fois-ci, est connue dans le public et qui structure le vignoble par un prix différencié des vins. Toutefois, le cru n’est pas un élément d’identification toujours suffisant, puisque les acheteurs se fient également au producteur. Nous pouvons observer enfin l’existence d’un système sans lieu ou presque – « champagne » suffit – pour les buveurs de vins mousseux, rendu possible par le fait que le champagne bénéficie d’une sorte de rente de situation : à ce moment de son histoire, le vin mousseux suffit à identifier le champagne.

Les confrontations entre acteurs de la filière produisent ces équilibres. Aujourd’hui en Champagne, c’est le lieu caché qui a toujours tendance à l’emporter, puisque officiellement, l’appellation est une et indivisible. Mais sur le terrain, crus et quartiers demeurent une échelle de référence pour les acteurs du vignoble. Cependant, ce rapport n’est pas immuable. Face aux exigences actuelles de traçabilité – une forme de certification concurrençant celle de la marque – et d’authenticité, des consommateurs exigent des vins mieux identifiés, et surtout mieux reliés à un lieu. Si les marques jouissant d’une grande notoriété ont une assise assez solide pour continuer de vendre des vins d’assemblage sans lieu, grâce à l’imaginaire qu’elles véhiculent, d’autres acteurs du vignoble valorisent les lieux dans des marchés de niche. Ainsi, des clos ont été construits de toutes pièces dans les années 1990 par quelques producteurs, et plus d’une vingtaine sont recensés dans les années 2010 – dont la plupart n’existaient pas dans le cadastre des années 1820. Des vignerons proposent même des vins mono-parcelles sensés refléter les caractéristiques uniques d’un terroir singulier. Il n’est pas impossible que la tendance à la « ré-identification » des produits dans notre société industrielle ne bouscule, à terme, l’équilibre actuel.

Bibliographie

Anonyme, s. d. [1700], Question agitée le 5e may de l’année 1700 aux écoles de médecine de Reims. Si le vin de Reims est plus agréable et plus sain que le vin de Bourgogne, Reims, Pottier, 12 p.

Bellepierre de Neuve-Église P., 1761, Le Patriote Artésien, Paris, Despilly et Le Clerc, 341 p.

Bidet N., 1759, Traité sur la nature et sur la culture de la vigne ; sur le vin, la façon de le faire et la manière de le bien gouverner, Paris, Savoye, 2 tomes.

Cavoleau J.-A., 1827, Œnologie française, Paris, Huzard, 436 p.

Combaud A., Cornuet J., Marre A., Pargny D., 2013, Géographie historique des vignobles de Rivière et de Montagne en Champagne, In : Demouy P., Morell M.-H. (dir.), De la vigne en Champagne au vin de Champagne. De l’âge du bronze à l’âge industriel, Dijon, EUD, p. 127-144.

Dumas F., 2007, Les potentialités viticoles à la lumière des dénominations toponymiques, CHVV, 7, p. 9-27.

Etienne M., 1994, Veuve Clicquot Ponsardin. Aux origines d’un grand vin de Champagne, Paris, Economica, 311 p.

Framboisière N. A. (de la), 1644, Œuvres, Lyon, chez Jean-Antoine Huguetan, 979 p.

Framery D., 2010, Le terroir du vin de Champagne : réalités naturelles ou représentations discriminantes entre vignoble et négoce, In : Pitte J.-R. (dir.), Le bon vin entre terroir, savoir-faire et savoir-boire. Actualités de la pensée de Roger Dion, Paris, Éditions du CNRS, p. 247-257.

Garcia J.-P., Labbé T., 2011, Le goût du lieu : la mise en place du discours sur la nature des sols comme référence du goût des vins en Bourgogne, CHVV, 11, p. 145-157.

Gournay B. C., 1790, Tableau général du commerce, des marchands, négocians, armateurs, Paris, chez l’auteur, 1182 p.

Jullien A., 1816, Topographie de tous les vignobles connus, contenant : leur position géographique, l'indication du genre et de la qualité des produits de chaque cru, les lieux où se font les chargements et le principal commerce de vin, le nom et la capacité des tonneaux et des mesures en usage, les moyens de transport ordinairement employés, suivie d'une classification générale de vins, Paris, l'Auteur, 1ère édition, 566 p.

Karpik L., 2009, Éléments de l’économie des singularités, In : Steiner P., Vatin F. (dir.), Traité de sociologie économique, Paris, PUF, p. 166-202.

L. S. R., 1674, L’Art de bien traiter, Paris, Léonard, 413 p.

Laurent G., 1930, Reims et la région rémoise à la veille de la Révolution, Reims, Matot-Braine, 311 p.

Musset B., 2008, Vignobles de Champagne et vins mousseux. Histoire d’un mariage de raison, 1650-1830, Paris, Éditions Fayard, 789 p.

Musset B., 2011, Les grandes exploitations viticoles de Champagne (1650-1830), Histoire & Sociétés Rurales, 35, p. 79-98.

Musset B., 2014a, Classer la qualité : la construction des classements vinicoles en France, des années 1700 aux années 1850, In : Lavaud S., Chevet J.-M., Hinnewinkel J.-C. (dir.), Vignes et vins. Les itinéraires de la qualité (Antiquité-XXIème siècle), Bordeaux, Éditions Vigne et Vin, p. 157-168.

Musset B., 2014b, Dynamiques et prospérité de la viticulture "low cost" dans la France du XVIIIe siècle, In : Bodinier B., Lachaud S., Marache C. (dir.), L’Univers du vin. Hommes, paysages et territoires. Actes du colloque de Bordeaux (4-5 octobre 2012), Caen, Association d’Histoire des Sociétés Rurales, p. 89-106.

Musset B., 2015, Les travaux pratiques d’un grand propriétaire : les vendanges de Geoffroy de Vandières dans la vallée de la Marne, 1748-1785, In : Figeac-Monthus M., Lachaud S. (dir.), La construction de la grande propriété viticole en France et en Europe XVIe-XXe siècles, Bordeaux, Éditions Féret, p. 123-133.

Paganucci J., 1762, Manuel historique, géographique et politique des négociants, ou encyclopédie portative de la théorie et de la pratique du commerce, Lyon, J.-M. Bruyset, 3 vol.

Pierre, 1931, Traité de la culture des vignes de Champagne situées à Hautvillers, Cumières, Ay, Epernay, Pierry et Vinay, Reims, Matot-Braine, 32 p.

Pluche N.-A., Le Spectacle de la Nature, Paris, veuve Estienne, 1732-1742, 9 vol.

S. J., 1727, The Vineyard, Londres, W. Mears, 192 p.

Saint-Evremont C., 1701, Œuvres mêlées de Mr. de Saint-Evremond, Amsterdam, chez Pierre Mortier, 5 vol.

Tamine M., 2002, Microtoponymie de la vigne en Champagne septentrionale (Ardennes, Marne), In : Tamine M. (dir.), La vigne et les vergers. Actes du Xe colloque d’onomastique, Reims, Presses Universitaires de Reims, p. 127-160.

Notes

1 Archives départementales de la Marne (désormais AD 51) Châlons, H 1189, « Contredits de production nouvelle faite par requête du 4 du présent mois de mars que fournissent devant nous nos seigneurs dudit Parlement en la 3e chambre des enquêtes ». Retour au texte

2 Les sociologues qui se sont penchés sur la relation entre le prix et la qualité insistent sur ce point : le consommateur final, la « demande », évalue rarement la qualité du vin avant l’acte d’achat auprès de l’« offre ». Dans ce contexte d’incertitude, le prix s’intègre dans un dispositif de jugement plus global incluant la réputation, les avis des professionnels, les classements et, naturellement, le lieu d’origine et le producteur. Voir en guise de synthèse L. Karpik (2009). Pour l’émergence du classement vinicole comme institution du marché, voir B. Musset (2014a). Retour au texte

3 Pour un rappel de l’émergence du clivage Montagne / Rivière, voir B. Musset (2008, p. 27-29). Pour d’intéressants compléments croisés avec la géographie physique, voir Combaud et alii 2013. Retour au texte

4 Voir sur ce point la célèbre lettre de Saint-Evremond au comte d’Olonne en 1671 : « Il n’y a point de province qui fournisse d’excellents vins pour toutes les saisons que la Champagne. Elle nous fournit les vins d’Ay, d’Avenay, D’Auvilé jusqu’au printemps ; Taissy, Sillery, Verzenay pour le reste de l’année », (Saint-Evremond 1701, p. 117). Retour au texte

5 L’opposition est notée par Nicolas Abraham de La Framboisière en 1601. Par contre, seuls les vins de montagne sont cités dans L’Art de bien traiter, mais en y incluant les vins d’Ay, en principe considérés comme des vins de rivière (L. S. R. 1674, p. 35). Retour au texte

6 Reproduction du traité de santé de 1601 par N. A. de La Framboisière (1644, p. 86). Retour au texte

7 La partie sur les vins mousseux est en partie recopiée de l’ouvrage du chanoine Godinot de 1718. Mais les noms de crus sont plus nombreux. Retour au texte

8 AD 51, Reims, 25 B 97, lettre de Wylder du 5 mai 1771. Retour au texte

9 AD 51, Reims, 25 B 89, lettre de Froment du 24 mars 1762 ; voir aussi la lettre de Buiron du 5 novembre 1769. Retour au texte

10 Le document original paraît malheureusement perdu. Retour au texte

11 AM Reims, Fonds Ancien, C 777. Retour au texte

12 Bibliothèque municipale (désormais BM) d’Epernay, Fonds Chandon de Briailles, manuscrit 329. Retour au texte

13 Les « climats » sont, pour des raisons logiques, beaucoup mieux étudiés et connus que les « quartiers » champenois. Pour un croisement entre les sols et la toponymie, voir F. Dumas (2007). Pour une déconstruction du discours sur la singularité des climats, voir J.-P. Garcia et T. Labbé (2011) ; En Champagne, des études ont été menées sur la toponymie, mais dans une perspective essentiellement linguistique (Tamine 2002). Retour au texte

14 AD 51, Châlons, H 1298 ; plans cadastraux, 3 P 823. Retour au texte

15 Les exploitations retenues sont celles de Chertemps, d’Epernay, AD 51 Châlons, B 9075 (inventaire du 3 février 1722) ; Geoffroy de Vandières, officier, noble d’Epernay, 1772, BM Epernay, Fonds Chandon de Briailles, V 536, f° 65 ; Jannet, cultivateur à Ay, AD 51 Châlons, 4 E 4052, inventaire du 25 septembre 1795 ; Lasnier, négociant à Ay, AD 51 Châlons, 4 E 4053, inventaire du 23 novembre 1796 ; l’amiral Hennequin de Villermont à Ay, AD 51, Châlons, 4 E 4059, 4 février 1803. Pour les grandes exploitations en Champagne, voir B. Musset (2011). Retour au texte

16 N. Bidet (1759, p. 232-233) décrit les vignes hautes (taille longue avec de grands échalas), mais indique aussi que les « vignes hautes » sont au sommet de la côte (Bidet 1759, p. 504). Retour au texte

17 BM Epernay, Fonds Chandon de Briailles, V 536. Retour au texte

18 Pour l’émergence des climats en Bourgogne, voir J.-P. Garcia et T. Labbé (2011). Retour au texte

19 AD 51 Châlons, 4 E 4065, inventaire du 2 novembre 1807, Pétronille Françoise Bouy, veuve de Louis Testulat. Retour au texte

20 AD 51 Reims, 24 B 579, inventaire du 23 août 1786. Retour au texte

21 On peut calculer les proportions des différents vins à partir des données fournies par M. Etienne (1994, p. 58-63). Retour au texte

22 Selon Dom Grossard en 1821, Dom Pérignon mélangeait les raisins : «  quand la vendange approchait, il disait au frère : allez me chercher des raisins des Prières, des Côtes à bras, des Barillets, des Quartiers, du Clos Sainte-Hélène… Sans leur dire de quelles contrées étaient ces raisins, il lui disait : il faut marier le vin de telle vigne avec celui de telle autre. Il ne se trompait pas. » BM Epernay, Fonds Chandon de Briailles, liasse 261, pièce n°16. Pour les achats de raisins, voir B. Musset (2008, p. 665-667). Retour au texte

23 BM Epernay, Fonds Chandon de Briailles, manuscrit 329. Retour au texte

24 Archives privées Moët & Chandon, 18 J 121 à 126. Retour au texte

25 Archives privées Moët & Chandon, 18 J 514, f° 437. Retour au texte

Illustrations

Citer cet article

Référence électronique

Benoît Musset, « Du « quartier » au « champagne » : pluralité et emboîtement des échelles de lieux en Champagne (1650-1820) », Crescentis [En ligne], 1 | 2018, publié le 01 octobre 2018 et consulté le 29 mars 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. DOI : 10.58335/crescentis.267. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/crescentis/index.php?id=267

Auteur

Benoît Musset

CERHIO UMR 6258, Université du Mans

Articles du même auteur

Droits d'auteur

Licence CC BY 4.0